Project Gutenberg's Un mois en Afrique, by Pierre-Napoleon Bonaparte This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Un mois en Afrique Author: Pierre-Napoleon Bonaparte Release Date: April 3, 2004 [EBook #11769] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK UN MOIS EN AFRIQUE *** Produced by Tonya Allen, Renald Levesque and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. UN MOIS EN AFRIQUE PAR PIERRE-NAPOLEON BONAPARTE Je ne m'abaisse pas a une justification, je raconte; la verite est l'unique abri contre le _venticello_ de Basile. AUX CITOYENS DE LA CORSE ET DE L'ARDECHE. UN MOIS EN AFRIQUE. La France, la Republique, les Armes, voila les aspirations de toute ma vie de proscrit. Mes idees, mes etudes, mes exercices avaient suivi, des longtemps, cette direction. En vain, depuis dix ans, je m'etais reiterativement adresse au roi Louis-Philippe, a ses ministres, aux vieux compagnons de l'empereur; meme une place a la gamelle, meme un sac et un mousquet en Afrique, m'avaient ete refuses. Vainement, ne pouvant pas servir mon pays, je frappai a toutes les portes, pour acquerir, au moins, quelque experience militaire, en attendant l'avenir. Ni la Belgique, ni la Suisse, ni Espartero, ni Mehemet-Ali, ni le Czar, de qui j'avais sollicite la faveur de faire une campagne au Caucase, ne purent ou ne voulurent pas accueillir mes souhaits. A l'age de dix-sept ans, il est vrai, j'avais suivi en Colombie le general Santander, president de la Republique de la Nouvelle-Grenade, et j'en avais obtenu la nomination de chef d'escadron, qui m'escala depuis le grade _au titre etranger_ que notre Gouvernement provisoire m'avait confere. Ce fut peu de jours apres Fevrier que, nomme chef de bataillon au premier regiment de la legion etrangere, je vis, bien que d'une facon incomplete, exaucer mes voeux. J'etais en France, la Republique etait proclamee, et je pouvais la servir par les armes. Sans doute, la nature exceptionnelle de mon etat militaire, et la non-abrogation de l'article VI de la loi du 40 avril 1832, relative au bannissement de ma famille, apportaient des restrictions penibles a mon joyeux enthousiasme; mais l'un de ces faits expliquait l'autre. Sans rapporter implicitement cette loi, le gouvernement de la Republique ne pouvait m'admettre dans un regiment francais. Faire cesser decidement notre exil, cela n'entrait pas encore dans ses vues; je ne discuterai pas le merite politique de son appreciation, mais je dois loyalement reconnaitre que tout esprit de haine ou d'antipathie etait bien loin de la pensee de ses honorables membres a cet egard. Le jour ou Louis Blanc m'annonca ma nomination[l] fut un des plus beaux jours de ma vie; j'allai le remercier avec effusion, ainsi que ses collegues, et quels qu'ils soient maintenant, membres de l'Assemblee Nationale, simples citoyens, proscrits, helas! ou captifs, ils ont en moi un coeur ami et reconnaissant. [Note 1: Voyez sa lettre aux Pieces justificatives.] Bien avant la revolution, j'avais eu l'honneur de connaitre particulierement Marrast, Cremieux, et Lamartine, dont la famille est alliee de celle de ma mere. Pouvais-je douter de l'amitie de Cremieux, dont la voix eloquente et genereuse s'etait elevee si souvent en faveur des proscrits de mon nom? Flocon et Arago m'avaient accueilli avec une bienveillance toute fraternelle. Ledru-Rollin m'a exprime cordialement, en termes flatteurs, le regret de n'avoir pu me faire entrer au service d'une maniere plus complete. Et si des considerations etrangeres a ma personne ne les avaient arretes, il est certain que le Gouvernement provisoire ou la Commission executive n'eut pas tarde a naturaliser mon grade. Je sais que des adversaires de ma famille, ou personnels, ont parle de la loi du 14 avril 1832, dont la prescription principale est qu'on ne peut obtenir d'emploi dans l'armee, si on n'a satisfait a la loi de recrutement, ou si on ne sort pas d'une ecole militaire. Mais, de bonne foi, cette these etait-elle soutenable a mon sujet? Comment aurais-je pu remplir les conditions de la loi, si j'etais dans l'exil? Sans doute, et a part la periode d'omnipotence dictatoriale, ou le Gouvernement provisoire concentrait dans ses mains tous les pouvoirs, un decret de l'Assemblee eut ete rigoureusement necessaire. Mais si, dans un moment opportun, le gouvernement, quel qu'il fut, l'avait propose, peut-on supposer que les representants du grand peuple qui, en rappelant les proscrits, a place l'un d'eux a sa tete, ne l'eussent pas rendu? Supposons que la Legion etrangere n'existat pas, la consequence de la stricte application des lois qui regissent l'armee aurait ete de m'interdire absolument le service militaire, fut-ce comme simple soldat. En effet, pas plus comme simple soldat que comme chef de bataillon, je n'eusse pu etre admis, car l'article 1re de l'ordonnance du 28 avril 1832, explicative de la loi du 21 mars, porte qu'on n'est pas recu a contracter un engagement, si on est age de plus de trente ans. Or, en Fevrier 1848, j'en avais trente-deux. Si je puis m'exprimer ainsi, c'est, apres un long exil, qu'on me permette de le dire, une nouvelle proscription dans l'etat; car comment appeler autrement une disposition qui vous defend sans retour, dans votre patrie, la carriere a laquelle vous vous etiez exclusivement voue, ou qui ne vous permet de la suivre que dans des conditions anormales et intolerables?[2] [Note 2: Voyez, pour le mode d'admission aux emplois des officiers au titre etranger, et pour les conditions de leur etat militaire, le chapitre VI du titre IX de l'ordonnance du 16 mars 1838, et, aux pieces justificatives, le discours que j'ai prononce a la seance de l'Assemblee legislative, le 22 decembre 1849.] Qu'on ne m'accuse pas de presomption, parce que j'ai suppose qu'une auguste assemblee aurait pu etre appelee a se prononcer sur un interet individuel et aussi secondaire. Non, car non-seulement il est de l'essence des institutions democratiques que les grands pouvoirs de l'Etat ne dedaignent pas les reclamations des plus humbles citoyens, mais les precedents parlementaires n'auraient pas manque dans l'espece. Sous la monarchie de Juillet, les fils de l'immortel marechal Ney passerent ainsi, avec leurs grades, des rangs etrangers dans ceux dont leur pere avait ete un des plus glorieux luminaires. Les services des parents sont entres plus d'une fois en ligne de compte, et pour ne citer qu'une circonstance recente, n'avons-nous pas, a la Constituante de 1848, vote par acclamation, et comme recompense nationale, la nomination, en dehors des regles ordinaires, du jeune fils de l'illustre general Negrier, qu'un plomb fratricide enleva si cruellement aux travaux legislatifs et a l'armee? Quoi qu'il en soit, nomme, au titre etranger, par le Gouvernement provisoire, je me preparais a rejoindre mon regiment, lorsque un grand nombre de Corses residant a Paris m'offrirent la candidature de notre departement a l'Assemblee Nationale. La vivacite des sympathies de nos braves insulaires pour ma famille, leur culte enthousiaste pour la memoire de l'empereur, rendaient probable ma nomination. Devant l'espoir fonde d'etre au nombre des elus du Peuple, appeles a constituer definitivement la Republique, on comprendra que le service d'Afrique, en temps de paix, et surtout dans un corps etranger, dut me paraitre une condition secondaire. M. le lieutenant-colonel Charras, alors sous-secretaire d'Etat au ministere de la guerre, voulut bien m'autoriser a suspendre mon depart jusqu'a nouvel ordre. En effet, le 4 mai 1848, j'eus l'insigne honneur d'inaugurer avec mes collegues, en presence de la population parisienne, l'ere parlementaire de notre jeune Republique, et d'apporter a cette forme de gouvernement, qui avait ete le reve de toute ma vie, la premiere sanction du suffrage universel. Le coupable attentat du 15 mai, les funebres journees de juin, vinrent nous attrister des les premiers travaux d'une assemblee, qui fut, quoi qu'on ait pu en dire, une des plus dignes, et qu'on me passe le mot, une des plus honnetes qui aient jamais honore le regime representatif. Le 23 juin, pendant la seance, Lamartine quitta l'Assemblee, pour faire enlever une redoutable barricade qu'on avait etablie au-dela du canal Saint-Martin, dans la rue du Faubourg-du-Temple. Il me permit de le suivre, et comme je n'aurais pas eu le temps d'aller chercher mon cheval, ou de le faire venir, il m'offrit un des deux qui l'attendaient a la porte du palais legislatif. En compagnie du ministre des finances, et de notre collegue Treveneuc, des Cotes-du-Nord, nous longeames les boulevards, ou quelques rares piquets de gardes nationaux etaient sous les armes. Au-dela de la porte Saint-Martin, nous fumes entoures d'une foule de citoyens appartenant a la classe ouvriere, et dont la plupart, j'en ai la conviction, etaient le lendemain derriere les barricades. L'accueil qu'ils nous firent, les poignees de main cordiales qu'ils nous donnerent, leurs propos vifs et patriotiques, m'ont douloureusement prouve une fois de plus que les meilleurs instincts peuvent etre egares, et que la guerre civile est le plus horrible des fleaux. Les projectiles des insurges arrivaient jusque sur le boulevard. Lamartine tourna resolument a gauche, et nous le suivimes dans la rue du Faubourg-du-Temple, sous le feu de la barricade et des maisons occupees par nos adversaires. Arrives sur les quais, nous vimes un detachement de gardes mobiles et quelques compagnies d'infanterie repousses avec perte jusqu'a la rue Bichat. Ce fut la, pres du pont, que le cheval que je montais fut atteint d'une balle, a quelques pas de Lamartine, circonstance qui parut fixer favorablement l'attention de ce grand et courageux citoyen. Et certes, si le soir meme il n'avait resigne ses pouvoirs, j'ai tout lieu de croire qu'il n'en aurait pas fallu davantage pour le porter a provoquer une decision touchant mon assimilation aux officiers qui servent _au titre francais_. Lamartine est un grand caractere; je n'en veux pour preuve que les belles paroles que j'ai recueillies de sa bouche, le jour ou nous nommames la Commission executive. "Si je voulais me separer de Ledru-Rollin, nous dit-il, j'aurais deux cent mille hommes derriere moi; _mais je craint la reaction et la guerre civile._" Quoi qu'il en soit, n'est-il pas profondement triste, apres tant de vicissitudes, que ce que j'eusse obtenu de Lamartine, ou peut-etre meme du general Cavaignac, m'ait ete denie, malgre bien des promesses anterieures, par mon propre cousin, sous pretexte d'une opposition sincere et moderee, que je n'aurais pu cesser sans abjurer ma religion politique, et abdiquer toute dignite et toute independance? Mais procedons par ordre. A le Commission executive succeda le general Cavaignac. Le decret du 11 octobre 1848 abrogea formellement, en ce qui touchait ma famille, la loi du 10 avril 1832, qui, confondant les proscripteurs et les proscrits, avait banni la branche ainee des Bourbons, et maintenu, moins la sanction penale, l'exil dont ils nous avaient frappes, par la loi du 12 janvier 1816. La candidature de Louis-Napoleon fut produite, et une immense acclamation repondit qu'il etait reste dans le coeur du peuple le souvenir de l'homme qui avait porte a son plus haut degre le sentiment de notre nationalite. Le dix decembre, comme je le dis alors, est la derniere page de l'histoire de l'empereur, et pour l'ecrire, pres de six millions de Francais ont dechire les traites de 1815, et proclame que la sainte-alliance nous doit une revanche de Waterloo. Malgre les efforts des republicains et de quelques hommes bien intentionnes qui tenterent d'arriver a la seule conciliation veritablement utile et durable, celle des deux grands pouvoirs de la Republique, la Constituante, battue en breche par le nouveau gouvernement, vit adopter la motion Rateau, modifiee, il est vrai, par Lanjuinais, et fixer a un court delai sa dissolution. Durant cette session d'une annee, j'ose le dire, un grand nombre de mes collegues d'opinions diverses m'avaient accorde quelque sympathie, et si jamais j'ai pu esperer avec raison la regularisation de mon etat militaire, c'est bien des l'avenement de Louis-Napoleon a la presidence jusqu'a l'installation de la Legislative. A part les dispositions bienveillantes dont je viens de parler, l'amitie de mon cousin, nos relations qui dataient de loin, les promesses qu'il m'avait faites, tout m'autorisait a penser que l'opportunite ne serait pas perdue. Je dois aussi ajouter la confiance que j'avais lieu de placer, a cet egard, dans le chef du cabinet, M. Odilon Barrot, qui plus d'une fois avait blame les administrations precedentes de ne m'avoir pas fait admettre dans un regiment francais. Bref, un mecontentement injuste de mes votes consciencieux, et consequents avec la voie que j'avais suivie avant meme que Louis-Napoleon fut representant du peuple, des influences exclusives et que je ne signalerai pas davantage[3]; enfin, des menees qui se resument dans le vieil adage: _divide et impera_, m'enleverent le modeste succes que j'ambitionnais comme ma part, pour ainsi dire, dans le grand triomphe du dix decembre. [Note 3: Il m'est permis de croire que le president de la Republique, laisse a lui-meme, m'aurait appuye. Peu de jours avant son election, je causais avec lui, lorsqu'il m'exprima l'intention de me donner le commandement d'un corps. Je lui fis sentir les difficultes qu'il rencontrerait chez des hommes toujours prets a crier au privilege, et dans les susceptibilites de quelques-uns des honorables officiers qui siegeaient a l'Assemblee. Il me repondit: "Si le peuple me nomme, il approuvera ce que je ferai pour ma famille qui a tant souffert."] L'indifference du ministere, qui, dans ce cas, etait de l'hostilite, l'intention de me sacrifier par le silence, etaient flagrantes. Au fond, je desesperais de reussir; deux fois deja j'avais donne ma demission; elle avait ete refusee avec insistance par le president et par le ministre de la guerre. Je resolus de tenter un dernier effort. Il y avait trop longtemps que je poursuivais mon but, il etait trop pres, j'y tenais trop, pour me decourager completement. Quoique a regret, j'etais decide a me retirer de la carriere, plutot que de servir au titre etranger. Je desirais surtout vivement obtenir la naturalisation de mon grade de la Constituante. Au moment de nous separer, j'aurais ete heureux que l'acces de nos rangs me fut ouvert par les collegues qui avaient brise la loi de mon exil. Il me semblait qu'une decision favorable eut ete comme une accolade fraternelle, et qu'aucun effort ne m'aurait coute pour la justifier. Sous l'empire de ces pensees, je resolus de presenter une petition a l'Assemblee. Elle fut deposee le 17 mars 1849. M. Armand Marrast, notre president, voulut bien la renvoyer immediatement au comite de la guerre. Elle y fut examinee; le ministre de la guerre s'abstint d'y paraitre; deux membres, amis de mon cousin, ne vinrent pas, et cependant j'obtins quatorze voix sur vingt-huit. Que ceux de mes honorables collegues qui se prononcerent en ma faveur me permettent de leur exprimer ma profonde reconnaissance. J'en dois surtout au brave et venerable general Laidet, a MM. Avond et de Barbancois, qui voulurent bien plaider ma cause avec une veritable et chaleureuse fraternite. Quant a ceux qui crurent devoir repousser ma requete, s'il en est parmi eux pour qui mon nom ait ete un motif de defiance, qu'ils me permettent, aujourd'hui que mon epee a ete brisee, de leur dire avec desinteressement qu'ils se sont trompes; dans aucun cas, la Republique n'aurait eu un soldat plus fidele, comme elle l'aura encore, si elle etait attaquee, bien que ce ne puisse plus etre dans les rangs de l'armee. M. le general Leflo avait ete nomme rapporteur de ma petition, mais nos nombreux travaux et les graves preoccupations du moment empecherent de la porter a l'ordre du jour. La Constituante fit place a la Legislative, et ma position militaire resta la meme. Ce moment, il faut en convenir, a ete decisif dans ma vie, car si j'etais entre dans un regiment francais, au lieu de me presenter aux nouvelles elections, j'aurais suivi mes penchants et je me serais exclusivement consacre a la carriere des armes. Quoi qu'il en soit, nomme dans l'Ardeche et en Corse, je revins sieger a l'Assemblee actuelle. Ma position n'y etait pas facile, ni agreable. D'un cote, je voyais une majorite composee de divers elements, tous d'origine monarchiste, opposes par consequent a mon principe, mais soutenant, quoiqu'en l'egarant, suivant moi, le pouvoir executif. De l'autre, une minorite, formee aussi de nuances diverses, moins heterogenes, il est vrai; minorite republicaine, revolutionnaire, reformatrice, humanitaire, demandant de grandes entreprises, mais ayant des chefs qui consideraient Louis-Napoleon comme un antagoniste, et qui eussent ete contre lui, c'est mon opinion, quoi qu'il eut fait. Sans doute, je me sentais instinctivement entraine vers la Montagne; mais, a part ses antipathies individuelles, je pensais sincerement qu'elle depassait le but, et qu'elle compromettait la Republique, notamment en se rapprochant des hommes qui approuvaient le 15 mai et les journees de juin. Restait le tiers-parti, et je dois l'avouer franchement ici: si la Montagne avait parfois les entrainements de mon coeur, les elans de ma raison me rapprochaient du tiers-parti. Mais qu'est-il, ou est-il, que peut-il? sinon attendre, pour sauvegarder le principe democratique, en apportant, suivant les circonstances, son faible contingent contre la reaction ou les exces. Du reste, les memes antipathies que j'ai signalees, moins violentes, mais non moins intenses, existaient, qui peut en douter? dans son sein. Ces considerations, que je ne dois qu'effleurer (et c'est peut-etre trop de hardiesse), m'inspiraient tous les jours davantage le regret de n'avoir pu lever l'obstacle qui m'avait fait preferer mon mandat au service actif. En verite, la direction donnee a nos armes en Italie me prouvait que le nouveau gouvernement pouvait ordonner des operations militaires auxquelles, a aucun prix, je n'eusse voulu prendre part. Mais on parlait aussi d'expeditions prochaines en Afrique, cette terre ou se sont formes tant de bons officiers. Le president, mes autres parents, des amis plus ou moins clairvoyants m'engageaient fortement a faire a mon corps _un acte de presence_ qui facilitat, disaient-ils, la regularisation de ma position. On peut penser de moi ce que l'on voudra; mais tous ceux qui connaissent un peu mes inclinations, mes habitudes et mes antecedents, croiront sans peine qu'il n'aurait pas fallu me prier longtemps pour me decider a faire une campagne, sans mon inconvenante condition d'officier au titre etranger. Blesse que le gouvernement d'un homme, a qui notre nom avait valu la premiere magistrature de la Republique, me marchandat tant mon epaulette, je declinai toute proposition, et la prorogation de la Legislative etant arrivee, je retournai dans les montagnes des Ardennes belges, ou j'avais fait un long et tranquille sejour avant la revolution. Ce qui me navrait surtout, c'etait de voir des gens qui avaient eu leur place au soleil de la monarchie, tandis que nous trainions dans l'exil une vie agitee ou miserable; ce qui me navrait, dis-je, c'etait de voir ces courtisans obtenir les plus hautes faveurs, les emplois les plus lucratifs, tandis qu'on me refusait, a moi, de servir modestement le pays suivant mon aptitude, chose que j'ai toujours crue franchement aussi naturelle que juste et meritee. Mon sejour dans mon ancienne retraite ne fut pas long: de nouvelles et plus vives instances vinrent m'y relancer, et j'eus le tort de ceder et de revenir presque aussitot a Paris. Elles y furent encore renouvelees, et un jour meme, a Saint-Cloud, on me temoigna tant de mecontentement de mon hesitation que je dus croire vraiment qu'on n'attendait que cet _acte de presence_ a mon corps pour realiser le mirage de la miraculeuse epaulette que je poursuivais depuis si longtemps. J'avais proteste a satiete que je ne monterais pas une garde tant que je ne compterais dans l'armee qu'au titre etranger; j'aurais du, pour tous ces motifs, maintenir ma resolution; mais ce qui enfin l'ebranla, ce fut la perspective de la campagne qui se preparait dans le sud de la province de Constantine. Il fut decide que je serais envoye en mission temporaire aupres du gouverneur general de l'Algerie, et que d'Alger j'irais rejoindre la colonne expeditionnaire aux ordres du general Herbillon. Toujours mecontent de ma position exceptionnelle, j'avais, quoi qu'on ait pu en dire, bien et dument stipule avec tout le monde, president, ministres, intermediaires officiels ou officieux, que j'allais en Afrique pour n'y rester que le temps que je voudrais, pour en revenir quand je le jugerais convenable, et pour n'y faire, au besoin, que l'_acte de presence_ qu'on paraissait croire indispensable a la regularisation de mon etat militaire. J'etais loin de croire qu'on contesterait un jour ces conventions, sans lesquelles je me serais garde d'accepter ma mission; mais si des preuves materielles etaient necessaires, je pourrais produire des lettres que j'ecrivis de Lyon, de Marseille et de Toulon, a plusieurs de mes amis, avant de m'embarquer, lettres dans lesquelles je leur parlais de mon retour a l'Assemblee pour le 15 novembre, au plus tard. Le 1er octobre, jour de la reprise des travaux legislatifs, j'assistai a la seance, j'obtins un conge, et le lendemain, de bonne heure, je quittai Paris par le rail-way de Tonnerre. Le 3, au soir, j'etais a Lyon, le 4 a Avignon, le 5 a Marseille. Je partis presque immediatement pour Toulon, ou j'arrivai pendant la nuit. Cette jolie ville etait dans la consternation, le cholera decimait les habitants, les hotels avaient ete abandonnes par leurs proprietaires; a la _Croix de Malte_, je fus recu par le seul domestique qui restat dans la maison. Je passai la journee du 6 a Toulon, et le 7, apres midi, nous appareillames pour Alger, a bord du _Cacique_, fregate a vapeur de l'Etat. Nous arrivames le 9 au soir. Je me rendis immediatement chez le gouverneur general, a qui je remis une lettre du president de la Republique. Je recus de M. le general Charon le plus gracieux accueil; il voulut bien me retenir a diner pour le soir meme, et le jour suivant. Le lendemain, avec le capitaine Dubost, aide-de-camp du gouverneur, je visitai le magnifique jardin d'essai, ou, entre autres merveilles, on voit de grands massifs d'orangers; et la jolie campagne du brave general Jusuf qui, malgre ses glorieux services, n'a pu obtenir son assimilation a nos autres generaux. Le soir, j'assistai a une danse de ravissantes Moresques comme on n'en voit qu'a Alger, et a une ceremonie religieuse tres originale des negres de la ville, qui sont de vrais convulsionnaires. Je pris conge du gouverneur, et le lendemain, au matin, je partis pour Philippeville, a bord d'un petit pyroscaphe cotier, affecte au service des depeches. Nous cotoyames assez pres de terre les montagnes encore verdoyantes de la Kabylie; nous relachames a Dellys, Bougie, Djidjeli, et le lendemain, 12 octobre, nous etions a Stora. C'est une belle baie, ou l'on trouve un port sur et spacieux, a une demi-heure de marche de Philippeville. Notre pyroscaphe fut aussitot entoure de plusieurs bateaux montes par de nombreux marins. A leur costume, a leurs acclamations sympathiques, aux coups de fusil et de pistolet dont ils me saluaient, je reconnus de suite nos intrepides et habiles caboteurs d'Ajaccio qui, sur de freles embarcations non pontees, se hasardent a aborder aux cotes d'Afrique, pour y mener la vie laborieuse qui leur permet de rapporter quelques economies a leurs familles. J'allai a terre avec ces rudes et chers enfants du peuple, et je me mis en route pour Philippeville, en compagnie du capitaine Gautier, commandant la gendarmerie de la province. Le chemin, taille dans la montagne, suit les bords de la mer; la vigoureuse vegetation du sol d'alentour, couvert d'epais arbustes, me frappa par son extreme ressemblance avec la Corse. A peu pres a moitie route, on trouve une magnifique batterie parfaitement entretenue. A Philippeville, ou je passai la journee du 12, je me presentai chez le commandant superieur, M. Cartier, major du deuxieme regiment de la Legion etrangere, et je fis la connaissance du commandant Vaillant, frere de nos deux generaux de ce nom, et savant naturaliste. Une distance de vingt-deux lieues que parcourt une excellente route, exploitee quotidiennement, comme en Europe, par un service de messageries, separe Philippeville de Constantine. Toutes les places ayant ete retenues, je louai une voiture et je partis le lendemain de grand matin, avec l'excellent capitaine Gautier qui avait voulu m'accompagner. Nous traversames les nouveaux villages de Saint-Antoine et Gastonville, ce dernier peuple de pauvres proletaires parisiens qui sont venus chercher un meilleur sort dans la colonisation, tache difficile pour laquelle, malgre leur courage, ils n'ont ni la force, ni l'aptitude necessaires. Au camp d'El-Arrouch, je fus retenu a dejeuner, de la maniere la plus aimable, par MM. les officiers du 38e. Ils etaient tristes de voir la garnison decimee par le cholera qui sevissait contre elle, plus cruellement qu'a Philippeville et que sur aucun autre point de la division territoriale. Apres avoir relaye au camp de Smendou, nous arrivames fort tard a Constantine. En l'absence du general Herbillon, parti a la tete de la colonne expeditionnaire, M. le general de Salles, gendre de l'illustre marechal Valee, me recut le soir meme, avec cette parfaite et cordiale urbanite qui le fait aimer de tous ceux qui l'approchent. Le lendemain, 14, grace a l'obligeant empressement de M. le capitaine de Neveu, chef du bureau arabe, tous mes preparatifs de campagne, tentes, cantines, etc., etaient termines. Je fus vivement contrarie, et on le concevra sans peine dans une telle circonstance, de n'avoir pu, malgre mes recherches, reussir a me monter convenablement. Ce que je trouvai de moins mauvais, ce fut un petit cheval indigene, vif, mal dresse, peu maniable et peu vigoureux, dont je dus pourtant me contenter. Le 15 octobre, au point du jour, je quittai Constantine, pour rejoindre la colonne. Mon escorte se composait du marechal-des-logis Bussy et de quatre cavaliers du troisieme regiment de spahis, deux chasseurs d'Afrique, Rouxel et Valette, un soldat du train des equipages, et Gerard, mon fidele domestique ardennais. Avant d'aller plus loin, il n'est peut-etre pas inutile de donner ici un rapide apercu des causes qui avaient amene l'expedition a laquelle j'allais prendre part, et des faits qui avaient precede mon arrivee. Dans l'origine, la politique du gouvernement etait de maintenir un calme, au moins apparent, dans la province, en pesant le moins possible sur les indigenes. Ce systeme, qui avait d'abord reussi, permettait d'occuper avec le gros de nos forces les autres points du pays plus agites. L'etablissement de colonies agricoles sur la route de Constantine a Philippeville vint tout a coup changer cet etat de choses. De tout temps, les communications entre ces deux villes avaient ete inquietees par les kabyles; mais quelques attentats sur des hommes isoles, et un surcroit d'activite pour notre cavalerie etaient consideres comme des inconvenients de peu d'importance par l'autorite, qui avait a dessein ferme les yeux, afin d'eviter de plus graves complications. Lorsque nous eumes nos colons a proteger, on voulut en finir avec la Kabylie. Ce n'etait point facile, et on paraissait oublier qu'une des choses qui ont fait le plus de mal a l'Algerie, c'est ce penchant a s'etendre continuellement et a occuper un trop grand nombre de points, fut-ce avec des moyens insuffisants. Pour former les deux colonnes qui, au mois de mai de l'annee derniere, sous les ordres de MM. Herbillon et de Salles, ont agi vers Bougie et Djidjeli, il avait fallu affaiblir les garnisons du sud, au point qu'on m'a assure que Batna etait reste avec 500 hommes et Biscara avec 250. Les meilleurs officiers furent appeles a faire partie de l'expedition; le brave et infortune commandant de Saint-Germain fut du nombre, et en son absence le commandement superieur de Biscara dut etre confie a un capitaine. De ces mesures, dit-on, est sortie la guerre que les dernieres operations de M. le colonel Canrobert, aujourd'hui general, viennent de terminer. Une des causes principales des derniers troubles a ete, sans aucun doute, la trop grande multiplication des bureaux arabes destines a administrer les indigenes. Il y a inconvenient a intervenir de trop pres dans les phases intestines de l'existence des tribus. Dans le Hodna, par exemple, la guerre a toujours existe, meme du temps des Turcs. En pleine hostilite aujourd'hui, demain les diverses tribus de ce territoire sont reconciliees par leurs marabouts. Que nous importent ces dissensions, surtout si l'experience a prouve qu'elles s'enveniment d'autant plus que nous nous en melons davantage? Si, comme on l'annoncait, un nouveau bureau arabe est etabli a Boucada, la neutralite cesse d'etre possible; l'officier francais, appele a se prononcer entre les deux partis, tranche le differend ou le fait decider par ses chefs, et si une soumission complete ne s'ensuit pas, en avant les colonnes! une expedition devient indispensable. Gouverner l'Algerie, y exercer le commandement supreme, mais n'administrer que les points qui jamais ne pourront se soustraire a notre domination, telle est, en resume, la politique que nous aurions du toujours suivre, si j'en crois mes impressions, et l'opinion des hommes veritablement competents. De puissants chefs arabes, meme nous servant mal quant a la rentree de l'impot, mais faisant respecter nos routes et nos voyageurs, n'assureront-ils pas notre empire mieux que certains caids relevant plus directement de nous, mais qui revoltent a chaque instant les populations par les concussions dont ils les accablent en notre nom? Il serait d'une haute politique d'entourer de la plus grande consideration les chefs a notre service, et de les relever aux yeux de leurs administres, en leur laissant ce prestige de nationalite indigene qui leur donne l'air de ne ceder qu'a notre force invincible, tout en nous aimant quand nous faisons le bien. Surtout, il ne faudrait pas perdre de vue que quelque temps de paix consolide notre pouvoir mieux que l'expedition la plus heureuse, et que si une longue periode de tranquillite generale etait donnee a la colonie, l'Arabe, qui est fataliste, commencerait a croire a la perpetuite de notre domination, et se soumettrait definitivement en disant: Dieu le veut! Jetons maintenant un coup d'oeil sur l'etat de la subdivision de Batna, lors des derniers evenements. En octobre 1848, M. le colonel Carbuccia, d'une des meilleures familles de Bastia, avait succede, dans le commandement de cette subdivision, a M. le colonel Canrobert. Ce dernier venait de rendre un immense service, en s'emparant, par un coup de main hardi, comme il sait en faire, du dernier bey de Constantine, Ahmed. Cependant, nos ressources etaient bien faibles pour maintenir, dans une si grande etendue de territoire, tant de populations diverses. En effet, la subdivision de Batna comprend ces montagnards de l'Aures, toujours turbulents, le massif des Ouled-Sultan, les Ouled-Sellem, les Ouled-Bouanoun, le Hodna, le Sahara ou Desert, ou se trouve la region des oasis, ou Zab, au pluriel Ziban. Les Aures venaient de massacrer ou de chasser les caids nommes par nous; la plupart des autres points du pays n'etaient soumis que de nom; l'echec essuye par nos armes en 1844 n'avait pas ete venge, et si une revolte ouverte avait eclate, les plus facheuses complications etaient a prevoir. Des lors, le colonel Carbuccia avait senti les difficultes de cette situation et les avait fait connaitre a son chef immediat, M. le general Herbillon, commandant de la province. En avril et mai 1849, le colonel s'etait vu contraint de parcourir le Hodna, a la tete d'une colonne expeditionnaire, pour maintenir notre caid Si-Mokran, dont les Arabes avaient voulu se debarrasser. Notre autorite en fut momentanement raffermie, une reconciliation apparente eut lieu, et des otages furent, suivant la coutume, amenes a Batna. Dans le Sahara, par des circonstances favorables et fortuites, ou peut-etre a cause meme de notre eloignement, les oasis le plus au sud, Tuggurt et Souf, etaient dans les meilleures dispositions a notre egard. Aussi, quand le kalifat d'Abd-el-Kader, Ahmed-bel-Hadj, a voulu, en dernier lieu, traverser ce pays, pour se mettre a la tete de l'insurrection, il a ete repousse avec perte par nos fideles allies Ben-Djellal et Ben-Chenouf. Les habitants du groupe d'oasis qu'on appelle le Zab-Dahri, et dans lequel est situe Zaatcha, ne vivaient, il y a peu de temps encore, que de la culture du palmier, qui suffisait a leur nourriture et aux echanges. Menaces sans cesse par les nomades, qui les pillaient et les rendaient tributaires, leur sort etait exceptionnellement malheureux. En 1845, sous le commandement de M. de Saint-Germain, ils commencerent a jouir d'une administration reguliere et uniforme. Grace aux encouragements de cet officier superieur, ils produisirent d'abondantes cereales, et l'on peut dire que, quatre ans apres, la misere avait completement disparu de leur territoire. Le but de M. de Saint-Germain, qui voulait gouverner directement le pays, etait de soustraire le Sahara a la dependance du Tell, dont il tire ses grains. Louable en lui-meme, sous le rapport de la civilisation, au point de vue politique ce plan ne pouvait produire que de facheux resultats chez un peuple qui nous sera encore longtemps et peut-etre toujours hostile. Les Turcs connaissaient les Arabes au moins aussi bien que nous, et certes ils se seraient gardes de rendre le desert independant du Tell. La necessite ou sont les tribus sahariennes de venir, tous les ans, s'approvisionner dans la region des cereales, est la meilleure garantie de leur obeissance. Si elles nous mecontentent, leur compte est bientot regle, et en cas de rebellion armee, nous pouvons leur fermer completement le Tell, et les obliger a recourir a des intermediaires, ce qui decuple pour eux le prix des denrees. Ce n'est d'ailleurs que dans le Tell que ces tribus peuvent rencontrer, pour leurs dromadaires et leurs moutons, des paturages d'ete, saison ou le manque absolu d'eau serait mortel aux troupeaux dans le desert. Cette dependance du Sahara envers la region des cereales est un fait tellement important qu'aucune intrigue ou sedition de la part des nomades ne peut nous preoccuper longtemps, places qu'ils sont sans cesse sous l'inevitable coup d'une repression pecuniaire, et meme plus terrible, au besoin. Quatre passages a travers une chaine de montagnes qui court parallelement a la mer, conduisent du desert au Tell; a l'est, celui de Kinchila; a l'ouest, celui de Soubila; ceux de Megaous et de Batna, au centre. Les deux premiers sont en dehors de la direction que suivent les tribus. Batna est fortement occupe par nous; quant a Megaous, notre caid des Ouled-Sultan y est etabli et peut en defendre l'acces a tout venant qui se serait attire notre colere. Tout cela prouve encore une fois que nous pouvons gouverner de loin les Arabes du Desert et abandonner cette administration directe qui les avait enrichis, mais qui nous a cree des obstacles tellement graves qu'il nous a fallu, pour les surmonter, tout l'heroisme de nos troupes. Voyons comment ils avaient surgi. La base de la gestion de M. de Saint-Germain, c'etait l'egalite devant l'impot, et il n'avait voulu tenir aucun compte des privileges des marabouts, dans un pays pourtant ou cette caste est aussi nombreuse qu'influente. Il n'en fallait pas davantage pour nous faire des ennemis irreconciliables de gens qui n'auraient pas mieux demande que de nous servir, si, comme les Turcs l'avaient fait avant nous, nous eussions menage leur suprematie. En 1848, la contribution des palmiers qui n'avait ete, dans l'origine, que de 15 a 20 centimes le pied, fut tout a coup portee, sans transition, a 50, soit que ces precieux vegetaux rapportassent leurs dattes ou qu'ils n'en eussent pas. Une mesure financiere aussi vexatoire etait justifiee jusqu'a un certain point par la necessite ou l'on etait de fournir aux frais de fortifications de Biscara, frais que le gouvernement central n'avait pas voulu couvrir; et en effet, 120,000 francs, produit du nouvel impot, furent affectes a la construction de la casbah de cette oasis. Quoi qu'il en soit, un pretexte d'insurrection etait trouve pour les marabouts que nous nous etions maladroitement alienes. Tous affilies a la secte religieuse dite des freres de Sidi-Ab-er-Rahmann, qui a de nombreuses ramifications dans les Ziban, ils fomenterent sourdement la revolte, a laquelle il ne manqua desormais qu'un fait determinant. L'administration directe de nos autorites militaires, et le nivellement de l'impot au prejudice des anciennes prerogatives des marabouts et des familles nobles, voila donc les causes principales de la derniere guerre. Deux autres motifs, bien que secondaires, meritent d'etre mentionnes. D'une part, nos malheureuses discordes civiles avaient porte leur fruit jusqu'au fond de la province de Constantine; de nombreux naturels des oasis, connus sous le nom de Biskris, etablis a Alger, ou la plupart font le metier d'hommes de peine, ne cessaient de mander aux leurs, depuis la Revolution de Fevrier, que chaque jour nos regiments rentraient en France, que nous allions quitter l'Afrique, que nous nous battions entre nous, et mille choses semblables. D'autre part, une des consequences de notre administration directe etait d'annihiler completement l'autorite du scheick El-Arab, qui avait ete jusqu'alors un sur moyen de domination dans le desert. Deux familles s'etaient trouvees, tour a tour, en possession de cette dignite, espece de grand vasselage, les Ben-Gannah et les Ben-Said. Les Turcs, suivant les exigences de leur politique, les avaient alternativement elevees, et il faut le dire, de leur temps le scheick El-Arab etait reellement le suzerain du Sahara, percevait les contributions, payait au bey de Constantine la redevance exigee, administrait comme il l'entendait, et garantissait ainsi de tout embarras le gouvernement supreme. En 1837, apres la prise de Constantine, les Ben-Said, dont le chef a ete tue a notre service, etaient en fonctions. En 1844, M. le duc d'Aumale leur substitua les Ben-Gannah qui y sont encore; mais le titulaire actuel, que je connais, et qui est decore de la Legion d'honneur, a vu son autorite tellement amoindrie que, pour ne citer qu'un exemple, il n'a pu, lors de la derniere campagne et bien qu'il fut dans notre camp, procurer au general Herbillon un seul espion a qui accorder creance. Cependant, la part d'impot, que ce scheick preleve annuellement a son benefice, est de plus de 100,000 francs. Telle etait la situation des choses, lorsque le depart de M. de Saint-Germain et les detachements considerables exiges par l'expedition de Kabylie deciderent les mecontents a se prononcer. Bou-Zian, ancien scheick de l'oasis de Zaatcha, annonca que le prophete, qu'il pretendit avoir vu en songe, lui avait ordonne de reunir les croyants et de les convier a la guerre sainte. Aussitot, il sacrifie le cabalistique mouton noir, et invite de nombreux affides au banquet sacre, ou il donne le signal de l'insurrection. M. Seroka, jeune et vaillant officier du bureau arabe de Biscara, se porte a Zaatcha, avec quelques cavaliers, pour arreter Bou-Zian et ses fils. Deja ce fanatique etait entre ses mains, quand, attaque a l'improviste, M. Seroka se voit contraint de battre precipitamment en retraite, ramene a coups de fusil par toute la population ameutee. Le lendemain, un detachement beaucoup plus fort est repousse a son tour, et la revolte gagne des proportions inquietantes. Bou-Zian en est le chef; c'est un homme de quarante ans, energique, intelligent, courageux, fameux tireur. Il n'etait pas marabout; mais depuis ses pretendus entretiens avec Mahomet, il avait joue le personnage religieux, et il jouissait d'une reputation de saintete bien etablie. Tout porte a croire que si M. de Saint-Germain avait pu rentrer immediatement a son poste, et diriger de suite un bataillon sur Zaatcha, il aurait eu beau jeu de cette levee de boucliers. Malheureusement, l'expedition de Kabylie obligea le general Herbillon a le retenir, avec mille hommes places sous ses ordres, et lorsque, avec ces troupes, il fut de retour a Batna, le 5 juillet, l'insurrection avait fait de grands progres. Le Sahara tout entier s'agitait a la voix de ses marabouts; les montagnards des Aures etaient en pleine rebellion; notre caid des Ouled-Sultan avait trouve la mort en defendant notre souverainete ebranlee; enfin, les Ouled-Denadj, revoltes contre leur chef Si-Mokran, avaient enleve sa _smala_ et blesse dangereusement son fils Si-Ahmed. Ce brave et interessant jeune homme, doue de la figure la plus distinguee, est notre grand partisan, il a visite Paris, parle un peu francais, et se trouve heureux, dit-il, d'avoir pu sceller de son sang sa fidelite a notre drapeau. Sur sa poitrine la croix de la Legion d'honneur serait bien placee. Pour avoir raison des insurges qui jetaient le trouble dans la subdivision territoriale placee sous ses ordres, M. le colonel Carbuccia prit lui-meme le commandement de la colonne de 1,500 hommes qui, le 6 juillet, quitta enfin le chef-lieu, avec six obusiers de douze centimetres. Le 9, avant le jour, une tribu redoutee, les Ouled-Sahnoun, nos ennemis irreconciliables, etaient rases de fond en comble. Le 15, la colonne arrivait a Biscara, ou l'on pensait generalement que l'apparition seule de nos forces et, tout au plus, la menace de detruire les palmiers suffiraient a reduire l'ennemi. Sous l'impression de ces donnees inexactes, le colonel Carbuccia se presenta devant Zaatcha, dans la nuit du 15 au 16. Il reconnut en personne les abords de la place et put se convaincre des graves difficultes de son entreprise. Cet excellent officier eut raison de ne pas s'exposer aux enormes inconvenients d'une retraite sans combat, et ne consultant que son courage, il ordonna l'attaque. Deux colonnes de 450 hommes chacune aborderent vigoureusement les Arabes, et au bout de deux heures de lutte tres vive, par une chaleur de 59 deg., ils les avaient refoules, de jardin en jardin, jusque dans l'enceinte crenelee du village. La, nos bons soldats furent arretes par un obstacle materiel, un fosse de cinq metres de large, qu'on ne put franchir sous le feu d'un ennemi invisible. Les obusiers de douze centimetres ayant ete insuffisants pour entamer un mur a soubassement en pierres cyclopeennes du temps des Romains, il fallut se retirer, apres de longs efforts proclames heroiques par l'armee d'Afrique tout entiere. Des lors, la revolte gagna de proche en proche, meme en dehors des Ziban, et la defection de Sidi-Abd-el-Afid, chef de la redoutable secte religieuse des Ghouans, vint mettre le comble aux dangers de la situation. Heureusement, en apprenant cette nouvelle, le colonel Carbuccia, revenu a Batna, se hata d'en faire partir pour Biscara le seul bataillon qu'il eut de disponible. Bien que ce bataillon fut d'un faible effectif et n'amenat qu'une piece d'artillerie, il permit a M. de Saint-Germain, reste au commandement de Biscara, d'entreprendre la brillante affaire du 17 septembre, dont tous les journaux ont retenti, et ou ce vaillant officier trouva une mort glorieuse. Les choses etaient dans cet etat, lorsque M. le general Herbillon quitta Constantine, pour commander en chef l'expedition a laquelle j'allais prendre part. Arrive le 7 octobre devant Zaatcha, il livrait le 20 un premier assaut, soutenu avec succes par les Arabes, malgre l'invariable bravoure de nos soldats. On a vu que le 15, de bon matin, j'etais parti de Constantine. Apres quelques heures de marche, nous fimes halte a la fontaine du Bey. Des la veille, j'avais fait connaissance avec le sirocco, une des conditions les plus incommodes de la guerre d'Afrique. Nous nous rafraichimes copieusement a une belle source d'eau vive, et tandis que nos chevaux mangeaient l'orge, qu'on dechargeait les mulets, et qu'on retirait des cantines notre frugal dejeuner, je m'amusai a chasser des bandes nombreuses de gangas, que je trouvai tres farouches, pour une contree aussi deserte. Nous arrivames de bonne heure a l'etape d'Ain-Melilla, ou ma tente fut bientot dressee pres de la fontaine. Les eaux abondantes qui en decoulent, forment un long marais qui s'etend de l'est a l'ouest et qui, par sa vegetation et les oiseaux aquatiques qui le peuplent, egaie un peu la triste vallee ou nous nous trouvions. Elle est surplombee de deux montagnes arides qui semblent s'observer, et les Arabes de la tribu voisine nous assurerent, sans perdre leur serieux, qu'a certains jours, les deux colosses de granit s'avancent l'un vers l'autre dans la plaine et s'entrechoquent dans une lutte fantastique. Ces braves gens a imagination poetique s'appellent les Smouls, et comptent parmi nos plus surs allies. Un de leurs chefs, a figure biblique encadree dans un bournous blanc comme neige, vint me saluer et m'offrir la _diffa_. Elle consistait dans un grand plat de bois, a pied, comble de _couscous_ et de viandes. Ce chef me dit qu'il savait que j'etais non-seulement le frere du sultan des Francais, mais le fils d'un prophete, et qu'il n'avait rien a me refuser. J'usai de son hospitalite, en lui demandant du lait qu'il nous procura aussitot, et que l'ardeur produite par le sirocco nous rendit extremement agreable avec du the. La nuit, des voleurs de chevaux vinrent roder autour de nos tentes; mais les chiens des _douairs_ voisins firent un tel vacarme qu'ils les eloignerent. Reveilles par leurs aboiements, nous entendimes dans le lointain le rugissement d'un lion. Cette premiere etape, par son originalite romanesque, ne fut pas sans charme; de Constantine a Ain-Melilla il y a quarante-deux kilometres. Des que le jour parut, nous pliames bagage, et apres quelques heures de marche assez vive, nous fimes notre grande halte sur les bords du marais d'Ain-Feurchie. Le gibier, dans cet endroit, foisonne, mais il est tres defiant; le pays, tout a fait decouvert, ne permet pas qu'on l'approche; je poursuivis inutilement deux grands et magnifiques oiseaux du genre des outardes. Continuant notre route, nous passames entre deux lacs sales qu'on appelle la _Sebka_. Dans cette saison, l'eau qui s'en etait entierement retiree, laissait a decouvert une vaste plaine de sel, dont le blanc bleuatre, sillonne de sentiers frayes par les indigenes, rappelait ces contrees septentrionales couvertes de neige, et ou le soleil brille apres une forte gelee. Nous rencontrions souvent des bandes d'Arabes, parmi lesquels des Sahariens qui, poussant devant eux leurs dromadaires charges de sacs de grains, regagnaient le desert. Nous remarquames une femme qui, sur un cheval, entouree jusqu'a la ceinture de paquets de toutes sortes, se voila le visage quand nous parumes. Trois autres femmes tres laides la suivaient a pied. Le soin qu'avait pris la premiere de se cacher la figure a notre approche fait presumer, contrairement a ce qu'on croirait en Europe, qu'elle etait jolie; ses yeux l'etaient certainement, car tout en se derobant a notre curiosite, elle avait soin de nous darder des oeillades assassines. Je la saluai en passant aupres d'elle, mais je n'en obtins qu'un dedaigneux silence. Avant le coucher du soleil, nous etions a l'etape d'Ain-Yagout, distante de soixante-seize kilometres de Constantine. L'administration militaire a fait ici batir un bel abreuvoir et une grande maison de plain-pied qui sert, en meme temps, d'auberge et de poste retranche. Je fus recu par un sergent allemand de la Legion etrangere, a qui en etait confiee la garde. Les Arabes, pour lesquels l'abreuvoir est d'une grande utilite, l'entouraient, en foule, hommes et femmes de differents _douairs_. Je me melai un instant a eux, et je pus remarquer que les evenements qui s'accomplissaient avaient leur influence sur ces populations, et qu'une partie, du moins, etait deja ouvertement hostile a notre domination. Le lendemain, nous etant mis en marche sous un soleil ardent, nous fimes notre halte et notre dejeuner a l'ombre de rochers gigantesques; apres quoi, nous quittames enfin la zone brulee et sans bois que nous suivions depuis Constantine, pour entrer dans celle couverte d'une vegetation vivace qui entoure Batna. A peu de distance de ce chef-lieu, nous nous arretames a un beau moulin qui fournit les farines de la garnison, et qui etait garde par un detachement du 5me bataillon de chasseurs a pied. Au moment ou nous reprenions notre marche, je vis accourir a ma rencontre un groupe d'officiers du 2me regiment de la Legion etrangere qui, M. le lieutenant-colonel de Caprez en tete, me firent le meilleur accueil. Avec eux, je retrouvai M. Pichon, lieutenant aux chasseurs d'Afrique, que j'avais connu a Paris, ou nous eumes ensemble le bonheur de rendre moins graves les suites d'un duel inevitable entre deux vaillants officiers, porteurs de deux des plus beaux noms de l'epoque imperiale. En causant avec ces braves, je fus bientot rendu a Batna, creation de nos soldats, qui prend deja les proportions d'une petite ville. Un simulacre d'enceinte, inachevee, et qui n'offrirait pas grande resistance en Europe, parait devoir suffire a la garantir, au besoin, de toute attaque de la part des Arabes. Par ordre de M. le colonel Carbuccia, en ce moment a la colonne expeditionnaire, son logement fut mis a ma disposition par M. le lieutenant-colonel de Caprez, qui m'en fit les honneurs avec une charmante cordialite. Je commencai, des lors, a sentir les effets de l'hospitalite, vraiment corse, du colonel Carbuccia et de sa vive amitie, qui ne s'est point dementie, et qui a ete pour moi une consolation, au milieu des avanies que j'ai essuyees. J'eusse voulu poursuivre ma route le lendemain, mais M. de Caprez, commandant interimaire, ne crut pas devoir me laisser partir avec une aussi faible escorte, et il me prescrivit d'attendre au surlendemain, 19 octobre, le depart d'un convoi, dont il m'accorda le commandement. Cette precaution etait bien loin d'etre superflue. La province tout entiere se trouvait dans une agitation extreme. Non-seulement des meurtres sur des hommes isoles avaient eu lieu, meme sur la route de Constantine que nous venions de parcourir, mais les montagnards des Aures, dont le territoire s'etend presque aux portes de Batna, s'etaient montres en force dans la vallee de Lambesa, a une tres petite distance de la place. Lambesa est une ancienne ville romaine, dont les ruines sont d'un grand interet pour les archeologues. Dans des fouilles dirigees par le colonel Carbuccia, on y a trouve des objets extremement interessants, et particulierement des statues d'un tres beau style que j'ai vues a Batna. C'est sur les debris de cette vieille residence des maitres du monde que le gouvernement se propose de fonder la colonie ou doivent etre transportes les malheureux combattants de juin. Ni les materiaux, pierres et bois, ni des eaux abondantes, ni un sol fertile sous un climat sain, ne manqueront aux nouveaux colons. Puissent ces avantages adoucir leur sort, et leur rendre moins cuisants les regrets de l'exil! J'employai la journee du 18 a visiter tout ce que Batna renferme de remarquable. La population civile m'a paru commercante, industrieuse et prospere. Des boutiques bien assorties, un etablissement de bains, des plantations tres productives, denotent les progres qu'en perseverant dans son travail elle est appelee a faire tous les jours. Les etablissements militaires, magasins, casernes, hopitaux, sont dignes d'attention. Les charpentes de ces divers batiments sont toutes en bois de cedre, que l'on retire d'une belle foret qui couronne la cime d'une montagne voisine. Le cedre ne justifie pas, du reste, sa reputation, et, en Algerie du moins, il parait qu'il se deteriore en peu de temps. Dans la visite que je fis aux hopitaux, je m'entretins avec plusieurs de nos blesses qui revenaient de la colonne du general Herbillon, et ce ne fut pas sans emotion que je reconnus parmi eux un garde mobile, jeune Parisien engage depuis peu dans la Legion etrangere. Il avait recu toute la decharge d'un tromblon; couvert de blessures, il ne s'inquietait que de son frere, volontaire comme lui, et qu'il avait laisse dans les Ziban; heureusement, l'officier de sante repondait de sa guerison. Le 19 octobre, apres avoir pris les ordres de mon lieutenant-colonel, je dis mon lieutenant-colonel, puisque je savais deja que j'etais destine au commandement du 3e bataillon du 2e regiment de la Legion etrangere; apres avoir pris les ordres de ce vieux serviteur de la France, je partis avec la cavalerie du convoi. M. le lieutenant-colonel de Caprez est Suisse de naissance, et il tient de sa nation tout ce qu'elle a d'eminemment militaire dans son genereux devouement. Il me fit l'honneur de m'accompagner jusqu'a une certaine distance de la place. L'infanterie nous avait precedes, sous le commandement d'un jeune lieutenant normand du 8e de ligne, M. Wolf, relevant a peine d'une blessure, et mort d'une belle mort, peu apres, a la prise de Nara par M. le colonel Canrobert. Le convoi se composait de trois cents mulets de charge, accompagnes d'autant de conducteurs arabes, et portant soixante-dix mille rations, outre quelques munitions de guerre. L'escorte placee sous mes ordres n'etait que de vingt-huit fantassins de la Legion et trente-sept cavaliers, chasseurs d'Afrique et spahis. MM. Conseillant, sous-intendant militaire, et Dubarry, officier de sante, voyageaient avec nous. Malgre le voisinage des monts Aures, la route de Batna a El-Ksour, premiere etape vers Biscara, n'avait pas encore ete inquietee; nous y arrivames sans encombre. C'etait un poste en maconnerie, encore en construction, et situe pres d'une source qui ne tarit point. Un petit detachement de la Legion, commande par le lieutenant Sarazin, y tenait garnison. Nous plantames le piquet; je pris quelques precautions pour la nuit, et le lendemain, a quatre heures du matin, je fis battre _le premier_. Les tentes furent bientot abattues, et le cafe pris. La distribution de cafe est une excellente innovation, qui plait beaucoup au soldat et qui, sous ce climat, parait etre tres favorable a son hygiene; elle est due, si je ne me trompe, a M. le general Lamoriciere. Chaque homme a dans son sac sa petite provision de cafe moulu et mele au sucre en poudre; instantanement, dans une gamelle ou dans le premier recipient venu, la boisson est preparee, souvent meme a froid. Cela ne devrait pas empecher, ce me semble, de distribuer journellement aux soldats une ration d'eau-de-vie; versee dans leurs bidons, elle en corrigerait l'eau qui, la plupart du temps, saumatre et malsaine, occasionne des diarrhees qui degenerent frequemment en dysenteries, affaiblissent et demoralisent un grand nombre d'hommes dans toute colonne en marche. A ce sujet, qu'il me soit permis de signaler une economie mal entendue, un fait condamnable et pernicieux que j'ai observe. En Afrique, le vin qu'on peut se procurer en campagne, chez les cantiniers et meme dans les places de second ordre, est cher et detestable; le vin bleu des barrieres de Paris est un nectar en comparaison; cependant, personne, a quelques rares exceptions pres, n'en a de meilleur, et vraiment c'est penible de voir tant de braves gens, qui n'epargnent ni leurs sueurs ni leur sang, s'empoisonner, lorsqu'il serait si facile a l'administration de leur fournir du bon vin a un prix raisonnable. Il lui suffirait d'avoir, comme cela se pratique pour les ambulances, du vin de distribution dont la qualite serait garantie dans l'adjudication au fournisseur; on le cederait aux hommes au prix de revient. Le _rappel_ battu, nous partimes en nous eclairant, bien qu'il n'y eut pas de probabilite que nous fussions attaques ce jour-la. Deux spahis ouvraient la marche, suivis, a peu de distance, d'un brigadier et quatre cavaliers; cent cinquante pas derriere ceux-ci, venaient la moitie de l'infanterie, le convoi, sur un grand front, quand le passage des lits desseches des torrents n'obligeait pas a le reduire, le reste des fantassins, la cavalerie, et un peu plus loin, en arriere-garde, un sous-officier et quatre cavaliers; enfin, deux autres spahis fermaient la marche, et quatre chasseurs a droite et a gauche la flanquaient. Cette petite colonne etait tres originale et pittoresque, dans une plaine sauvage jalonnee de ruines d'anciens postes romains. Pour l'empecher de s'allonger, nous faisions, toutes les heures, une halte de cinq minutes, et malgre les prescriptions reglementaires, je permis aux fantassins de deposer les sacs sur des mulets haut le pied, attention a laquelle nos soldats sont tres sensibles. Nous arrivames de bonne heure a la riviere des Tamaris, ou nous fimes notre grande halte. Ce lieu est celebre par les frequentes embuscades des Arabes. Tandis que nous dejeunions, nous vimes arriver une evacuation de nos blesses, parmi lesquels etaient MM. Marinier et Thomas, capitaines dont l'etat nous inspira, pour leur vie, de vives inquietudes. Ils venaient de Biscara, sous l'escorte d'un detachement de chasseurs d'Afrique. M. Hamme, officier commandant, portait l'ordre de faire retrograder, avec les blesses, les troupes que j'amenais de Batna. Je renvoyai donc mon escorte, hormis M. Bussy, les deux chasseurs et deux des spahis que j'avais pris a Constantine, les deux autres etant restes malades a Batna, et je me remis en route avec M. Hamme, dont le detachement faisait partie de l'escadron du capitaine Vivensang, qui nous attendait a El-Kantara. En quittant la riviere des Tamaris, et a mesure qu'on avance vers le sud, le pays, d'abord ondule et encore couvert de quelque vegetation, se montre tout a coup abrupte, sterile et montagneux. On arrive ensuite a un defile rocailleux qui aboutit au passage d'El-Kantara, ou une petite riviere torrentielle s'ouvre une etroite issue entre deux hautes montagnes d'une pierre rougeatre, sombres, depouillees et taillees a pic. C'est sur ce cours d'eau, au lit profondement encaisse, qu'est jete un pont de construction romaine, dont la solidite a brave le temps et les crues, et donne un nom a la localite, car El-Kantara en arabe veut dire le pont. A la sortie de ce passage, le regard, fatigue de s'arreter sur les roches decharnees qui l'enserrent, est frappe d'un spectacle magique; un vaste horizon apparait sans transition, et au debouche meme du defile, une verte oasis de palmiers offre ses ombrages et ses fruits, tandis qu'au dela, comme en deca, le sol est infertile et escarpe. Ici, je dus remarquer que, malgre leur bravoure et leur fanatisme, les Arabes ne savent pas toujours profiter des avantages du terrain. Il est certain que, dans tout autre pays de montagnes, en Corse, en Grece, en Catalogne ou dans le Tyrol, une poignee de tireurs eut suffi pour disputer le passage meme a des forces considerables, et sans convoi, dans une gorge aussi bien disposee pour la guerre de chicane. M. le capitaine Vivensang, qui etait venu a notre rencontre, nous conduisit ou campaient ses chasseurs. Les deux detachements reunis, nous disposions d'une soixantaine de sabres, qui, en rase campagne, valaient au moins, comme on sait, et comme on verra par la suite, un nombre decuple d'Arabes. Sans doute, nous avons en France de beaux et bons regiments, mais il n'en est point qui satisfassent autant que cette admirable cavalerie de chasseurs d'Afrique l'observateur consciencieux qui aime a voir les agents de guerre veritablement appropries a leur destination. Le soir, dans la tente du capitaine, je soupai gaiement avec les officiers, MM. Hamme, Chabout et Lermina. La soupe a l'oignon ni le vin bleu ne furent dedaignes. Du reste, le caid de l'endroit, revetu d'un bournous d'investiture, c'est-a-dire rouge, donne par nos autorites, nous fit apporter des poules, des oeufs et des oranges ameres. Le 21, au lever du soleil, nous pliames bagage et nous fimes filer aussi lestement qu'on put nos mulets arabes et leurs conducteurs. La route ne nous offrit rien de particulierement remarquable, si ce n'est une roche de l'aspect le plus bizarre, imitant a s'y meprendre, meme a une faible distance, les ruines d'un chateau feodal. A la grande halte, nous chassames, le capitaine et moi, aux bords d'une riviere couverts de lauriers roses, et, malgre l'avis qu'on nous avait donne que nous rencontrerions l'ennemi avant d'etre a El-Outaia, nous arrivames sans encombre, apres quelques heures de marche, a cette miserable oasis, dont les plantations ont ete completement detruites par Ahmed, bey de Constantine. Nous nous trouvions a environ deux cents kilometres de cette ville, et a trente seulement de Biscara. Le caid et le marechal-des-logis des spahis bleus du Desert, cavaliers irreguliers qui font pour nous le service de la correspondance, vinrent nous recevoir. Ce marechal-des-logis, qui s'appelle Dena, est un ancien chef de parti, autrefois la terreur du pays, qu'il parcourait en ranconnant, a la maniere des Bedouins, les voyageurs; au demeurant, brave et fidele a ses engagements, il nous a ete tres utile, et je devais en avoir bientot la preuve. Pendant que les chasseurs dressaient les tentes et rangeaient les chevaux, je pris mon fusil et je me mis a poursuivre des ramiers, dont nous voyions de toute part d'innombrables volees. Ces oiseaux n'ont rien perdu en Afrique de la ruse qui les caracterise en Europe; aussi, ennuye de ne pouvoir en approcher, je m'arretai a une source ou les femmes de l'oasis venaient remplir leurs cruches. Une seule, parmi ces Rebecca, justifiait la reputation de beaute qu'on accorde indument au sexe d'El-Outaia. C'etait une jeune fille presque blanche, legerement tatouee, aux yeux de jais, aux dents de perles, aux formes sveltes et arrondies, qu'un _haik_ couvrait a peine. Sans doute, le sentiment qu'elle paraissait avoir de ses charmes la rendait moins sauvage; car, tandis que ses laides compagnes me faisaient des yeux d'hyene, elle sourit doucement a mon salut, tant il est vrai que l'instinct de la coquetterie n'abandonne jamais completement les femmes d'aucun pays. Mon brave et excellent compagnon, M. Bussy, qui parle la langue du pays comme un Arabe, et qui, avec son activite accoutumee, avait ete aux renseignements, m'avertit qu'on avait connaissance de l'ennemi. Evidemment, la journee du lendemain ne se passerait pas sans le voir. Le soir, en soupant avec les officiers, il fut convenu de commander quelques cavaliers de Dena, qui, par la connaissance qu'ils ont des moindres plis du terrain et des ruses de leurs compatriotes, sont de precieux eclaireurs, qui devaient nous prevenir en cas d'embuscade. Le _boute-charge_ des chasseurs nous reveilla a la pointe du jour. Une heure apres, on sonna a cheval, et avec la moitie de notre monde en tete et le reste en queue du convoi, nous nous avancames dans la plaine, precedes de nos spahis bleus. Le chemin suit cette plaine, ou plutot cette vallee, jusqu'au col de Spha, gorge etroite ou l'on traverse la derniere chaine de l'Atlas, limite du Desert, au-dela de laquelle, a une petite distance, se trouve Biscara. Le sol, generalement uni, d'un aspect sauvage et domine au loin par des montagnes de sel, est releve par-ci, par-la, de quelques mamelons isoles, et coupe de ravins ou de lits de torrents desseches, tres propres aux embuscades. Nous savions a n'en pas douter que Si-Abd-el-Afid, ce marabout influent des monts Aures, qui, au mois de septembre dernier, avait ete frotte d'importance par l'infortune commandant Saint-Germain, etait aux aguets avec un _goum_ nombreux. Deux ou trois jours avant, ces partisans avaient assassine un chasseur et deux spahis a l'entree du col de Spha, ou nous vimes le sol encore rougi de leur sang. On pretendait aussi que nous aurions affaire a des fantassins qu'on avait vus, disait-on, postes dans le defile, ce qui nous aurait embarrasses quelque peu, attendu que nous n'avions pas nous-memes une seule baionnette; mais dans la plaine, quel que fut le nombre des ennemis, la valeur eprouvee de nos bons chasseurs et le prestige de leur uniforme nous garantissaient, de gre ou de force, le passage du convoi. On va voir si nous nous trompions. Le manque absolu d'eau ne nous avait pas permis de faire de grande halte. Une harde de gazelles venait de partir, et je faisais remarquer a un de mes voisins que, dans un autre moment, la nature du terrain nous eut invites a les poursuivre, lorsque je fus frappe de l'aspect singulier de deux mamelons isoles et rapproches qui, a l'endroit ou nous etions, masquaient le debouche du col, situe a un petit intervalle derriere eux. J'observai que, suivant toutes les probabilites, la devait etre l'embuscade. Elle y etait, en effet; mais, en nous voyant avancer, l'ennemi avait file doucement par la droite, et gagne le lit d'un torrent a notre gauche. Nos spahis bleus, s'en etant approches avec precaution, le fusil haut, firent tout a coup demi-tour et revinrent vers nous au galop. Le premier arrive nous dit en arabe, en montrant du doigt le lit du torrent: le goum de Si-Abd-el-Afid est la. Nous n'apercumes rien d'abord. Cependant, ayant fait filer l'avant-garde et le convoi, ce qui ne fut pas fait sans peine, je restai avec M. Vivensang et deux autres officiers a l'arriere-garde. Nous n'avions, en definitive, qu'une trentaine de chevaux, et bientot nous vimes, a quelques cents metres de nous, sortir successivement d'embuscade un grand nombre de cavaliers ennemis, qui se rangerent en assez bon ordre _de l'autre cote du ravin_. Cette circonstance me fit penser de suite qu'ils n'etaient pas decides a nous aborder, et qu'ils nous redoutaient, bien qu'ils fussent au moins deux cents. Quelques chefs, plus hardis ou mieux montes que les autres, caracolaient sur nos flancs, et venaient faire la _fantasia_ un peu plus pres de nous; mais lorsque, avec le capitaine et Bussy, je m'avancai pour les reconnaitre, plusieurs groupes se detacherent du gros de la troupe et fuirent vers les montagnes. Nos chasseurs, qui ne comptent jamais leurs ennemis, voulaient les charger, et je ne doute pas que ce n'eut ete avec succes; mais le soin du convoi confie a notre garde nous prescrivait imperieusement de le rallier; d'autant plus que nous ne savions pas jusqu'a quel point il pouvait etre vrai qu'une embuscade de fantassins nous attendait au col. Nous serrames donc sur le convoi; les Arabes nous suivirent, mais a une distance respectueuse. Deja l'avant-garde, les mulets et leurs conducteurs etaient engages dans le defile. C'etait curieux de voir l'empressement de nos Arabes, a qui la peur d'avoir le cou coupe par les Aures faisait faire des prodiges de diligence, qu'avec la meilleure volonte du monde il nous aurait ete impossible d'obtenir d'eux dans un autre moment. Quoi qu'il en soit, nous effectuames le passage sans autre accident; seulement, une heure ou deux apres, l'ennemi massacra et mutila horriblement de pauvres colons qui avaient commis l'imprudence de s'aventurer seuls sur ce chemin. Les fantassins qu'on avait apercus sur la hauteur n'etaient pas des partisans de Si-Abd-el-Afid, mais un petit poste de nos auxiliaires, que le commandant superieur de Biscara y avait etabli, pour signaler ce qui se passait au-dela du col. Trente chasseurs avaient tenu en respect deux cents cavaliers arabes! Ce fait me parut d'autant plus frappant que les adversaires, a qui nous avions eu a tenir tete, sont bien loin d'etre des laches. Il prouverait une fois de plus, s'il en etait besoin, l'avantage d'avoir des corps d'elite, aguerris, redoutes de l'ennemi, et sans lesquels, j'en suis convaincu, il n'est point d'organisation militaire parfaite. A la sortie du defile, nous trouvames un detachement de cavalerie qui venait a notre rencontre, et qui aurait pu nous etre d'un grand secours, si le combat s'etait engage. Nous gagnames bientot le nouveau camp retranche de Raz-Elma, construction remarquable qui commande la source d'ou jaillissent les eaux de l'oasis de Biscara, ce qui nous donnerait, en cas de revolte, la faculte de les detourner et de ramener ainsi les habitants a l'obeissance. C'est a travers un bois de palmiers charges de leurs regimes dores, que nous atteignimes le village et la casbah, residence du commandant superieur. De nombreux Arabes des deux sexes cueillaient paisiblement les dattes, sans avoir l'air de songer a la lutte mortelle dont le bruit pouvait retentir jusqu'a eux, engagee qu'elle etait a quelques lieues de la, entre leurs coreligionnaires et nous. C'est le caractere de ce peuple de ne se prononcer qu'au moment d'agir, et ce n'est pas un mince avantage pour lui, dans la condition d'inferiorite ou il se trouve. Grace toujours a la prevenante courtoisie de M. le colonel Carbuccia, le logement qu'habitait de son vivant M. de Saint-Germain fut mis a ma disposition. La casbah etait remplie de blesses et de malades, a qui le capitaine Bouvrit, commandant superieur, et nos officiers de sante prodiguaient les soins les mieux entendus. J'allai porter a ces braves l'expression de ma sympathie, et comme representant du Peuple, celle du pays tout entier. Parmi eux, je serrai la main, avec une profonde emotion, au commandant Guyot du 43e de ligne, fils du general comte Guyot, et filleul de l'empereur. Ma presence parut produire sur lui une vive impression; bien qu'il fut dangereusement blesse, je ne prevoyais pas alors la catastrophe qui devait terminer sa noble existence et replonger dans le deuil une famille qui a si largement paye sa dette a la patrie. A Biscara, je rencontrai egalement M. Seroka, jeune officier de la Legion, dont j'ai deja parle, et qu'un bonheur inespere me faisait trouver en pleine convalescence, bien qu'il eut eu le cou traverse d'une balle, de la meme balle qui avait frappe le colonel du genie Petit, dont toute l'armee deplore la perte. Le lendemain au matin, avec une escorte d'une vingtaine de chasseurs, je partis pour le camp du general Herbillon. Desormais, nous voyagions dans le Sahara. Le sable, ou nos chevaux enfoncaient parfois jusqu'au genou, nous l'aurait dit assez, a defaut de l'aspect tout different du pays. Zaatcha se trouve a sept ou huit lieues de Biscara. Nous avions tourne a l'ouest; a gauche nous apercevions le desert, dont la monotonie n'est interrompue que par les palmiers des oasis se montrant de temps en temps a l'horizon. A droite, l'extreme Atlas eleve, comme une enceinte continue du Tell, sa croupe decharnee et depourvue de toute vegetation, etayee, en guise de contre-forts, par d'enormes masses de sable que le sirocco y amoncelle. A une lieue du camp, je piquai des deux, et je ne fus pas longtemps sans l'apercevoir. M. le colonel Carbuccia, venu a ma rencontre avec quelques officiers de son regiment, me conduisit a sa tente, et de la a celle du general qui m'accueillit tres bien. Celui-ci me confirma qu'il me destinait au commandement d'un bataillon de la Legion, ce qui n'etait pas absolument ce qu'on m'avait promis a Paris. Le 1er regiment de la Legion etrangere, auquel j'appartenais, etait dans la province d'Oran; il n'y avait devant Zaatcha que deux faibles bataillons du 2e, dont M. Carbuccia est colonel. Je me felicitais d'ailleurs de servir sous les ordres d'un Corse qui deja m'avait donne des marques de sympathie. Le soir meme, devant le regiment assemble, il me fit reconnaitre en qualite de chef du 3e bataillon, dont l'effectif etait de trois cent quarante-huit hommes, non compris les officiers. Le 1er bataillon, aux ordres de M. le capitaine Souville, etait encore plus faible; il ne comptait que deux cent quatre-vingt-quinze hommes, et je ne m'eloigne pas de la verite en disant que nous n'avions, en tout, qu'un officier, a peu pres, par compagnie. La colonne campait sur plusieurs lignes, dans un terrain sablonneux et ondule, dont l'etat-major et l'ambulance occupaient les points culminants. Leurs tentes etaient adossees a de grands rochers. A quatre cents metres environ du front de bandiere coulait un ruisseau aux eaux saumatres, mais abondantes; deux cents metres plus loin, etaient la lisiere de l'oasis et la _Zaouia_, espece de petite mosquee a minaret, entouree de quelques maisons desertes. Mon regiment etait etabli en premiere ligne. On dressa ma tente non loin de celle du colonel, qui voulut bien me conduire lui-meme chez tous les officiers superieurs, et a l'ambulance, ou nous visitames les blesses, que j'eus la satisfaction de voir entoures de tous les soins possibles par M. le docteur Malapert et ses aides. Cette nuit, je fus reveille par une fusillade assez vive. Un parti ennemi, a la faveur de l'obscurite, s'etait glisse pres du camp et brulait sa poudre sans resultat; cependant, les balles sifflaient autour de nos tentes et un cheval meme en fut atteint. Le feu de nos grand'gardes fit bientot taire celui des Arabes, et le colonel dit en riant qu'ils etaient tres bien eleves, puisque, ayant appris l'arrivee d'un representant du Peuple, ils le saluaient d'une salve de bienvenue. Tout rentra dans le silence, sauf quelques coups de fusil qu'on entendait dans la direction de la tranchee, a de rares intervalles, et je me rendormis jusqu'a la diane, _cette voix de l'aurore_, comme dit Victor Hugo, si agreable au soldat. Certes, il y avait un charme indefinissable pour moi a me reveiller ainsi, sous une tente francaise, en face de l'ennemi, au bruit de la musique guerriere de nos fameux regiments. Que d'idees et de sentiments, que de souvenirs et de traditions se pressaient dans mon esprit et dans mon coeur! Mais, helas! ils etaient bientot, sinon refoules, du moins amoindris, paralyses par une amere reflexion que mon estime pour mes bons camarades de la Legion ne parvenait pas a detourner. Je me disais que, representant du Peuple, et un des plus proches parents du plus grand de nos capitaines; au point de vue militaire, c'est-a-dire a celui qui m'importait le plus, j'etais encore une espece de paria, puisque cette fatale qualification: _au titre etranger_, me ravalait encore au rang des proscrits, moi proscrit de la veille, moi une des victimes de l'invasion etrangere, et des persecutions dont l'etranger, oppresseur de la France, avait poursuivi ma famille, meme dans l'exil! Et songer que c'etait a l'avenement d'un Bonaparte que je devais la continuite de cette situation anormale, et penser que le 10 decembre, le 10 decembre! m'avait ferme la porte qu'un autre que Louis-Napoleon m'eut ouverte, ou du moins qu'il ne m'eut pas barree, n'etait-ce pas desesperant? Je sentais alors qu'apres tout j'avais eu tort de permettre qu'un membre de ma famille fut nomme au titre etranger; mais bientot le soleil du Desert resplendissait sur les armes, mon colonel se montrait avec sa voix sympathique et son energique gaiete; les coups de feu se faisaient entendre a la tranchee, et les reflexions penibles s'evanouissaient. Comme il n'y avait pas a la colonne d'autre general que le commandant en chef, chaque colonel d'infanterie remplissait, a son tour, pendant vingt-quatre heures, les fonctions de general de tranchee. Ce jour-la, le colonel Carbuccia et notre regiment etaient commandes. Vers midi, je formai mon bataillon devant le front de bandiere, je fis rompre par section a droite, et nous marchames, musique en tete, sur la Zaouia, ou etait l'entree des travaux. En nous voyant venir, l'ennemi, embusque dans plusieurs jardins que nos troupes n'occupaient pas, dirigea sur nous son feu, qui nous blessa un sous-officier et un clairon. En arrivant a la tranchee, un sergent du bataillon mit sa tete a un creneau et, a l'instant meme, il recut une des plus singulieres blessures qu'on ait jamais vues. Il fut atteint, immediatement au-dessus de l'oeil gauche, par deux balles de petit calibre, faisant probablement partie de la charge d'un de ces tromblons dont les assieges avaient une certaine quantite. Ces armes, fort dangereuses de pres, n'impriment pas une tres grande vitesse a leurs projectiles; c'est ce qui sauva notre sergent, car, au lieu de lui briser la tete, les balles lui contournerent le crane, et vinrent s'arreter pres de l'oreille. On le crut perdu; me trouvant pres de lui, je lui dis, sans le croire: ce n'est rien, sergent, vous en reviendrez bien vite. Heureusement, le fait me donna raison; le chirurgien sonda la plaie, trouva les balles, a la surprise des assistants, et n'eut pas de peine a les extraire. Deux ou trois jours apres, je vis le blesse; il etait debout, et en pleine convalescence. Ceux qui ne les ont pas vus se feront difficilement une idee du village de Zaatcha, et de la nature des travaux du siege, si siege il y a sans investissement. En effet, cette place, ou plutot cette bicoque, n'avait pu etre investie, et de nombreux contingents y entraient et en sortaient a volonte, relevant les defenseurs, et les approvisionnant de vivres et de munitions. Situe dans la foret de palmiers qui forme l'oasis, entierement construit en terre seche et compacte, Zaatcha n'est, en definitive, qu'un mauvais village a peine fortifie. Il est entoure d'un mur de pierre, flanque, a ses saillants, par des tours ou maisons hautes et carrees. Un fosse large et profond en defend absolument l'approche, si ce n'est, je crois, du cote de l'ouest, ou, pour des motifs que j'ignore, on n'avait pas encore dirige d'attaque. Le pate de maisons en face de la tranchee m'a paru beaucoup plus eleve que le reste du village, qui, si je ne me trompe, devait en etre defile. Les assieges n'avaient point d'artillerie. Leur feu, quand il ne venait pas des tours, partait des creneaux perces au-dessus du fosse, souvent au ras du sol, dans le mur d'enceinte ou dans celui des maisons, et nous frappait avec tant de precision et d'a-propos, qu'on ne pouvait douter qu'une communication continue et facile, en guise de chemin couvert, n'existat sur tout le front d'attaque. Quand j'ai parle de tranchee, ce n'est pas qu'on eut eu a en ouvrir une proprement dite. La surface de l'oasis est coupee, en tout sens, de murs en pise, d'environ deux metres de haut, servant de cloture et de separation a d'innombrables petits jardins, qui sont autant de proprietes particulieres. Nos officiers du genie avaient profite de ces obstacles, abattant ceux qui genaient, bouchant les breches qui presentaient une solution de continuite, elevant ceux qui etaient insuffisants au defilement, et decrivant, en somme, une espece de parallele qui resserrait a l'est et au nord, c'est-a-dire du cote du camp, la moitie du developpement du village, a une distance qui pouvait varier de quarante a cent metres. Par les nombreux creneaux pratiques dans les murs qui remplacaient pour nous l'epaulement de tranchee, notre mousqueterie repondait a celle des Arabes. Pour ces travaux et ceux de construction des batteries, nos soldats avaient su tirer un tres bon parti du tronc des palmiers, et ils n'avaient presque pas eu de terre a remuer, si ce n'est pour les deux cheminements de droite et de gauche. Des troupes occupaient les jardins jusqu'a la lisiere de l'oasis, et assuraient les flancs, les derrieres, et les communications avec le camp. Deux batteries de canons de 8 et d'obusiers de montagne etaient etablies au centre et a la droite de la tranchee. La premiere portait le nom du colonel Petit, en l'honneur de cet officier superieur qui y avait ete mortellement atteint; la seconde s'appelait la batterie Besse, en memoire d'un vaillant capitaine d'artillerie, tue raide d'une balle au front, au moment ou il pointait une piece. Apres avoir fait, avec le colonel, la visite de nos lignes, et fourni notre contingent de travailleurs aux armes speciales, j'essayai de tirer quelques balles par les creneaux. Ceux des Arabes etaient si petits qu'il fallait beaucoup de soins et quelque adresse pour les emboucher, mais on ne pouvait voir le resultat des coups. Aucun ennemi ne se montrait a decouvert; tout ce qu'on apercevait entre la place et la tranchee se reduisait a quelques debris de murailles battues en breche par notre artillerie, et aux cadavres des notres qu'on n'avait pu enlever, et qui infectaient l'air. Pres de la sape de gauche, on voyait les ruines d'une tour qui s'etait ecroulee, le 20 octobre, sur les grenadiers de la Legion; un grand nombre de ces braves avaient peri sous les decombres, et j'en remarquai un, homme magnifique, dont le corps nu, enfle, noirci, etait ecrase sous un enorme madrier. Parfois, les projectiles des assieges embouchaient nos creneaux, ecretaient le mur ou arrivaient aux points qui n'etaient pas bien defiles. Il est certain que l'ennemi avait d'habiles tireurs, particulierement les domestiques noirs, que les chefs emploient a la chasse des autruches. Nos soldats les avaient entrevus visant nos officiers, et, avec cette vivacite d'imagination qui les caracterise, ils en avaient fait un etre ideal et unique, qui, sous le nom du _Negro_, etait cense avoir porte les plus mauvais coups. Independamment du feu des batteries, nous lancions d'heure en heure une bombe de seize centimetres. Nous n'avions qu'un mortier, et le defaut de projectiles nous empechait de l'employer plus souvent. On n'aura pas de peine a comprendre qu'un tir aussi rare ne pouvait etre efficace. Il nous aurait fallu, d'ailleurs, des bombes de vingt-deux centimetres, et non de seize; celles-ci portaient admirablement, mais, de l'avis de chacun, leur penetration etait insuffisante. Quant aux canons, par une circonstance locale, ils ne produisaient pas non plus tout l'effet desirable. Les maisons de Zaatcha avaient toutes des rez-de-chaussee au-dessous du niveau du sol, qui n'etaient qu'une espece de caves ou les boulets ne pouvaient atteindre; les etages superieurs ruines, les habitants se refugiaient dans ces souterrains, et la resistance continuait de plus belle. Malgre le courage et l'activite du genie, les deux sapes a droite et a gauche cheminaient tres lentement. On s'etait vu contraint d'en faire les epaulements en sacs a terre, et de les blinder, tant bien que mal, avec des branchages de palmier, pour mettre les hommes a l'abri des pierres que les Arabes ne cessaient d'y lancer. La tete de sape etait continuellement en butte a leur fusillade, et les sapeurs qui se montraient a decouvert etaient aussitot tues ou blesses. Une espece de mantelet en planches et en tole, qu'ils poussaient devant eux en guise de gabion farci, ne se trouva pas a l'epreuve des balles, ce qui etait d'autant plus facheux qu'on n'avait ni cuirasses, ni pots-en-tete. Mais aussi qui eut pu croire qu'un miserable village du Sahara nous obligerait a l'assieger de la sorte? Vers le soir, le general vint faire la visite de la tranchee et donner des ordres pour la nuit. Il est bienveillant, ferme et sympathique; officier sous l'empire, il fut blesse a Waterloo. J'observai qu'il s'exposait beaucoup et sans ostentation. A sa suite, comme porte-fanion de l'etat-major-general, se trouvait le fameux tueur de lions, Gerard, marechal-des-logis aux spahis, aujourd'hui sous-lieutenant. Je causai quelque temps avec cet intrepide chasseur, qui est de plus un excellent soldat. C'est a l'affut, a la chute du jour, et souvent a nuit close, qu'il attend ses dangereux adversaires et qu'il les tue, de fort pres, avec une carabine a deux coups, chargee de balles ogivales a pointe d'acier. Cette precaution lui a paru necessaire depuis que, malgre son sang-froid et la precision de son tir, il lui est arrive qu'on lion, dont il s'approchait croyant l'avoir tue, se releva, la balle qui s'etait aplatie sur l'os frontal, dont la durete est extreme, n'ayant fait que l'etourdir; Gerard l'acheva, mais non sans peine. Le general parti, l'heure de la soupe approchait, et je m'attendais a une de ces refections frugales comme on peut en faire a la tranchee. MM. les officiers de la Legion en avaient decide autrement, et ils avaient eu la charmante idee de me donner la, sous le feu de l'ennemi, un diner de bienvenue, qui, certes, a ete le plus original que j'aie fait de ma vie. Devant la _gourbie_ du colonel (hutte en feuilles de palmier), on etendit une nappe sur un tapis, on y dressa le couvert, et nous nous assimes a l'entour, les jambes croisees. Le repas fut bon, copieux et surtout gai; le colonel en fit les honneurs avec cet entrain de bon gout qui est le propre des hommes d'esprit. La musique du regiment, placee non loin de nous, joua des airs patriotiques, et meme le caustique _drin, drin_ de Lafon, qui acquerait du prix a cinq cents lieues de Paris. Au dessert, le colonel porta la sante du president de la Republique, qui fut accueillie avec une cordialite toute militaire. Alors la musique joua la _Marseillaise_, tandis que les Arabes, inquiets de ce bruit, redoublaient le feu de leurs fusils, et de leurs tromblons dont l'explosion plus retentissante etait accompagnee d'une grele de petites balles qui venaient frapper les palmiers a l'entour. On but une derniere rasade, dont les musiciens et les factionnaires qui se trouvaient pres de nous, eurent leur part, et, a un signal de notre chef, chacun retourna a son poste. Apres avoir fait la ronde de la tranchee, des postes et des sapes, j'allai me reposer aupres du colonel, qui avait bien voulu m'admettre dans sa _gourbie_. Par son ordre, un clairon etait charge de sonner les heures par autant de vibrations detachees qu'il en fallait pour en marquer le nombre; et comme il lui etait prescrit de monter sur une petite elevation de terrain, les Arabes l'avaient apercu, et un coup de fusil ou de tromblon lui repondait regulierement. A cela ne se bornaient pas leurs taquineries. Ils rodaient autour de la tranchee, en poussant des cris lugubres, et en appelant par son nom le colonel Carbuccia qu'ils connaissaient particulierement, comme ses anciens administres. Parfois ils engageaient la conversation avec nous, au moyen de l'interprete du colonel, et il y avait peu de temps que celui-ci avait failli etre victime d'une de leurs ruses. Un Arabe, dont la voix tout a fait reconnaissable se faisait entendre chaque nuit, demanda a lui parler. Le colonel s'approcha du mur de la tranchee et ordonna a l'interprete de dire qu'il etait present et qu'il ecoutait. Un long intervalle s'ecoula sans reponse, et le colonel, fatigue d'attendre, s'eloignait, lorsque, de la cime des palmiers, plusieurs coups de feu furent diriges sur la place qu'il venait de quitter. Les factionnaires preposes a la surveillance de nos creneaux riposterent, mais la surprise et l'obscurite nuisirent a la justesse de leurs coups, bien qu'il eut fallu un certain temps aux Arabes pour se glisser a terre le long des palmiers. Les nuits sont magnifiques au mois d'octobre, sous cette latitude, et malgre l'odeur execrable des cadavres, je m'etais endormi, quand mon sommeil fut brusquement interrompu par une forte fusillade qui eclatait a notre gauche. Nous courumes a la sape de ce cote; elle etait attaquee, et l'ennemi, qu'on ne pouvait apercevoir, paraissait si rapproche, que dans l'idee qu'il voulut tenter d'escalader la tranchee, nous nous appretames a le recevoir sur les baionnettes. Par ordre du general, les armes de nos hommes avaient ete chargees avec deux balles, dont l'une coupee en quatre; quelques coups de fusil et la decharge a mitraille d'un obusier suffirent pour eloigner momentanement ces chicaneurs d'Arabes. Du reste, il n'est pas de tour qu'ils ne fissent pour attirer les notres dans leurs embuches. Quelques nuits auparavant, ils avaient imagine de lacher des bourriquets, et de les pousser vers les jardins occupes par nos troupes, dans l'espoir que les soldats sortiraient pour les prendre, et tomberaient dans l'embuscade qu'on leur avaient dressee. Nos gens se contenterent de tuer les bourriquets par les creneaux, et les Arabes en furent pour leurs frais. Un autre stratageme dont les cavaliers du Scheik-el-Arab, qui etait au camp, nous menacerent, mais qui ne fut pas employe, leur reussit, a ce qu'ils pretendent, dans leurs guerres intestines, et il est trop curieux pour ne pas etre rapporte. Il consiste a enduire de goudron, auquel on met le feu, des dromadaires qu'on chasse alors sur la tribu hostile; une espece de rage s'empare de ces animaux, ils ruent, ils mordent, ils portent le desordre dans les rangs de l'ennemi, mais surtout, je pense, dans ses troupeaux. Quant aux Zaatcha, j'ignore s'ils etaient assez lettres pour avoir pense que nous aurions, au moins, aussi bon marche de leurs dromadaires enflammes que les Romains des elephants de Pyrrhus a Benevent; le fait est que malgre les pronostics des cavaliers de Ben-Gannah, ils ne tenterent pas l'aventure. Peut-etre ces details paraitront puerils, mais ils aideront a prouver que les assieges ne negligeaient rien, et que leur defense, suivant l'expression de M. le general Charon, etait intelligente et energique. L'alerte passee, nous retournames, le colonel et moi, a sa _gourbie_, mais a peine avions-nous ferme l'oeil, que de nouvelles fusillades reclamaient notre presence aux sapes menacees. Ce manege continua toute la nuit, et notamment mon excellent adjudant sous-officier, Trentinian, n'eut pas une minute de repos. Le 25 octobre au matin, le general vint a la tranchee, et ordonna a mon colonel de m'envoyer avec 400 hommes, dont 200 de mon regiment, et 200 du 3e bataillon d'infanterie legere d'Afrique, couper des palmiers pres du village de Lichana, que les contingents ennemis occupaient en force. Cette mesure d'abattre les palmiers etait necessaire et bien entendue, quoi qu'en aient dit certains critiques en gants jaunes, qui s'arrogent le droit de juger, au coin de leur feu, a Paris, les operations d'une guerre reputee tres difficile par les hommes les plus competents. Il s'agissait non-seulement de faire des eclaircies pour faciliter l'investissement, mais aussi de ruiner l'ennemi et de fomenter ainsi, a notre profit, des recriminations et des discordes entre les diverses fractions de la population de l'oasis. En effet, les gens de Lichana, par exemple, ne manquerent pas d'imputer a la resistance de Zaatcha la devastation des plantations, leur principale ressource, et j'ai appris depuis que, comme on l'avait prevu, ils en furent touches au vif, et que, malgre leur fanatisme, leur solidarite s'en trouva ebranlee. On n'avait pu faire de lever du terrain. Le general nous indiqua, comme point de direction, un bouquet de palmiers a l'horizon, et je m'y portai, au pas de course, avec une compagnie d'infanterie legere d'Afrique. Suivaient les hommes de la Legion, et les travailleurs des deux corps avec des haches. J'etais prevenu que, sur la lisiere de la foret, M. le colonel de Barral appuierait le mouvement. Apres avoir escalade plusieurs clotures de jardins en terre seche, longe et traverse dans l'eau un fosse large et peu profond, nous etablimes notre ligne de tirailleurs, le centre a environ trois cents metres de la plaine, contre un mur crenele par les Arabes, et dans un petit jardin encaisse et tres propre a la defensive. Entre le mur et le jardin, et au niveau du premier, il y avait un terrain nu d'environ vingt metres de large, ou notre ligne formait un angle saillant. Je placai en reserve, a portee de couvrir ce point, un petit detachement de mes grenadiers, aux ordres de leur capitaine, M. Nyko, refugie polonais, parent de l'infortune comte Dunin, tue a Boulogne a cote de mon cousin. Cet officier avait deja ete dangereusement blesse devant Zaatcha, lors de l'expedition du mois de juillet dernier. Le colonel, sans escorte et sans armes, avec cette intrepidite vraiment corse qui le caracterise, vint voir nos dispositions, et je crus comprendre qu'il les approuvait, a la maniere flatteuse dont il repondit a l'assurance que je lui donnai, que le diable lui-meme ne nous delogerait pas de la. Je prie le lecteur de remarquer que ce n'etait pas une rodomontade, et que je tins la position jusqu'a ce que le general m'eut envoye l'ordre d'effectuer ma retraite. Derriere nous, nos travailleurs s'occupaient deja, avec une grande activite, de l'abattage des palmiers. Je ne sais plus dans quel journal j'ai lu cette assertion mirobolante, que _la hache rebondit sur l'ecorce elastique du palmier_. Au contraire, rien n'est plus facile que de le couper, et nos hommes y allaient grand train. Vraiment, c'etait pitie de voir ces precieux vegetaux, la plupart centenaires, s'abattre avec fracas, et couvrir le sol de leurs dattes. Toutes ne furent pas perdues, comme on pense bien, et nos soldats s'en regalerent a tire-larigot. Les Arabes, d'abord en petit nombre, exasperes de cette execution, et craignant peut-etre une attaque sur Lichana, dont nous etions tout pres, engagerent le combat sur notre droite. A l'extremite du mur crenele, derriere un amas de decombres, un groupe de chasseurs du bataillon d'Afrique soutenait vaillamment l'attaque. Un caporal, etendu sur le ventre, se distinguait par la precision avec laquelle il dirigeait ses coups. Il avait place une grosse pierre devant lui peur se garantir; une balle arrive, touche la pierre et la lui lance a la tete; le caporal se frotte le front, prend la pierre, la replace ou elle etait d'abord, et continue son feu; une autre balle arrive, le frappe a la tete et le tue raide. Au-dela du mur etait une espece de ravin, par ou l'ennemi aurait pu arriver inapercu. J'ordonnai aux hommes qui gardaient les creneaux de redoubler d'attention; mais nos adversaires, guides par la connaissance des lieux, furent plus ruses que nous. Au lieu de nous aborder de front, un certain sombre d'entre eux gagnerent sur notre gauche, et se baissant au-dessous des creneaux, a la file l'un de l'autre, ils arriverent, pour ainsi dire en rampant, a garnir le mur du cote oppose au notre. Nous n'etions separes d'eux que par cet obstacle, haut de deux metres a peu pres. Le reste, c'est-a-dire la masse, etait reste dans le ravin, et a un signal donne, ils se leverent tous, avec des cris sauvages, tandis que d'autres encore, disperses en tirailleurs en face du jardin encaisse et du terrain nu dont j'ai parle, nous fusillaient a l'angle ou crochet forme par notre ligne.[4] [Note 4: Je n'ai pas la pretention de faire de la tactique a propos d'une si petite affaire; mais si quelqu'un objectait que ce crochet etait un oubli des principes, je lui repondrais qu'il s'agissait de proteger des travailleurs places dans une circonference irreguliere, et qu'une ligne droite etait impossible. Dans un combat de cette nature, il etait indique, d'ailleurs, de profiter des abris qu'offrait le terrain.] En un instant, plusieurs des notres furent couches par terre, ou contusionnes par des nuees de pierres qu'on nous lancait par dessus le mur. Cette maniere de preluder a un engagement plus serieux est familiere aux Arabes. Bientot une haie serree de leurs fusils parut a la crete du mur, et nos soldats, sans attendre qu'ils parussent eux-memes, et quoi que pussent faire les officiers, le couronnerent de leur feu. A l'angle de la ligne, un soldat venait de tomber mortellement atteint. Deux de ses camarades le trainaient en arriere, poursuivis par les Arabes qui voulaient s'en emparer pour lui couper la tete. J'allai a leur rencontre et les tins en echec avec mon fusil de chasse. Nyko et ses grenadiers etaient a cent pas de la; je leur fis signe d'accourir, et il etait temps, car l'engagement devenait de plus en plus vif. En un instant, le capitaine Touchet, apres avoir tue de sa main un ennemi, tomba frappe d'un coup de feu en pleine poitrine; le capitaine Butet recut une balle a travers la cuisse; Nyko fut blesse a la tete; moi-meme je fus atteint d'un gros caillou, qui ayant rebondi sur ma _carghera_ corse (ceinture a cartouches), ne me fit pas grand mal. Je restai seul d'officier. L'oeil au guet, le doigt sur la detente, j'attendais que quelque Arabe se montrat au-dessus du mur. Il en vint un qui, coiffe d'un turban, brandissait un pistolet de la main droite, s'appuyait sur la gauche, et se decouvrait audacieusement jusqu'a la ceinture. En apercevant un officier qui le tenait en joue presque a bout portant, il dut penser que son heure etait arrivee; il voulut se rejeter en arriere, mais il n'en eut pas le temps; je lui lachai dans le cou, au-dessous du menton, mon coup droit charge d'une balle et cinq chevrotines; son coup du pistolet porta a faux sur ma gauche, sa tete frappa le mur qui fut baigne de son sang, et derriere lequel il disparut en tombant. Presque en meme temps, a quelques pas de la, un autre, a barbe grise, arme d'un long fusil garni d'argent, faisait basculer son arme sur le haut du mur, pour nous mieux viser. Se voyant vise a son tour, il se retira; mais aussitot, elevant les bras et son fusil, il allait tirer dans notre direction, quand je lui lachai mon second coup, charge a deux balles qui, ecretant le mur, l'atteignirent a la tete dont on ne voyait que le sommet. Comme son camarade, il tomba de l'autre cote, ainsi que son fusil qui paraissait fort beau, et que nous ne pumes prendre. Les tirailleurs applaudirent, et ils m'assurerent que c'etaient des chefs. Tout cela se passa, pour ainsi dire, en un clin d'oeil, et beaucoup plus vite qu'on ne peut l'ecrire. Cependant, le feu, au lieu de discontinuer, prenait une nouvelle intensite. En voyant tomber leurs officiers et leurs camarades, beaucoup de soldats s'empresserent autour d'eux, et les transporterent sur les derrieres; d'autres, comme cela arrive souvent en pareil cas,[5] les accompagnerent, sans doute pour les escorter; les travailleurs avaient suspendu la coupe des palmiers, mais n'etaient pas venus en ligne; en un mot, je restai avec le quart environ de mon monde, c'est-a-dire une vingtaine de grenadiers de la Legion et quatre-vingts hommes, a peu pres, du bataillon d'Afrique. Le brave sergent-major Marinot, de ce dernier corps, me seconda avec cette severite et cette energie qui n'admettent point d'hesitation. [Note 5: L'ordonnance du 3 mai 1832 prescrit, avec raison, de ne pas s'occuper des morts, ni meme des blesses, pendant l'action; mais, en Afrique, il a fallu adopter le systeme contraire, a cause de la cruaute des Arabes et de l'inconvenient qu'il y aurait a leur laisser mutiler les corps dont ils font de sanglants trophees qui surexcitent le fanatisme des populations.] Mes grenadiers, ou plutot cette poignee de mes grenadiers, restaient sous le commandement immediat du sergent anglais Smitters, dont la valeur heroique etait digne d'une action plus importante. Quoique, au meme moment, les assieges de Zaatcha eussent fait une sortie et attaque vigoureusement la sape de droite a la tranchee, le colonel dont la sollicitude paternelle et touchante ne nous oubliait pas, le colonel, toujours partout, infatigable et dedaigneux du danger, arrivait encore aupres de nous. Sa presence ranima le combat. Debout sur un petit monticule ou pleuvaient les balles, exactement a la meme place ou Smitters fut tue un instant apres, il criait: Tenez bon, grenadiers! et ne voulut point se defiler. Un groupe d'Arabes, a demi couverts par le mur, tiraient sur nous a soixante pas, et semblaient avoir reconnu des officiers, si bien que je crus utile de leur envoyer moi-meme un nouveau coup de fusil. Tous ceux qui ont assiste a cette affaire conviendront que je n'exagere rien en disant que nous etions attaques par plus de mille adversaires, et sans la bonte de notre position defensive, je ne sais vraiment ce que nous serions devenus, surtout sans les renforts qui nous arriverent. Je conviens que j'en demandai au colonel. Non-seulement il m'approuva, mais rappele a la tranchee par le bruit du combat qui continuait a s'y livrer, il se chargea de les faire demander lui-meme au general. En attendant, nous avions a faire un nouvel effort, et, je dois le dire, aucun des braves qui m'entouraient ne faillit a cette tache. Un lieutenant du bataillon d'Afrique, dont je regrette vivement de ne pas avoir retenu le nom, etait venu remplacer un des capitaines blesses; Marinot, et leurs soldats, defendaient le jardin encaisse; Smitters et nos grenadiers, le mur et le terrain nu a cote. La conduite de Smitters est de celles qui honoreront le genre humain tant qu'un coeur de soldat battra sous le harnais! Je deplore de n'avoir que ce faible ecrit pour en conserver la memoire. En evidence sur la petite butte que venait de quitter le colonel, il animait ses hommes, et ajustait ses coups avec un imperturbable sang-froid. Derriere un large creneau, un Arabe se montrait a demi et se cachait tour a tour. Le sergent le tenait enjoue, et epiait, pour tirer, le moment favorable, mais l'ennemi le prevint; foudroye, Smitters bondit en l'air, tomba a la renverse, et son sang genereux rejaillit sur les grenadiers. Avant de lui percer le coeur, la balle avait fait un long eclat a la monture de son fusil. Effet frequent de la mort par les armes a feu, on aurait dit qu'il dormait d'un bon sommeil, tant sa figure paraissait sereine et presque rayonnante. Cet intrepide sous-officier etait un homme de trente a trente-cinq ans, d'une taille moyenne, bien pris, brun, sans barbe ni moustaches, comme les soldats de son pays. Pauvre Anglais! dont le sort etait de venir mourir dans une oasis du Sahara, a cote d'un neveu du plus grand ennemi de sa grande nation! Sa fin produisit une penible impression, et l'ennemi ne semblait pas se ralentir. Mais, sur la lisiere de la foret, M. le colonel de Barral operait une puissante diversion. Ses obus, longeant notre ligne et sifflant a travers les palmiers, tombaient et eclataient parmi les Arabes. Dans la plaine, un de ses echelons, forme du bataillon de zouaves du commandant de Laurencez, etait arrive a trois cents metres de nous. Les ennemis nous pressant toujours, je me decidai a aller lui demander quelques hommes, pour appuyer mes grenadiers, qui continuaient bravement la defense de la butte ou leur sergent venait d'etre tue. Avec une courtoisie dont je lui suis redevable, M. de Laurencez[6] s'empressa de me donner quinze hommes avec un lieutenant, M. Sentupery. Ce jeune officier s'ecria: En avant, c'est le poste d'honneur! et nous courumes renforcer ma ligne, ou l'arrivee des zouaves produisit visiblement le meilleur effet. Sur mon indication, ces braves rejoignirent les grenadiers a l'eminence ou etait tombe Smitters, et un d'eux, nomme Goise, qui avait ete prisonnier des Arabes et parlait leur langue, se mit a les defier et a les plaisanter de la facon la plus originale. C'est encore une preuve de l'ascendant des corps d'elite, que, des ce moment, l'attaque se ralentit; l'uniforme des zouaves est redoute de leurs adversaires a l'egal des vestes bleu de ciel des chasseurs, et nos troupes elles-memes savent, par experience, ce que vaut le concours de ces triaires de l'armee d'Afrique. [Note 6: M. de Laurencez, blesse a l'assaut de Zaatcha, est aujourd'hui lieutenant-colonel.] La voix du colonel se fit entendre de loin, annoncant des renforts. En effet, sur notre droite, le commandant Bourbaki avec les tirailleurs indigenes, et le lieutenant-colonel Pariset, de l'artillerie, en personne, avec deux obusiers, refoulaient l'ennemi, qui ne tarda pas a rentrer a Lichana. Arrive pres de nous, le colonel me communiqua l'ordre du general de battre en retraite. Je me permis d'observer que les Arabes retrogradaient, et que le moment etait propice pour continuer l'abattage des dattiers; mais il me repondit que l'ordre etait formel, et qu'il n'y avait qu'a obeir. Sur ce, nous quittames une position que nous avions gardee quatre heures, on sait a quel prix; nous gagnames la plaine sans aucune opposition, et de la la tranchee. Nous avions eu six morts et vingt-deux blesses, dont trois officiers;[7] les Arabes durent avoir un nombre infiniment plus considerable des leurs hors de Combat. [Note 7: Voyez les etats nominatifs aux Pieces justificatives.] Je trouvai le general pres de la Zaouia. Il parut regretter de nous avoir engages si loin, a cause des pertes que nous avions essuyees; cependant, il me dit avec une grande cordialite: Je vous remercie de tout ce que vous avez fait. J'ai ete peine de ne pas reconnaitre ces remerciements dans son rapport d'ensemble publie au _Moniteur universel_ du 4 janvier 1850, ou il ne m'a meme pas accorde une mention honorable, et je dus etre d'autant plus sensible a cet oubli qu'on venait de me remercier de la maniere que l'on sait.[8] En revanche, je conserve precieusement les lettres d'eloge et de sympathie que M. le general Charon, gouverneur general de l'Algerie, le colonel Carbuccia, et une foule d'autres officiers moins eleves en grade, mais tres bons juges aussi, ont bien voulu m'ecrire. [Note 8: Voyez aux Pieces justificatives ma lettre a la _Patrie_, du 5 janvier 1850.] A l'egard du combat que je viens de raconter, le rapport de M. le general Herbillon s'exprime ainsi: "Le 25 octobre, les habitants firent une sortie si vive sur les hommes employes a la coupe des palmiers que nous laissames une caisse de tambour et des outils entre leurs mains. Je fus oblige d'appeler les troupes du camp pour assurer la retraite." Comme on l'a vu, nous avions ete attaques par les gens de Lichana, qui n'etaient nullement assieges; il n'y avait donc pas eu de sortie proprement dite. La retraite fut ordonnee par le general, et le general, ce me semble, aurait pu le dire, d'autant mieux qu'il pouvait avoir d'excellentes raisons de la prescrire, entr'autres le peu d'importance du resultat que nous aurions obtenu en prolongeant le combat. Ce resultat n'aurait pas ete en rapport avec le nombre des troupes employees, que les soutiens, a la fin de l'engagement, avaient porte a un chiffre tres considerable. Je ne sache pas qu'il y ait en de caisse ni d'outils tombes aux mains des Arabes; mais il n'est pas impossible qu'il en soit reste sur le terrain, ce qui n'est certes pas la meme chose. Quant a la caisse, les etats nominatifs des morts et des blesses, qu'on peut voir aux Pieces justificatives, constatent qu'aucun tambour ne fut atteint, et, si je me souviens bien, on disait au camp qu'elle avait ete abandonnee par un tambour du bataillon d'Afrique, qui grappillait des dattes. Maintenant, les travailleurs ont-ils abandonne des haches? s'ils l'ont fait, ils sont inexcusables, car nos tirailleurs les ont constamment couverts, et les Arabes, contenus par nous, n'ont pu arriver jusqu'a eux. Qu'on me passe ces particularites; elles paraitront insignifiantes, mais on comprendra ma surprise (si quelque chose pouvait etonner dans ce bas monde) de voir que pas le moindre eloge ne m'a ete decerne, et que l'occasion d'une espece de blame semble avoir ete cherchee dans des details peu dignes de figurer dans un rapport general. Pendant que nous combattions du cote de Lichana, la sape de droite, comme je l'ai dit, etait audacieusement assaillie a la tranchee. Les Arabes, sortis de Zaatcha, suivis par des femmes qui les excitaient, et bravaient heroiquement la mort, avaient mis tant d'acharnement dans leur attaque, qu'on en tua plusieurs a deux pas de nos creneaux, qu'ils cherchaient a prendre. Un, surtout, vint tomber si pres, que les voltigeurs du 38eme se saisirent de son sabre au moyen d'un tire-bourre de canon, et me l'envoyerent par le plus ancien soldat de la compagnie. Je le conserve precieusement en souvenir de ces braves et du courageux Arabe mort pour son pays. On sait que la garde et les travailleurs de tranchee sont releves toutes les vingt-quatre heures. Sur la demande de mon colonel, notre tour fut prolonge jusqu'au soir, ce qui me donna l'occasion de completer la journee; car le general etant venu a la _gourbie_, ou nous dejeunions, il m'ordonna d'abattre encore des palmiers, cette fois a proximite de la tranchee. Apres avoir garni de tirailleurs les murs de deux grands jardins, je les fis completement raser, sans forte opposition de la part des Arabes, soit qu'ils en eussent assez du combat du matin, soit que le voisinage de nos travaux les tint en respect. Ils se contenterent de nous envoyer de loin quelques balles qui ne nous firent pas grand mal; un soldat cependant en fut atteint, et un autre fut blesse par la chute d'un palmier. Le soir, vers cinq heures, nous retournames au camp. Nos tentes et nos lits de cantines nous parurent des palais et des edredons apres la tranchee. Les vivres etaient abondants a la colonne; le pain seulement, qu'on faisait venir de Biscara, commencait a manquer, mais du biscuit trempe le remplace, au besoin. L'eau etait desagreable, malsaine, et tellement chargee de sels, qu'en ayant passe un litre environ a travers un mouchoir de toile, j'en obtins un residu qui, seche et approche du feu, crepitait comme du nitre. Le sable, d'une finesse imperceptible, s'infiltrait partout; quelque precaution que l'on prit, tout ce qu'on preparait pour manger en etait tellement saupoudre, qu'a chaque morceau on le sentait craquer sous la dent. Je fis l'experience de placer du papier sur la tablette de ma tente, et bien que j'en eusse boucle les contre-sanglons pour la fermer completement, deux heures apres le papier etait tout couvert de sable. Ces petits inconvenients n'etaient qu'un sujet d'observations; mais la mauvaise qualite de l'eau incommodait tout le monde, et engendrait meme des maladies. Le lendemain, nos pertes furent douloureusement augmentees par la mort du capitaine Graillet, commandant du genie. Par le plus malheureux des hasards, tandis qu'il dirigeait les travaux a la sape de droite, il fut tue d'une balle qui passa dans l'interstice de deux troncs de palmiers places en epaulement. C'etait un officier jeune, tres distingue, et a jamais regrettable; la veille, j'avais bu avec lui un verre d'eau-de-vie, et dans la conversation que nous eumes ensemble sur les operations du siege, je remarquai qu'il etait pour les partis les plus vigoureux. Le 27 se passa sans evenement remarquable. Les travaux continuerent sur le meme pied a la tranchee. Les Arabes tiraillerent plus ou moins toute la journee, et se montrerent parfois a la lisiere de l'oasis, d'ou leurs balles arrivaient jusqu'a notre front de bandiere. Les carabines a tige de quelques hommes du 5e bataillon de chasseurs a pied, places derriere des ondulations de terrain, les leur rendaient avec usure. Un fait remarquable et qui, en ma qualite de nouvel arrive, m'avait surpris, c'est que notre camp etait litteralement encombre d'Arabes; j'en avais deux, conducteurs du bagage, qui bivouaquaient a la porte de ma tente, si bien que la toile seule m'en separait. Le scheick El-Arab, je l'ai deja dit, campait avec nous; ses cavaliers, assez nombreux, l'avaient suivi, et ne cessaient de rendre des services, quoique leurs sympathies pussent bien etre ailleurs. Plusieurs fois, ils etaient alles parlementer avec les tirailleurs ennemis; mais les renseignements qu'ils rapportaient a l'etat-major-general devaient lui paraitre suspects; le fait est qu'a aucun prix on ne pouvait se procurer des emissaires surs, et telle etait, au point de vue arabe, la nationalite et surtout la saintete de la cause de Zaatcha, que le peu d'intelligences qu'on avait pu etablir chez l'ennemi ne pouvaient, tout au plus, etre considerees que comme servant aux deux partis. Nous etions sans nouvelles d'Alger. Le courrier qui portait les depeches du gouverneur, et qui devait avoir mes lettres de Paris, venait d'etre enleve par les Arabes. Nous approchions a grands pas de l'epoque qu'avant de quitter Paris j'avais fixee pour mon retour a l'Assemblee legislative, et il n'y avait pas de probabilite que nous touchassions au denouement de l'expedition. Le general, fermement resolu a ne lever le camp qu'apres avoir eu raison de Zaatcha, semblait decide a ne plus livrer d'assaut, et a attendre des renforts, pour completer l'investissement de la place et la reduire par le feu de l'artillerie. Chacun comprendra que ce plan, sans doute le meilleur, pouvait nous mener fort loin, et bien qu'il ait ete modifie, Zaatcha ayant ete pris d'assaut, cet evenement final n'a pu avoir lieu que le 26 novembre, sans compter que les operations successives et secondaires ont prolonge la campagne jusqu'au mois de janvier. On a vu a quelles conditions j'avais consenti a y prendre part, conditions tellement nettes et incontestees jusqu'alors, que l'idee ne me vint seulement pas qu'on pourrait me disputer le droit de revenir sieger au palais legislatif quand je le jugerais convenable. Plusieurs sujets de juste mecontentement et de profond degout me maintenaient dans ma resolution. D'une part, on avait failli a la promesse dont l'accomplissement eut compense, pour moi, l'inconvenient de servir au titre etranger. Je veux parler du commandement de compagnies d'elite, qu'on m'avait assure a Paris, et au sujet duquel aucun ordre n'avait ete transmis ni a Alger, ni a la colonne. D'autre part, des bruits offensants, universellement repandus au camp, et dont on pourrait trouver la source dans les lettres de personnes occupant de hautes positions, me designaient comme _envoye en punition en Afrique_ (je dis le mot comme on me l'a repete, quelque impertinent et stupide qu'il soit). Sans doute, c'etait le dernier degre de l'absurdite que de supposer qu'un homme honore d'un mandat souverain et inviolable put etre envoye en punition par qui que ce soit; mais, si on reflechit bien, on comprendra la creance que jusqu'a un certain point pouvaient obtenir des inventions par lesquelles on me representait comme l'objet d'une sorte de disgrace domestique, fondee sur mes opinions peu gouvernementales. Ce qui me paraissait ajouter du poids a ces manoeuvres, c'etait la nouvelle que, sans doute, on ne se serait pas amuse a repandre gratuitement, qu'apres la campagne on me destinait au commandement du cercle de Biscara, comme si dans l'etat actuel des choses ces fonctions permanentes avaient pu me convenir, et comme s'il avait dependu de quelqu'un, sous quelque pretexte que ce fut, de me releguer, sans me consulter, au fond du Desert, en echange du poste legislatif que la sympathie et la confiance de deux departements m'ont assigne. Indigne d'etre ainsi traite par ceux-la memes a qui j'etais le plus dispose a me devouer, rebute par d'aussi nauseabondes menees, la cordialite de mes chefs militaires, et en general de tous les officiers du camp, ne modifia point mon projet primitif. Decide a partir, j'en avais parle a mon colonel et au general, lorsque celui-ci voulut bien me charger, pour M. le general Charon, d'une mission indiquee dans une depeche qu'il me fit l'honneur de me communiquer, et qu'il me confia, le 29 au soir, avec l'ordre qu'on peut voir aux Pieces justificatives. Le but principal de cette mission etait de hater l'arrivee des renforts qu'il attendait, et qui, demandes par la voie de terre au moment ou les communications n'etaient rien moins que sures, auraient pu tarder encore longtemps a le rejoindre, sans la diligente prevoyance de M. le gouverneur general. M. le general Herbillon, aux eminentes qualites duquel je serai toujours heureux de rendre hommage, malgre l'oubli ou il m'a laisse dans son rapport d'ensemble, a ete, pour moi, spontanement bienveillant; je ne doute pas qu'il me rendra la justice de rappeler, au besoin, la resolution que je lui manifestai de ne pas partir, malgre les graves et nombreux motifs que je lui exposai, dans le cas ou, contrairement a ce qu'il avait decide pour lors, un assaut eut ete a prevoir dans un delai rapproche. C'est ici l'endroit de repondre a certaines gens qui auraient du s'informer au moins des faits, des distances, des dates, avant d'insinuer cette outrageante assertion que j'aurais quitte la colonne la veille d'un assaut. D'assaut il n'etait pas question alors; il a ete livre un mois apres, et il est a presumer que je ne m'y fusse pas trouve, quand meme j'aurais ete encore en Afrique, mon regiment ayant ete dirige sur Biscara quinze jours avant la prise de Zaatcha. Un autre propos infame, dont personne n'a ose prendre vis-a-vis de moi la responsabilite, mais que j'ai appris avoir ete tenu tout bas, un de ces propos qui ne seraient que ridicules, s'ils n'etaient odieux, c'est celui qui attribuait mon depart _a ma crainte du cholera_. En verite, on rougit de s'arreter a des accusations anonymes aussi saugrenues, et c'est se ravaler que d'y repondre, mais il n'est peut-etre pas superflu que mes charitables Basiles sachent: D'abord, que, devant Zaatcha, quand j'en suis parti, il n'y avait point de cholera, et on etait si loin de le craindre, que l'on considerait le camp comme un refuge pour les troupes, a cet egard. Le cholera y fut apporte par la colonne de M. le colonel Canrobert; a mon depart, non-seulement on ne savait pas qu'elle en fut attaquee, mais on ignorait meme sa prochaine arrivee. A Marseille, a Toulon ou le cholera faisait des ravages reels et ou je m'arretai deux jours; a Alger, a Philippeville, a El-Arrouch, je ne sache pas que cette maladie, qui d'ailleurs est rarement contagieuse, ait modifie un instant mes plans de voyage. Et si les actions d'un proscrit n'etaient pas naturellement peu connues, on saurait qu'aux Etats-Unis, a Malte et ailleurs, on se souvient de mes visites aux choleriques; et a Paris meme, si la haine aveugle ne repoussait pas toute information, on trouverait d'honorables citoyens qui ont vu mourir dans mes bras, il n'y a pas encore bien longtemps, un de mes amis, M. Piebault d'Ajaccio, enleve en quelques heures par le cholera. Mais assez de ces degoutantes et viles calomnies, qu'un soldat et un homme de coeur prefererait avoir a relever autrement qu'avec la plume. Le paquebot d'Alger devant appareiller de Philippeville le 6 novembre, mon depart de Zaatcha fut fixe au 30 octobre. Le 28 et le 29, mon regiment fut encore de service a la tranchee; mais comme nous nous y rendimes sans musique, suivant les prescriptions reglementaires,[9] nous y arrivames sans avoir personne hors de combat. Le commandant de Laurencez et son bataillon etaient de garde avec nous. Ce sont d'excellents compagnons, aussi braves que gais. Goise, le zouave qui s'etait fait remarquer le 25, demanda au colonel la permission de _vexer l'Arabe_, et montant sur le terre-plein de la batterie Petit, il se mit a parodier les chants du pays de la facon la plus amusante. [Note 9: Article 202 de l'ordonnance du 3 mai 1832.] Les memes circonstances que j'ai deja decrites se renouvelerent ce jour-la et le lendemain. Les cheminements avancaient, quoique lentement; l'artillerie s'occupait de mettre deux nouvelles pieces en batterie a l'extreme droite; son feu fit s'ecrouler avec fracas, dans un nuage de poussiere, une des tours de Zaatcha; les coups de fusil et de tromblon des defenseurs continuaient, et nos soldats, mieux defiles a mesure que les travaux avancaient, les leur revalaient. La nuit, nous eumes une alerte plus vive que la derniere fois. L'officier de garde a la sape de gauche vint nous avertir que le leger blindage qui la recouvrait paraissait ceder sous les pierres que les Arabes, abrites par un renfoncement du sol, a quelques pas de nous, ne cessaient de lancer. La fusillade eclata; nous accourumes, le colonel, M. de Laurencez et moi, mais, meme de la tete de la sape, il nous fut impossible d'apercevoir un seul des ennemis, que nous entendions cependant parler entre eux a voix basse. L'endroit ou nous etions etait, comme toute la tranchee, domine par des palmiers, mais les Arabes ne s'aviserent point de renouveler la ruse, dont mon colonel avait failli etre victime. Du reste, nous etions sur nos gardes; nos factionnaires, colles contre l'epaulement, le genou en terre, la baionnette au canon, le doigt sur la detente, auraient bien recu les audacieux qui se fussent offerts a eux. Un coup d'obusier a balles fut tire, mais je crois qu'il passa au-dessus de la tete des Arabes. Aucun ne se montra, et pour ne pas rester inactifs, nous leur renvoyames quelques-unes de leurs pierres. Nous sentimes alors combien des grenades nous eussent ete utiles, mais il n'en existait pas une seule a la tranchee, ni au camp. Tout ce que nous pumes faire, ce fut de placer quelques zouaves a la batterie Petit, d'ou l'on pouvait, en tirant obliquement, flanquer jusqu'a un certain point la tete de la sape, non sans risquer de blesser nos sapeurs. Pour obvier a cet inconvenient, et pour toucher l'ennemi dans l'obscurite, on choisit les hommes les plus adroits. De retour a la _gourbie_ du colonel, il ne se passa pas longtemps sans que j'entendisse les cris d'un Arabe, qui, atteint par nos balles, se plaignait d'une voix lamentable. Je demandai la signification de ses paroles a l'interprete du colonel, qui me les traduisit ainsi: "_Roumis_ (chretiens), disait le malheureux blesse, que vous avais-je fait pour me traiter ainsi? mon sang coule, mais je suis content de mourir pour ma patrie et pour ma religion!" Pourquoi la nature de cette guerre impitoyable nous empechait-elle de tendre une main sympathique et secourable au brave qui, sous l'etreinte de la mort, proclamait de si hauts sentiments! Cet usage de se plaindre ou de nous menacer semblait familier aux defenseurs de Zaatcha. On a vu que parmi eux se trouvaient des hommes qui avaient fait a Alger le metier de portefaix, et souvent, c'est en baragouinant notre langue, qu'ils s'efforcaient de nous adresser des injures ou de nous railler. Comme pour eux tout ce qui n'est pas Arabe ou Francais est Juif, ils gratifiaient la Legion etrangere du titre de _bataillon di Jouifs_. Parfois, appelant nos soldats: _couchons, Jouifs,_ criaient-ils, _oun caporal et quatre hommes en factionne; va te coucher!_ Cette derniere injonction etait accompagnee d'un coup de feu qui denotait le genre de couche qu'ils nous souhaitaient. Releve le 29 au soir, j'allai, des que je fus de retour au camp, prendre conge du general et de son chef d'etat-major, M. le colonel Borel. En presence des attaques dont j'ai ete l'objet, il est bon de rappeler que dans cette entrevue, il fut constate qu'il y avait, pour lors, beaucoup plus de risques a courir en quittant le camp qu'en y restant. Le chemin de Batna etait journellement inquiete et parfois intercepte par de nombreux coureurs ennemis, qui venaient d'y commettre maints assassinats, et le general s'etait vu dans la necessite d'envoyer a Biscara M. le colonel de Mirbeck, avec de la cavalerie, pour maintenir les communications. Du camp a Biscara, j'avais un convoi de blesses et de malades a conduire, avec une escorte suffisante, mais de cette place a Batna, on ne pouvait me donner que quelques cavaliers. Le colonel Borel doutait que je pusse arriver a ma destination, et je me separai de lui et du general, en leur promettant que je passerais a tout prix. Le lendemain, de bonne heure, je fis mes adieux, non sans emotion, a mon excellent colonel et a MM. les officiers de la Legion, et je partis a la tete du convoi, avec mon adjudant-major, M. Bataille, aujourd'hui chef de bataillon, qui se rendait a Batna. Notre allie le marabout Si-Mokran, dont j'ai deja parle, se joignit a nous avec une douzaine de cavaliers. Nous marchions lentement, a cause de la longue file de mulets d'ambulance qui portaient nos blesses et nos malades dans des cacolets, ou bien dans des lits parfaitement adaptes aux bats, pour ceux a qui leur etat ne permettait pas de garder une position perpendiculaire. Ce systeme de transports est admirablement entendu; il est toujours praticable dans toute espece de terrain, et il peut devenir rapide en cas de necessite absolue. Les lits, il est vrai, ont l'inconvenient de prendre, suivant la pente du sol, des inclinaisons diverses, qui, parfois, laissent la tete du blesse beaucoup plus bas que les pieds. Cela doit etre douloureux et d'autant plus dangereux qu'on ne place dans les lits que les hommes gravement atteints; mais on pourrait, je crois, remedier a cette imperfection par un systeme de bascule, au moyen duquel le lit serait toujours maintenu dans la meme direction. Quoi qu'il en soit, ce mode de locomotion, pour les ambulances, est le plus militaire, le plus expeditif et le plus universellement applicable qu'on puisse imaginer. Nous fimes halte aux deux tiers du chemin, et nous arrivames de bonne heure a Biscara, ou je trouvai M. le colonel de Mirbeck, qui me retint a diner. J'allai voir les blesses alites a la casbah, parmi lesquels etaient les capitaines Butet et Touchet, blesses sous mes ordres le 25. Le premier allait deja beaucoup mieux, et je l'ai revu depuis a Paris. La blessure du second etait plus grave, et l'on m'a assure qu'il en souffre encore. Je revis egalement le brave commandant Gujot, filleul de l'empereur, mais, helas! dans quel etat! La plaie suppurait abondamment par la bouche et repandait une odeur corrompue qui me fit craindre pour sa vie. Je quittai, les larmes aux yeux, cet intrepide officier, pour qui la parite de grade et les autres raisons que j'ai signalees m'inspiraient le plus vif interet. En lui serrant la main, je fis des voeux pour que ce ne fut pas la derniere fois; mais il etait ecrit qu'ils demeureraient steriles, et que l'armee regretterait un de ses plus nobles enfants. Le 31, des que le jour commenca a poindre, je me mis en route avec un detachement de chasseurs et spahis, aux ordres de MM. d'Yanville et Lermina. Pour arriver a temps a Philippeville, y prendre le bateau a vapeur d'Alger, et afin de derouter les partis ennemis, nous doublames l'etape. A El-Outaia, ou nous fimes halte, Dena et quelques-uns de ses spahis bleus, dont j'avais deja eu lieu de reconnaitre l'utile intelligence, accrurent mon escorte. Le soir, nous etions a El-Kantara, apres avoir fait cinquante-huit kilometres dans la journee. Nous recumes l'hospitalite du caid, et nous passames la nuit sous la sauvegarde de sa fidelite. Le lendemain, meme journee. Notre halte se fit a El-Ksour, ou Dena nous quitta. Je lui donnai en souvenir un pistolet a deux coups dans le meme canon, dont il avait remarque la justesse en me voyant tirer un corbeau pendant la marche. Nous arrivames a Batna fort avant dans la nuit; nous avions parcouru une double etape de soixante-onze kilometres. M. le lieutenant-colonel de Caprez me recut avec sa cordialite accoutumee, et m'installa dans le quartier de M. le colonel Carbuccia. Il m'apprit que je rencontrerais, avant d'arriver a Constantine, une partie des renforts attendus a la colonne. Le lendemain, avec M. Osman, jeune lieutenant indigene, et quelques-uns de ses spahis, j'allai coucher a Ain-Yagout. Le surlendemain, 3 novembre, pres du lac sale dont j'ai parle, nous fimes une chasse fort singuliere. M. Osman ayant apercu, fort loin dans la plaine, une hyene qui se dirigeait vers les montagnes a droite, deux ou trois de nos spahis se mirent a sa poursuite. Ils la rejoignirent bientot et lui tirerent, sans l'atteindre, plusieurs coups de fusil. Mettant le sabre a la main, un de ces cavaliers lui porta alors un coup de pointe, qui la blessa tres legerement; mais le cheval de cet homme s'etant abattu en meme temps, il se trouva sur l'hyene, qu'il maitrisa sans en etre mordu. Nous accourumes tous; a l'aide de ses camarades, qui avaient mis pied a terre, il la musela avec des cordes. Attachee par le cou a une courroie de charge, elle marcha quelque temps devant lui, et comme elle nous embarrassait, on la tua avec un couteau. Quoiqu'elle fut enorme, elle paraissait saisie de terreur, elle ne poussa pas un cri, et n'opposa pas la moindre resistance. Je savais que ces animaux ne sont pas tres dangereux; mais je fus etonne et presque touche de la mansuetude de notre capture. Sa fourrure etait fort belle, mais, usee par les cordes qui nous avaient servi a la fixer sur le bat d'un mulet, je ne pus la conserver. Les spahis, a ma surprise, mangerent la viande au bivouac du soir. Apres cette chasse, nous rencontrames une colonne de renforts qui allait rejoindre le general Herbillon. A sa tete etaient M. le lieutenant-colonel de Lourmel et d'autres officiers superieurs, circonstance bonne a retenir pour le moment ou il sera question de la reponse que me fit M. le ministre de la guerre a la tribune de l'Assemblee. Arrives a Ain-Melilla, ou nous passames la nuit, nos spahis nous donnerent le spectacle de quelques jeux du pays. D'abord, ce fut une espece de danse, pour laquelle des couples se forment, en se donnant le bras; un des deux partenaires se voile le visage et represente une fiancee, l'autre le pretendu; les couples defilent devant le spectateur, en se dandinant et en chantant a la moresque sur un air monotone. Un second jeu consiste a placer un homme, accroupi et entortille dans son bournous, sous la protection d'un autre qui se tient debout derriere lui, et lui appuie les mains sur les epaules, pret a lancer des coups de pied a ceux qui l'attaquent. Le premier est _le mouton_, le second _le chien_, les autres joueurs sont _les chacals_, et il leur est permis de porter force coups au mouton, ou de le tirer par son bournous pour le faire tomber, mais ils ont a se garer du chien, contre lequel ils n'ont d'autre recours que de lui saisir le pied avant qu'il les frappe. Ces exercices paraissaient egayer beaucoup nos spahis, et pour moi, il n'etait pas sans interet de voir la naivete de ces braves gens qui s'amusent comme des enfants et se battent comme des hommes. Le 4, M. Osman retourna avec eux a Batna, et je continuai ma route. A peu de distance d'Ain-Melilla, je rencontrai de nouveaux renforts. A Constantine, ou je fus rendu avant la soir, M. le general de Salles m'apprit que M. le colonel Canrobert devait, sous peu, effectuer sa jonction avec la colonne de Zaatcha, et que le 8e bataillon de chasseurs a pied, campe aux portes de la ville, allait aussi se mettre en marche pour les Ziban, ce qui portait a plus de 3,000 hommes la totalite des renforts envoyes au general Herbillon. Celui-ci n'en demandait pas davantage pour terminer ses operations. Je recus a Constantine, dans la maison de M. le docteur Ceccaldi d'Evisa, chirurgien principal, l'hospitalite la plus affectueuse, et le 5 au matin, je partis pour Philippeville. Le bateau a vapeur d'Alger partait le lendemain; un autre etait attendu qui devait appareiller le 8, directement pour Marseille. Les renforts assures, le but principal de ma mission etant de hater leur arrivee, elle se trouvait remplie, et il devenait inutile de faire une double traversee, et de passer par Alger. Je resolus donc de partir par le bateau du 8; j'ecrivis, dans ce sens, au gouverneur general, et je lui expediai immediatement mon ordonnance, avec ma lettre et la depeche du general Herbillon. La reponse que j'ai recue, loin d'exprimer aucun blame, est tres aimable et honorable pour moi. On ne comprendrait pas, en effet, qu'on se soit plu a denaturer une chose aussi simple, si depuis longtemps l'esprit de parti n'etait pas en guerre ouverte avec l'impartialite et la bonne foi.[10] [Note 10: Voyez aux Pieces justificatives mes interpellations au ministre de la guerre.] Le 7, les Corses residant a Philippeville m'offrirent un banquet. C'etaient des soldats, des negociants, des marins; reunion touchante qui, sur le sol d'Afrique, me rappelait l'accueil sympathique de l'ile paternelle, a qui ma famille doit tant! Le 8, je m'embarquai sur le _Sphinx_, pyroscaphe de la compagnie Bazin, commandant Bonnefoi. Le temps etait gros et le vent contraire; mais, grace a l'habilete et a la vieille experience de notre bon capitaine, nous touchames a Marseille dans la nuit du 10 au 11. A Paris, ou j'arrivais tres irrite de la position que l'on m'avait faite en Afrique, contrairement aux promesses que j'avais recues, on avait deja repandu, sur mon retour, les interpretations les plus malveillantes. Un journal ministeriel avait publie un article injurieux, et d'autres, sans meme s'enquerir des faits, ne m'avaient pas epargne. Cependant, comme le ministere qui avait preside a mon depart n'etait plus en fonctions, je crus devoir une visite au ministre de la guerre, pour lui offrir un rapport circonstancie que j'avais prepare sur la situation de la province de Constantine. M. d'Hautpoul se montra tres affable, et comme il m'interrogeait sur mon retour, et qu'il paraissait ignorer dans quels termes j'avais consenti a faire acte de presence en Algerie, j'entrai dans quelques developpements, et je lui parlai incidemment de l'ordre du general Herbillon, prescrivant mon depart de Zaatcha pour Alger. Il demanda a le voir. Voulant maintenir intact mon droit de representant du Peuple, je lui declarai d'abord que je ne m'y croyais pas oblige; mais comme il y mettait une certaine insistance affectueuse et parfaitement convenable, je consentis a le lui communiquer. En le voyant, il s'ecria, a plusieurs reprises, non pas comme il l'a dit a la tribune: _Cet ordre vous couvre_, mais: _Vous etes parfaitement_ _en regle_; et il me pria de le lui laisser, pour le montrer au president de la Republique, qu'il m'engageait fortement a aller voir. Sous l'impression de mon juste ressentiment de la maniere dont j'avais ete traite, il ne pouvait entrer dans mes vues de me presenter a l'Elysee, et c'est probablement ce qui a rendu possible un scandale que je deplore et que j'ai la conscience de ne pas avoir provoque. Ma lettre a _la Patrie_[11], dont a parle M. d'Hautpoul, n'etait qu'une reponse aux attaques dont j'avais ete l'objet, et dont certains organes de la presse gouvernementale ne s'etaient pas fait faute. La conviction qui resulte pour moi de mon entrevue avec le ministre de la guerre, c'est que, bien qu'il ait assume la responsabilite de l'affront public qui m'a ete fait, c'est a d'autres qu'il doit etre attribue. Des informations ulterieures m'ont prouve que je ne m'etais pas trompe. [Note 11: Voyez aux Pieces justificatives.] Quoi qu'il en soit, je recus, le lendemain, avec une lettre du general Bertrand, directeur du personnel, le decret qui parut le surlendemain au _Moniteur_, signe Louis-Napoleon Bonaparte, et portant en tete la devise: Fraternite! Sa legalite, de l'avis de bien des personnes competentes, aurait pu etre contestee sous plus d'un rapport, mais ayant, en tout cas, l'intention de donner au gouvernement ma demission, je ne crus pas devoir lui disputer mon epaulette _au titre etranger_. On peut voir, aux Pieces justificatives, ces divers documents, ainsi que ma reponse au general Bertrand, que plusieurs journaux ont reproduite. On y trouvera aussi le texte, d'apres le _Moniteur_, de mes interpellations qui eurent lieu a l'Assemblee nationale, le 22 novembre, et celui de la reponse de M. d'Hautpoul. En terminant, on me permettra quelques courtes observations au sujet de ce discours du ministre de la guerre. N'etait-il pas, au moins, etrange de venir dire serieusement a l'Assemblee, qu'a ma place, ayant rencontre les renforts, il se serait mis a leur tete, il serait parti avec eux, et, le lendemain, il serait monte a l'assaut de Zaatcha!! Je transcris litteralement ses expressions, mais c'est a ne pas y croire! Comment, moi, officier au titre etranger, j'aurais donne des ordres a des troupes ayant a leur tete des lieutenants-colonels et des chefs de bataillon au titre francais? Mais ils m'auraient _envoye promener_, et ils auraient bien fait! M. d'Hautpoul, ce jour-la, semblait avoir oublie les rudiments de la hierarchie militaire, et les droits au commandement que, meme a parite de grade, un officier etranger ne peut exercer vis-a-vis d'un officier au titre francais.[12] [Note 12: Article 3 de l'ordonnance du 3 mai 1832.] Et que dire de cette pretention de monter a l'assaut le lendemain? D'abord, les renforts etant separes de Zaatcha par une distance de plusieurs journees de marche, le plus grand foudre de guerre, a moins d'etre Josue, n'aurait pu accomplir le miracle dont parlait l'honorable general. Laissant de cote cette legere erreur geographique, qu'aurait dit le general en chef si, m'arrogeant ses prerogatives, j'etais venu lui prescrire un plan, ou tenter une operation quelconque sans prendre ses ordres? Et avec quoi l'aurais-je tentee, qui m'aurait obei, ou plutot _ne m'aurait-on pas pris pour fou!_ C'est dommage d'entendre un homme respectable debiter de pareilles excentricites, et n'a-t-il pas fallu que les esprits fussent bien prevenus, pour les ecouter sans sourciller? D'ailleurs, l'ordre formel de mon general n'etait-il pas de me rendre a Alger, et si j'eusse desobei, fut-ce pour retourner a Zaatcha plutot qu'a l'Assemblee nationale, M. d'Hautpoul _ne m'eut-il pas traduit devant un conseil de guerre, ou, tout au moins, revoque de mon grade, et, qui plus est, de mon emploi, quand meme je n'en aurais pas eu?_ M. d'Hautpoul, dans son discours, accordait beaucoup a mon nom, et il venait declarer, en meme temps, que ce nom et les longues persecutions qu'il a attirees, ne valaient pas la peine de naturaliser mon epaulette, ni d'arreter une mesure qui certes n'etait pas empreinte d'aucun esprit de famille. Enfin, lorsque, tout en commettant de si singulieres meprises, il me reprochait de ne pas avoir _consulte mon coeur de soldat_, on comprendra que si j'avais voulu descendre a des personnalites, rien ne m'eut ete plus facile; mais je crus, et je crois encore, que cela ne m'eut pas convenu envers un ministre et un vieux general. Quoi qu'en dise le _Moniteur_, il n'est pas exact que l'Assemblee presque entiere se soit levee contre l'ordre du jour que je presentai.[13] Au contraire, la gauche presque entiere, et cela m'importe beaucoup, s'abstint de prendre part au vote, malgre la position delicate que ma susceptibilite a l'endroit de Louis-Napoleon m'avait faite dans l'opinion de la plupart de ses honorables membres. [Note 13: Voyez aux Pieces justificatives.] Quant a mes autres collegues, je prendrai la liberte de leur exposer avec le profond respect que je dois a une fraction si importante de la souverainete nationale, que mon mandat je ne le tiens pas d'eux, mais des citoyens des departements qui m'ont elu, et que je ne me crois nullement tenu de conformer mon opinion a celle de la majorite. Cette opinion, fut-elle individuelle, elle pese dans la balance, du poids d'un vote libre, consciencieux et sans controle. Nulle part, je n'ai vu dans la Constitution, ni meme dans la loi electorale, qu'en acceptant une mission temporaire, un representant abdique l'independance de son caractere, et perde le droit de revenir prendre part aux deliberations legislatives quand il le juge necessaire ou seulement opportun. J'y vois, plutot, comme je l'ai fait remarquer a la tribune, que s'il n'est pas revenu avant l'expiration du delai de six mois fixe par la loi, son mandat de representant est perime de droit. Ainsi donc, si, en Algerie, ou meme plus loin, il etait oblige d'attendre le bon plaisir du gouvernement, celui-ci pourrait lui faire perdre a dessein sa haute qualite, soit en lui refusant l'autorisation de retour, soit en tardant simplement a l'envoyer.[14] [Note 14: L'article 28 de la Constitution dit: "Toute fonction publique retribuee est incompatible avec le mandat de representant du peuple. Les exceptions seront determinees par la loi electorale organique." L'article 85 de cette loi dit: "Sont exceptes de l'incompatibilite les citoyens charges temporairement d'un commandement ou d'une mission extraordinaire, soit a l'interieur, soit a l'exterieur. Toute mission qui aura dure six mois cessera d'etre reputee temporaire."] On a dit qu'un representant etait libre d'accepter ou non une mission du gouvernement. Sans doute, et ce n'est pas bien profond; mais, sous les phases variees de notre politique, ce qui convient aujourd'hui peut fort bien ne pas convenir dans quinze jours, ou meme demain. Il ne faudrait pas chercher bien loin pour trouver deux honorables representants qui avaient accepte de hautes missions sous le ministere Barrot-Dufaure, et qui les ont resignees a l'avenement du ministere _d'action_. Je ne disconviens pas que l'alternative resultant des dispositions que je viens de citer ne soit un argument peremptoire en faveur des incompatibilites, et, pour ma part, je les ai votees presque toutes. Je comprends encore que ceux qui ne veulent pas que ces incompatibilites soient inscrites dans la loi repoussent mon argumentation; mais je maintiens que l'esprit de notre pacte fondamental est, qu'en droit et en these generale, un representant du Peuple reste toujours libre de reprendre une position qui, en definitive, ne releve que de la nation; et je ne voudrais pas affirmer qu'une revision meme de la loi electorale pourrait faire disparaitre, dans le sens de la majorite, une lacune qu'on ne peut combler ainsi, sans porter atteinte aux principes. Pour moi, apres le coup que Louis-Napoleon a porte a un de ses plus proches parents, a un neveu de l'empereur, au fils de Lucien, au representant de la Corse, je n'aurais pas ose paraitre a la tribune nationale, si je n'avais ete fort de ma _conscience_ et de mon _droit_. De ma _conscience_, parce que, tant que j'ai ete en Afrique, j'ai fait mon devoir non-seulement d'officier, mais de soldat; de mon droit, parce qu'en toute sincerite, je ne puis reconnaitre a personne la faculte de prescrire les fonctions supremes que les membres du Pouvoir Legislatif tiennent du Peuple. PIECES JUSTIFICATIVES. No 1.--Lettre de Louis Blanc. REPUBLIQUE FRANCAISE. LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE. Palais national du Luxembourg. _A Pierre-Napoleon Bonaparte._ Citoyen, C'est avec un plaisir extreme que je vous fais part de la decision prise a votre egard par le Gouvernement provisoire. Nous venons de vous nommer chef de bataillon dans la Legion etrangere, bien convaincus que votre intention formelle est de mettre au service exclusif de la Republique les fonctions confiees a votre loyaute par le gouvernement republicain. Faire servir a l'etablissement, a la consolidation, au triomphe complet de la liberte, le prestige attache au grand nom de Napoleon, c'est se montrer digne de porter un tel nom et bien meriter de la patrie. Le temps des pretentions dynastiques est passe a jamais. La glorieuse revolution qui vient de s'accomplir a definitivement coupe court au regime de la royaute et de tout ce qui lui ressemble. C'est parce qu'il vous sait penetre de cette conviction, imbu de ces sentiments, que le gouvernement provisoire vient de vous donner une marque de confiance qu'en ma qualite de Corse je suis heureux de vous annoncer. Salut et fraternite, Le 15 avril 1848. LOUIS BLANC, Membre du Gouvernement provisoire. No 2.--Petition a la Constituante Citoyens Representants du peuple, Le lendemain de Fevrier, accouru de l'exil pour offrir mes services a mon pays, j'ai accepte avec une profonde reconnaissance, des mains des fondateurs de la Republique, le grade de chef de bataillon au 1er regiment de la Legion etrangere. J'etais autorise a le regarder comme un etat transitoire devant amener ma mutation dans un regiment francais. L'intention de M. de Lamartine, et apres lui, celle de M. le general Cavaignac, etait de demander a l'Assemblee nationale une decision a cet egard. Elle etait necessaire, en presence de la loi du 14 avril 1832 sur l'avancement. A part toute autre consideration, ces hauts fonctionnaires de la Republique avaient pense qu'une exception paraitrait fondee en ma faveur, puisque l'exil dont ma famille etait frappee m'avait seul empeche soit de satisfaire a la loi de recrutement, soit d'entrer dans une ecole militaire. Ce qui corroborait encore ces considerations, c'etaient les demandes reiterees de servir dans l'armee d'Afrique, que, depuis douze ans, je n'avais cesse d'adresser au gouvernement dechu, et que les marechaux Soult et Sebastiani m'ont offert d'attester au besoin. Apres l'election de mon cousin a la presidence de la Republique, et sans parler de ses intentions fraternelles, je pouvais croire que le gouvernement issu de l'election du 10 decembre ferait pour moi la proposition favorable que Lamartine ou le general Cavaignac eussent faite. Le gouvernement n'a pas cru devoir prendre cette initiative; et si je ne pouvais avoir recours a vous, citoyens representants, je me verrais frappe, j'en conviens, dans mes esperances les plus cheres, esperances que je n'avais pas abandonnees, meme dans l'exil; car un soldat de mon nom ne renonce pas facilement a servir dans les rangs de l'armee francaise. La Legion etrangere, je le sais, a glorieusement conquis une haute reputation militaire. Je m'honorerai toujours d'avoir appartenu au corps de ses braves officiers; mais peut-etre n'est-ce pas une pretention exorbitante de ma part que d'esperer d'etre enfin admis autrement qu'a titre d'officier etranger. Je m'etais dit qu'un neveu de notre grand capitaine, un fils de Lucien Bonaparte, un proscrit des Bourbons, n'avait pas a craindre que le coup dont une loi de proscription l'a frappe ricochat, pour l'atteindre encore, sur le terrain de la Republique. L'elevation d'un autre neveu de l'empereur Napoleon a la magistrature supreme de l'Etat semblait m'assurer de plus en plus qu'on ne me refuserait pas une simple mutation qui ne ferait de tort a personne, puisque mon emploi actuel peut etre rempli par un chef de bataillon au titre francais. Pour sortir de la position anormale ou je me trouve, je fais un respectueux appel, citoyens representants, aux mandataires du Peuple Souverain. Je demande de passer, avec mon grade, dans un de nos regiments francais d'infanterie; et, quelle que soit votre decision, croyez que si jamais la Republique etait attaquee, je me reserve bien de combattre pour elle, fut-ce meme comme simple volontaire. Salut et fraternite, Paris, le 17 mars 1849, PIERRE-NAPOLEON BONAPARTE. No 3.--Etats nominatifs des hommes de la Legion etrangere, et du 2e bataillon d'Infanterie legere d'Afrique, tues ou blesses le 25 octobre 1849. 3e bataillon d'infanterie legere d'Afrique. _ETAT nominatif des hommes tues ou blesses le 25 octobre 1849._ Numeros NOMS. GRADES. OBSERVATIONS. des compagnies. 2e Butet, capitaine. Blesse d'un coup de feu a la cuisse droite. 4e Touchet, capitaine. Blesse d'un coup de feu a la poitrine. 2e Termeuf, caporal. Blesse d'un coup de feu au poignet gauche. Id. Prudhom, chasseur. Tue d'un coup de feu. Id. Luyat, chasseur. Tue d'un coup de feu. Id. Raynard, chasseur. Blesse d'un coup de feu a la cuisse. 3e Doucet, chasseur. Blesse d'un coup de feu a l'epaule droite. Id. Favry, chasseur. Blesse d'un coup de feu au sourcil droit. 4e Genet, caporal. Tue d'un coup de feu a la tete. Id. Kerdavid, chasseur. Tue d'un coup de feu a la tete. Id. Jacquemin, chasseur. Blesse d'un coup de feu a la fesse. 8e. Consigny, caporal. Blesse d'un coup de feu au flanc gauche. Id. Tulpin, caporal. Blesse d'un coup de feu au bras droit. Id. Dorez, chasseur. Blesse d'un coup de feu a la joue gauche. Id. Bay, chasseur. Blesse d'un coup de feu a la fesse droite. Id. Charmier, chasseur. Blesse d'un coup de feu a l'abdomen. Id. Leroux, chasseur. Blesse d'un coup de feu a la jambe droite. Au bivouac, le 25 octobre, 1849. Le capitaine commandant le bataillon, DE GOLDBERG. 2e regiment de la Legion etrangere. _ETAT nominatif des hommes tues ou blesses le 25 octobre 1849._ DESIGNATION | NOMS | GRADES | OBSERVATIONS des compagnies | | | ---------------------------------------------------------------------- Grenadiers du | Nyko, | capitaine. | Blesse d'un coup de 3e bataillon. | | | feu et d'un coup de | | | pierre. | | | 3e du 1er | Smitters, | sergeant. | Tue d'un coup de feu bataillon. | | | au coeur. | | | Grenadiers du | Vigneur, | caporal. | Blesse d'un coup de 3e bataillon. | | | feu. | | | Idem. | Oehme, | grenadier. | Tue d'un coup de feu | | | a la tete. | | | Idem. | Martin, | grenadier. | Blesse d'un coup de | | | feu. | | | Idem. | Schildwaeser, | grenadier. | Idem. | | | Idem. | Vraiden, | grenadier. | Idem. | | | Idem. | Selinger, | grenadier. | Idem. | | | 1re du 3e | Got, | sergent-major. | Idem. bataillon. | | | | | | 2e du 3e | Vialet, | sergent. | Idem. bataillon. | | | | | | Idem. | Pensa, | fusilier. | Idem. Au bivouac sous Zaatcha, le 25 octobre 1849. Le chef de bataillon hors cadre, commandant temporaire du 5e bataillon, P.-N. BONAPARTE. N deg. 4.--Rapport du commandant Bonaparte. Au camp devant Zaatcha, 25 octobre 1849. _Deuxieme regiment de la Legion etrangere._ Mon colonel, Charge du commandement de deux cents hommes de la Legion, et de deux cents du 5e d'infanterie legere d'Afrique, designes pour abattre des palmiers et proteger ce travail, je me suis porte ce matin, a huit heures, vers la position qui m'avait ete indiquee par M. le general Herbillon, commandant en chef. Nous avons, en arrivant, occupe un mur faiblement crenele par les Arabes, et de la nous les avons tenus en respect, tandis que nos travailleurs abattaient avec une grande activite bon nombre de palmiers que j'evalue, au moins, a deux cent cinquante. Les Arabes finirent cependant par se concentrer au saillant forme par le mur avec le reste de notre ligne qui s'etendait jusqu'a la plaine. J'avais, a plusieurs reprises, charge le capitaine Butet, du 3e d'infanterie legere d'Afrique, de l'observation de ce point important, et il m'en avait repondu, lorsque ce brave et intelligent officier fut atteint d'un coup de feu. Un chasseur de son corps fut tue au meme instant. Les Arabes se jeterent sur le mur, limite de notre ligne, qu'ils n'ont point franchie, malgre les diverses phases du combat. Ils etaient en grand nombre. Ils nous assaillirent avec une grele de pierres qu'ils lancaient pardessus le mur, et ils finirent par se montrer audacieusement a la crete, d'ou ils firent feu de leurs fusils et de leurs pistolets. Nous les recumes a coups de fusil. Une reserve de vingt grenadiers de la Legion, sous la conduite du capitaine Nyko, vint, a ma voix, soutenir l'infanterie legere, et assurer la position meilleure, que nous occupames immediatement dans un jardin encaisse, a environ 20 metres du mur occupe d'abord, position d'ou nous n'avons cesse de tenir l'ennemi a distance. Le point d'appui de la droite de notre nouvelle ligne etait, comme vous l'avez pu voir, mon colonel, un petit mamelon ou huit a dix grenadiers de votre regiment, electrises par votre voix et l'exemple du brave sergent Smitters, heroiquement tue dans cette affaire, ont si vaillamment combattu. Je tous rendis compte de l'utilite d'un renfort qui nous permit de ne pas suspendre l'abattage des palmiers, et ce fut alors que vous fites avancer les reserves dont le concours fut si efficace. Pendant ce temps, les grenadiers postes au mamelon susdit, et l'infanterie legere d'Afrique, soutinrent, avec une rare bravoure, les attaques reiterees et acharnees des Arabes. Je ne dois pas oublier de tous dire la gratitude que nous devons a M. le commandant des zouaves qui, au plus fort de l'action, me donna, avec le lieutenant Sentupery, quinze hommes qui vinrent soutenir mes grenadiers. Tous ces braves soldats sont au-dessus de tout eloge. Je dois neanmoins vous signaler les intrepides capitaines Butet et Touchet, du 5e d'infanterie legere d'Afrique, blesses grievement tous deux, et le capitaine Nyko, des grenadiers de la Legion, atteint d'une balle et d'une pierre a la tete. Nous avons, outre le sergent Smitters, cinq morts, dont un de la Legion, et quatre de l'infanterie legere d'Afrique. Les blesses, sans compter les trois capitaines que j'ai eu l'honneur de tous signaler, sont au nombre de vingt, dont neuf appartiennent a la Legion. Je joins ici l'etat nominatif. Sur l'ordre du general, que vous m'avez transmis vous-meme, mon colonel, dans le jardin encaisse ou nous combattions, soutenus par l'energique et habile concours de M. le colonel de Barral a notre gauche, sur votre ordre, dis-je, la retraite s'est effectuee avec une grande regularite par la plaine, et elle etait accomplie a midi. Outre l'abattage des palmiers, notre operation peut etre consideree comme etant une attaque tres vive sur Lichana, et, sans pouvoir evaluer exactement le mal que nous avons fait a l'ennemi, j'estime qu'il est tres considerable et au moins decuple de celui qu'il nous a fait eprouver. Veuillez agreer, je vous prie, mon colonel, l'expression de mon respect. Le chef de bataillon temporaire du 3e bataillon du 2e regiment de la Legion etrangere, P.-N. BONAPARTE. Vu et approuve le rapport de M. le commandant P.-N. Bonaparte, qui est complet. Tranchee, le 26 octobre 1849. Le colonel faisant fonctions de general de tranchee. CARBUCCIA. No 5.--Rapport du colonel Carbuccia. Sous Zaatcha, le 25 octobre 1849. _A M. le general Herbillon, commandant la colonne expeditionnaire du Zab._ Mon general, Vous m'avez, ce matin, envoye l'ordre, a la tranchee, par M. le capitaine d'etat-major Regnault, de vous faire connaitre les dispositions prises pour assurer la coupe des palmiers pendant la journee. Je vous ai fait repondre par lui que j'avais confie a M. le commandant Pierre Bonaparte, du 2e regiment de la Legion etrangere, la mission de proceder a cette operation importante, a la tete de quatre cents hommes, dont deux cents de la Legion et deux cents du 3e bataillon d'Afrique. Ci-joint, sur les evenements importants accomplis dans cette journee, le rapport de cet officier superieur, dont je suis heureux d'avoir a vous signaler la bravoure temeraire, et le coup d'oeil militaire digne du nom qu'il porte. Atteint violemment d'un enorme pave sur la poitrine, il est reste a son poste, et il a tue de sa main deux chefs arabes, au plus fort de la melee, aux applaudissements de la ligne de tirailleurs. Lorsque M. le commandant Bonaparte m'a rendu compte des difficultes qu'il eprouvait a continuer son operation, je suis part de la tranchee a la tete d'une troupe de soutien et apres avoir recu son rapport verbal, je vous ai fait demander un bataillon de renfort. M. le commandant Bourtaki, du bataillon de tirailleurs de Constantine, est arrive sans delai; une de ses compagnies a pris part au feu de la premiere ligne; le reste a ete, sous vos yeux, place en reserve, et lorsque les Arabes ont eu abandonne leur position pour rentrer a Lichana, nous avons effectue notre retraite, qui a ete terminee a midi et effectuee avec le plus grand ordre, sans opposition de l'ennemi. Le mouvement a ete facilite par votre ordre par le feu de deux obusiers amenes sur place par M. le colonel Pariset en personne. La disposition prise par vous (en faisant cooperer la colonne de M. le colonel de Barral au mouvement de la journee) a ete des plus utiles. Les troupes, sous les ordres directs de leur chef qui ne s'est pas epargne dans cette journee et que j'ai vu partout ou il y avait du danger, ont empeche le commandant Bonaparte d'etre deborde sur sa gauche, et lui ont permis de conserver, aussi longtemps que vous l'avez voulu, des positions aussi difficiles. Pendant ce temps-la, la sape de droite, gardee dans la tranchee par une compagnie de voltigeurs du 38e, a ete vivement assaillie par un nouveau contingent arrive dans Zaatcha pendant le combat. Les voltigeurs, avec sang-froid et energie, ont attendu les Arabes a bout portant; ils en ont tue cinq et ont mis le reste en fuite. La conduite des troupes a ete admirable de devouement et d'energie, aujourd'hui comme toujours, et elle continue a leur meriter l'estime et la reconnaissance de la France et de son president. Veuillez agreer, mon general, l'hommage de mon respectueux devouement. Le colonel du 2e regiment de la Legion etrangere, commandant la subdivision de Batna, faisant fonctions de general de tranchee, Signe: CARBUCCIA. N deg. 6.--Ordre du general Herbillon. _Ordre._ M. le commandant Pierre Bonaparte, chef de bataillon hors cadre, se rendra immediatement a Alger, aupres de M. le gouverneur general, pour remplir une mission concernant l'expedition de Zaatcha. Camp de Zaatcha, le 29 octobre 1849. Le general de brigade, commandant la division de Constantine, HERBILLON. No 7.--Lettre a la Patrie. Paris, 18 novembre 1849. Monsieur le Redacteur, Les commentaires plus ou moins injustes ou malveillants que mon retour d'Afrique inspire a quelques journaux m'engagent a vous prier d'inserer ce qui suit: Sans parler des convois que j'ai escortes a travers les partis ennemis, je n'ai quitte le camp de Zaatcha, ou je suis reste huit jours, qu'apres avoir commande l'attaque du 25 octobre, et avoir ete de tranchee le 24, le 25, le 28 et le 29. Le general Herbillon ayant decide qu'on ne donnerait plus d'assaut, et qu'on attendrait des renforts pour investir la place, et la reduire par le feu de l'artillerie, l'adoption de ce plan prolongeait les operations bien au-dela du terme que, meme avant mon depart de Paris, j'avais fixe pour ma rentree a l'Assemblee nationale. Comme representant du Peuple, j'etais seul juge de l'opportunite de mon retour a mon poste, et je ne dois, a cet egard, aucun compte a personne. Les phases politiques qui viennent de s'accomplir prouvent que je n'avais pas trop mal juge de cette opportunite. Au surplus, j'avais tout lieu d'etre mecontent de la position que l'absence complete de tout ordre convenable m'avait faite en Afrique. Je n'ai d'ailleurs quitte Zaatcha qu'avec l'ordre formel du general Herbillon de me rendre aupres du gouverneur general, pour presser l'arrivee des renforts qu'il attendait, et c'est parce que je les ai rencontres en route que je suis revenu directement de Philippeville, au lieu de passer par Alger. Veuillez agreer, je vous prie, Monsieur le Redacteur, l'expression de mes sentiments affectueux et distingues. P.-N. BONAPARTE, Representant du Peuple. No 8.--Lettre du general Bertrand, et decret du President de la Republique. (_Ministere de la Guerre_.) REPUBLIQUE FRANCAISE. LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE. Paris, le 19 novembre 1849, a 9 heures du soir. Monsieur le Representant, Par ordre du Ministre de la guerre, j'ai l'honneur de vous transmettre la copie d'un decret du President de la Republique, prononcant votre radiation des cadres de l'armee; ainsi que la piece signee du general Herbillon, remise par vous au Ministre a votre arrivee a Paris. Veuillez agreer, Monsieur le Representant, l'assurance de ma haute consideration. Le general de brigade, directeur general du personnel, BERTRAND. REPUBLIQUE FRANCAISE. LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE. _Au nom du Peuple francais_, Le President de la Republique, Considerant que M. Pierre-Napoleon Bonaparte, nomme, au titre etranger, chef de bataillon dans le 1er regiment de la Legion etrangere, par arrete du 19 avril 1848, a recu, sur sa demande, un ordre de service, le 19 septembre 1849, pour se rendre en Algerie; Considerant qu'apres avoir pris part aux evenements de guerre dont la province de Constantine est en ce moment le theatre, il a recu du general commandant la division de Constantine l'ordre de se rendre aupres du gouverneur-general de l'Algerie pour remplir une mission concernant l'expedition de Zaatcha; Considerant qu'il n'a pas rempli cette mission; qu'il ne s'est pas rendu aupres du gouverneur general, mais qu'il s'est embarque a Philippeville pour revenir a Paris; Considerant qu'un officier servant en France, au titre etranger, se trouve en dehors de la legislation commune aux militaires francais, mais qu'il est tenu d'accomplir le service auquel il s'est engage; Considerant que M. Pierre-Napoleon Bonaparte, en sa dite qualite, n'etait ni le maitre de quitter son poste sans autorisation, ni le juge de l'opportunite de son retour a Paris; Sur le rapport du ministre de la guerre, Decrete: Article 1er. M. Pierre-Napoleon Bonaparte est revoque du grade et de l'emploi de chef de bataillon a la Legion etrangere. Art. 2. Le ministre de la guerre est charge de l'execution du present decret. Fait a Paris, a l'Elysee-National, le 19 novembre 1849. LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE. Le ministre de la guerre, D'HAUTPOUL N deg. 9.--Reponse au general Bertrand. Paris, 19 novembre 1849. Monsieur le general, Je recois votre lettre qui me transmet la copie d'un decret du president de la Republique prononcant, dites-vous, ma radiation des cadres de l'armee (_sic_). Je vous observerai d'abord que ne faisant pas partie de ces cadres, je ne puis en etre radie, mais seulement revoque du grade, que je ne devais, d'ailleurs, qu'au Gouvernement Provisoire de la Republique, qui me l'avait confere avant que je fusse representant du Peuple a la Constituante, et par consequent avant l'abrogation de la loi qui privait les membres de ma famille de leurs droits de citoyen. Je rappellerai que ne m'accommodant nullement, comme representant du peuple, comme neveu de l'empereur Napoleon, et comme fils de Lucien Bonaparte, de cet etat d'officier _au titre etranger_, il y a deja longtemps qu'a deux reprises differentes j'avais donne ma demission, et que ce n'est que pour ceder aux instances reiterees et pressantes du president de la Republique que je l'avais retiree. Arrive avant hier a Paris, je me suis rendu hier chez le ministre de la guerre, et je lui ai declare que si je ne donnais pas encore, definitivement, ma demission, c'etait pour ne point faire de scandale. Il parait que d'autres n'ont point ete arretes par cette consideration, et si je regrette ma bonhomie qui leur a permis de me prevenir, je ne leur en veux pas autrement, car je suis debarrasse d'une position qui n'etait ni normale, ni convenable, et que, sous aucun pretexte, je n'aurais plus gardee longtemps. Un mot maintenant du decret presidentiel: Il n'est pas vrai, et cela importe peu, que ce soit sur ma demande qu'une mission en Algerie m'a ete donnee. Elle m'a ete instamment proposee par le president de la Republique, comme le prouve la lettre qu'il me faisait ecrire par M. Ferdinand Barrot dans les Ardennes, ou j'avais ete passer le temps de prorogation de l'Assemblee. En second lieu, il n'est pas vrai que je me sois engage a remplir un service, dont la duree aurait pu etre fixee par le gouvernement. Ma mission qui, d'apres la loi electorale organique, n'aurait pu, en tous cas, durer plus de six mois, etait temporaire, indeterminee, gratuite et dependante de ma volonte. On concevrait meme difficilement qu'il eut pu en etre autrement. D'un autre cote, mon grade de chef de bataillon au titre etranger ne me depouillait pas apparemment de mon caractere de membre du pouvoir legislatif; et quoi qu'en dise le president de la Republique, dont les decrets, grace a Dieu, n'ont pas encore force de loi, j'etais parfaitement le maitre de revenir, sans l'autorisation de personne, sieger a mon poste le plus important, a l'Assemblee nationale, et j'etais seul juge de l'opportunite de mon retour. Du reste, le but de la mission que m'avait donnee le general Herbillon etait rempli, du moment que les renforts qu'il attendait, et que j'avais rencontres en marche, etaient assures. Enfin, si nos gouvernants avaient nos lois organiques un peu plus presentes a l'esprit, ils sauraient que tout officier, representant du Peuple, est en non-activite hors cadre, et que la revocation qu'ils decretent ne peut porter que sur le grade, et non sur l'emploi, puisque je n'en ai pas. Agreez, Monsieur le general, l'assurance de ma parfaite consideration. PIERRE-NAPOLEON BONAPARTE, Representant du Peuple. N deg. 10.--Extrait du compte-rendu de la seance de l'Assemblee legislative de 22 novembre 1849, d'apres le _Moniteur_. _Interpellations de M. Pierre Bonaparte._ _M. le President._--M. Pierre Bonaparte demande l'autorisation d'adresser des interpellations a M. le ministre de la guerre, sur un decret qui a paru dans le _Moniteur_, et qui revoque M. Pierre Bonaparte du grade militaire qui lui avait ete confere par le Gouvernement provisoire. Je demande a M. le ministre de la guerre a quel jour il veut que les interpellations soient fixees. _M. le general d'Hautpoul, ministre de la guerre._--Je suis pret a repondre a l'instant. _M. le President._--L'Assemblee veut-elle entendre immediatement les interpellations? _De toutes parts._--Oui! oui! _M. le President._--La parole est a M. Pierre Bonaparte. _M. Pierre Bonaparte._--Citoyens representants du Peuple, je n'ai que quelques mots a dire sur la question que ce decret souleve en general, et sur ce qui me regarde en particulier, si l'Assemblee veut bien m'entendre. En principe, je soutiens avec une profonde conviction et avec indignation, quand je pense qu'on ose soutenir le contraire _dans cette enceinte_, qu'un membre du pouvoir legislatif, quelle que soit la mission temporaire qui ait pu lui etre confiee, en vertu de l'article 85 de la loi electorale organique, ne peut etre retenu malgre lui loin du sanctuaire national, ou s'accomplit son mandat. (Mouvements divers.) Jaloux de vos droits, qui sont ceux du pays, il importe que vous fassiez intervenir a cet egard une decision souveraine qui reprime les outrecuidantes pretentions d'un gouvernement trop dispose a faire bon marche du grand caractere dont les representants du peuple francais sont revetus. J'aurai l'honneur, dans ce but, de vous proposer un ordre du jour motive, a la fin de la discussion. Passant a ce qui me regarde, l'exercice du droit imprescriptible que je viens de dire m'a paru d'autant plus opportun que, dans ma conviction, nos institutions republicaines, auxquelles je suis voue corps et ame, sont sur le point de courir des dangers (Mouvement.) Je desire, citoyens representants, qu'on ne se meprenne pas sur la portee de mes paroles. L'indigne maniere dont j'ai ete traite, l'injustice et l'ingratitude dont j'ai a me plaindre, ont pu modifier mes sentiments envers mon parent, Louis-Napoleon Bonaparte, mais non envers le president de la Republique. Tant qu'il saura maintenir la constitution, ou que la majorite de l'Assemblee declarera qu'il l'a maintenue, je le soutiendrai vigoureusement, tout en conservant, bien entendu, ma liberte d'appreciation parlementaire. Mais c'est de ses conseillers, ministres ou autres, de ses familiers surtout que je me defie. Leur persistance a eloigner tout ce qui naturellement etait interesse a l'eclat du drapeau populaire releve le 10 decembre suffit pour justifier mes defiances. A mon cousin et collegue, Napoleon Bonaparte, comme a moi, ils ont fait donner une mission, dont ils se sont ensuite subrepticement efforces de rendre l'accomplissement impossible. _Et si vous exigez que je vous nomme celui a qui l'on doit attribuer principalement tout ce que le president fait de deplorable, je le nommerai._ _De toutes parts._--Oui! oui! Nommez! _M. Pierre Bonaparte._--Eh bien! c'est M. Fialin, _dit_ de Persigny! _M. le President._--J'arrete ici l'orateur en lui rappelant qu'aux termes de l'article 79 du reglement, les interpellations de representant a representant sont interdites. Il a demande l'autorisation d'interpeller le ministre de la guerre sur un acte qu'il a determine, et sur lequel il demande des explications; je l'invite a se renfermer dans les termes de ses interpellations; il ne peut interpeller un representant, le reglement est formel. _M. Pierre Bonaparte._--Je m'y renfermerai, monsieur le president; mais je prends la liberte de vous faire observer que ce n'est pas une interpellation, mais une designation. _M. le President._--C'est une veritable interpellation. _M. Pierre Bonaparte._--C'est une designation. Au point de vue militaire, et abstraction faite de ma qualite de membre de cette Assemblee, on dirait vraiment que l'acharnement des partis se plait a denaturer les choses les plus simples. Du camp de Zaatcha a Philippeville il y a onze etapes. Je suis parti de Zaatcha, escortant un convoi, et avec l'ordre, que voici, du general Herbillon de me rendre a Alger. La seule partie de cet ordre que je n'ai point executee, c'est la traversee de Philippeville a Alger. Apparemment, elle n'offrait aucun danger, et, par consequent, il ne pouvait y avoir aucun merite a la faire, puisque le but de ma mission aupres du gouverneur general etait rempli par l'envoi des renforts que j'avais rencontres en marche. D'Alger, en tout cas, je fusse revenu en France. Le general Herbillon le savait. Le president de la Republique et le Gouvernement savent parfaitement aussi qu'a part mon droit de representant, que je n'ai jamais aliene et que je n'alienerai jamais, il etait convenu, lorsque j'ai quitte Paris, que je reviendrais d'Afrique quand je le jugerais convenable, et sans qu'ils pussent y trouver a redire. (Rumeurs.) Sans cela, il est evident que je ne serais pas parti, puisque j'aurais sacrifie l'independance de mon mandat, a laquelle je tiens par-dessus tout. Je termine en demandant a M. le ministre de la guerre comment il se fait qu'a mon arrivee a Paris, lorsque, sur sa demande (car je ne m'y croyais nullement oblige), je lui ai communique l'ordre du general Herbillon, prescrivant mon depart de Zaatcha pour Philippeville et Alger, il avait repete a satiete que, sous le rapport militaire, les renforts etant assures, il me trouvait parfaitement en regle? Vous m'avez dit, monsieur le ministre, que j'etais parfaitement en regle. Si je ne me trompe, l'opinion du gouverneur general de l'Algerie etait exprimee d'une maniere analogue dans une depeche que M. le ministre de la guerre doit avoir entre les mains. Et comment se fait-il alors qu'il ait appose son contre-seing a la revocation qui a paru au _Moniteur!_ Ou M. le ministre de la guerre a change d'avis a mon egard avec une etrange soudainete, ou il a valide une mesure qu'il savait etre une injustice, une indignite, et qui, a part l'effet moral, me touche fort peu, car je ne tenais nullement a ma qualite d'officier au _titre etranger_. Vous comprendrez, citoyens representants, le sentiment qui m'a fait entrer dans ces developpements, bien que, au point de vue du droit, ils soient tout a fait superflus. Le principe qui domine tout le reste, c'est celui de l'independance de notre caractere. Il est bon, en tout cas, que les droits de ceux d'entre nous qui sont ou qui seraient, a l'avenir, envoyes en mission, soient fixes; et c'est pour cela que j'aurai l'honneur, apres la discussion, de presenter a l'Assemblee un ordre du jour motive. _M. le President._--La parole est a M. le ministre de la guerre. _M. d'Hautpoul, ministre de la guerre._--Messieurs, l'interpellation qui m'est faite a deux caracteres bien distincts; je les traiterai l'un apres l'autre. Il s'agit d'abord de savoir si un membre de cette Assemblee, qui a demande ou accepte un mandat, soit dans l'ordre militaire, soit dans l'ordre diplomatique (ce sont ordinairement les missions qui sont le plus communement confiees aux representants), et qui a accepte dans toute leur teneur les instructions qui lui ont ete donnees librement, volontairement, et souvent apres sollicitations, il s'agit de savoir, dis-je, si, une fois rendu a son poste, il est libre d'oublier ce meme mandat, ce meme engagement; s'il est juge, juge souverain, d'apres la theorie de l'honorable preopinant, de l'opportunite de son retour. Eh bien! je commence par declarer que non. (Tres bien! tres bien!) Le Gouvernement seul a ete juge du merite du mandat; celui qui l'a accepte en est convenu par le fait seul de l'acceptation; une fois rendu a son poste, il doit consulter ses instructions; s'il est militaire, il doit se renfermer dans l'obeissance due a ses chefs militaires; il n'est plus, la, representant du Peuple. (Marques d'assentiment.) _M. Pierre Bonaparte._--Alors, pourquoi m'avez-vous trouve en regle? _M. le President._--Monsieur Pierre Bonaparte, n'interrompez pas! On vous a ecoute; laissez M. le ministre vous repondre. _M. le Ministre._--Je le repete, il n'est plus, la, le representant du Peuple; il est impossible de trouver une analogie entre le representant du Peuple, ayant mission de la convention du Gouvernement, en se placant au-dessus de toutes les positions dans les armees, et ce qui se passe aujourd'hui. Quelques journaux ont voulu la rencontrer; ils sont tombes dans une erreur complete. Je ne pense pas qu'il y ait ici un seul membre qui partage une pareille doctrine. (Non! non!--Approbation.) Du reste, l'Assemblee legislative, dans l'espece qui nous occupe, n'avait donne aucun mandat a M. Pierre Bonaparte. Le mandat emane essentiellement du Gouvernement, de l'initiative du Pouvoir executif. Ainsi, laissons de cote le caractere de representant, qui ne doit pas occuper l'Assemblee. (Tres bien!) Voila ma reponse a la premiere partie de la discussion. (Marques prolongees d'approbation.) Maintenant, en abordant les faits particuliers, que s'est-il passe? M. Pierre Bonaparte est chef de bataillon a la Legion etrangere, au titre etranger; et remarquez, messieurs, que ce titre n'a rien de blessant. M. Pierre Bonaparte ne peut pas etre chef de bataillon a d'autre titre, car la loi de 1834, sur l'etat des officiers, nous est connue; c'est le Code militaire, un code qu'on ne peut pas enfreindre, que j'ai appele; dans une autre circonstance, l'arche sainte. D'apres cette loi, quand on n'a pas suivi la hierarchie, quand on n'appartient pas a l'armee avec le grade de capitaine, et quand on ne remplit pas les conditions voulues pour l'avancement, conditions qui consistent dans un fait de guerre sur le champ de bataille ou dans une proposition reguliere de candidature sur le tableau d'avancement, on ne peut pas devenir chef de bataillon. M. Pierre Bonaparte n'etait ni dans l'une ni dans l'autre de ces conditions. On lui a confere, c'est le Gouvernement provisoire, je crois, on lui a confere le titre de chef de bataillon dans la Legion etrangere, a titre etranger; lui, n'est pas etranger, mais son titre est etranger; c'est ce qu'il faut bien distinguer. (Tres bien! tres bien!) Voila en quoi M. Pierre Bonaparte ne peut pas etre blesse: il est Francais et bon Francais, c'est un hommage que je lui remis; mais son titre dans la Legion etrangere est titre etranger. Il faut bien faire attention a cette distinction. (Tres bien! tres bien!) M. Pierre Bonaparte part de Paris avec une mission pour l'Algerie. Cette mission disait qu'a son arrivee a Alger il serait a la disposition du gouverneur general. Que fait le gouverneur general? Il se rappelle le nom de Bonaparte, et il donne a M. Pierre Bonaparte le poste d'honneur, le poste le plus perilleux; c'est la qu'un Bonaparte doit etre heureux de se trouver; c'est le meilleur de tous les postes. (Marques unanimes d'approbation.) _M. Pierre Bonaparte_.--Je vous prie de croire que je n'ai pas boude. _M. le Ministre._--Je dis cette phrase a dessein. Dans la lettre que M. Pierre Bonaparte a cru devoir publier, il s'est plaint qu'on lui avait fait une condition qui n'etait pas convenable; c'est a cela que reponds. Je n'accuse en rien, Dieu m'en preserve, la bravoure de M. Pierre Bonaparte; je le crois aussi brave que tous nos soldats. Mais il ne s'agit pas de cela; il s'agit d'une expression que je crois devoir relever, et je declare que le poste qu'on a donne a M. Pierre Bonaparte etait un poste de choix, de faveur, qu'il devait en etre content, puisqu'on l'envoyait a l'ennemi, et que, quand on porte son nom, on doit etre enchante de se trouver dans une pareille position. (Tres bien! tres bien!) Qu'est-il arrive? M. Pierre Bonaparte a recu un commandement de son grade, on lui a donne le commandement de quatre cents hommes. Il s'est avance en tirailleur sur l'ennemi: je ne juge pas le merite du mouvement, s'il etait plus ou moins rationnel, ceci est un fait purement militaire; vous me permettrez de le passer sous silence. L'engagement qui eut lieu a ete vif; la ligne des tirailleurs a du se retirer. M. Pierre Bonaparte a montre beaucoup de courage; il a ete presque apprehende au corps par un Arabe. Il l'a tue de sa main, c'etait tout naturel; on ne devait pas attendre moins d'un homme qui porte son nom. Plus tard, un bataillon de renfort est arrive; l'affaire a ete reprise; chaque troupe est restee dans sa position respective. Le lendemain, M. Pierre Bonaparte, qui la veille avait oublie qu'il etait representant, qui n'en parlait pas, le lendemain, M. Pierre Bonaparte s'en est souvenu. _M. Pierre Bonaparte._--Pas le lendemain! _M. le Ministre._--Peu importe! je n'epilogue pas sur les heures ou sur le jour. Bref, M. Bonaparte, quelque temps apres, a trouve qu'etant representant du Peuple, il devait revenir dans cette enceinte. C'est fort bien; mais il aurait du y penser avant de partir. En ce moment, il etait devant l'ennemi; il aurait du s'en souvenir. (Tres bien! tres bien!) Qu'il me permette de lui dire qu'a sa place, en presence de l'ennemi, j'aurais parfaitement oublie que j'etais representant. (Tres bien! tres bien!) _M. Pierre Bonaparte._--Je suis revenu pour affaire de service. _M. le President._--N'interrompez pas; vous repondrez! _M. le Ministre de la guerre._--M. le general Herbillon, commandant militaire de la province de Constantine et des troupes qui font le siege de Zaatcha, a donne, il est vrai, a M. Pierre Bonaparte un ordre qu'il m'a remis entre les mains. Je lui ai dit: "Cet ordre vous couvre". C'etait tout simple, et s'il ne vous avait pas couvert, savez-vous ce que j'aurais fait? Je serais venu ici; j'aurais demande a l'Assemblee l'autorisation de vous poursuivre; je vous aurais fait arreter et conduire par la gendarmerie a Constantine, et la, vous auriez ete traduit devant un conseil de guerre. (Marques generales d'approbation.) Je n'ai pas agi ainsi, parce que je ne devais pas le faire. Il ne restait aux yeux du ministre de la guerre qu'une faute, une faute grave; c'etait de ne pas avoir accompli un mandat recu. Ce mandat etait important; il disait a M. Pierre Bonaparte d'aller a Alger; pourquoi faire? C'etait une chose a peu pres inusitee qu'un officier commandant une troupe, et une troupe devant l'ennemi, en fut detache pour aller devant le gouverneur d'Alger demander des secours. Mais enfin j'accepte cette mission tout etrange qu'elle puisse paraitre. Du moins fallait-il l'accomplir. Or, que se passe-t-il? En arrivant a Philippeville, M. Pierre Bonaparte trouve des troupes qui debarquaient. C'etait une chose toute simple. En ne consultant que mon coeur de soldat, je me serais mis a la tete de ces troupes, je serais parti avec elles, et le lendemain je serais monte a l'assaut de Zaatcha. (Tres bien! tres bien!) _M. Pierre Bonaparte._--Un officier au titre etranger ne peut pas commander! D'ailleurs, il y avait des lieutenants-colonels. _M. le Ministre._--M. Pierre Bonaparte en a juge autrement. Il arrive a Philippeville; un paquebot partait pour la France: il prend passage a bord de ce paquebot; il arrive a Marseille, puis a Paris. Arrive a Paris, il se presente chez le ministre de la guerre. Je fus assez etonne de le voir: je connaissais son arrivee, du reste; je la connaissais par un rapport du prefet de police, et je devais la connaitre, parce que, dans toute hypothese, il m'importait beaucoup de savoir ou etait M. Pierre Bonaparte. M. Bonaparte se presente chez moi. Je lui demande par quel hasard il est a Paris. Il me montre son ordre. Je lui dis: Cet ordre vous couvre par rapport a Zaatcha, par rapport a l'abandon d'un poste militaire. S'il en eut ete autrement, c'eut ete un deshonneur; un Bonaparte ne peut pas se deshonorer, c'est impossible. M. Pierre Bonaparte me montre ensuite un projet de lettre contenant des doctrines que je ne pouvais pas accepter et que j'ai combattues, doctrines que vous avez entendues et qui auraient pour consequence de mettre le Gouvernement dans l'impossibilite absolue de donner quelque mandat que ce puisse etre a des membres de cette Assemblee. (Tres bien!) Nonobstant mes observations, M. Pierre Bonaparte a fait inserer dans les journaux la lettre que vous avez lue, et il l'a signee. Le Gouvernement etait mis en demeure de repondre; il l'a fait par le decret que vous connaissez. (Bruit.) Je repete ma phrase. Le Gouvernement etait mis en demeure de repondre a la lettre de M. Pierre Bonaparte; c'etait une espece de defi; le Gouvernement a repondu par le decret que vous avez vu. _M. Pierre Bonaparte._--Par depit! _M. le Ministre._--Il etait dans son droit, dans son droit absolu, et s'il ne l'avait pas fait, vous auriez eu grandement raison de l'en blamer. (Tres bien!) Je ne touche pas aux questions de famille, elles ne sont pas de ma competence. Quant aux influences du Gouvernement, je declare tres haut que M. le president de la Republique n'a pour conseillers que ses ministres; nous n'en connaissons pas d'autres, nous ne subissons l'influence de qui que ce soit. (Tres bien!) Nous venons ici franchement, loyalement, vous apporter des projets de lois, les mesures que le Gouvernement croit bonnes; nous nous inspirons des votes de la majorite de cette Assemblee; nous nous conformons a ce qu'elle decide, et nous serons toujours heureux de marcher avec elle. (Approbation vive et prolongee.) _M. le President._--La parole est a M. Pierre Bonaparte. _M. Pierre Bonaparte._--Citoyens representants, je tiens seulement a vous soumettre mon opinion sur un point du discours de M. le ministre. Il a dit que si je n'avais pas eu un ordre du general Herbillon m'envoyant de Philippeville a Alger, il aurait demande a l'Assemblee nationale l'autorisation de me poursuivre devant un conseil de guerre. Mon opinion est que, si l'Assemblee avait accorde une pareille autorisation, elle aurait abdique son droit et ses prerogatives les plus essentielles (Murmures et denegations); car, s'il plaisait, par exemple, a MM. les ministres d'eloigner de l'Assemblee un membre quelconque; si, par suite de promesses, de seductions, je ne sais quoi.... (Nouveaux murmures.) _Un membre._--On est libre d'accepter. _M. Pierre Bonaparte._--... Ils n'avaient qu'a l'envoyer en Algerie, au Senegal, n'importe ou, alors les membres dont la presence pourrait etre incommode seraient eloignes au moins pendant six mois. (Denegations.) Et notez bien une chose, c'est que, les six mois expires, si le representant n'est pas revenu a son poste, sa qualite, son caractere est perdu de droit. Je voulais seulement vous soumettre cette observation. _M. le President._--L'incident me parait vide. _M. Pierre Bonaparte._--Je propose un ordre du jour motive. _M. le President._--Voici l'ordre du jour motive que M. Pierre Bonaparte propose a l'Assemblee: "Considerant que les missions ou commandements temporaires dont les representants du Peuple peuvent etre investis, conformement a l'article 85 de la loi electorale organique, ne peuvent leur enlever leur droit d'initiative parlementaire, ni l'independance de leur caractere legislatif; "Considerant qu'il ne peut appartenir a personne d'empecher ou d'interdire, par quelque raison que ce soit, l'accomplissement de leur mandat, "L'Assemblee passe a l'ordre du jour." _M. le Ministre de la guerre._--Je demande l'ordre du jour pur et simple. _Voix nombreuses._--Non! non!--Aux voix l'ordre du jour motive! _M. le President._--On a demande l'ordre du jour pur et simple. (Non! non! On n'insiste pas!) _Nombre de voix._--L'ordre du jour motive! _M. le President._--Je mets aux voix l'ordre du jour motive presente par M. Pierre Bonaparte. (Personne ne se leve a l'epreuve; l'Assemblee presque entiere se leve a la contre-epreuve.) _M. le President._--L'Assemblee n'adopte pas l'ordre du jour motive. (Un grand nombre de membres viennent feliciter M. le ministre de la guerre.--La seance reste suspendue quelques instants; les representants descendus dans l'hemicycle se livrent a des conversations animees.) No 11.--Extrait du compte-rendu de la seance de l'Assemblee legislative du 22 decembre 1849, d'apres le _Moniteur_, et Amendement de M. Pierre Bonaparte. _Discussion du projet de loi relatif a la creation d'un quatrieme bataillon dans le 1er regiment de la Legion etrangere, pour y recevoir une partie des hommes de la garde nationale mobile de Paris._ _M. le President._--L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif a la creation d'un quatrieme bataillon dans la Legion etrangere, pour y recevoir une partie des hommes de la garde nationale mobile de Paris. Je dois d'abord consulter l'Assemblee sur l'urgence, qui est demandee par le Gouvernement et proposee par la commission. (L'urgence, mise aux voix, est declaree.) _M. le President._--M. Pierre Bonaparte a la parole sur la discussion generale. _M. Pierre Bonaparte._--Citoyens representants du Peuple, je m'associe de grand coeur aux intentions equitables que le projet du Gouvernement nous annonce en faveur des debris de notre jeune et heroique garde mobile. Mais pour savoir si la position qu'on veut faire a ceux de ces jeunes soldats qui resteront sous les drapeaux est convenable, il faut examiner celle du corps ou l'on propose de les faire entrer. Pour moi, je pense que nous devons nous refuser a assigner a des citoyens francais (qui ont bien merite de la patrie, qu'on ne l'oublie pas) une position qui, meme pour les militaires etrangers qui nous servent, n'est pas en rapport avec la justice et la generosite de notre caractere national. Aussi, je repousse le projet, si les conditions actuelles d'existence de la Legion etrangere ne sont pas modifiees. J'ai remarque que bien des personnes, meme appartenant a l'armee, sont loin de se faire une idee bien nette des differentes categories militaires qui composent ce corps. Il faut avouer que cela s'explique par l'etrangete meme de ces conditions diverses; mais si l'Assemblee le permet, je les rappellerai succinctement. Il y a d'abord, dans la Legion etrangere, des officiers comme dans les autres regiments, c'est-a-dire francais servant _au titre francais_, et jouissant, par consequent, des memes droits et des memes garanties que tous les autres officiers de l'armee. Il y a des officiers etrangers, naturalises civilement, ou non, et servant tous egalement _au titre etranger_. Il y a des officiers francais sortis du service etranger et servant au titre etranger. Il y a enfin des officiers demissionnaires du service francais, et reintegres au titre etranger. Lorsque les officiers etrangers ont ete places dans la Legion, en conformite de la loi du 9 mars 1831, leurs lettres de service etaient concues comme celles des corps francais. Ils croyaient donc n'etre soumis qu'a la condition de ne pas servir en France. Leur erreur etait bien naturelle, car les lois organiques du 11 avril 1831, 14 avril 1832, 19 mai 1834, sont muettes a leur sujet; et si l'article 3 de l'ordonnance du 5 mai 1832 les frappait (tres justement au point de vue national) d'une exclusion pour le commandement, du moins leur offrait-elle la voie de la naturalisation civile, pour rentrer dans le droit commun et obtenir la naturalisation militaire. Tel etait, en effet, le sens de l'article 3 de l'ordonnance du 5 mai 1832, abroge depuis par l'ordonnance du 18 fevrier 1844. S'il eut pu rester quelque doute dans l'esprit des officiers de la Legion a cet egard, ce doute aurait disparu devant les explications donnees par le ministre de la guerre en maintes circonstances, et devant les autorisations de permutation accordees entre des officiers etrangers naturalises servant dans la Legion et des officiers des regiments francais. J'ai eu sous les yeux: 1 deg. Une lettre du 3 decembre 1834 (posterieure ainsi a la promulgation de la loi sur l'etat des officiers), dans laquelle il est dit: "Direction du personnel et des operations militaires.... Ce n'est donc que lorsque M. de Caprez aura ete naturalise Francais qu'il sera en position de demandera permuter; mais, tant qu'il conservera la qualite d'etranger, sa reclamation a cet egard ne saurait etre accueillie. _Signe_: Miot." 2 deg. Une liste des officiers etrangers, provenant notamment des regiments suisses, qui servent maintenant dans des corps francais, et qui sont sortis de la Legion par permutation. Parmi eux figurent un lieutenant-colonel et un chef de bataillon. Cette position n'a ete changee qu'a l'organisation de la deuxieme Legion etrangere, en 1837. Depuis lors les brevets des officiers au titre etranger contiennent l'annotation suivante: _Cette nomination etant faite en vertu de la loi du 9 mars 1831 ne donne pas a M.N. les droits conferes aux officiers francais par la loi sur l'avancement et celle sur l'etat des officiers_. Puis est survenue l'ordonnance du 16 mars 1838, qui, par les articles 195 a 203, regle l'avancement, dans la Legion, pour les grades superieurs. Ces articles, dans leurs dispositions favorables a l'anciennete, ne sont pas applicables en Algerie, par suite de l'application qui est faite a l'annee de l'article 20 de la loi du 14 avril 1832. Enfin a paru l'ordonnance du 18 fevrier 1844, qui a, pour la premiere fois, decide que la naturalisation civile n'ajoute aucun droit au commandement pour les officiers etrangers, et que les officiers francais servant au titre etranger n'ont que les droits des officiers etrangers pour le commandement. Aussi, peu a peu, les officiers etrangers se sont trouves dans la position peu honorable et tres blessante: 1 deg. d'etre revocables a volonte; 2 deg. d'etre, quel que soit leur grade, sous les ordres de l'officier francais qui commande; 3 deg. d'etre prives a jamais, a un tour d'anciennete, de devenir officiers superieurs. On ne leur a conserve que les benefices de la loi du 11 avril 1831! J'ajoute qu'en campagne, lorsqu'il a du etre fait application de la decision de 1844, cette decision a ete violemment mise de cote par les generaux en chef de notre armee, comme nuisible au service de l'Etat et a la dignite de tous les officiers, etrangers ou non. Des officiers qui sont le type de l'honneur militaire ont obei a un commandant de colonne au titre etranger, bien que connaissant l'incapacite dont le frappait l'ordonnance. Quant aux officiers francais sortis du service etranger, et admis avec un grade dans la Legion, leur position est prevue et definie par l'article 197 de l'ordonnance du 16 mars 1838. Il serait juste, indispensable meme, d'ameliorer leur sort; mais, pour eviter les abus, on est d'accord, en general, que ce mode d'admission aux emplois militaires devrait etre supprime pour l'avenir. Restent les officiers demissionnaires du service francais et replaces au titre etranger. Constatons d'abord que ce n'est qu'en fraude de la loi, par suite d'une fiction, que les officiers en question ont pu etre places dans la Legion. Mais peut-on exciper de cette illegalite pour repousser leurs demandes sans examen? Non, sans doute; et leurs droits, s'ils en ont, restent intacts. Mon opinion, basee sur l'examen des lois et reglements qui regissent l'armee, me porte a defendre la position des officiers demissionnaires, et a penser que le conseil d'Etat leur serait favorable, s'ils s'adressaient a lui pour regulariser leur position actuelle. Il semble que c'est a tort que le Gouvernement a renonce aux prerogatives auxquelles n'avaient pas porte de restriction les lois de 1818 et de 1832; et que, notamment pour les officiers demissionnaires, c'est a tort qu'il n'a pas soutenu, avec la loi et le droit, qu'il etait permis au Pouvoir executif de replacer ces officiers dans les rangs de l'armee francaise. En effet, avant la loi du 1er avril 1848, la volonte du chef de l'Etat faisait d'un simple soldat un caporal ou un general. La loi de 1818 est la premiere restriction apportee a la toute-puissance du roi en fait d'avancement. C'est elle qui, en consacrant les droits de l'anciennete, a fait participer l'armee a l'edit de 1789, portant que _tous les Francais seront admissibles a tous les emplois_. La loi du 14 avril 1832 n'a pas cree un seul principe nouveau en fait d'avancement; _elle a seulement_, disait le rapporteur devant la chambre des deputes, _elargi les droits du pouvoir nouveau, en supprimant de la legislation de 1818 les prescriptions incompatibles avec le bien du service, et provenant des defiances outrees_, disait toujours le rapporteur, _que l'on avait eprouvees contre l'ancien gouvernement_. Il est tres remarquable qu'aucune de ces deux lois, la derniere surtout, n'ait pas resolu la question de legalite concernant la reintegration des officiers demissionnaires, et que, dans les discussions auxquelles elles ont donne lien dans le parlement, pas une voix ne se soit elevee pour provoquer a ce sujet une solution desirable. On concoit que la loi du 1er avril 1818 se taise a cet egard; mais, apres la controverse qui s'est elevee, a propos de cette reintegration, a la fin de 1828, il est vivement a regretter que le doute, au moins, soit encore permis. Sous l'empire de la loi de 1818, le roi croyait avoir conserve le droit de rappeler au service les officiers demissionnaires. Il resulte de la derniere decision inseree au journal militaire officiel, premier semestre 1827, page 192, qu'il n'a jamais abandonne cette prerogative. Le gouvernement de juillet s'en est servi longtemps sans opposition; puis il y a renonce _de fait_, mais en soutenant son _droit_ a cet egard. Le gouvernement de fevrier a releve des officiers soit de la retraite, soit de la reforme, soit de la demission, en consultant seulement les interets de la Republique. Il resulte de la qu'il n'existe aucune decision legislative defavorable aux officiers demissionnaires. Il est a desirer qu'elle soit rendue, car ces officiers abandonnent generalement l'armee pour suivre une carriere plus avantageuse en temps de paix, et ils ne devraient pas pouvoir reprendre leur rang, par exemple, en temps de guerre, au prejudice de leurs camarades qui ont continue a suivre les bonnes et mauvaises chances de la carriere; mais enfin des decisions royales non rapportees existent, et elles etablissent les droits des officiers demissionnaires. Les officiers demissionnaires qui servent dans la Legion m'ont communique une liste de leurs camarades qui, plus heureux qu'eux, ont obtenu de la bienveillance du Gouvernement soit d'etre reintegres directement dans un regiment francais, soit de permuter pour passer dans un de ces regiments, apres avoir ete nommes a la Legion et avant de rejoindre, soit enfin de sortir de la Legion avec un emploi dans l'etat-major des places, que les officiers servant au titre francais seuls peuvent obtenir. On m'a cite, au 2e regiment de la Legion, un fait assez curieux qui prouve que la legislation est encore indecise a ce sujet. Deux officiers demissionnaires se rencontrent chez le directeur du personnel, demandant du service. Le premier, plus favorise, est envoye dans la Legion comme officier au titre etranger. Le deuxieme, moins heureux et ayant moins de services, est envoye aussi dans la Legion, mais en qualite de sergent, sans contracter d'engagement; et, ayant ete nomme sous-lieutenant, il compte aujourd'hui au titre francais. Cependant, aux termes de la loi d'avancement, et surtout de l'article 24 de l'ordonnance du 16 mars 1838, ce dernier ne pouvait legalement etre reintegre au titre francais, meme comme sous-officier. Plusieurs officiers de la Legion, jadis demissionnaires, sont ainsi redevenus officiers au titre francais. Je ne terminerai pas sans mentionner la difficulte qui croit chaque jour, de faire faire un service actif aux vieux officiers, sous-officiers et soldats qui, apres avoir rendu des services dans la Legion, ont acquis des droits a une position sedentaire. Les modifications que j'ai eu l'honneur de vous proposer par l'amendement qui a ete distribue hier, permettraient d'avoir de l'humanite envers ces braves. Et c'est bien peu que de ne demander pour eux que de l'humanite; car en consultant la statistique au hasard, sur _soixante_ officiers polonais, par exemple, arrives a la Legion en 1832, _cinquante-quatre_ sont morts, tues a l'ennemi ou succombant aux intemperies du climat. N'est-il pas evident que la mort atteint les etrangers avant qu'ils aient rempli le temps voulu par la loi pour la retraite, et ne serait-ce pas repudier toutes nos traditions que de condamner plus longtemps a de si dures conditions ces fideles et intrepides defenseurs de notre drapeau? Quant a la garde nationale mobile que le Gouvernement propose d'incorporer dans la Legion, au titre etranger, si des modifications equitables sont apportees a l'etat des militaires servant a ce titre, elle y trouvera un champ digne de la noble et patriotique ardeur dont, au point de vue militaire, nous avons admire le brillant essor aux jours nefastes de juin. Souhaitons, en tout cas, que le nouveau triage qu'indique l'article 1er du projet ne soit point arbitraire, et surtout qu'il n'ait point pour base les opinions politiques. J'aurai l'honneur de proposer a l'Assemblee de vouloir bien renvoyer mon amendement a l'examen de le commission. _Amendement._ Articles 1, 2 et 3. Comme au projet du Gouvernement. Art. 4. Nonobstant le 5e paragraphe de l'art. 20 de la loi du 14 avril 1832, l'art. 200 de l'ordonnance du 16 mars 1838 sera applicable aux officiers etrangers, naturalises on non. Art. 5. La reforme de ces officiers pourra etre prononcee par le president de la Republique, sur la proposition du ministre de la guerre. Le 5e paragraphe de l'art. 18 de la loi du 19 ai 1834 est applicable a la Legion etrangere. Art. 6. Les officiers etrangers naturalises francais seront aptes, apres dix ans au moins de service dans la Legion, a etre naturalises militairement, par decision du pouvoir executif, rendue sur la proposition du chef de corps, faite a l'inspection generale. La naturalisation militaire fait entrer l'officier dans le droit commun, et lui confere tous les droits de l'officier francais. L'article 5 de l'ordonnance du 3 mai 1832, modifie par celle du 18 fevrier 1844, sera definitivement arrete de maniere que ce ne soit qu'a grade egal que les officiers etrangers naturalises francais soient sous les ordres des officiers francais, et qu'ils commandent, a leur tour, ces derniers a superiorite de grade. Art. 7. Les officiers francais sortis du service etranger, et actuellement pourvus d'un grade dans la Legion, sont declares aptes a etre naturalises militairement, apres dix ans au moins de services effectifs. Toutefois, l'art. 197 de l'ordonnance du 16 mars 1838 est supprime, et aucun Francais ne pourra, a l'avenir, etre admis avec un grade dans la Legion, s'il ne remplit les conditions voulues par la loi, pour l'admission aux emplois et l'avancement dans les autres corps. Art. 8. Les officiers demissionnaires du service francais, actuellement pourvus, dans la Legion, d'un grade au titre etranger, pourront: Etre reintegres directement dans un des corps francais; Ou permuter, pour passer dans un de ces corps; Ou sortir de la Legion avec un emploi dans l'etat-major des places. Toutefois, aucun officier demissionnaire ne pourra, a l'avenir, etre reintegre, a aucun titre, dans l'armee. No 12.--Autre Lettre a la Patrie. Paris, 5 janvier 1849. _A M. le redacteur de la_ Patrie. Monsieur le redacteur, Le rapport general du siege de Zaatcha a paru au _Moniteur_. M. le general Herbillon, en parlant de l'affaire du 25 octobre, dit: "Les assieges firent une sortie si vive que nous laissames entre leurs mains une caisse et des outils, et que je dus faire venir des troupes du camp pour assurer la retraite." Je ne disconviens pas que ces troupes du camp soient arrivees fort a propos. Je ne parlerai pas de mes trois pauvres capitaines, Tonchet, Butet et Nyko, blesses grievement tous trois, ni de ce que j'ai pu faire moi-meme. Mais un fait qu'il etait bon de constater, c'est que l'ordre de battre en retraite, _donne par le general Herbillon_, m'a ete transmis par mon colonel, et que, jusqu'a l'arrivee de cet ordre, j'ai tenu la position _sans reculer d'une semelle_. La colonne expeditionnaire tout entiere le sait. Agreez, etc. P.-N. BONAPARTE. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit https://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII, compressed (zipped), HTML and others. Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over the old filename and etext number. The replaced older file is renamed. VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving new filenames and etext numbers. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000, are filed in directories based on their release date. If you want to download any of these eBooks directly, rather than using the regular search system you may utilize the following addresses and just download by the etext year. For example: https://www.gutenberg.org/etext06 (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90) EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are filed in a different way. The year of a release date is no longer part of the directory path. 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