Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0002, 11 Mars 1843, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: L'Illustration, No. 0002, 11 Mars 1843 Author: Various Release Date: August 11, 2010 [EBook #33408] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'LLUSTRATION, NO. 0002, 11 MARS 1943 *** Produced by Rénald Lévesque
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chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
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Nº 2. Vol. I.--SAMEDI 11 MARS 1843. Bureaux, rue de Seine, 33.
SOMMAIRE.
BIOGRAPHIE. Hommes d'État américains. Portraits de Clay, Webster et Calhoun.-- GEOGRAPHIE. L'Algérie. Carte. Arabes irréguliers à cheval. Portrait d'Abd-el-Kader.--TRIBUNAUX. McNaughten, Montély. LES BURGRAVES. Vue de la cour criminelle de Londres. Portrait de McNaughten--HISTOIRE. Manuscrit de Napoléon: Histoire de la Corse.--THÉÂTRES. Première représentation des Burgraves. Scène principale des Burgraves. Costume de Frédéric Barberousse (Ligier), de Job (Beaurallet), d'Otbert (Geffroy), de Régina (Mademoiselle Denain), de Guanhumara (madame Mélingue).--NOUVELLE. Le curé médecin (suite et fin), par E. Legouvé--MISCELLANÉES. Société des Amis des Arts avec vignettes. Paris au crayon. Caricature, par GRANDVILLE--CORRESPONDANCE.--BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.--ANNONCES--MODES (avec vignette)--PROBLÈME D'ÉCHECS--MERCURIALES.--Rébus.
Parmi les hommes qui, de notre temps, ont exercé le plus d'influence sur les affaires publiques des États-Unis, aucun n'est plus estimé que HENRI CLAY: aucun ne peut être placé au-dessus de lui quand on parle de patriotisme, de désintéressement, d'attachement inébranlable à la justice et à la vérité: aucun n'a plus que lui hérité de ces vertus qui ont immortalisé déjà les fondateurs de l'indépendance américaine, et qui déjà, pour nos enfants, les grandissent à la hauteur de quelques-uns des plus beaux caractères de l'antiquité.
M. Clay a été l'artisan de sa propre fortune; ce n'est qu'à ses talents et à ses efforts qu'il doit la haute situation qu'il occupe. Né le 12 avril 1777, dans le comté de Hanovre, en Virginie, il perdit de bonne heure son père, qui était ecclésiastique et pauvre. Son éducation s'en ressentit: après avoir passé quelques années sur les bancs d'une petite école, il fut placé dans l'étude d'un clerc de la chancellerie, à Richmond, en Virginie. A dix-neuf ans, il se mit à l'étude du droit, et un an après il obtenait sa licence. Il alla alors s'établir à Lexington, dans le Kentucky. Ses connaissances pratiques, son éloquence, lui firent rapidement une grande réputation.
(Henri Clay.)
C'est dans la convention nommée par le Kentucky, pour établir une nouvelle constitution, que M. Clay parut pour la première fois sur la scène politique. Son premier acte fut une tentative inutile pour abolir graduellement l'esclavage des noirs dans l'État. M Clay ne s'est point découragé; il ne s'est point lassé, depuis cette époque d'élever la voix contre cette oppression inhumaine qui, avant la fin du siècle, aura cessé partout de peser sur une race malheureuse. Bientôt son expérience des affaires, les grâces de son élocution, son dévouement à la cause de la liberté, la simplicité de ses manières, le portèrent à la présidence de la législature de l'état, et il prouva, par son impartialité et par son habileté à conduire les débats, qu'il était digne de cette importante fonction. En 1805, il entra dans la Chambre des Représentants, et il en fut élu président. Quelques années après, il passa dans le Sénat, où sa réputation s'accrut encore. Il serait long d'énumérer les services qu'il rendit à son pays dans le congrès; ce serait presque raconter l'histoire des États-Unis depuis quarante ans. En 1814, il fut choisi pour représenter, avec MM. Adams et Gallatin, l'Union au congrès de Gand. Après s'être acquitté de cette mission délicate, il préféra les devoirs de sénateur à des fondions plus brillantes. Il refusa successivement l'ambassade de Russie, une mission en Angleterre, et la place de ministre de la guerre.
M. Clay a surtout attaché son nom à trois grandes mesures: l'indépendance des colonies espagnoles de l'Amérique du Sud, l'entreprise de travaux d'utilité publique par le congrès fédéral, et le développement des manufactures indigènes. Aussitôt après le Traité de Paris. M. Clay éleva la voix en faveur des colonies espagnoles, et, après de longs efforts, il décida ses concitoyens à leur prêter appui et à reconnaître leur existence comme républiques indépendantes. Canning, il est vrai, s'associa à cette politique et la fit triompher dans les conseils des monarchies européennes. Mais c'est à M Clay qu'appartient la gloire d'avoir le premier éveillé l'attention sur ces jeunes républiques. Plus tard, ministre des affaires étrangères, il ouvrit des relations avec elles, et jeta les bases d'une alliance durable entre elles et les Etats-Unis. La seconde de ces mesures intéressait seulement la république de L'Union. M. Clay en fut le premier et le plus zélé promoteur; il sut vaincre les jalousies des États particuliers, et fit résoudre cette question importante par le congrès.
Les États de l'Amérique du Nord avaient conquis leur indépendance, mais leur affranchissement de la mère patrie était loin d'être complet. Pendant toute la période du système colonial, les Américains avaient appliqué exclusivement leurs efforts à l'agriculture. Tout les y portait, et la fertilité du sol, et la législation imposée par la métropole. Mais les Etats-Unis continuaient à dépendre encore de l'Angleterre par le soin qu'ils avaient d'un marché illimité, et par la nécessité de tirer du dehors les objets manufacturés indispensables à une société civilisée. Alexandre Hamilton, à qui les États-Unis doivent tant, conçut le premier l'idée de rendre son pays indépendant de l'industrie anglaise. Il établit ce qu'on a appelé le système américain, et fit passer une législation entière qui encourageait l'établissement de fabriques de toute nature, et entravait par un tarif l'importation en Amérique de certains objets manufacturés. M Clay s'est fait le champion de cette politique seule capable en effet de fonder l'indépendance commerciale et industrielle des États-Unis. C'est lui qui a présenté et défendu dans le congrès les différents tarifs qui, depuis vingt-cinq ans, ont rendu plus difficile l'importation en Amérique des produits manufacturés des nations européennes. Il a rencontré, il est vrai, de grands obstacles, qu'il n'a pas tous pu surmonter. Les Etats du sud de l'Union, éminemment producteurs, résistent à un système qui entrave les débouchés de leurs produits exclusivement agricoles, tandis que les États du nord, dont le sol est moins riche, et qui ont élevé des manufactures, s'efforcent de compenser, par leur industrie et leurs habitudes laborieuses, les désavantages de leur situation. En général, l'Américain ne veut pas de taxe foncière, pas de contributions indirectes, mais il ne veut pas non plus, pour favoriser les manufactures indigènes être forcé de payer plus cher les objets de première nécessité, ou ceux que ses habitudes d'aisance et de bien-être lui ont rendus indispensables. Peu importe au démocrate américain d'où lui viennent ses indiennes et ses soieries, de Liverpool ou du Havre, de Boston ou de Lowell: tout ce qu'il demande, c'est de les payer bon marché. Heureusement les hommes d'État de l'Union, et il y en a, quoique l'on dise en Europe, ne partagent pas cette indifférence égoïste qui, dans l'état actuel de la constitution du pays, ne peut être que funeste à ses intérêts et à son avenir. Grâce aux efforts de M. Clay, le système américain ne rencontre plus de résistance auprès des hommes intelligents; la question du tarif est résolue, et il ne s'agit plus que de le proportionner suivant les circonstances. C'est là peut-être la plus grande gloire de M. Clay, et incontestablement le plus grand service qu'il ait rendu à son pays dans sa longue carrière publique. La postérité le considérera, après Hamilton, comme un des bienfaiteurs de la république américaine, et comme ayant achevé l'oeuvre des Washington et des Jefferson.
M. Clay est d'une taille élevée, d'une constitution robuste, bien que frêle en apparence; ses manières sont froides, mais pleines de dignité, à la fois polies et simples. Ses yeux, bleus et petits, jettent des flammes quand ils s'animent. Son front est large et élevé. Sur sa bouche, on peut lire un caractère ferme et indomptable. On a publié, en 1827, quelques-uns de ses discours. Ils sont remarquables sous tous les rapports, soit que l'on y cherche des leçons de politique, soit que l'on n'y considère que les qualités oratoires. On y distingue surtout de la précision dans les pensées et dans l'expression, de la rapidité, une logique sévère, de la concision, de l'élégance, et une sage économie d'ornements.
Deux fois M. Clay a été candidat à la présidence; deux fois il a échoué. Ses amis le portent encore cette année, et l'on dit qu'il a beaucoup de chances; nous souhaitons qu'il triomphe, car les Etats-Unis ne sauraient être gouvernés par un homme plus honnête et plus expérimenté.
Qu'il réussisse ou qu'il échoue, nous savons que M. Clay est trop sincèrement républicain pour murmurer contre le choix de ses concitoyens. Ses amis pourront déplorer que tant de vertus ne soient pas appréciées comme elles le méritent par l'opinion populaire. Quant à lui, arrivé à un âge avancé, il se consolerait, dans le repos et la tranquillité de la vie privée, de cet échec, qui ne peut en rien altérer la gloire d'une carrière consacrée tout entière à son pays et dévouée à ses intérêts. Il pourra se dire que jamais il n'a fait aucun sacrifice à l'opinion des partis, que jamais il n'a reculé devant ce qu'il regardait comme un devoir, dût-il rencontrer l'impopularité. Il a trouvé, dans son amour pour la liberté, la force de résister aux entraînements de la gloire militaire, le courage de rappeler son pays à l'esprit qui a fondé sa prospérité et sa grandeur, et par son éloquence il a contribué à sauver la république des États-Unis du despotisme du sabre. C'en est assez; la plus haute fonction de l'Etat n'ajouterait rien à une gloire aussi pure.
(Daniel Webster.)
DANIEL WEBSTER, aujourd'hui, secrétaire pour les affaires étrangères du gouvernement des États-Unis, est né le 18 janvier 1782, à Salisbury, dans le New-Hampshire, d'un père fermier qui avait porté les armes avec honneur dans la guerre de l'indépendance, et exercé pendant plusieurs années les fonctions de juge. A cette époque, Salisbury, aujourd'hui le centre d'une population nombreuse, se trouvait l'extrême frontière de la civilisation. Ce fut donc au milieu des forêts que se passèrent les premières années de M. Webster. Son éducation fut commencée par son père. En 1801, il entra au collège de Dartmouth, où il termina ses études de la manière la plus brillante. Destiné à suivre la carrière du barreau, il étudia la pratique des lois, d'abord dans sa ville natale, ensuite à Boston, où il fut reçu avocat en 1805. Après avoir pratiqué pendant deux ans dans un petit village voisin du lieu de sa naissance, M. Webster s'établit à Portsmouth, la capitale commerciale du New-Hampshire, et y acquit une grande réputation d'éloquence et d'habileté.
En 1812, la confiance de ses concitoyens lui ouvrit la carrière des affaires publiques en le nommant un des représentants de l'État du New-Hampshire, dans la chambre basse du congrès. Malgré sa jeunesse (il avait alors à peine trente ans), il se fit remarquer dès son début, et prit part à toutes les discussions importantes. Les mesures que désirait le parti qui avait fait éclater la guerre entre l'Union et la Grande-Bretagne, et qui tendaient à établir une sorte de conscription, trouvèrent en lui un adversaire intrépide, tandis qu'il appuya de tous ses efforts le projet de donner de larges développements à la marine et de fortifier les frontières du nord. La question de l'établissement d'une banque fédérale, au milieu des circonstances difficiles où se trouvaient les États-Unis après la guerre, lui fournit l'occasion de montrer que les connaissances et les talents de l'économiste et de l'homme d'État s'alliaient en lui aux plus brillantes qualités de l'orateur et à un ardent amour pour son pays et ses institutions.
En 1816, M. Webster fut obligé de se retirer de la Chambre des représentants. Sa fortune avait été en partie détruite par l'incendie qui consuma, en 1815, la ville de Portsmouth, et ses devoirs d'homme public, loin de lui permettre de réparer les pertes qu'il avait faites, l'obligeaient à des dépenses considérables. Il renonça à toute participation aux affaires publiques jusqu'à ce qu'il eut refait sa fortune, et il alla se fixer à Boston, où il a depuis toujours résidé. Durant huit ans il se livra uniquement aux devoirs de sa profession, refusant obstinément les missions politiques dont l'estime de ses nouveaux concitoyens voulait l'honorer. Ses succès dépassèrent son attente. Sa réputation d'habile légiste se répandit; des causes qui devaient avoir nécessairement, par leur importance, un grand retentissement lui furent confiées, et il s'en acquitta si bien, que bientôt il fut rangé parmi les premiers juristes de toute l'Union. Malheureusement on ne possède qu'un petit nombre de ses plaidoyers, mais ils suffisent pour montrer les qualités qui distinguent l'éloquence judiciaire de M. Webster. Une narration claire et simple, beaucoup de perspicacité, de la gravité, un accent de vérité qui parait sortir d'un coeur plein d'amour pour la justice, voilà les moyens qui ont mérité à M. Webster un ascendant irrésistible sur le jury, ascendant qui de proche en proche s'est étendu sur tous ses concitoyens.
Ce fut en 1825 qu'il rentra dans la Chambre des Représentants, et il y prit aussitôt place parmi les orateurs les plus populaires. En 1827, il fut choisi à l'unanimité pour remplir une place vacante dans le Sénat. Sur ce nouveau théâtre, sa renommée grandit encore. Les services qu'il rendit à son pays et à la Constitution sont dans la mémoire de tous, et ce n'est pas ici le lieu de raconter son plus beau triomphe, je veux parler de la victoire qu'il remporta sur les nullificateurs.
Comme homme d'État, M. Webster est digne d'être placé sur la même ligne que les Jefferson, les Hamilton et les Adams. Des vues sûres et éclairées, une prudence tempérée par une hardiesse sage et réfléchie, ont marqué tous les actes de son administration des affaires étrangères. Récemment il a négocié un traité avec la Grande-Bretagne, et les États-Unis se glorifient du rôle à la fois plein de fierté et de dignité que leur a fait jouer M. Webster. Sur tous les points en litige, la question des frontières du Maine, celle du commerce des esclaves et celle de l'extradition mutuelle des criminels, son langage a été celui qui convenait à un grand peuple, et surtout à une république qui a besoin de se faire respecter par les vieilles aristocraties de l'ancien monde. Sur tous les points, le plénipotentiaire anglais, lord Ashburton, a cédé devant la logique ferme et irrésistible du ministre américain.
Les principaux discours prononcés par M. Webster dans le congrès et dans des assemblées populaires ont été publiés il y a peu d'années, à Boston. On y a joint quelques-uns de ses plus éloquents plaidoyers. Quant à ses discours plus particulièrement politiques, ils sont considérés par les Américains comme des pages de la Constitution, tant on les trouve animés de l'esprit qui a présidé à la fondation de la liberté américaine.
M. Webster porte empreint sur son visage le caractère qu'il a déployé dans toutes les circonstances d'une vie longue, agitée et glorieuse. Ses yeux, sombres et enfoncés dans leur orbite, ont un éclat irrésistible; ses larges et épais sourcils noirs expriment l'énergie et la détermination. Tous ceux qui ont eu l'occasion de s'approcher de cet homme d'État s'accordent à louer sa modestie, ses manières à la fois pleines de simplicité et de dignité; quelques esprits sévères lui reprochent de l'indolence et de la dissipation, mais sa vie entière rend témoignage que, pour le service de son pays, il n'a été surpassé par personne en désintéressement, en activité, et que jamais il n'a sacrifié les affaires à ses plaisirs.
(John Calhoun.)
JOHN CALDWELL CALHOUN est né le 18 mars 1782, au district d'Abbeville, dans la Caroline du Sud. Sa famille est d'origine irlandaise. Etablie d'abord dans la Pennsylvanie, elle passa, en 1756, dans la Caroline du Sud, où elle eut à lutter, durant un grand nombre d'années, avec les Cherokis. Dans une surprise, la plus grande partie de la famille fut massacrée. Le père, élevé dans les forêts, était un hardi pionnier, habitué à lutter de ruse et d'audace avec les Indiens; mais, contrairement aux habitudes de cette classe de colons qui, en chassant devant elle les sauvages, les remplace souvent par des moeurs qui ne sont guère moins barbares, il avait du goût pour les lettres, et quoiqu'il eut passé toute sa vie éloigné du commerce des hommes, il s'était instruit dans la littérature anglaise. Aussi voulut-il que ses enfants reçussent une aussi bonne éducation que possible. Après avoir enseigné à John Calhoun à peu près tout ce qu'il pouvait lui apprendre, il l'envoya, vers l'âge de treize ans, à l'académie qui avait le plus de réputation dans les Etats du sud de l'Union.
M. Calhoun avait hérité des goûts de son père. Il aimait l'étude et s'y livrait avec une si grande ardeur, que sa santé en fut gravement altérée; on craignit un moment qu'il ne perdît la vue. Sa mère, alarmée, car il avait perdu son père depuis peu, le rappela dans la maison paternelle, où grâce à la force de la jeunesse et à l'éloignement de tous moyens d'étudier, il recouvra promptement la santé. Comme il ne pouvait rien être à demi, il se passionna pour tous les exercices du corps. Bientôt on le cita comme le plus intrépide et le plus aventureux chasseur de tout le pays. Mais, tandis qu'il s'était résolu à se faire fermier, son frère aîné, qui habitait Charleston, fut surpris, dans une visite qu'il fit à sa mère, des heureuses dispositions de Calhoun, et il le décida à reprendre ses études et à embrasser une carrière où il put développer les heureuses qualités dont l'avait doué la nature. M. Calhoun se rendit à ces conseils, entra dans un collége et recommença ses études à dix-huit ans. Ses progrès furent si rapides, qu'en moins de deux ans il avait réparé tout le temps perdu. Après avoir étudié la pratique des lois, il se fixa, en 1807, dans la Caroline du Sud, où il surpassa bientôt en réputation tous les légistes du pays, comme il les surpassait en talent et en habileté. Ses succès lui ouvrirent l'entrée de la législature de l'Etat, où il ne se distingua pas moins.
En 1811. la confiance de ses concitoyens l'introduisit dans la Chambre des Représentants. Sa célébrité l'y avait devancé. Il prit une grande part aux débats qui précédèrent la déclaration d'hostilités entre les Etats-Unis et l'Angleterre. On cite un discours qu'il prononça dans cette circonstance comme un des plus éloquents qui aient été prononcés dans le congrès américain. Tout d'une voix il fut porté, malgré sa jeunesse, à la tête du parti qui voulait la guerre dans la Chambre des Représentants. Dès cette époque, il se prononça vivement contre le système restrictif qu'il croyait ne convenir ni au génie du peuple américain, ni à celui du gouvernement, ni au caractère géographique du pays. Il combattit avec beaucoup de force cette politique qui, selon lui, entraînait avec elle des lois arbitraires et vexatoires.
A la fin de l'année 1817, M. Calhoun fut appelé par M. Monroe aux fonctions de ministre de la guerre. Six aimées passées dans le congrès avaient mis le sceau à sa réputation d'orateur. Pendant sept années qu'il demeura à la tête du département de la guerre, il développa les qualités solides de l'administrateur; il combla un énorme arriéré, satisfit à toutes les pensions, réduisit les dépenses au strict nécessaire. Néanmoins, il trouva le loisir de rédiger des rapports sur beaucoup de questions très-graves. C'est à lui que les Etats-Unis doivent l'admirable système de fortifications et de défense dont le général Bernard a doté le territoire de l'Union.
A l'expiration dit second terme de la présidence de M. Monroe, le nom de M. Calhoun fut placé sur la liste des candidats. Pour éviter que le hasard de l'élection ne fut abandonné au choix du congrès, i! se retira; mais il fut nommé à l'unanimité vice-président, tandis que M. Adams était élevé à la présidence. Aux élections suivantes, le général Jackson fut nommé président et M. Calhoun fut réélu vice-président. Dans cette place éminente, il remplit ses devoirs avec une impartialité et une habileté singulières. Il se trouvait dans une situation très-délicate, surtout dans les fonctions de président du Sénat. On le savait l'adversaire politique de l'administration, et chaque jour les débats lui offraient des embarras dont il savait toujours se tirer adroitement et sans compromettre sa dignité.
Nous avons dit plus haut que, dès son entrée dans la carrière politique. M. Calhoun s'était prononcé contre ce que l'on appelle le système américain. En cela, M. Calhoun partageait les sentiments de l'État où il avait vu le jour, et qui dans toutes les circonstances l'avait choisi pour son représentant dans le congrès. Le tarif établi en 1828 blessait profondément les intérêts de la Caroline du Sud; M. Calhoun se porta le champion de ses réclamations. Selon lui, cet acte violait le pacte fédéral, en portant atteinte à la souveraineté des États et à leurs droits; il était inconstitutionnel, et, comme tel, les Etats intéressés pouvaient, en vertu du droit qui leur était accordé par la Constitution fédérale, le déclarer nul et non obligatoire. Cette doctrine porte le nom de doctrine de la nullification; ses fondements reposent principalement sur les principes émis dans les résolutions de la Virginie et du Kentucky, rédigées par Madisson et par Jefferson, et considérées comme faisant partie du droit public de l'Union. Pendant plusieurs années, les opinions des deux partis, des partisans et des adversaires du tarif, furent discutées dans le congrès. Voyant qu'on ne faisait aucun droit à ses réclamations, la Caroline du Sud résolut de se servir de tous les moyens que la Constitution lui mettait entre les mains pour faire triompher la cause qu'elle représentait. Une convention fut élue par les habitants de l'État, qui, en sa qualité de représentant de la souveraineté de la Caroline du Sud, déclara les mesures restrictives inconstitutionnelles, nulles et sans valeur. Aussitôt M. Calhoun se démit de la vice-présidence, reçut une place dans le Sénat, et se présenta comme l'avocat de la cause de son État, qu'il regardait comme la cause de la liberté et de la Constitution. Sur ce théâtre, M. Calhoun développa les plus admirables qualités d'orateur. L'opinion qu'il défendait presque seul était impopulaire dans le pays, et peu s'en fallait qu'on ne la regardât comme un acte de trahison. Il y avait seize ans qu'il n'avait pas paru dans une assemblée publique, et cependant, pour lutter contre l'opinion, contre l'administration, contre l'éloquence réunie de M. Clay et de M. Webster, il trouva en lui des ressources extraordinaires. Dans cette lutte inégale, il serait difficile de prononcer lequel de M. Calhoun ou de M. de Webster l'emporta. Leurs discours sont des modèles de logique, de force, de pathétique.
Pendant quelques instants on craignit que cette lutte de parole ne se changeât en une lutte plus dangereuse. Le président des États-Unis, quoiqu'il penchât pour la Caroline du Sud, fut forcé par l'opinion publique de menacer cet État de faire exécuter par les armes la loi du congrès. De son côté la Caroline du Sud se prépara à soutenir de la même manière ses intérêts et ses opinions. Heureusement, M. Clay apaisa cette querelle par un compromis; la paix fut rétablie dans l'Union, et c'est ici que s'arrête pour nous la carrière politique de M. Calhoun. On annonce qu'il se porte comme candidat à l'élection présidentielle qui va avoir lieu prochainement.
M. Calhoun est d'une grande taille et d'une constitution robuste. Ses manières sont pleines d'aisance, de simplicité et de cordialité. Tous ceux qui l'ont connu disent qu'il est d'un commerce agréable, facile, accessible à tous, et que dans la conversation il est aussi éloquent qu'à la tribune. C'est un grand éloge, car ses discours sont très-remarquables. Malgré un style sentencieux, il excelle dans la discussion. Sa parole est forte, ardente, rapide et grave tout à la fois. On sent qu'il est pénétré de ce qu'il dit, et qu'il serait prêt à le soutenir de son sang. M. Calhoun peut, à bon droit, être considéré comme l'un des plus grands hommes d'État américains de notre temps. Sa vie privée, qui est irréprochable, ne dément pas un si beau caractère: intègre, désintéressé, de moeurs sévères et frugales, courageux, il est le digne descendant de Washington et de Jefferson, aussi bien que de Franklin.
La France entretient maintenant en Algérie une armée de quatre-vingt mille hommes; elle y dépense annuellement plus de 80 millions.
Quel but se propose-t-elle en faisant, depuis bientôt treize années, tant de laborieux efforts, tant de lourds sacrifices? quelle compensation a-t-elle le droit d'en attendre? quel dédommagement est-elle fondée à en espérer?
C'est évidemment de créer dans le nord de l'Afrique une colonie d'autant plus puissante, qu'elle est plus voisine de la métropole; ou plutôt c'est de fonder sur l'autre rive de la Méditerranée, à deux journées de distance de Marseille et de Toulon, un nouvel et durable empire sur cette terre désormais et pour toujours française, suivant l'expression du discours de la couronne, à l'ouverture des Chambres, le 27 décembre 1841.
L'Algérie est désormais française! Cette déclaration solennelle explique l'intérêt éminemment français qui s'attache à nos possessions africaines. Aussi, quand l'opinion publique s'émeut si vivement au récit des progrès de notre domination, quand elle les suit avec une avide et curieuse anxiété, n'est-ce pas seulement parce que nos soldats y continuent les traditions de valeur, de persévérance et de gloire de leurs devanciers, ni parce que notre jeune armée s'y montre l'émule des vieilles phalanges de la Révolution et de l'Empire; c'est surtout parce qu'elle comprend que, sur cette terre conquise au prix du sang des enfants de la France, il y a pour la mère-patrie des éléments certains de force et de prospérité, tout un avenir, enfin, de grandeur et de puissance nationale!
Ce sentiment instinctif est tellement enraciné dans la plupart des esprits, qu'il a survécu à toutes les incertitudes qu'amènent les phases diverses de la politique ou de la guerre, à toutes les vicissitudes inséparables du premier âge des colonies fondées les armes à la main, C'est à ce sentiment que nous nous proposons de nous associer, autant du moins qu'il dépendra de, nous, en consacrant, dans notre journal, une place spéciale à l'Algérie. Nous rappellerons, dans ces esquisses rapides, les commencements de l'occupation française, les développements qu'elle a reçus, les causes de son extension successive, les résultats obtenus jusqu'à ce jour. Nous ferons en même temps passer sous les yeux de nos lecteurs, sans en négliger un seul, les événements contemporains, politiques, militaires et civils, qui seront de nature à les intéresser, en attestant une amélioration ou un progrès dans la situation du pays. Monuments anciens et modernes, types des différentes races, Maures des villes, Arabes des plaines, Kabaïles des montagnes, moeurs, usages, costumes, ameublements, armes, vues de villes, créations de villages, travaux de ports, routes, dessèchements, établissements d'utilité publique, camps, bivouacs, combats et razzias, portraits des principaux personnages français et indigènes, de quel intérêt ne serait-il pas de voir tous ces sujets fidèlement représentés par des dessins exécutés sur les lieux mêmes? Nos lecteurs assisteraient ainsi, en quelque sorte, à la fondation de notre empire africain; ils le verraient chaque jour grandir, se développer, et jeter dans le sol des racines de plus en plus profondes.
Avant de commencer notre Revue algérienne, où les faits de guerre et de colonisation viendront hebdomadairement trouver place, il nous a semblé utile de jeter un coup d'oeil rétrospectif sur les progrès de notre conquête jusqu'à la lin de 1812. et d'accompagner la carte qui: nous publions d'une description géographique assez étendue pour permettre, à nos lecteurs de suivre avec fruit les événements dont l'Algérie est le théâtre.
PRISE D'ALGER.--La cause des hostilités outre la France et le dey d'Alger est connue. Une insulte grave, un coup d'éventail donné en audience publique, le 30 avril 1827, par Hussein-Pacha à notre consul, exigeait une réparation à laquelle le dey se refusa avec un opiniâtre entêtement. Après de longues et inutiles négociations pour obtenir une satisfaction amiable, après la nouvelle insulte de coups de canon tirés déloyalement, le 27 juillet 1829, contre un vaisseau parlementaire, la Provence, une flotte française, composée de cent navires de la marine royale et de quatre cents bâtiments de commerce, appareilla de Toulon le 25 mai 1830. à quatre heures après midi. L'armée, forte de trente-sept mille hommes et de quatre mille chevaux, débarqua le 14 juin sur la plage de Sidi-Ferruch, distante de six lieues d'Alger, et le 5 juillet elle entra dans cette capitale des corsaires barbaresques. Ainsi, en vingt-quatre jours, elle avait atteint le but de sa mission, vengé le pavillon français, détruit la piraterie, et enfin accompli les voeux que formaient, depuis trois siècles, les hommes généreux et éclairés de toutes les nations.
La province d'Oran, bornée au sud par le Petit-Atlas, qui, dans cette partie, range la mer de très-près, est étroite par rapport à sa longueur. La province de Constantine, qui s'étend sur les rives de l'Oued-Rummel et sur les bassins qu'arrose cette rivière, a beaucoup plus de profondeur que la province d'Oran, avec une longueur presque égale. La province de Titteri, comprise entre les deux premières, s'étend surtout du nord au sud sur les plateaux successifs parcourus par le Chélif et ses affluents, qui s'élèvent sur les flancs septentrionaux du Grand-Atlas. Ces trois provinces étaient soumises chacune à un bey ou lieutenant du dey.
Les limites de la province d'Alger étaient moins fixes que celles des trois autres. Le dey, qui l'administrait directement au moyen de l'agha des Arabes, en modifiait la circonscription, selon que les querelles entre les beys voisins ou l'intérêt de sa politique lui semblaient l'exiger. C'est ainsi que Blidah, qui jadis appartenait au beylik de Titteri, et la plaine de Hamza jusqu'aux Portes-de-Fer Biban, avaient été placées sous l'autorité de l'agha. Bougie même fut momentanément rattachée aux dépendances administratives du territoire d'Alger.
DIVISIONS ACTUELLES DE L'ALGÉRIE.--Par décision du ministre de la Guerre, en date des 14 novembre 1842 et 4 février 1845, les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine, forment aujourd'hui trois divisions militaires, dont les circonscriptions ont été réparties de la manière suivante:
Division d'Alger, formée de deux subdivisions.--Subdivision d'Alger: Alger, chef-lieu de la division et de la subdivision; les forts attenants; le Sahel et tout le pays compris à l'est, depuis l'Oued-Kaddara, jusqu'aux Biban Portes-de-Fer; le cercle de Cherchel; Bougie.--Subdivision de Titteri; Blidah, chef-lieu de la subdivision et centre du cercle comprenant Boufarik et Koléah; Médéah, centre du cercle comprenant le Makhzen, (proprement magasin, réserve: tribus auxiliaires, nommées, sous les Turcs, tribus de commandement, exemptes d'impôts et chargées d'assurer l'obéissance des autres tribus, dites tribus de soumission), les Goums (proprement levées, cavalerie mobile des tribus), et les tribus, Milianah, centre du cercle comprenant également le Makhzen, les Goums et les tribus.
Division d'Oran, formée de quatre subdivisions.--Subdivision d'Oran: Oran, chef-lieu de la division et de la subdivision; Arzew; Mers-el-Kébir; Misserguin; Camp du Figuier.--Subdivision de Mascara: Mascara, chef-lieu.--Subdivision de Mostaganem: Mostaganem, chef-lieu; Mazafran.--Subdivision de Tlemcen; Tlemcen, chef-lieu.
Division de Constantine, formée de trois subdivisions.--Subdivision de Constantine: Constantine, chef-lieu de la division et de la subdivision; Philippeville, centre du cercle comprenant les camps de Smendou, des Toumiettes et de el-Arrouch; Djidjeli.--Subdivision de Bône: Bône, chef-lieu; Guelma, centre du cercle comprenant le Makhzen, les Goums, les tribus: la Calle, centre du cercle comprenant les tribus qui relèvent de la Calle.--Subdivision de Sélif: Sélif, chef-lieu.
Par une autre décision du ministre de la Guerre, en date du 12 novembre 1852. les places de l'Algérie ont été classées ainsi:
Première classe.--Alger, Oran, Constantine.
Deuxième classe.--Blidah, Médéah, Milianah, Cherchel. Mostaganem, Mascara, Tlemcen, Bône, Bougie, Sélif, Djidjeli, Philippeville.
Troisième classe.--Fort-l'Empereur, Douéra, Boufarik (camp d'Erlon), Mustapha-Pacha, Koléah. Arzew, Mers-el-Kébir.
Postes militaires.--Kasbah d'Alger. Kasbah de Bône, la Calle, Guelma, Misserguin, Mazafran.
Enfin, des ordonnances royales ont pendant le cours de l'année 1842. successivement organisé comme il suit les commandements indigènes dans les territoires soumis à notre domination:
Province d'Alger:--Khalifat des Beni-Soliman. Beni-Djad, Arib et Kabaïles; aghalik de Khachna; aghalik des Beni-Menasser.--Subdivision de Titteri: Aghalik du Kéblah, du Cherk, du Tell (terres cultivées), et des Ouled-Naïl.--Subdivision De Milianah: Khalifat des Hadjouths, de Djendel et de Braz; aghaliks des Beni-Zoug-Zoug, des Ouled-Aïad, des Beni-Menasser, Cherchel et Thaza.
Province d'Oran:--Khalifat du Gharb (ouest) comprenant trois aghaliks, ceux du Ghozel, du Djebel et du Gharb; khalifat du Cherk (est), comprenant trois aghaliks, ceux du Dhahan (nord, c'est-à-dire le pays qu'on a derrière soi, lorsqu'on est tourné vers la Mecque), du Ouasth (centre); et du Kéblah (sud, c'est-à-dire le pays qu'on a devant soi, lorsqu'on regarde dans la direction de la Mecque); Khalifat du Ouasth comprenant quatre aghaliks, ceux des Beni-Chougran, des Sdama, des Hachem-Gharaba, des Hachem-Cheraga; aghalik des Beni-Amer, commandé par un bach-agha (chef agha), ayant sous ses ordres deux aghas, l'un de Beni-Amer Cheraga, l'autre des Beni-Amer-Gharaba.
Province de Constantine:--Khalifat des Haractah, Abd-el-Nour Telaghma. Zmoul. Segnia, etc.; khalifat de la Medjanah; cheïkhat des Arabes (commandement du Shara).
DESCRIPTION DE LA PROVINCE D'ALGER. Massif d'Alger, Sahel, Metidjah.--Les environs de la ville d'Alger se composent d'un terrain montagneux qui s'élève immédiatement sur la côte. C'est ce terrain qu'on nomme le Massif. Le point culminant est le Bou-Zaréah, élevé de 400 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ce massif est couvert, dans le voisinage de la ville, d'habitations agréables, et coupé de ravins et de petites vallées agréables, où des sources abondantes entretiennent la fraîcheur et une végétation active. Nos troupes y ont ouvert un grand nombre de routes.
Plus loin s'étend un plateau très-accidenté lui-même, et sillonné aussi de nombreux ravins. Cette partie du Massif prend le nom de Sahel.
Au pied des hauteurs du Sahel commence et se continue jusqu'au Petit-Atlas la plaine de la Métidjah, de 64 à 72 kilomètres de long sur 24 à 25 kilomètres de large. Bien cultivée dans la partie voisine des montagnes, et marécageuse dans la partie inférieure, son aspect est généralement découvert.
Le camp retranché de Douéra est au pied du Sahel; plus en avant vers l'Atlas, est situé celui de Boufarik, et plus loin encore celui de Blidah. à l'extrémité de la plaine.
Le versant septentrional du Petit-Atlas est couvert de taillis et de broussailles, composés, en grande partie, de chênes et de lentisques. Il est sillonné par de grandes vallées, d'où sortent les cours d'eau qui arrosent la plaine.
ORIGINE DU MOT ALGÉRIE.--Dans les premiers temps qui suivirent notre conquête, le territoire conquis conserva son ancien nom de Régence d'Alger. Plus tard cette appellation fut remplacée par celle de Possessions françaises du nord de l'Afrique, titre consacré par l'ordonnance royale du 22 juillet 1834, qui, en plaçant le pays sous le régime des ordonnances, en a réglé le commandement général et la haute administration. Enfin, dans le discours d'ouverture des Chambres, le 18 décembre 1837, l'ancienne Régence d'Alger reçut pour la première fois la dénomination officielle d'Algérie. Ce nom, qu'elle a gardé depuis, lui avait été donné, des 1834, dans un écrit publié à Paris par le comte de Beaumont Brivazac, sous ce titre: «De l'Algérie et de sa colonisation.»
DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE DE L'ALGÉRIE.--L'Algérie, ancienne Régence d'Alger s'étend de l'est à l'ouest sur la côte septentrionale du continent de l'Afrique. Elle est bornée au nord par la Méditerranée, à l'est par les États de Tunis, à l'ouest par l'empire de Maroc, et au sud par le désert de Shara vaste plaine sans plantation. Elle offre une étendue d'environ 900 kilomètres sur les côtes, et s'avance de 200 à 250 kilomètres dans l'intérieur des terres.
ANCIENNE DIVISION DE L'ALGÉRIE.--Notre conquête de l'Algérie nous a rendus maîtres d'un territoire qui répond aux trois provinces romaines appelées Numidie, Mauritanie Sicilienne et Mauritanie Césarienne, dont les chefs-lieux respectifs. Cirla. Silifis, Césarée, sont représentés aujourd'hui par Constantine, Sélif et Cherchel.
ANCIENNE DIVISION DE L'ALGÉRIE.--L'Algérie, sous la domination turque, était divisée en quatre provinces: 1° la province d'Alger; 2º la province d'Oran, ou de l'ouest; 3º la province de Constantine ou de l'est; 4º la province de Titteri, ou du sud.
La configuration générale du terrain n'avait pas été sans influence sur la composition de ces provinces.
Rivières.--Les principaux cours d'eau qui traversent le territoire d'Alger sont: l'Oued-Djer, la Chiffa, le Mazafran, l'Oued-Boufarik, l'Oued-el-Kerma, l'Arrach, le Hamise et l'Oued-Kaddara.
Villes.--Les villes les plus importantes de la province d'Alger sont, après la capitale, à laquelle nous consacrerons un article spécial. Blidah. Boufarik. Dellys. Koléah.
Blidah.--L'armée française a pris possession du territoire de Blidah le 3 mai 1838. Un camp, dit camp supérieur, a été d'abord établi entre cette ville et la Chiffa sur une position qui domine la plaine de la Metidjah, jusqu'au confluent de cette rivière et de l'Oued-el-Kébir. Ce camp découvre au loin le pays des Hadjouths, et de tous les points du terrain qu'il embrasse, on aperçoit la position de Koléah, avec laquelle il a été mis en communication au moyen d'une route et d'une ligne télégraphique. Un second camp, dit Camp inférieur, a été établi dans une position intermédiaire, à l'est de la ville. Blidah était alors interdite aux Européens; mais à la reprise des hostilités, en 1839, elle fut définitivement occupée. Elle est située à l'entrée d'une vallée très-profonde, au pied du Petit-Allas. Des eaux abondantes y alimentent de nombreuses fontaines et arrosent les jardins et les bosquets d'orangers qui l'environnent de tous côtés. La ville est assez régulièrement percée, et ses rues sont moins étroites que celles d'Alger. Un tremblement de terre renversa, le 2 mais 1825, une grande partie des édifices les plus élevés; ainsi les maisons construites depuis ce désastre n'ont-elles plus, en général, qu'un rez-de-chaussée. La position assez saine de Blidah, à cent mètres au-dessus de Mazafran, à cent quatre-vingt-cinq mètres au-dessus de la mer, fait de cette ville le poste principal qui devra surveiller la plaine, maintenir les tribus voisines, et servir d'entrepôt d'approvisionnements pour les colonnes chargées d'opérer sur Médéah et Milianah.
Boufarik, le premier poste que nous ayons jetée dans la Metidjah, est destiné à devenir le centre de nos établissements dans la plaine. Occupant la place d'un marche autrefois renommé et très-considérable, il avait continué, avant les hostilités, à être un lieu d'échange avec les Arabes. La garnison loge dans un réduit en saillie, dit Camp d'Erlon, où sont renfermés tous les établissements militaires. C'est à Boufarik qu'on récolte une partie des foins de la plaine; les pâturages y sont fort beaux: mais cette localité est malsaine et le sera longtemps encore.
Dellys, que nous n'occupons pas, est adossée é une montagne qui a tout au plus quatre cents mètres de hauteur. Ses maisons sont bâties en pierre et recouvertes de tuiles. On y trouve beaucoup de restes d'antiquités et d'anciennes murailles. Les habitants font un commerce suivi avec Alger, où ils apportent tous leurs produits agricoles.
Koléah, située sur le revers méridional des collines du Sahel, a été occupée le 29 mars 1858. A côté et à l'ouest de la ville, un camp a été sur-le-champ établi comme une sentinelle avancée, observant les débouchés des sentiers au sortir de la plaine et surveillant le rivage de la mer. Les eaux sourdent de toutes parts, abondantes et pures, dans le petit vallon de Koléah; elles sont distribuées avec art pour arroser de magnifiques vergers d'orangers, de citronniers, de grenadiers.
PROVINCE DE TITTERI.--Cette province était comme celles d'Oran et de Constantine, administrée par un bey (gouverneur) nommé par le dey, et révocable à sa volonté. Les principales villes de cette province sont Cherchel. Médéah. Milianah et Tenès. Cherchel, ville maritime, à 72 kilomètres, à l'ouest d'Alger, l'ancienne Julia Caesarea des Romains, n'occupe aujourd'hui qu'une très-petite partie de l'enceinte encore visible tracée par ces conquérants. L'existence de Julia Caesarea sur l'emplacement de Cherchel a été prouvée par plusieurs inscriptions trouvées sur place. Les traces de la ville romaine sont les restes de ses remparts, les ruines d'un amphithéâtre et de nombreux pans de murs et de débris d'édifices. La magnificence de ces ruines et de celles que l'on voit dans les environs atteste que les Romains avaient fait de Julia Caesarea le principal siége de leur puissance dans cette contrée. La possession de Césarée leur ouvrait l'accès des plaines et des vallées situées entre le Chélif et le Mazafran. C'est par là qu'ils pénétraient sans peine jusqu'à Médéah et Milianah. Le 16 mars 1840. l'armée française a pris possession de Cherchel, abandonnée par ses habitants.
Arabes irréguliers.
Médéah, capitale de la province de Titteri, à environ 96 kilomètres d'Alger, et à une journée de marche de Blidah, est bâtie en amphithéâtre sur un plateau incliné, au delà de la première chaîne de l'Atlas, que l'on traverse par un chemin très-difficile. Le point culminant, à l'ouest, se trouve dominé par une espèce de fort ou kasbah. Les maisons de Médéah ressemblent beaucoup, par leur construction, à celles du Languedoc, et ont, comme elles, des toits recouverts en tuiles. Les rues sont, en général, plus régulières et plus larges que celles d'Alger. Les habitants sont d'une taille élevée, forts et bien constitués. Dans le pays qui comprend l'ensemble des plateaux de Médéah, les habitants de la campagne n'ont pour demeure que des baraques en paille, joncs et branches d'arbres.
Médéah fut une forteresse romaine, occupant la partie supérieure du mamelon sur lequel la ville est située: elle s'arrêtait à moitié pente vers le sud: des traces de ses anciens remparts existent encore. Depuis, habitée par les diverses races qui se sont successivement remplacées en Afrique, elle s'est accrue en gagnant vers le sud jusqu'au pied même du mamelon: c'est ainsi qu'ont pris naissance la haute-ville et la basse-ville, longtemps séparées l'une de l'autre par une coupure et par une porte. Les Romains avaient une grande route qui joignait Médéah à Milianah. Médéah se trouve à peu près à 1,100 mètres au-dessus du niveau de la mer. En été, les chaleurs y sont grandes mais en hiver, il y fait très-froid. Des vignes, en grand nombre forment la principale culture et produisent un raisin excellent. Médéah, dans sa partie basse, renferme une fontaine très-abondante, d'une bonne, eau et présentant des traces de travaux antiques La ville-haute, l'ancienne forteresse romaine, n'offre aucune source: elle a seulement, dans sa portion déclive, deux puits extrêmement profonds. Pour parer à cet inconvénient si dangereux, les Romains avaient relié à leur citadelle par un chemin incline, couvert par un rempart et par des tours descendant le long de l'escarpement ouest, une magnifique source sortant avec une force extrême de dessous le rocher qui supporte la ville-haute elle-même.
Sidi Ahmed-ben-Youssef, marabout très-vénéré de Milianah, qui a laissé, sur toutes les villes de la Régence, des sentences qui sont devenues des dictons populaires, a dit, en parlant de Médéah: «Médéah, ville d'abondance; si le mal y entre le matin, il en sort le soir.»
Médéah a été occupée quatre fois par les troupes françaises: le 22 novembre 1830, par le général Clauzel; le 29 juin 1831, par le général Berthezene; le 4 avril 1836, par le général Desmichels, sous les ordres du maréchal Clauzel; enfin, et d'une manière définitive, le 17 mai 1840. par le maréchal Valée. Tous ses habitants l'avaient évacuée. Les hostilités de 1839 avaient démontré que, tant qu'on laisserait les Arabes libres dans l'Atlas, ils s'y organiseraient de façon à arriver en force et à l'improviste sur nos établissements de la Métidjah, et pourraient, par suite, nous inquiéter constamment. La garde de la Métidjah étant donc sur les hauteurs de l'Atlas, l'occupation permanente de Médéah fut résolue et effectuée dans ce but. Cette occupation a donné, en outre, à la France, une place qui coupe par le milieu les provinces orientales et occidentales de l'espèce d'empire créé par Abd-el-Kader; elle a porté un rude coup à l'influence du jeune sultan sur les Arabes soumis à sa domination. Médéah sera plus tard la station destinée à assurer les communications et le commerce entre le désert de Sahra et Alger.
Abd-el-Kader.
Milianah a été occupée, le S juin 1840 par l'armée française, qui la trouva livrée aux flammes et abandonnée par ses habitants. La prise de possession de Médéah rendait nécessaire celle de Milianah, qui, par sa position, est la clef de l'intérieur des terres, et qui ouvre l'accès des riches plaines et des fécondes vallées situées entre le Chélif et le Mazafran. Cette petite ville, à 108 kilomètres environ d'Alger et à 60 de Blidah, est située dans une montagne de l'Atlas, sur le versant méridional du Zakkar, à 900 mètres au-dessus du niveau de la mer. Suspendue en quelque sorte au penchant de la montagne, elle est bâtie sur le flanc d'un rocher dont elle borde les crêtes. Sous la domination romaine, Milianah, l'antique Miniana par sa position centrale au milieu d'une riche contrée, devint un foyer de civilisation, une florissante cité, résidence d'une foule de familles de Rome. On y retrouve encore aujourd'hui des traces non équivoques de la domination romaine; un grand nombre de blocs en marbre grisâtre, couverts d'inscriptions, et quelques-uns de figures ou de symboles. Un de ces blocs offre sur ses faces une urne et un cercle; un second représente un homme à cheval, ayant une épée dans une main et un rameau dans l'autre; deux autres portent chacun deux bustes romains d'inégale grandeur. Les maisons de Milianah, toutes composées d'un rez-de-chaussée et d'un étage, sont construites en pisé fortement blanchi à la chaux et renforcé habituellement par des portions en briques; elles sont couvertes en tuiles. Presque toutes renferment des galeries intérieures et quadrilatérales, de forme irrégulière, soutenues assez souvent par des colonnades en pierre et à ogives surbaissées. La ville renferme vingt-cinq mosquées, dont huit sont assez vastes. Comme celles de toutes les villes arabes, ses rues sont étroites et tortueuses; mais des eaux abondantes alimentent, par une multitude de tuyaux souterrains, les fontaines publiques et celles des maisons, pourvues d'ailleurs de plantations d'orangers, citronniers et grenadiers. La garnison a construit de grandes places et percé deux larges rues aboutissant, l'une à la porte Zakkar, l'autre à celle du Chélif. Elle a cherché à tirer parti des richesses naturelles du sol: c'est ainsi qu'elle a établi un four à chaux et une charbonnière, une suiferie, une poterie qui, en peu de temps, a fourni tous les Ustensiles de cuisine et autres dont la ville manquait; une tannerie; enfin une grande usine avec manège, distillateur, réfrigérant, pressoir à vis, etc... où l'on a fabriqué de la bière, du cidre et de l'eau-de-vie de grain. Toutes ces tentatives, qui ont eu le double avantage d'utiliser les loisirs des troupes et d'augmenter leur bien-être, prouvent de quelle importance peut devenir Milianah, envisagée seulement au point de vue industriel.
Tenès est une chétive et sale ville qui, avant Barberousse, a cependant été la capitale d'un petit royaume indépendant. Située au bord de la mer, elle faisait jadis un commerce de blé assez considérable. Une colonne française l'a visitée le 27 décembre 1842; mais elle s'est hâtée de s'éloigner de cette misérable bourgade, qui ne présentait aucune ressource pour le logement et l'approvisionnement des troupes, et est entourée de montagnes stériles. Voici ce que Sidi-Ahmed-ben-Youssef a dit en parlant de Tenès:
Tenès,
Ville bâtie sur du cuivre,
Son eau est du sang,
Son air est du poison;
Certes, Ben-Jousse ne voudrait pas passer une seule nuit dans ses murs.
Ces lignes riment en arabe.
Procès de McNaughten.--Cour criminelle centrale de
Londres.
L'attentat mystérieux de McNaughten est expliqué maintenant. Les débats qui viennent d'avoir lieu devant la cour criminelle centrale de Londres audiences des 3 et 4 mars ont prouvé jusqu'à l'évidence que l'assassin de M. Drummond ne jouissait pas, au moment où il a commis son crime, de l'usage complet de sa raison. Fils d'un honnête tourneur, tourneur lui-même, McNaughten avait mené, jusqu'à ce jour, une conduite exemplaire. Ses amis remarquaient seulement qu'il devenait de plus en plus froid et taciturne; quelquefois aussi il se plaignait de violents maux de tête. Il y a un an environ, il se persuada qu'il était persécuté par des ennemis qui en voulaient à ses jours. Il s'en plaignit vainement à son père, à ses amis et à toutes les autorités de Glasgow, sa ville natale, aux shérifs, au commissaire de police, au ministre, qui sont venus à Old-Bailey le déclarer sous la foi du serment On le traita de visionnaire, de fou, et on ne l'écouta pas. Alors, il quitta Glasgow, il s'enfuit à Liverpool, à Édimbourg, à Boulogne, à Londres; mais partout ou il allait, ses ennemis le suivaient, car le voyage ne guérissait pas son imagination malade. Enfin, résolu de mettre un terme à cette persécution qui le faisait si cruellement souffrir intimement convaincu que M. Drummond était le général en chef de l'armée ennemie, il a tiré à bout portant, le 2 janvier dernier, à l'infortuné secrétaire de sir Robert Peel, un coup de pistolet chargé à balle (voir le premier numéro de l'Illustration, page 6.)
Les médecins chargés de faire un rapport sur l'état des facultés intellectuelles de l'accusé ont tous déclaré que McNaughten était atteint d'aliénation mentale.
(McNaughten.)
Le solicitor-général s'est alors empressé d'abandonner l'accusation, et le jury a rendu, sans même délibérer, un verdict d'acquittement. McNaughten sera probablement enfermé, comme Oxford, l'assassin de la reine, dans une maison de fous. Il a écouté avec l'impassibilité la plus complète ces débats, qui pouvaient avoir pour lui une issue si fatale. La réponse du jury n'a pas même paru l'émouvoir. La gravure ci-jointe le représente à la barre de la cour criminelle centrale de Londres, au moment où, après la lecture de l'acte d'accusation, il répond au greffier qu'il n'est pas coupable. Avons-nous besoin de faire remarquer à nos lecteurs Français les différences matérielles qui distinguent la cour criminelle centrale de Londres de nos cours d'assises? Au fond, sur le bench (le banc, ou le siège des juges), sont assis le président de la cour, ses deux assesseurs et d'autres magistrats inférieurs, le lord maire, les shérifs, les aldermen. En face du bench est la barre (en anglais, bar), petite tribune communiquant par un escalier dérobé avec la prison de Newgate; la table des counsels, conseils de la couronne, ou défenseurs des accusés, autour de laquelle viennent s'asseoir les membres du barreau, remplit presque tout l'espace compris entre le bench et le bar. Les jurés sont placés sur deux rangs dans la tribune voisine du box, espèce de petite chaire où les témoins prêtent serment en embrassant la Bible, et sont examines et contre-examinés par les conseils de la couronne et les défenseurs des accusés. En face du jury, une autre tribune renferme les reporters, ou les journalistes. Quant au public privilégié ou non privilégié, il occupe des espèces de loges situées au-dessus ou de chaque côté de la barre; pour entrer dans quelques-unes de ces loges, il faut payer 1 shilling à l'ouvreuse.
Malheureusement ce n'était pas un fou que la Cour d'assises d'Orléans jugeait la semaine dernière, mais un misérable qui avait assassiné lâchement un de ses anciens camarades de lit pour lui voler une somme de 5,000 fr. Nous ne nous sentons pas le courage de raconter avec détail les divers incidents de cette horrible affaire. Durant le cours des débats, Montély a changé subitement de système de défense; il a tout avoué, sauf l'assassinat, et il persiste encore à soutenir que Rosselier s'est donné lui-même la mort. Déclaré coupable par le jury sans circonstances atténuantes, il a été condamné à la peine capitale. D'abord, avant que l'arrêt fût prononcé, il avait dit que la mort lui ferait plaisir: mais cédant aux sollicitations de l'un de ses dent défenseurs, il s'est décidé à signer son pourvoi en cassation.--Pendant ce temps, Jacques Besson, toujours calme et impassible dans son cachot de Lyon, comme dans les prisons du Puy et de Riom, ignore encore que la justice humaine a prononcé, un arrêt irrévocable, et que la clémence du Roi peut seule aujourd'hui épargner dans ce monde la vie du condamné.
De la tragédie réelle, passons sans transition à la tragédie imaginaire; oublions et McNaughten et Montély, pour nous occuper un instant de mademoiselle Guanhumara, autre folle qui a un vif désir de commettre un assassinat. Les drames les plus sombres de M. Victor Hugo sont toujours précédés d'un prologue moins grave, joué, en guise de réclame, devant les tribunaux civils. Nous avons raconté dans notre précédente revue comment et pourquoi mademoiselle Maxime s'était crue obligée d'intenter un double procès au Théâtre-Français et à l'auteur des Burgraves. Le tribunal civil de la Seine avait disjoint la cause entre la demoiselle Maxime contre M. Victor Hugo, de celle de mademoiselle Maxime contre le Théâtre-Français, et s'était déclaré incompétent sur cette dernière action, parce qu'en vertu d'une clause insérée dans tous les engagements des artistes, le litige soumis au tribunal appartient exclusivement à la décision du conseil judiciaire du Théâtre-Français. Appel interjeté par mademoiselle Maxime, la Cour royale a confirmé ce jugement.
Tout n'est pas fini cependant.
Restent encore trois procès à juger.
1° Celui de mademoiselle Maxime contre M. Victor Hugo;
2º Celui de M. Ch., homme de lettres, contre le Théâtre-Français. Le jour de la première représentation des Burgraves, l'affiche annonçait que les entrées de faveur étaient généralement suspendues, mais que, cependant, les bureaux ne seraient pas ouverts. Frappé de cette étrange contradiction, M. Ch. a fait plaider en référé que les représentations d'un théâtre subventionné par l'état devaient être publiques, et que le directeur ne pouvait pas,--surtout s'il suspendait généralement toutes les entrées de faveur,--ne pas ouvrir les bureaux au public. M. le président Perrol s'est déclaré incompétent; mais M. Ch. ne se tient pas pour battu. Il va intenter une action devant le tribunal civil.
Ces deux procès se termineront probablement la semaine prochaine, et nous en reparlerons plus longuement dans notre prochaine revue.
Quant au troisième, celui de M Victor Hugo contre le public, il n'est pas de notre compétence. Nos lecteurs en trouveront le compte rendu illustré aux pages suivantes.
Dans le premier numéro de l'Illustration, nous avons annoncé à nos lecteurs la publication des manuscrits inédits de Napoléon, qui sont outre les mains de M. Libri. Nous commençons dès aujourd'hui à tenir notre promesse. Nous nous proposons d'exposer ensuite, dans nos bureaux, ces papiers précieux à l'examen de ceux de nos lecteurs qui désireraient en vérifier l'authenticité. Ultérieurement nous fixerons l'époque de cette exposition.
M. Libri a déjà fait connaître, dans un article de la Revue des Deux-Mondes 2, par quels moyens ces manuscrits avaient pu arriver jusqu'à lui.
A l'époque du consulat. Napoléon, qui se voyait déjà dans l'histoire, comme il l'a dit plus tard à Sainte-Hélène, songea à mettre en sûreté tous les papiers de sa première jeunesse. Il les plaça donc dans un grand carton du ministère, qui portait cette étiquette: Correspondance avec le premier consul; il biffa l'étiquette et écrivit de sa main: A remettre au cardinal Fesch, seul. Cette boîte, ficelée et cachetée aux armes du cardinal Fesch, traversa, sans être jamais ouverte, l'Empire et la Restauration; ensuite, toujours cachetée, elle passa par différentes mains, et il y a très-peu de temps qu'on a su ce qu'elle contenait.
Voici, assure-t-on, à quelle occasion le cachet de ce carton fut rompu. Un congrès scientifique, qui avait attiré dans la ville où se trouvaient ces papiers un grand concours de savants français et étrangers, y conduisit aussi le prince de Musignano, un des fils de Lucien Buonaparte, qui cultive avec distinction une des branches de l'histoire naturelle. Le propriétaire du précieux carton, profitant de la présence d'un des membres de la famille de Napoléon, songea à lui remettre les papiers, et le carton fut ouvert devant le prince. Dans ce moment, des ordres de la police obligeaient le neveu de Napoléon à quitter la France, et soit qu'il fut pressé de partir, soit tout autre motif que la malignité du public interpréta comme un acte de parcimonie, le prince de Musignano refusa de recevoir ces manuscrits, à la remise desquels le possesseur attachait la condition d'une bonne oeuvre envers les pauvres. Vers cette époque, M. Libri arriva avec une mission du ministre de l'instruction publique dans la ville que le neveu de l'Empereur venait de quitter; il entendit raconter l'histoire de l'ouverture du carton, n'hésita pas à remplir la condition, et devint l'acquéreur de ces papiers, qui augmentent entre ses mains la plus riche collection de manuscrits inédits et d'autographes qui existe peut-être en Europe. C'est de ce savant bibliophile que nous tenons le droit de publier et d'exposer, comme preuve de leur authenticité, les écrits de Napoléon renfermés dans le carton du premier consul.
M. Libri a dit, dans la revue que nous avons citée, de quelles oeuvres se compose cette collection; nous en publierons la partie la plus importante.
L'Histoire de Corse, qui commence cette série, est de toutes les productions de la jeunesse de Napoléon, celle dont on a parlé le plus. Il avait voulu la faire imprimer à Dôle, et la croyait perdue. Dans ses Mémoires, Lucien Buonaparte exprime en ces termes ses regrets au sujet de la perte supposée de cet ouvrage:
«Les noms 3 de Mirabeau et de Raynal me ramènent à Napoléon. Napoléon, dans un de ses congés qu'il venait passer à Ajaccio (c'était, je crois en 1790), avait composé une histoire de Corse, dont j'écrivis deux copies, et dont je regrette bien la perte. Un de ces deux manuscrits fut adressé à l'abbé Raynal, que mon frère avait connu à son passage à Marseille. Raynal trouva cet ouvrage tellement remarquable, qu'il voulut le communiquer à Mirabeau Celui-ci, renvoyant le manuscrit, écrivit à Raynal que cette petite histoire lui semblait annoncer un génie du premier ordre. La réponse de Raynal s'accordait avec l'opinion du grand orateur, et Napoléon en fut ravi. J'ai fait beaucoup de recherches vaines pour retrouver ces pièces, qui furent détruites probablement dans l'incendie de notre maison par les troupes de Paoli.»
Lucien était dans l'erreur.
Un manuscrit de cette histoire se trouve parmi les papiers qui avaient été remis au cardinal Fesch, et se compose de trois gros cahiers, qui ne sont pas entièrement de la main de Napoléon, mais qu'il a corrigés et annotés.
Note 1: (retour) La reproduction des manuscrits de Napoléon est interdite.
Note 2: (retour) Revue des Deux-Mondes, numéro du 1er mars 1842.
Note 3: (retour) Mémoires de Lucien Buonaparte. Paris, 1856, in-8º, p. 92.
Napoléon commence l'histoire de sa patrie aux temps les plus reculés et la termine au dix-huitième siècle, au pacte de Corte entre les Génois et les Corses. Cette esquisse, rédigée avec chaleur, décèle le plus vif amour pour la Corse. Ce qu'on doit surtout y remarquer, et qu'on ne s'attendrait pas à y rencontrer, c'est que Napoléon ne s'est pas borné à écrire d'après les traditions plus ou moins incertaines l'histoire de son pays. Il ne s'en est pas tenu aux croyances vulgaires: dans un temps où l'érudition était presque proscrite, et où on la regardait comme une vieillerie incompatible avec le progrès. Napoléon a su s'affranchir de ce préjugé. Il a étudié les sources, il cite les ouvrages qu'il a consultés, et l'on voit qu'il a eu soin de réunir les documents inédits qui pouvaient lui fournir des lumières. Plusieurs de ces pièces sont encore annexées au manuscrit de l'Histoire de Corse. Cet homme extraordinaire ne pouvait rien faire d'incomplet; tous ses travaux étaient sérieux. Au milieu de la Révolution, et malgré les idées qui régnaient alors, il avait senti que l'histoire ne s'improvise pas, et il n'avait pu consentir à n'être que l'auteur d'une compilation.
Dans les Lettres sur l'Histoire de Corse, on trouvera déjà les germes du style énergique et saccadé de l'Empereur. On y trouvera surtout toute la force de ce caractère indomptable. L'homme qui, dans ses premières années, aimait avec une telle passion l'île où il avait vu le jour, est le même qui devait plus tard montrer au plus haut point le sentiment français. C'était toujours le même principe, l'amour national, qui n'avait pu que s'étendre et se fortifier davantage en s'appliquant à une grande nation.
Monsieur,
Ami des hommes libres, vous vous intéresserez au sort de la Corse, que vous aimez; le caractère de ses habitants l'appelait à la liberté; la centralité de sa position, le nombre de ses ports et la fertilité du sol l'appeloient à un grand commerce.--Pourquoi donc le peuple corse n'a-t-il jamais été ni libre ni commerçant?--C'est qu'une fatalité inexplicable a toujours armé ses voisins contre lui. Il a été la proie de leur ambition, la victime de leur politique et de sa propre opiniâtreté.... Vous l'avez vu prendre les armes, secouer l'atroce gouvernement génois, recouvrer son indépendance, vivre un instant heureux; mais, poursuivi par cette fatalité irrésistible, il tomba dans le plus insupportable avilissement. Pendant vingt-quatre siècles, voilà les scènes qui se renouvellent sans interruption: mêmes vicissitudes, même infortune, mais aussi même courage, même résolution, même audace. Les Romains ne purent se l'attacher qu'en se l'alliant; des essaims de Barbares l'assaillirent; ils s'emparèrent de ses champs, incendièrent ses maisons; mais il sacrifia son caractère de propriétaire à celui d'homme: il erra pour vivre libre. S'il trembla devant l'hydre féodale, ce fut seulement autant de temps qu'il lui en fallut pour la connoître et pour la détruire. S'il baisa en esclave les chaînes de Rome, guidé par le sentiment de la nature, il ne tarda pas à les briser; s'il courba enfin la tête sous l'aristocratie ligurienne, si des forces irrésistibles le maintinrent vingt ans soumis au despotisme de Versailles, quarante ans d'une guerre opiniâtre étonnèrent l'Europe et confondirent ses ennemis. Mais vous qui avez prédit à la Hollande sa chute, à la France sa régénération, vous aviez promis aux Corses le rétablissement de leur gouvernement, le terme de l'injuste domination française. Votre prédiction se seroit accomplie lorsque cet intrépide peuple, revenu de son étourdissement, se fut ressouvenu que la mort n'est qu'un des états de l'âme, mais que l'esclavage en est l'avilissement; elle se seroit accomplie... Inutiles recherches! Dans un instant tout est changé. Du sein de la nation que gouvernoient nos tyrans a jailli l'étincelle électrique: cette nation éclairée, puissante et généreuse, s'est souvenue de ses droits et de sa force; elle a été libre et a voulu que nous le fussions comme elle. Elle nous a ouvert son sein: désormais nous avons les mêmes intérêts, les mêmes sollicitudes; il n'est plus de mer qui nous sépare.
Parmi les bizarreries de la révolution française, celle-ci n'est pas la moindre. Ceux qui nous donnoient la mort comme à des rebelles sont aujourd'hui nos protecteurs; ils sont animés par nos sentiments.--Homme! homme! que tu es méprisable dans l'esclavage, que tu es grand lorsque l'amour de la liberté t'enflamme! Alors tes préjugés se dissipent, ton âme s'élève, ta raison reprend son empire... Régénéré, tu es vraiment le roi de la nature.
A combien de vicissitudes, monsieur, sont sujettes les nations! Est-ce la Providence d'une intelligence supérieure, ou est-ce le hasard aveugle qui dirige leur sort? Pardonne, ô Dieu! mais la tyrannie, l'oppression, l'injustice, dévastent la terre, et la terre est ton ouvrage. Les souffrances, les soucis sont le partage du juste, et le juste est ton image! Ces amères réflexions sont écrites sur toutes les pages de l'histoire de Corse car l'histoire de Corse n'est qu'une lutte perpétuelle entre un petit peuple qui veut vivre libre et ses voisins qui veulent l'opprimer; l'un se défend avec cette énergie qu'inspirent la justice et l'amour de l'indépendance, les autres attaquent avec cette perfection de tactique qui est le fruit des sciences et de l'expérience des siècles; le premier a des montagnes pour dernier refuge, les seconds ont leurs navires. Maîtres de la mer, ils interceptent les communications et se retirent, reviennent ou varient leurs attaques à leur gré. Ainsi la mer, qui, pour tous les autres peuples, fut la première source des richesses et de la puissance, la mer qui éleva Tyr, Carthage, Athènes, qui maintient encore l'Angleterre, la Hollande, la France, au plus haut degré de splendeur et de puissance, fut la source de l'infortune et de la misère de ma patrie; heureuse si la sublime faculté de perfection eût été plus bornée dans l'homme! Il n'aurait pas alors, dans la soif de son inquiétude et par le moyen de l'observation, soumis à ses caprices le feu, l'eau et l'air; il aurait respecté les barrières de la nature; des bras de mer immenses l'auraient étonné sans lui donner l'idée de les franchir.
Nous eussions donc toujours ignoré qu'il existait un continent... Oh! l'heureuse, l'heureuse ignorance!!!
Quel tableau offre l'histoire moderne! Des peuples qui s'entre-tuent pour des querelles de famille, et qui s'entr'égorgent au nom du moteur de l'univers; des prêtres fourbes et avides qui les égarent par les grands moyens de l'imagination, de l'amour du merveilleux et de la terreur. Dans cette, suite de scènes affligeantes, quel intérêt peut prendre un lecteur éclairé? Mais un Guillaume Tell vient-il à paraître, les vieux s'arrêtent sur ce vengeur des nations; le tableau de l'Amérique dévastée par des brigands forts de leur fer, inspire le mépris de l'espèce humaine; mais on partage les travaux de Washington, on jouit de ses triomphes on le suit à deux mille lieues; sa cause est celle de l'humanité. Eh bien! l'histoire de Corse offre une foule de tableaux de ce genre; si ces insulaires ne manqueront pas de fer, ils manquèrent de marine pour profiter de leur victoire et se mettre à l'abri d'une seconde attaque. Ainsi les années durent se passer en combats. Un peuple fort de sa sobriété et de sa constance, et des nations puissantes, riches du commerce de l'Europe, voilà les acteurs qui figurent dans l'histoire de Corse.
Pénétré de l'utilité qu'elle pouvait avoir, de l'intérêt qu'elle inspireroit, et convaincu de l'ignorance ou de la vénalité des écrivains qui ont jusqu'ici travaillé sur nos annales, vous avez senti que l'histoire de Corse manquoit à notre littérature. Votre amitié voulut me croire capable de l'écrire. J'acceptai avec empressement un travail qui flattoit mon amour pour ma patrie, alors avilie, malheureuse, enchaînée. Je me réjouis d'avoir à dénoncer à l'opinion qui commençoit à se former les tyrans subalternes qui la dévastoiont; je n'écoutai pas le cri de mon impuissance... «Il s'agit moins ici de grands talents que d'un grand courage, me dis-je, il faut une âme qui ne soit pas ébranlée par la crainte des hommes puissants qu'il faudra démasquer. Eh bien! ajoutai-je avec une sorte de fierté, je me sens ce courage-là.»
«La constance et les vertus de ma nation captiveront le suffrage du lecteur. J'aurai à parler de M. Paoli, dont les sages institutions assureront un instant notre bonheur, et nous firent concevoir de si brillantes espérances. Il consacra le premier ces principes qui font le fondement de la prospérité des peuples. On admirera ses ressources, sa fermeté son éloquence; au milieu des guerres civiles et étrangères, il fait face à tout. D'un bras ferme il pose les bases de la Constitution, et fait trembler jusque dans Gênes nos tyrans. Bientôt trente mille François, vomis sur nos côtes, renversent le trône de la liberté, le noyant dans des flots de sang, nous font assister au spectacle d'un peuple qui, dans son découragement, reçoit des fers. Tristes moments pour le moraliste, pareils à celui qui fit dire à Brutus: Vertu, ne serais-tu qu'une chimère!... J'arriverai enfin à l'administration françoise. Accablé sous le triple joug du militaire, du robin, du maltôtier; étranger dans sa patrie, en proie à des aventuriers que le François d'outre-mer refuseroit de reconnoitre, le Corse voit ses jours flétris par l'avidité, par la fantaisie, par le soupçon et l'ignorance de ceux qui, au nom du roi, disposent des forces publiques. Hélas! comment cette nation éclairée ne seroit-elle pas touchée de notre état! comment l'envie de réparer les maux qui nous sont faits en son nom ne lui viendroit-elle pas!» C'étoit là le principal fruit que je voulais tirer de mon ouvrage.
Plein de la flatteuse idée que je pouvais être utile aux miens, je m'appliquais à recueillir les matériaux qui m'étoient indispensables; mon travail se trouvoit même assez avancé, lorsque la Révolution vint rendre au peuple corse sa liberté. Je cessai: je compris que mes talents n'y étoient plus suffisants, et que, pour oser saisir le burin de l'histoire, il falloit avoir d'autres moyens. Lorsqu'il y avoit du danger, il ne falloit que du courage; quand mon ouvrage pouvoit avoir un objet immédiat d'utilité, je crus mes forces suffisantes; aujourd'hui je laisse le soin d'écrire notre histoire à quelqu'un qui n'aurait pas eu mon dévouement, mais qui aura peut-être plus de talents. Cependant, pour ne pas perdre tout le fruit de quelques recherches et pour remplir en quelque sorte la promesse que je vous avois faite, convaincu d'ailleurs que je ne puis vous offrir rien qui soit plus conforme à vos principes que les annales d'un peuple comme le mien, je vais vous les faire passer rapidement sous les yeux. Entrant dans la belle saison, abrité par l'arbre de la paix et par l'oranger, chaque regard me retrace la beauté de ce climat, que la nature a orné de tous ses dons, mais que des ennemis implacables ont dévasté et dépouillé.
Le gouvernement républicain florissoit jadis dans les plus beaux pays du monde, il amenait un accroissement de population qui obligeoit à des émigrations fréquentes. Les Lacédémoniens, les Lyguriens, les Phéniciens, les Troyens envoyèrent des colonies en Corse.
PHOCÉENS.--Six siècles avant l'ère chrétienne, les Phocéens, peuple d'Ionie, chassés de leur patrie, vinrent y bâtir la ville de Calaris. Les Phocéens étoient venus solliciter un asile; ils prétendirent cependant dominer: quoique plus instruits dans l'art militaire, ils n'y purent réussir; les naturels du pays, secourus par les Etrusques, les chassèrent.
Il est difficile de pénétrer dans des temps si éloignés. Il paroît cependant que les Corses vivoient contents, libres et abandonnés à eux-mêmes, divisés en petites républiques confédérées pour leur défense commune. C'est pourtant dans cet intervalle que les écrivains placent la domination carthaginoise; tous se répètent, sans qu'il soit possible de pénétrer l'origine de cette opinion. Il est certain toutefois que la Corse ne fut jamais soumise aux Carthaginois. On lit dans les anciens historiens qu'ils ont asservi la Sardaigne; que les Corses, qui occupoient douze bourgs sur les plus-hautes montagnes de cette île, leur résistèrent: mais Pausanias et Ptolémée nous apprennent que ces Corses étoient des descendants d'anciens proscrits à qui on avoit conservé le nom de la patrie de leurs pères. Dans les actes par lesquels les Romains et les Carthaginois ont limité leur navigation et leur commerce respectifs, comme dans leurs traités de paix, il est toujours fait mention de la Sardaigne et jamais de notre pile. Si, après la première guerre punique. Carthage céda la Sardaigne, la Corse ne se ressentit aucunement I de l'humiliation de Carthage, et resta toujours indépendante et libre... Il y a cent raisons qui auroient pu empêcher tant d'écrivains de se copier si servilement. C'est surtout en lisant notre histoire qu'il faut être en garde contre les opinions le plus universellement adoptées.
ROMAINS.--Les Romains, maîtres de l'Italie, vainqueurs de Carthage, durent penser à la conquête de la Corse, qui néanmoins ne leur fut pas aussi facile qu ils se l'étoient promis. Les Corses se défendirent avec intrépidité, quatorze fois ils furent vaincus, et quatorze fois ils reprirent les armes, et chassèrent leurs ennemis. C. Papirius, réfléchissant sur la cause de cette obstination, leur offrit le titre d'allié des Romains sur le pied des Latins, et l'on accepta cette condition qui assuroit en partie la liberté... Rome ne put parvenir à se concilier ces peuples qu'en les faisant participer à sa grandeur... Depuis, quelques infractions aux traités irritèrent les Corses, qui devinrent irréconciliables. En vain, le préteur C. Cicereus et le consul M. Juventius Thalna ravagèrent la Corse. Leurs victoires furent aussi éclatantes qu'inutiles. Douze mille patriotes morts ou traînés en esclavage affaiblissent, sans le décourager, un peuple implacable dans sa haine. Ou fut bientôt étonné à Rome d'être obligé, après de pareils événements, d'envoyer des armées consulaires contre une nation qu'on croyait non-seulement découragée, mais même détruite Et s'il fallut enfin qu'elle se soumit aux vainqueurs du monde, elle ne le fit qu'après avoir été l'objet de cinq triomphes... La Corse, dans son exaltation, avoit préféré abandonner les plaines trop difficiles à défendre plutôt que de se soumettre. Les Romains se les approprieront, et y établirent des colonies qui ont servi de lien entre les deux peuples. Lorsque, depuis, les triumvirs offriront au monde le hideux spectacle du crime heureux, la Corse et la Sicile furent le refuge de Sextus Pompée. Je vois avec plaisir ma patrie, à la honte de l'univers, servir d'asile aux derniers restes de la liberté romaine, aux héritiers de Caton.
BARBARES.--Des peuplades nombreuses de Goths, de Vandales, de Lombards, après avoir ravagé l'Italie, passèrent en Corse, plusieurs même s'y établirent et y régnèrent longtemps. Leur gouvernement, aussi sanglant que leurs excursions, sembloit n'avoir pour but que de détruire; la plume refuse de s'arrêter à de pareilles horreurs.
Lorsque les Sarrasins furent battus par Charles Martel, ils débarquèrent en Corse; furieux d'avoir été vaincus, ils assouvirent sur nos malheureux habitants la rage forcenée qui les transportoit contre le nom chrétien. Les prêtres massacrés au moment du sacrifice, les enfants arrachés du sein maternel, écrasés contre des rochers, périssant victimes d'un Dieu qu'ils ne pouvaient connoître; les femmes égorgées, le pays incendié, furent les offrandes que ces hommes féroces vouèrent à leur prophète. Effet terrible du fanatisme! il étouffe les lois sacrées de l'humanité, rend les peuples sanguinaires, et finit par leur forger des fers.
Fatigués de se trouver sans cesse en proie aux incursions des barbares et d'espérer en vain des secours des princes voisins, les Corses, quittant leurs habitations et errant dans les forêts les plus impénétrables, sur les sommets les plus inaccessibles, traînèrent sans espoir leur triste existence, lorsque, du fond de l'Italie, un homme généreux y aborda avec mille ou douze cents de ses parents et de ses vassaux.
UGO COLONNA.--Ugo, du sang des Colonna, fut le génie tutélaire qui, sous la protection des papes, vint ranimer le courage des insulaires et détruire l'empire mauresque. Les naturels du pays rentrèrent libres dans leurs habitations; ils commenceront sans doute à goûter les fruits d'un sage gouvernement, et désormais plus tranquilles, ils vivront heureux!... Non... Ugo croit avoir le droit de s'ériger en despote en conservant à la cour de Rome la suzeraineté. Les seigneurs qui l'avaient accompagné s'approprièrent divers cantons: le régime féodal naquit de ce partage, et voilà les Corses, échappés aux cruautés des Goths et des Vandales, devenus victimes d'un système de gouvernement que ces barbares avaient imaginé, système qui a nui plus à l'Europe que leurs armes. Ainsi une reconnaissance exagérée pour les libérateurs, peut-être même une admiration aveugle pour de riches étrangers, dompte cette fois ce caractère inflexible.
Quiconque a médité sur l'histoire des nations est accoutumé sans doute au spectacle du fort opprimant le faible, et à voir les différentes sectes se haïr et s'égorger; mais l'horrible rapine que Rome exerçait à cette époque est, je crois, le point extrême de l'abus de la religion. Les papes, en vertu de leur suzeraineté, pour s'indemniser des secours qu'ils avoient accordés, imposèrent, sous le titre de tribut temporel, le cinquième des revenus, et sous le nom de tribut spirituel..... je crains que l'on ne me taxe d'exagération, je serais tenté de développer toutes les preuves..... oui, sous le titre de tribut spirituel, le père commun des fidèles, le vicaire d'un Dieu-Homme, percevoit le dixième des enfants que ses collecteurs prenoient âgés de cinq ans pour les transporter dans les palais de Rome, briser les liens qui unissent les pères aux enfants, la patrie aux citoyens, s'appelait une chose spirituelle!... Quand les historiens ne présenteraient que ce trait, ils offriraient une matière inépuisable aux méditations de l'homme sensé. Celui qui vont affaiblir l'empire de la raison, qui essaie de substituer aux sentiments infaillibles de la conscience le cri des préjugés est un fourbe, il veut tromper!
Dans ces temps de malheur et d'avilissement naquit Arrigo Il Bel Messere. Arrigo, descendant de Ugo,. respecté de ses peuples, craint de ses vassaux, s'occupoit quelquefois de leur bonheur: quoique soumis à la cour de Rome, plus encore par les préjugés qui dominaient alors en Europe que par son serment, il obtint, après de longues négociations, la suppression du tribut spirituel. Le fer d'un Sarde coupa le fil des jours de ce prince. Arrigo ne laissant point de postérité, tous les seigneurs se cantonnèrent dans leurs châteaux, et après s'être longuement disputé l'empire, visèrent tous à l'indépendance. Les peuples, également victimes des guerres que les seigneurs se faisoient entre eux et leur administration, ne tardèrent pas à s'en lasser. Le peuple corse au centre de l'Europe, a dû sans doute être opprimé par les mêmes tyrans que les autres peuples, mais il a toujours été le premier à donner l'éveil et à secouer le joug. Ainsi, dans le siècle où toute l'Europe croupissoit sous le régime féodal, lui seul se fit un gouvernement municipal, adopté depuis en Italie, et ensuite dans les autres pays du continent.
GOUVERNEMENT MUNICIPAL.--La partie septentrionale de l'île fut la première à recouvrer sa liberté; chaque village forma sa municipalité, chaque pieve eut son podestat, et tous réunis nommèrent une régence ou suprême magistrature, composée de douze membres.
Les papes, qui n'avoient pas abandonne leurs prétentions sur la Corse, y envoyèrent des seigneurs de la maison de Massa sous prétexte diriger les forces des communes contre les larrons avec plus d'intelligence. Ils les accoutumoient ainsi à ne revoir des chefs de leurs mains: mais, en 1091 le pape Urbain second donna l'investiture de la Corse aux Pisans qui maîtres de Boniface et très-puissants dans ces mers, se faisoient estimer par leur sagesse.
Une partie de l'île était gouvernée en démocratie, avoit des lois, des magistrats et des forces: la partie méridionale, excepté deux pièves, étoit soumise aux seigneurs des maisons de Cinarca, Lira, Rocca, Druano. Quelle était donc l'autorité de la république de Pise? Elle envoyoit deux de ses principaux citoyens, qui percevoient une légère imposition; leur principale fonction consistait à tacher de maintenir la paix parmi les différents États qui composoient le royaume. Soit qu'il s'élève un différend entre deux barons, soit qu'il s'en élève un entre un baron et une commune, les deux magistrats, qui portoient le titre de judice prononcoient. Le gouvernement des Pisans fut agréé en Corse; ils n'ambitionnoient pas une extension d'autorité; la paix et la justice furent l'objet de leurs soins; le tribut modique qu'ils percevoient, ils l'employoient tout entier à des établissements publics. Le titre de citoyen de Pise, qu'ils donnèrent aux Corses, avec la jouissance des prérogatives qui s'y trouvoient attachés, acheva de consolider leur prépondérance Ainsi, monsieur, s'écoulèrent dix-huit siècles, sans qu'au milieu de tant de révolutions, le peuple corse ait jamais démenti son caractère.
Des érudits italiens ont prétendu, dans ces derniers temps, que la maison Colonna n'étoit jamais venue en Corse; ils ont fourni des prouves qui ne m'ont point convaincu; je m'en tiens donc à l'assertion reçue, à la tradition, à la conviction qu'en ont les Colonna de Rome, et à l'autorité de tant d'historiens, dont plusieurs sont contemporains, aux restes de quelques monuments, etc. Contentons-nous de discuter la principale objection.
D'abord, disent-ils, on trouve qu'un Charles, roi de France a délivré la Corse des Maures. Depuis, l'on voit un Bonifazio, marquis de Toscane, chargé par l'empereur de défendre la Corse; c'est lui qui est si célèbre par la fameuse descente en Afrique. Après sa mort, l'on voit son fils Adalberto lui succéder et précéder Alberto second, dit le Riche, qui meurt en 916; enfin Guido Lamberto succède à Alberto le Riche... Je conviens de tous ces faits, mais je ne vois pas ce qu'ils ont d'incompatible avec ce que nous avons dit des Colonna.
Les papes envoyèrent Ugo en Corse pour la délivrer. Les empereurs étoient, ce me semble aussi, fort intéresses à ce que les barbares ne s'y établissent pas; ils donnèrent donc commission au marquis de Toscane de veiller sur la Corse, de la secourir si les barbares l'attaquaient, et, en conséquence de cette commission, les marquis de Toscane prenoient le titre de tutor Corsicæ. Cela est si vrai, que, depuis, lorsque les communes eurent pris consistance, l'on voit une comtesse Mathilde, marquise de Toscane, s'intituler tutor Corsicæ, cependant elle n'y avoit certainement aucune autorité.
L'on relevé ensuite quelques erreurs de chronologie de Giovanni Della Grossa, et l'on en déduit la fausseté du fait; cela n'est pas conséquent; en vérité, il faut bien avoir la manie des systèmes pour ne pas sentir que c'est bâtir sur le sable que d'en fabriquer sur de si foibles fondements.
Voyez-vous ce noir château perché sur le sommet d'un roc, comme un nid de vautour, armé de herses et de créneaux? C'est le château d'Heppenhef. Son front a pour voisins les nues et les orages, et le vieux Rhin mugit à ses pieds, dans ses abîmes profonds. Heppenhef appartient à une antique race de Burgraves. Les seigneurs, comtes de ce terrible Burg, l'ont occupé de père en fils, et de temps immémorial. Aujourd'hui, on y trouve quatre générations vivantes, en remontant du petit-fils au bisaïeul. Job est le nom du grand ancêtre; Magnus vient après lui; après Magnus, Hatto; après Hatto. Conrad: à eux quatre, les comtes d'Heppenhef forment un total d'à peu près deux cent soixante-dix ans; ce ne sont pas des seigneurs de la première jeunesse.
De son temps, Job passait pour un preux et pour un vaillant. Comme son haubert, son coeur était d'acier: le fer ne pouvait briser l'un, pas plus que la peur n'entamait l'autre; sa foi valait son épée, et nul étranger ne heurtait à son foyer, sans que Job lui dit: Prenez place!
Magnus suivit de près l'exemple de son père; mais ce n'était déjà plus le même bras ni la même âme; l'épée paternelle lui était pesante, et de même que son corps pliait sous la vieille armure, de même sa conscience commençait à chanceler et.. livrer passage aux perfides attaques de la mollesse et de la volupté.
Avec Hatto, tout est dit La forte race d'Heppenhef dégénère et s'énerve, et le fils d'Hatto promet une descendance pire encore.
(Ligier,
rôle de FrédéricBarberousse en
mendiant.)
Est-ce le cliquetis du fer et le hurrah des combattants qui résonnent maintenant sous les voûtes du château d'Hoppenhef? Non; mais le cri aviné de l'orgie, mais le choc des coupes qui se remplissent et se vident. Hatto y commande et y fait régner avec lui la violence et la débauche; s'il s'arrache à ses journées d'ivresse et à ses nuits enflammées, c'est pour s'élancer de son Burg sur la campagne, comme un oiseau de proie, pillant les moissons, dévastant les chaumières, enlevant femmes et hommes pour en faire ses esclaves; cependant le vieux Job et le vieux Magnus, tristement retirés dans le sombre donjon, se dérobent par la solitude à ce honteux spectacle de leur propre décadence.
Par le Rhin! aujourd'hui Hatto est en joie. Il y a grande fête chez monseigneur, et grand festin. Les éclats bachiques et les chansons des joyeux convives s'échappent à travers les créneaux et courent dans l'air en folles bouffées. O race aveugle et brutale! enivre-toi; noie le courage et l'honneur de tes pères dans ces coupes fumantes; le Rhin est un fleuve fécond, et la grappe qui mûrit cette chaude liqueur sous sa blonde écorce se mire dans ses eaux. Mais ne sais-tu pas que le serpent livide peut se glisser sous ces fleurs, la douleur dans cette joie, le châtiment dans cette impunité, la mort dans cette vie effrénée!
D'où vient cette ombre sinistre qui passe et repasse devant ce Burg fatal où hurle l'orgie? Est-ce une femme? est-ce un fantôme? Appartient-elle à la terre? Sort-elle du fond des noirs abîmes? Son aspect est misérable et repoussant; elle est chargée d'ans et de rides, et, sur son visage flétri, l'oeil découvre aisément la trace des longues souffrances et des implacables ressentiments longuement accumulés. Qu'est-ce donc? A-t-elle quelque grand crime à expier? Poursuit-elle quelque horrible vengeance? Un humble sac de pénitente l'enveloppe; un carcan entoure son cou et l'emprisonne; une longue chaîne d'esclave lui sert de ceinture; au pied, elle traîne un anneau de fer.
C'est une femme! c'est Guanhumara! Ici les somptueux repas, dit-elle en jetant çà et là un regard sombre, là la misère affamée. Le tyran de ce coté, de l'autre l'esclavage. Ah! oui, réjouissez-vous, Burgraves, vous n'avez pour ennemi qu'une femme;
Mais, ô princes, tremblez; cette femme est la haine!
Si vous demandez maintenant à l'un de ces serfs enchaînes qui errent sur le préau: Quelle est cette vieille hideuse, dont l'oeil lance un éclair sinistre? Une fille de Béelzébuth, répondra-t-il en se signant; une damnée, une sorcière.--Guanhumara, en effet, possède la science surhumaine; elle sait préparer les poisons redoutés qui causent un trépas soudain; elle a le secret des filtres merveilleux qui arrachent sa proie à la tombe; dans sa main, elle tient la vie et la mort.
Il y a au château d'Heppenhef un jeune chevalier qui se nomme Otbert; c'est un capitaine d'aventures,
Arrivé l'an passé, bien qu'encore novice,
Au château d'Heppenhef, pour y prendre service.
Mais, au lieu de faire la guerre, Otbert s'est conformé aux exemples du maître: il a fait l'amour. Otbert aime Régina, jeune comtesse suzeraine, dont Hatto convoite, non pas la jeunesse et la beauté, mais les fiefs magnifiques et nombreux qui rehaussent sa couronne de comtesse. Ainsi, Otbert est le rival du misérable et cruel Hatto, son rival mystérieux et discret.
--Hélas! aimer Régina, c'est aimer la fleur qui se fane, la suave mélodie qui finit, le beau jour qui s'éteint. Régina est atteinte d'un mal mortel; chaque jour enlève une rose à sa jeunesse; chaque heure la précipite vers le terme fatal; elle marche d'un pas débile, appuyée sur le bras d'Otbert, et jetant, à travers les fenêtres crénelées, un long regard mélancolique dans le ciel azuré et sur les pampres jaunis par l'automne; les feuilles tombent, dit-elle, mais elles renaîtront;--les hirondelles prennent la fuite, un autre printemps les ramènera;
. . . Mais, moi, je ne verrai
Ni l'oiseau revenir, ni la feuille renaître.
Qui sauvera Régina? qui lui rendra la santé et la vie? comment relever la tige de cette fleur languissante et penchée? Otbert s'adresse à la toute-puissance de Guanhumara; il la conjure, il la supplie. On dirait d'ailleurs qu'une force secrète pousse cette femme au-devant d'Otbert et la mêle à sa destinée. Enfant, elle l'a porté dans ses bras, et son oeil a plongé dans le mystère de sa naissance; car Otbert est un fils du hasard. Cependant, chaque fois qu'il cherche à arracher à Guanhumara le nom de son père et de sa mère, Guanhumara, pâle et muette, se tient immobile.
Aujourd'hui, elle vent bien sauver Régina, à l'aide d'un de ces sucs puissants qu'elle apporta d'Asie. Mais Guanhumara ne donne rien pour rien; elle prêtera la vie, Otbert lui rendra la mort; oui, Otbert se fera meurtrier, sur un signe de Guanhumara; il tuera quelqu'un, comme le bourreau tue; il le tuera au jour, à l'heure où Guanhumara lui criera de frapper.--Eh bien! j'y consens, dit Otbert; et pour salaire de ce marché sanglant, il reçoit de Guanhumara le flacon qui renferme la vie de Régina.
La victime que Guanhumara réserve au poignard d'Otbert, la connaissez-vous? Cherchez parmi ces Burgraves. Est-ce Magnus, ou Hatto, ou le fils d'Hatto, plus méchant encore que son père? Ni l'aïeul, ni le fils, ni le petit-fils. Ecoutez ces esclaves; ils racontent une sanglante aventure qui s'est passée au château d'Heppenhef: les serviteurs sont bons à entendre, car ils dévoilent les maîtres.
Il y a bien longtemps de cela. Le vieux Job d'aujourd'hui s'appelait alors Fosco; il habitait un des redoutables manoirs qui dominent le Rhin. Là se trouvait, avec Fosco, un autre jeune gentilhomme du nom de Donato. Donato et Fosco s'éprirent en même temps de la même femme. Donato fut préféré:
Les amants se cachaient dans un caveau discret,
Dont l'entrée inconnue était leur doux secret.
C'est là qu'un jour Fosco, coeur jaloux, main hardie,
Les surprit, et finit l'idylle en tragédie.
Un matin, des pâtres trouvèrent dans le torrent qui mugissait au pied de la tour deux cadavres percés de coups de poignard; c'étaient Donato et son écuyer. Fosco ne s'arrêta pas à ce double crime; après l'homicide, il commit le viol, et la jeune fille mit au monde un enfant, triste fruit de cette lâcheté. Ainsi, disent les esclaves; l'histoire est bien plus sombre encore: Donato était le frère de Fosco!
Depuis ce temps, Fosco a pris le nom de Job, de Job le maudit. Les ans se sont accumulés sur sa tête, et les remords avec les années, mais les remords du vieux Job ne suffisent pas à Guanhumara. Ne voyez-vous pas, en effet, que Guanhumara fut cette jeune fille aimée de Donato; elle a à venger son honneur à elle et la mort de son amant; terrible vengeance qu'elle, nourrit et garde depuis cinquante ans au fond de son âme; une vengeance si âgée doit être lasse d'attendre.
(Madame Mélingue,
rôle de Guanhumara.)
(Mademoiselle Denain,
rôle de Régina.)
Guanhumara n'est pas femme à se satisfaire simplement par des voies vulgaires; tuer Job ou l'empoisonner de ses propres mains, la première venue en ferait autant! Guanhumara raffine. Elle arme Otbert contre Job, Otbert, ce fils que la violence de Fosco a obtenu d'elle, après l'assassinat de Donato. En vérité, ce château d'Heppenhef est un rude château; autrefois le frère y tua le frère, bientôt le père y tombera peut-être sous le poignard du fils; château terrible, château féroce, château maudit, où le fratricide et le parricide ont élu leur sanglant domicile.
Hatto cependant n'en continue pas moins sa joyeuse vie. Le voici la coupe à la main, qui se livre à l'ardeur du repas et de la chanson. Son fils l'accompagne et s'enivre avec lui: Quoi! Conrad, vous n'avez que seize ans? O jeune homme de la plus belle espérance!--Et ton père, et ton aïeul, que font-ils? demande quelqu'un à Hatto.--Ma foi, je n'en sais rien; ce sont de vieux fous; j'ai pris leur place, j'en use!--Puis Hatto de faire parade de ses débauches et de ses crimes.--Apercois-je dans la plaine quelque chose qui éveille mon appétit, une jolie femme, un riche marchand, une bonne ville.
Comme un chasseur ses chiens, je lâche mes bandits;
Et la ville, la femme, le trésor sont à moi! Alors cette troupe d'insolents Burgraves, corps ivres, âmes sans pudeur, s'abandonnent avec, Hatto à toutes les folies de la corruption effrénée; ils raillent l'amour et l'honneur, la conscience et le serment. Mais une voix triste et indignée se fait entendre tout à coup, c'est la voix de Magnus, qui, au bruit de cette débauche, est sorti de son donjon solitaire.--Qu'est ceci? dit-il:
. . . Jeunes gens, vous faites bien du bruit,
Laissez les vieux rêver dans l'ombre et dans la nuit;
La lueur des festins blesse leurs jeux sévères;
Les vieux choquaient l'épée... Enfants, choquez les verres!
Les rires insolents, les grossiers sarcasmes accueillent les remontrances de Magnus. Il a le sort des vieillards dont les sages paroles se brisent contre la frivolité et la raillerie des jeunes hommes. Mais voici que l'occasion se présente de mettre la brutale philosophie des Burgraves en pratique: un homme couvert de haillons heurte à la porte; il demande l'hospitalité pour lui, pour ses cheveux blancs, pour son corps aussi vieux que relui du vieux Job:
Que l'on chasse à l'instant ce drôle à coups de pierre.
Va-t'en, chien!
s'écrient Hatto et ses compagnons; ce n'est plus Magnus, cette fois, c'est Job lui-même qui prend la parole:
De mon temps, dans nos fêtes,
Quand nous buvions, chantant plus haut que vous encor,
Autour d'un boeuf entier, porté sur un plat d'or,
S'il arrivait qu'un vieux passât devant la porte,
Pauvre, en haillons, pieds nus, suppliant, une escorte
L'allait chercher; sitôt qu'il entrait, les clairons
Éclataient; on voyait se lever les barons;
Les princes, sans parler, sans marcher, sans sourire,
S'inclinaient, fussent-ils princes du Saint-Empire,
Et les vieillards tendaient la main à l'incon
Qu'on fasse entrer l'étranger, ajoute-t-il, en s'adressant à un archer.--Quelqu'un murmure?--Silence, s'écrie Job d'une voix sonore, et ce vieux lion
Les fait tous frissonner en dressant sa crinière.
Honneur au mendiant! Honneur à notre hôte!
Sonnez, clairons, ainsi que pour un roi.
Théâtre-Français--Première représentation des Burgraves,
Trilogie par M. Victor Hugo.--Scène du deuxième acte: Barberousse se
fait reconnaître.
C'était peu de ce Job qui s'est appelé Fosco, de ce père qui ne connaît pas son fils, de ce fils qui ne sait ni de quel père, ni de quelle mère il est né; de cette Guanhumara qui cache son nom et médite dans l'ombre de si terribles vengeances; c'était peu de ces élixirs, mystérieux souverains de la vie et de la mort, de ces crimes sombres ensevelis dans la unit du caveau fratricide, de ces deux cadavres flottant sur les eaux du fleuve et recueillis secrètement par des bergers; c'était peu de toutes ces énigmes et de tous ces hasards; ce mendiant, que Job a reçu au bruit des clairons vient encore ajouter un mystère de plus à tous les mystères qui se disputent le château d'Heppenhef.
(Geffroy, rôle d'Otbert.)
(Barberousse.)
Le mendiant est sinistre et redoutable à voir: sur ses épaules flotte un vaste manteau en haillons qui se replie sur sa tête et recouvre son front plein de rides et dépouillé; ses yeux sont profonds et caves; une épaisse barbe, blanchie par l'âge, descend, de ses lèvres sur sa poitrine, en longs sillons d'argent. Le vieillard s'appuie sur un grand bâton noueux, comme un pèlerin errant après une course pénible. Il a les pieds chaussés de poudreuses sandales, et les reins ceints d'une corde d'où s'échappent les grains d'un rosaire. Cependant cette vieillesse est puissante et forte, et sous ces haillons, je ne sais quelle grandeur se laisse pressentir.
Mais, en effet, quel est cet homme? Ecoutez-le, il gémit sur les misères de l'Allemagne: il déplore la décadence et la faiblesse de ce grand empire abaissé; il remue de sa parole les intérêts des souverains et des peuples, et sonde les plaies de cette vieille patrie germaine en proie aux vautours dévorants. Est-ce là le langage d'un mendiant, d'un pauvre vagabond qui, dormant sur le roc et buvant aux sources des fontaines, se soucie peu des nations et des princes? Patience! nous connaîtrons bientôt le vieillard, nous lirons enfin son grand nom sous cette livrée du pauvre. Mais le temps n'est pas encore venu; qu'il aille s'asseoir, en attendant, sur le banc de pierre du Burg, et réchauffer ses quatre-vingt-douze ans au feu du soleil; car il a quatre-vingt-douze ans, le mystérieux inconnu.
Cependant, au milieu de ces querelles et de ces orgies, de ces pères qui gourmandent leurs descendants, de ces mendiants quadragénaires et de ces rosaires à tête de mort. Régina a refleuri. Guanhumara avait raison: l'élixir tout-puissant vient de rendre, goutte à goutte, la santé et la joie à cette jeune Régina tout à l'heure pâle et mourante. Maintenant, il faut à Guanhumara le salaire de cette résurrection, et vous savez quel salaire! Guanhumara veut être payée en assassinat. «J'ai tenu ma promesse.--Je tiendrai la mienne, répond Otbert!.--Bien! je t'attends ce soir.--A quelle heure!--A minuit.--Ou?--Dans le caveau de la Tour.--J'y serai.--Là tu trouveras un homme.--Son nom?--Fosco!--Qu'est-ce que Fosco?--Tu le sauras ce soir.»
Ainsi rien n'émeut le coeur de Guanhumara, et rien ne le désarme. Son ressentiment n'est pas même touché du plaisir que montre le vieux Job en voyant Régina renaître. Ah! bien plutôt, sa fureur s'en augmente. Quoi! il serait heureux! quoi! il aurait encore des joies! Job cependant caresse Régina, et lui parle d'Otbert: Job aime Otbert, un secret instinct, une indéfinissable tendresse, l'attirent vers lui:
Vois-tu, ma Régina, cette noble figure
Me rappelle un enfant, mon pauvre dernier-né
Quand Dieu me le donna, je me crus pardonné.
Voilà vingt ans bientôt.... Un fils à ma vieillesse.
Quel don du ciel!... J'allais à son berceau sans cesse
Même quand il dormait, je lui parlais souvent;
Car, quand on est très-vieux, on devient très enfant
Le soir, sur mes genoux j'avais sa tête blonde
Je te parle d'un temps... tu n'étais pas au monde.
Il bégayait déjà les mots dont on sourit;
Il n'avait pas un an, il avait de l'esprit.
Il me connaissait bien! . . . . . . . . .
Je l'avais nommé George; un jour, pensée amère,
Il jouait dans les champs... Ah! quand tu seras mère,
Ne laisse pas jouer tes enfants loin de toi!
Ou me te prit. . . . . . . . . .
Job est bon homme, comme on le voit, quoique un peu fratricide. Il pousse même la bonhomie jusqu'à favoriser l'enlèvement de Régina par Otbert. S'il était le seul maître à Heppenhef, il les marierait; mais le farouche Hatto, que dirait-il? Nos jeunes amants n'ont qu'un seul moyen d'éviter sa fureur, c'est de fuir.
Mon donjon communique aux fossés du château;
J'en ai les clefs! . . . . . . . . . .
Et en effet, Job va chercher les clefs lui-même:--Maintenant partez, dit-il. Assurément, c'est là un rare pratiquer de vieillard, pratiquer de complicité des enlèvements de mineures, prêter se clefs ad hoc et ouvrir la porte aux amours qui s'envolent, voilà un passe-temps qui n'est pas commun à cent ans, âge exact de Job.
Malheureusement, Job, tout centenaire qu'il est, a causé tout haut comme un étourdi. Guanhumara écoutait, et Guanhumara prévient Hatto. Hatto arrive furieux. Otbert le provoque.--Allons donc! répond Hatto. Tu n'es qu'un aventurier; que quelque gentilhomme t'assiste, et je me battrai avec toi!... Tout à coup une voix formidable s'écrie:
J'ai quatre-vingt-douze ans, moi, je te tiendrai tête!
Et l'on voit alors le mendiant apparaître et fendre la foule. Ici se dévoile une partie du secret de ce terrible porte-besace:--Qui es-tu?--Frédéric de Souabe, empereur d'Allemagne! Certes, j'avais raison tout à l'heure, ce mendiant n'était pas un mendiant ordinaire. Il est empereur, et quel empereur! Frédéric Barberousse, rien que cela! Frédéric s'est introduit dans le repaire des Burgraves pour les châtier:
.... L'empereur met le pied sur vos tours,
Et l'aigle vient s'abattre au milieu des vautours.
Hatto et ses compagnons résistent! que leur fait l'empereur? Ne sont-ils pas maîtres dans leurs domaines? Ah! noble César, tu vas payer cher ton insolence!
Qu'on lui fasse un gibet digne d'un empereur!
--Cela ne sera pas! s'écrie Job; non, cela ne sera pas!--Le vieux Job, en effet, a conservé le culte des antiques croyances; c'est un Burgrave élevé dans l'amour de l'empire et dans le respect de l'empereur; il se prosterne donc aux pieds de Barberousse, et oblige son fils et ses hommes d'armes à s'agenouiller comme lui devant l'impériale majesté.
Alors Barberousse se penchant vers Job:
.... Fosco! (dit-il)--Ciel!--Point de bruit, Va m'attendre ce soir où tu vas chaque nuit.
Nous avons vu l'aïeul, puis le mendiant, il nous reste le caveau. Descendons-y, il est temps.
Ce souterrain est redoutable et sombre; il donne sur le Rhin aux flots mugissants, et sa nuit n'est éclairée que par un jour incertain et blafard qui se glisse au travers des barreaux de fer: deux de ces barreaux sont tordus et brisés. Là, le fratricide a été commis, et par cette ouverture, la jalousie de Fosco (Job) a précipité Donato et son écuyer percés de coups. Là encore Guanhumara a succombé à l'attentat qui a donné la vie à Otbert. L'homicide, le fratricide, le viol, horribles souvenirs, errent dans ce caveau plein de forfaits et de ténèbres.
Job vient d'y descendre, et l'aspect de ce lieu funeste ranime dans sa conscience la mémoire de son crime. Une voix retentit trois fois sous les voûtes attristées: Caïn! Caïn! Caïn! qu'as-tu fait de ton frère?
A ce terrible appel, Job tressaille, regarde et reconnaît Guanhumara; oui, Guanhumara, qui tient enfin sa vengeance. Elle se découvre à Job, ou plutôt à Fosco, qui reconnaît dans Guanhumara cette Ginevra qu'il a déshonorée. Ginevra la fiancée de Donato, poignardé par lui. Eh bien! le temps est venu d'expier ce double crime; mais Job-Fosco l'expiera cruellement; il sera tué tout à l'heure, tué à la place même on il a tué Donato, tué par la main de son propre fils;--car ce fils existe, lui dit Guanhumara. C'est moi qui te l'ai pris.--Je veux le voir:
Tu vas le voir aussi;
C'est lui qui va venir te poignarder ici.
C'est Otbert!
Job ne croit pas à tant de cruauté; non, son fils, non, Otbert ne l'assassinera pas.--Il le fera, j'ai pris mes sûretés. S'il t'épargne, Régina mourra, et déjà son cercueil est préparé; vois plutôt. Et, en effet, des hommes masqués apportent le cercueil et l'entr'ouvrent; Job y reconnaît Régina endormie; un breuvage prépare par Guanhumara a causé ce sommeil voisin de la mort. Pour peu que Job vive, Guanhumara doublera la dose, et ce sera fait de Régina. Eh bien! Job se laissera tuer.
Voici Otbert. Guanhumara se tient cachée; Otbert recule à l'aspect vénérable de Job, comme Séide devant la vieillesse de Mahomet, ou comme le Cimbre qui s'écrie:--Non, je ne tuerai pas Caïus Marius! Il s'élève alors entre ces deux hommes, la victime et l'assassin, une lutte étrange. Otbert hésite à frapper, et Job sollicite le poignard.--Tue-moi! j'ai tué mon frère. Enfin Otbert se décide au meurtre: à ce moment, un grand vieillard s'avance au fond du souterrain et arrête le bras d'Otbert.--Ce frère que Job pleure, et dont ses remords expient le trépas, il vit, c'est moi, dit le vieillard. Or ce vieillard, le reconnaissez-vous? c'est encore Frédéric Barberousse, autrefois connu dans le château d'Heppenhef sous le nom de Donato. Pour expliquer le fratricide, sachez que Job-Fosco est le bâtard de l'empereur d'Allemagne, dont Barberousse, ci-devant Donato, est le fils légitime. Qu'en dites-vous? ce château d'Heppenhef est-il assez muni de surprises et de métamorphoses, de pères ignorés, de mères cachées, de frères déguisés, de reconnaissances et d'élixirs de toute espèce.
Puisque Donato se retrouve dans Barberousse, puisqu'il vit, et puisqu'il pardonne, la vengeance de Guanhumara n'a plus d'aliment ni de but. Il faut cependant que quelqu'un meure, ce sera Guanhumara: ce cercueil ne doit pas sortir vide; Guanhumara l'a juré en femme qui tient un serment; elle s'y mettra à la place de Régina. Mais, avant que je meure, dit-elle, reprenez tout ce que je voulais vous ravir:
.... Une fureur jalouse.
Toi, ton fils George, et toi, Régina, ton épouse.
A ces mots, la farouche Guanhumara pousse un cri, tombe et expire en jetant un dernier regard sur son cher Donato d'autrefois, le Barberousse d'aujourd'hui.
Nous venons de faire connaître le nouveau drame de M. Hugo par une exacte analyse; ce sont les pièces du procès que nous soumettons purement et simplement au bon sens et à l'appréciation du lecteur, le style, il peut le juger par les citations que nous avons faites; le drame, par le récit des événements qui le composent et par l'exposition des personnages qui y prennent part. Pour nous, il nous reste à peine le temps d'apporter ici, en quelques lignes, l'écho des sentiments et de l'opinion que la première représentation de cette oeuvre bizarre a fait naître parmi ses auditeurs.
Personne, pas même les amis les plus décidés du poète, personne n'a amnistié l'oeuvre au point de vue de l'art dramatique. Par son attitude réservée, le public a paru convenir d'une voix unanime que, pour l'invention, elle appartenait à la poétique du mélodrame à laquelle elle emprunte ses moyens peu scrupuleux et ses ruses banales: enfant trouvé, femme malheureuse et persécutée, philtres surnaturels, vieille magicienne, vieux châteaux, sombres caveaux, noms supposés, noires apparitions, déguisements sans nombre, reconnaissances sans fin, haines infiniment trop prolongées, toutes les invraisemblances et toute la fantasmagorie que la poétique du boulevard du Temple a depuis longtemps épuisée; et au milieu de cette accumulation de faits mystérieux et d'impossibilités, point d'action et peu de drame; l'attention ne sait où se prendre; l'intérêt ne sait où se porter; tout est vague, tout flotte au gré de la fantaisie, du poète; à chaque instant, l'on s'égare dans les caprices infinis de la période et de la tirade; en un mot, c'est le discours et la rime qui commandent ici exclusivement; le drame s'en tire comme il peut. Donc, peu d'invention dans les faits, point de composition, voilà pour le fond des choses.
Le poète prend souvent la revanche de l'auteur dramatique; quand je dis le poète, j'entends l'ouvrier habile et sonore de vers, ou rudes, ou élégants ou pompeux; car, distinguons bien: on est poète par les sentiments et poète par la forme: c'est dans la forme que réside surtout la force poétique de M. Victor Hugo; elle décrit plus qu'elle ne parle, elle s'adresse aux yeux et à l'oreille plus souvent qu'à l'esprit et à l'âme. Dans les Burgraves, cette faculté descriptive se manifeste abondamment et domine jusqu'à l'abus et à la tyrannie: on peut dire que les Burgraves se composent d'une tirade divisée en trois ou quatre personnages. Toute cette poésie est d'ailleurs singulièrement mêlée de beautés et d'erreurs. Elle est forte, grande, hardie; mais que de fois elle prend la brutalité pour la force, l'outrecuidance pour la hardiesse, l'exagération pour la grandeur; que de fois elle croit aller au naïf et arrive au puéril; que de fois elle frappe à la porte du sublime et entre chez son voisin.
Le public s'est conduit avec beaucoup de goût et de sang-froid; il a battu des mains aux choses qui méritaient un bravo; et ce n'est que par sa froideur ou par un léger sourire qu'il a marqué les endroits qui lui convenaient peu.
Les costumes et les décors resplendissent dans la pièce; les cuirasses et les casques y résonnent à l'imitation des meilleurs vers de M. Hugo. Quant aux acteurs, ils sont pleins de dévouement. Madame Mélingue a donné à ce rôle de Guanhumara le caractère de haine implacable et de violence sauvage qu'il demande.
On a été sage et décent dans les deux camps, si toutefois il y a encore deux camps: le temps de la grande lutte est passé: car à quoi bon?
(Suite et fin.--Voyez p. 2.)
Un matin, j'étais enfermé avec l'Imitation de Jésus-Christ, quand j'entendis frapper à ma porte: on ouvre, on entre; c'était la veuve qui habitait ma maison, pauvre femme, jeune encore; son aspect m'avait déjà frappé et attendri; pâle, maigre, on lisait la destruction sur son visage, et quand, assise entre ses deux petits enfants, elle les regardait, des larmes si douloureuses lui remplissaient les yeux, qu'on ne pouvait retenir les siennes. «Que voulez-vous, chère madame?» lui dis-je avec affection et en lui offrant un siège. Mais, elle, le repoussant et se jetant à mes genoux avec des sanglots: «Sauvez-moi! monsieur, s'écria-t-elle; vous êtes médecin, je l'ai lu sur cette carte; vous êtes bon, je le lis sur votre visage... Vous me sauverez!...» Je veux l'interrompre; mais comment arrêter un malheureux qui parle de ses maux? Et voilà la pauvre femme qui, moitié pleurant, moitié parlant, me raconte qu'elle est malade depuis quatre années, qu'elle a deux enfants, qu'elle a essayé de mille remèdes sans succès, qu'elle se sent dépérir, et que cependant il faut qu'elle vive, qu'elle le veut, qu'elle le doit; et là-dessus de se jeter à mes pieds de nouveau en s'écriant: «Sauvez-moi!» Jugez de ma perplexité; j'étais ému, troublé par mille sentiments contraires, par mille devoirs opposés. Accepter ce titre de médecin, c'était mentir, non plus tacitement, non plus sur ma porte, mais mentir par mes paroles, mentir par mes actions. D'un autre côté, lui avouer que je n'étais pas médecin, c'était livrer mon secret à une foi inconnue, qu'on tenterait, qu'on effraierait peut-être; c'était exposer ma vie; mais si je ne la détrompais pas, il fallait la soigner, et comment le faire? Je n'avais aucune connaissance en médecine, pas même celles que possèdent d'ordinaire tous les curés de village. Allais-je donc me jouer avec ces mystères terribles de la maladie et de la guérison, employer homicidement peut-être les secrets de la nature, perdre cette femme enfin pour me sauver? Bouleversé par tant de réflexions contraires, j'allais lui révéler tout, et je me levais déjà pour parler; mais elle, lisant d'avance mon refus sur mon visage: Taisez-vous! taisez-vous!... s'écria-t-elle en m'appliquant sa main sur les lèvres; ne me dites pas que vous me refusez!... Si vous ne m'accueillez pas, je le sens, le désespoir s'emparera de moi, sans remède!... Le premier jour où vous êtes entré ici, le premier moment où je vous ai vu, je me suis dit: Voilà celui qui me guérira! Ne me repoussez pas! Je ne possède rien, c'est vrai; je ne vous donnerai rien, c'est vrai... mais je souffre enfin!... Si j'étais seule, je ne vous supplierais pas;... mais mes enfants!... mes enfants!... Oh! des larmes roulent dans vos yeux... vous dites oui... je suis sauvée!... En disant ces mots, elle baisa mes mains avec transport.
J'étais vaincu. D'ailleurs, vous l'avouerai-je? la confiance aveugle, fatale de cette pauvre femme avait presque passé en moi. Comment pus-je former cette pensée, je ne saurais le dire, mais il me semblait qu'il y avait là autre chose que de la superstition de sa part, que de la folie de la mienne, et quand elle commença le récit de ses souffrances, j'écoutai et je la laissai aller; j'obéissais à une voix irrésistible. Le récit achevé, il fallut trouver un remède. Heureusement je me rappelai une sorte de bourrache nommée vipérine; c'était une substance innocente et un nom singulier: je ne pouvais mieux rencontrer; je lui en ordonnai deux tasses par jour, et elle partit. A peine seul, je me jetai à genoux avec ferveur; attendri par les larmes de cette pauvre femme, je suppliai ardemment Dieu de faire de moi son sauveur... L'impossibilité de l'entreprise? Qu'était-ce pour celui qui peut tout? Et quand je me relevai, j'étais plein de confiance et d'espoir. De confiance en quoi? je ne sais; d'espoir sur qui? je l'ignore: mais je croyais et j'espérais.
Le lendemain, elle arrive dés le matin; elle frappe; je tremblais un peu en lui ouvrant: «J'ai dormi! s'écrie-t-elle, j'ai dormi!» Elle était ivre de joie. Le hasard, non, pas le hasard, avait voulu que ses souffrances se calmassent cette nuit-là. Elle me baisa les mains avec ivresse, et son coeur s'ouvrant à la reconnaissance, elle se mit à me raconter toute sa vie! Hélas! c'était cette triste et sombre histoire que j'avais si souvent entendue dans l'exercice de mon ministère, et qui remplissait nos campagnes avant la Révolution... Le fils d'un grand seigneur qui l'avait aimée, une faute, l'abandon, la misère, l'angoisse sur le sort de ses enfants, le remords de leur avoir donné le jour, les restes mal éteints d'une affection coupable, tout ce qui déchire, aigrit, consume. Je me retrouvais dans mon rôle: un pauvre coeur torturé à calmer! Je lui parlai au nom de Dieu; j'adoucis ce qu'il y avait de trop amer dans ses remords; je la relevai à ses propres yeux par son repentir; je lui montrai l'espérance, et quand elle me quitta, elle me dit: «Votre voix a fait à mon coeur le même bien que votre breuvage à mon corps.» Je ne répondis que par deux autres tasses de bourrache. Le lendemain, nouvelle visite, nouvel entretien. Ce que j'avais entrevu la veille m'apparut alors distinctement: c'était mieux qu'une âme souffrante, c'était un être bon et même élevé. Je m'y attachai, je la cultivai. Sevré moi-même depuis deux mois de mon ministère de consolation et de tendresse, toutes ces paroles de charité qu'un silence forcé refoulait dans mon coeur, tous ces soins paternels que j'étais habitué à donner à mon cher village, je les concentrai, les répandis sur elle avec abondance, avec délices; j'étais heureux d'entendre, elle était heureuse d'être entendue, et chaque jour je la revoyais avec mille bonnes pensées consolantes... et toujours deux tasses de bourrache. Une amélioration sensible commença à se manifester; comme presque toutes les femmes, sa maladie était du chagrin; en guérissant le coeur, je guérissais le corps, et ma vipérine faisait merveille, ainsi mêlée avec la parole de Dieu; si bien qu'au bout de quinze jours, ma pauvre hôtesse commençait à marcher: au bout d'un mois, elle dormait; six semaines plus tard, elle riait, et après deux mois, elle m'appelait son sauveur.
--Combien vous dûtes être heureux!
--Oui... d'abord; mais après, savez-vous ce qui m'arriva?... Cette cure me coûta bien cher! La pauvre femme s'en va racontant partout sa guérison et sa reconnaissance, on crie au miracle; son visage plein de santé répand mon nom aux environs. Hélas! mon cher ami, me voilà grand médecin! grand docteur! Arrivent alors chez moi tous les incurables, toutes les infirmités, des maladies dont je ne savais pas même le nom. Je refuse de les traiter: nouvelle cause de popularité; on ne voulait plus guérir que par moi. Au moins, s'ils s'étaient contentés de me faire médecin: mais n'y en a-t-il pas qui voulaient que je fusse opérateur! Et je ne vous parle pas des consultations qui troublaient plus que mon amour pour la vérité. On dit qu'un médecin est un confesseur: c'est possible, mais un confesseur qui se fait médecin se prépare à de singulières confidences... J'en perdais la tête... Et contre tant d'ennemis, quel soutien avais-je?... quel allié?... Hélas! un seul... la bourrache! Ma foi, je pris ma résolution bravement, et je me lançai en aveugle dans mes destinées...--Monsieur, j'ai une ophthalmie--Prenez de la bourrache.--Monsieur, j'ai mal aux dents.--Prenez de la bourrache.--Monsieur, mon mari m'a battue.--Prenez de la bourrache. J'espérais au moins que l'insuccès me délivrerait de ces obsessions... Bah! ils guérissaient, guérissaient, guérissaient, guérissaient! C'était une épidémie! Et des présents! de l'argent! de l'argent que je n'avais pas gagné! des présents que je ne méritais pas!... J'étais dans une situation à faire, pitié!... Riez!... riez!... vous allez juger si j'avais lieu de rire, moi. Ce n'était rien que les admirateurs, que les clients: vinrent les rivaux. Une place n'est jamais vacante; quand on y monte, on la prend à quelqu'un. Ces gens n'étaient pas tombés malades tout exprès pour être guéris par moi;... ils avaient un médecin, et je me trouvai bientôt en face de la plus redoutable! et de la plus furieuse inimitié qu'on put voir. Il y avait près de la ville un médecin du nom de Laroche à qui s'adressaient tous les habitants de la campagne et des faubourgs. Il régnait sur eux par la terreur. Haut de six pieds, fort comme un athlète, violent comme un soldat (il avait été dragon), mêlé aux paysans, buvant avec eux, il disait à ceux qui tombaient malades: «Je t'ordonne de me choisir;» et à ceux qui l'avaient choisi: «Je te défends de me quitter.» Au reste, pour vous peindre d'un trait ce médecin de campagne d'une nouvelle espèce, pour vous montrer comment il s'était créé sa clientèle et se faisait payer de ses clients, je vais vous raconter un entretien que j'ai presque retenu mot pour mot, tant il m'a paru caractéristique. La maison où je logeais avait un jardin de quelques pieds, séparé seulement par une haie de l'habitation de Pierre, le charron du faubourg. Tout ce qui se passait chez lui, je l'entendais. Un jour donc que j'étais assis derrière cette haie, quelques paroles vives frappèrent mon oreille. J'écoutai et je regardai. Il y avait trois personnes assises sur la porte; Pierre, une vieille femme et un ouvrier nommé Desnoues. Voici ce qu'ils se disaient:
DESNOUES.--Est-ce que M. Laroche te doit aussi de l'argent, Pierre?
PIERRE.--A qui n'en doit-il pas? C'est sa manière de se faire des pratiques.
DESNOUES.--Comment cela?
PIERRE.--Oui, quand il est arrivé dans ce pays, pour faire sa médecine, il a été chez le tailleur, il lui a commandé un habit; il a été chez le marchand de vins, il lui a pris une pièce de vin; il est venu chez moi, il m'a acheté une carriole, et puis quand nous avons été à la paie, rien dans la poche, c'est-à-dire dans la main. «Mes amis, quand vous serez malades, venez me trouver, je vous soignerai pour rien.»
DESNOUES.--Ça fait que, comme il doit à tout le monde, il est le médecin de tout le monde.
PIERRE.--Juste.
LA MÈRE GALLOIS.--Mais tenez, Desnoues, me voilà, moi: il me devait six écus de blanchissage... Heureusement, j'ai fait une fluxion de poitrine, sans ça je n'en aurais jamais eu un sou.
DESNOUES.--Voyez-vous le madré!
PIERRE (avec résolution).--Eh bien! moi, ça m'est égal; il ne se mettra pas à son aise comme ça avec moi. Il me doit, et je le forcerai bien à me payer.
DESNOUES (avec terreur).--Le forcer? prends garde.
PIERRE.--A quoi donc?
DESNOUES.--C'est un taureau.
PIERRE.--Regarde mes bras!
DESNOUES.--C'est un sorcier.
PIERRE.--Tu crois à cela, toi?
DESNOUES.--Si j'y crois? Il s'entend avec les maladies. Il y a deux ans, il devait trois mille francs dans le pays; il a fait venir la peste pour s'acquitter.
PIERRE.--Elle serait venue sans lui.
DESNOUES.--Et le père Ganille! Il avait demandé M. Aubry. M. Laroche va le trouver... Ah! tu m'ôtes ta confiance, vieil ingrat; eh bien! voilà ce que je t'envoie à ma place; tiens, voilà la paralysie, tiens, voilà la pleurésie! Et le père Ganille est mort un mois après.
PIERRE.--D'un coup de pied de cheval. Vous êtes tous des poltrons. Il me doit dix écus d'une carriole, je lui dois six francs de visite; il me paiera le surplus, ou nous verrons.
DESNOUES.--Qu'est-ce que nous verrons?
PIERRE.--On s'entend.
DESNOUES.--Tiens, justement le voici.
PIERRE.--Eh bien! tant mieux. Ecoute bien...
C'était en effet M. Laroche; il entra avec cette brusquerie familière et cordiale qu'il savait si bien prendre pour gagner les paysans; et frappant sur l'épaule du charron avec son énorme main: Le voilà donc enfin, ce brave Pierre; il y a bien longtemps que je ne l'ai vu.
PIERRE.--Je ne trouve pas cela.
M. LAROCHE.--Tu grondes, vieux grognard! Moi qui me suis dérangé pour venir boire avec toi le reste de ta pièce rouge... Allons, descends à la cave, et va nous chercher quelques vieilles bouteilles.
PIERRE.--Merci! je n'ai pas soif.
M. LAROCHE.--Eh bien! tu ne boiras pas.
PIERRE.--Ni vous non plus.
M. LAROCHE.--Ah! voilà l'air que tu chantes! eh bien! garde ton vin!... Mais tu vas me payer ce que tu me dois.
PIERRE.--Qu'est-ce que je vous dois?
M. LAROCHE.--Comment! renégat, est-ce que tu ne me dois pas six francs de visite?
DESNOUES (bas à Pierre).--Prends garde!
PIERRE.--Laisse donc... (A M. Laroche.) Oui, mais vous me devez dix écus; donnez-moi vingt-quatre francs, et nous serons quittes.
M. LAROCHE (avec colère).--Paie-moi d'abord.
PIERRE.--Puisque vous me le rendriez tout de suite, ce n'est pas la peine; mon argent n'aime pas les voyages.
M. LAROCHE.-Ah çà, me paieras-tu à la fin?
PIERRE.--Oui, avec votre monnaie.
M. LAROCHE.--Prends garde à toi!
PIERRE.--Il ne faut pas tant crier, parce que je crierais plus fort. J'irai devant la justice, je lèverai la main...
M. LAROCHE.--Ah! tu lèveras la main!... Eh bien! je vais la lever aussi...
Et il courut sur le charron.
PIERRE.--Des coups de poing? j'en suis...
Et, retroussant sa manche, il lui porta un coup vigoureux... Mais M. Laroche, lui saisissant le bras, le fit reculer.--Tu n'as pas encore assez mangé de pain pour cola, maître Pierre... Ah! tu ne me paieras pas!...
La bataille commença. Je m'élançai à travers la haie pour aller les séparer; mais la haie était épaisse, et mes efforts étaient vains, M. Laroche, après quelques instants de lutte, renversa Pierre sur son établi...
PIERRE.--Vous me faites mal.
M. LAROCHE.--Je le sais bien.
PIERRE.--Desnoues, viens à mon secours!
M. LAROCHE (à Desnoues).--Ne bouge pas, ou je t'en fais autant. (A Pierre, le frappant.) Me paieras-tu?
PIERRE.--Au secours!
Je me débattais dans mes ronces.
M. LAROCHE.--Me paieras-tu?
PIERRE.--Lâche!...
M. LAROCHE.--Me paieras-tu?
PIERRE.--Il m'étrangle! il m'assomme!
M. LAROCHE.-Paie.
PIERRE (d'une voix éteinte).--Voici l'argent.
M. LAROCHE.--Où?
PIERRE.--Là... dans ce tiroir... tenez... prenez...
M. LAROCHE (le lâchant et prenant l'argent.).--A la bonne heure, le voilà raisonnable.
PIERRE (se laissant tomber sur une chaise).--Je suis à moitié mort.
Débarrassé de ma haie, je m'apprêtais à lui porter remède, n'ayant pu lui porter secours; mais à ce combat succéda la scène la plus étrange, et je dirai presque la plus comique du monde.
M. Laroche, après avoir pris l'argent, s'était approché de Pierre, dont le visage était tout meurtri, et qui gémissait. Il le regarde, et, passant tout à coup à un ton de compassion naïf et paternel:--Mon pauvre garçon, comme te voilà arrangé!
PIERRE.--Je n'en puis plus.
M. LAROCHE.--Attends!... attends!... Nous allons te soigner; tu es père de famille... tu as besoin de travailler... Mère Gallois, faites chauffer de l'eau.
PIERRE.--Ah! mon front!
M. LAROCHE (l'examinant).--Quel coup tu as attrapé! Là!... et ici!., et sur le bras!... Miséricorde! tu n'es que plaies et bosses.
PIERRE.--Ah! mes reins!
M. LAROCHE.--Attends!... J'ai là un liniment qui le fera beaucoup de bien... Pauvre Pierre!
PIERRE.--Aie!... aie!...
M. LAROCHE (vivement).--Allons donc, mère Gallois!... Dépêchez-vous donc!... Vous voyez bien que cet homme souffre!
LA MÈRE GALLOIS (à part).--Il est bon au fond.
M. LAROCHE.--Et toi. Desnoues, qu'est-ce que tu fais là? Viens donc m'aider à le mettre au lit; il ne peut plus se soutenir. (Ils le mirent au lit.)
M. LAROCHE.--Es-tu bien?
PIERRE.--Oui, monsieur Laroche.
M. LAROCHE.--Tu es bien malade, mon pauvre Pierre; mais sois tranquille, je suis là.
PIERRE.--Merci, monsieur Laroche.
M. LAROCHE.--Je ne t'abandonnerai pas.
PIERRE.--Non, monsieur Laroche.
M. LAROCHE.--Allons, tiens-toi bien chaudement. Adieu, mes bons amis. Et il s'éloigna.
DESNOUES (à Pierre).--Eh bien! Pierre?
PIERRE.--Eh bien! il me paiera comme il a payé la mère Gallois, en fluxion de poitrine.
M. LAROCHE (revenant).--Pierre, je te préviens que le liniment c'est deux francs.
PIERRE.--Oui, monsieur Laroche. Voulez-vous que je vous paie d'avance?
M. LAROCHE.--Par exemple!... est-ce que je ne suis pas sûr de toi?... Adieu!... adieu!
Tel était l'homme qui devint mon ennemi; ajoutez à ce portrait une force de haine comparable à sa force physique, une jalousie envieuse de ce que je gardais ma dignité vis-à-vis des paysans, et enfin, un dernier mot, un titre qui vous dira tout ce que j'avais à redouter de lui... il était membre du tribunal révolutionnaire. Quand la révolution avait éclaté, il s'y était jeté avec fureur, et dès 90 était arrivé, à 95. Il dominait à la ville dans sa section par l'audace de ses conseils prescripteurs, et déployait là théoriquement ce mépris de la vie des autres qu'il avait montré dans ses actions comme soldat et comme médecin. Je l'avoue, malgré mon diplôme, je tremblais devant lui. Quand nous nous rencontrions, son regard jaloux et cruel tombait sur moi comme sur une proie, cherchant une place où il pourrait me frapper. Il semblait que sa haine devinait en moi quelque titre caché qui me livrerait à lui. J'enveloppais dans une dignité calme et dans un silence sévère tout ce qui aurait pu me trahir...; j'effaçais mes gestes, mes paroles, ma démarche habituelle..., et pourtant je n'étais pas sans crainte... S'il avait su que j'étais prêtre!... Eh bien!... eh bien! il le sut!
--Comment?
--Il l'apprit!... on le lui dit!
--Qui donc?
--Moi!
--Vous!...
--Oui, moi!... Je n'oublierai jamais ce jour terrible et cette réunion presque solennelle. Mon hôtesse avait pour voisine une jeune femme restée veuve avec une jeune fille de dix ans. Tout à coup cette enfant est prise d'une maladie si terrible qu'en deux jours la gravité devint danger, le danger devint mortel. M. Laroche était son médecin; on l'appelle. Tout ce qu'il essaie demeure impuissant... La destruction advenait. Eperdue, la mère demande d'autres soins, d'autres conseils «M. Aubry! je veux M. Aubry!» On me fait venir; un troisième médecin est appelé, et le soir, à huit heures, nous entrons dans cette maison pleine de larmes et d'angoisses. La pauvre mère nous attendait dans la pièce d'entrée; c'est elle qui nous ouvrit, c'est elle qui nous introduisit dans cette chambre, et rien ne peut rendre ce qu'il y eut de déchirant dans son accent et dans sa figure quand elle arriva devant ce berceau, et nous dit: «La voilà!» Nous la priâmes de s'éloigner, et nous restâmes seuls. Oh! que ceux qui ont trouvé un texte de scène plaisante dans une consultation de médecins n'en ont jamais vu autour du lit d'une personne aimée! Cette chambre obscure, cette lampe basse, ce berceau dans l'ombre, ce silence, cet arrêt à prononcer;... j'étais saisi d'une sorte de terreur. Il me semblait qu'on me faisait monter sur un tribunal, et qu'on me revêtait de la robe de juge dans une condamnation à mort. Juge aveugle, juge sans connaître la loi... sans balance, rien que le glaive! La pitié vint se joindre à ce sentiment d'effroi, et acheva de me troubler. M. Laroche prit l'enfant dans son lit; elle poussa un faible gémissement et l'on commença l'examen de ce pauvre petit corps amaigri, qui retombait plié en deux sur le bras qui le soulevait. De temps en temps, sans ouvrir les yeux, elle poussait de légers cris plaintifs qui me perçaient l'âme, et je me détournais pour cacher mon émotion: mon émotion m'eût trahi. L'enfant reposé dans son lit et la maladie expliquée, nous nous retirâmes dans la pièce voisine; mais alors éclata une scène inattendue, et qui fit bientôt deux condamnés à mort au lieu d'un. M. Laroche proposa un remède terrible, mais décisif, «L'enfant est perdue si on l'essaie, dit le second médecin, et il offrit un autre moyen.--Si on s'y arrête, elle est perdue! dit M. Laroche--Eh bien donc! reprit le premier, que M. Aubry prononce!--Moi!... moi!... m'écriai-je, frappé d'épouvante, jamais! je ne...» Je m'arrêtai; j'allais me trahir! Situation terrible! Que faire? choisir? c'était tuer l'enfant peut-être. Révéler la vérité? c'était me perdre. Plus calme, j'aurais pu me récuser et désigner un autre médecin. Mais, surpris par cette attaque imprévue, je ne voyais que l'échafaud d'un côté, un cercueil de l'autre; et, pressé entre ces deux hommes, l'un à ma droite, l'autre à ma gauche, tous deux me disant: «Elle est morte si on ne le fait pas; elle est morte si on le fait...» je me taisais, éperdu...
«C'en est trop, dit le second médecin; qu'il prononce, ou j'abandonne l'enfant.
--Arrêtez! repris-je vivement. Je la voyais perdue aux mains de M. Laroche.
--Prononcez donc!
J'hésitais encore... Le second médecin se leva pour partir...
--Je ne puis pas prononcer! m'écriai-je hors de moi, je ne le puis pas!
--Pourquoi?
--Je ne le dois pas!
--Pourquoi?
--Pourquoi! je ne suis pas médecin!
Je n'avais pas achevé ces mots, que M. Laroche pousse un cri sauvage. La mourante, son devoir, il oublie tout: il ne vit plus que sa victime; et marchant à moi les yeux étincelants:
«Qui êtes-vous donc?» me dit-il.
Je palis; son regard était un arrêt de mort.
«De quel droit m'interrogez-vous?
--Oubliez-vous de quel tribunal je suis membre? Pourquoi êtes-vous venu ici? pourquoi cachiez-vous votre nom? pourquoi avez-vous pris un titre faux? pourquoi mentez-vous.. l'état, au public?... Qui êtes-vous?...
Et il enfonçait, pour ainsi dire, chacune de ces interpellations comme un coup mortel... Je me taisais toujours...; je n'étais encore que suspect... Un mot, et j'étais condamné.
«Votre profession est donc bien vile, dit-il amèrement, puisque vous n'osez l'avouer?»
Bien vile!... ce mot m'avait fait rougir d'indignation.
«Puisque vous la reniez!...
--Bien vile!... repris-je avec plus d'énergie. Ah! je ne laisserai pas insulter mon maître!
--Son maître!... Il sert un roi.
--Oui..., un roi! un roi auguste! tout-puissant! Un roi que j'adore, et dont je proclamerai le nom jusque sous votre couteau!...
A ce moment un cri terrible partit de la chambre de l'enfant, et la porte s'ouvrant avec fracas, la mère se précipita au milieu de nous en s'écriant: «Elle meurt!... elle meurt!
--Eh bien! m'écriai-je à mon tour avec exaltation... puisque la mort est là, mon rôle commence! Eloignez-vous médecins du corps! vous n'avez rien à faire près de la mourante...; c'est moi qu'elle réclame...; ma place est auprès d'elle Je suis prêtre!.................
Le lendemain je comparaissais devant le tribunal révolutionnaire, et l'enfant était sauvée: une crise décisive, et que j'avais favorisée en ne décidant rien, l'avait rendue à la vie. On n'était pas longtemps accusé en 95: à quatre heures je montais, moi quinzième, sur la charrette fatale; cinq minutes après je passais devant la maison de ma pauvre veuve, qui s'était mise sur le seuil de la porte, et sanglotai! quand je lui dis adieu de la main; et enfin un quart d'heure plus lard je m'arrêtais au pied de l'échafaud.
«Mais, comment donc vivez-vous?»
A peine si je le comprends encore. Le temps était affreux; de la pluie, de la neige, et un ciel si sombre, qu'à quatre heures la nuit avait presque commencé. La foule cependant était considérable, attirée et exaspérée par le nombre inaccoutumé des victimes. La charrette, comme je vous l'ai dit, en contenait quinze: j'étais, moi, le dernier, assis à l'extrémité du banc, les mains liées derrière le dos. Mon coeur était serré, mais je n'avais pas peur; mon sacrifice était fait: je mourais pour avoir confessé le nom de mon maître... L'échafaud paraît... je vois le bourreau, je vois le couteau... La voiture s'arrête...; mon coeur bat plus vite. Comme on craignait quelque mouvement dans le peuple, qui murmurait déjà.... on entoure toute la voiture de troupes; mais on ne pose à l'extrémité de la charrette, près de moi qu'un seul soldat...; il me touchait presque. Le premier condamné descend...: je vois le couteau remonter rouge. Des cris s'élèvent dans la foule qui entoure les troupes et se presse sur nous; la pluie redouble et vient augmenter le désordre. Pour en finir plus vite, on fait avancer la charrette de trois pas; mais un pavé se trouve sous la roue, un cahot violent nous soulève; et, comme j'étais assis tout à fait à l'extrémité du banc, je tombe debout, mais les mains liées, devant le soldat qui gardait le derrière de la voiture..., j'allais parler; mais soudain.. Oh! comment peindre ce moment? soudain, sans dire une parole, sans changer de visage, il passe vivement entre moi et la charrette, et se pose l'arme au bras devant moi..., et me voilà dos à dos avec lui, caché par lui, couvert par l'obscurité, presque mêlé à la foule qui faisait plier le cordon de troupes, et, immobile, éperdue, attendait la fin de cette scène. Le sacrifice se poursuit au milieu des cris et de la confusion; j'entends descendre chacun de mes compagnons; je compte: douze... treize... quatorze...; c'est mon tour, on va m'appeler! Ciel! on se tait; la foule se précipite autour de l'échafaud, les troupes se dispersent: je me jette dans le peuple sans avoir pu serrer la main de mon bienfaiteur; et, porté par les flots de la multitude, j'arrive égaré, ruisselant de pluie, dans un chantier ou je me cache jusqu'à la nuit complète. La nuit venue, ma tête un peu calmée et mes mains délivrées, je me hasarde dans les rues, et je me dirige vers la maison de mon hôtesse. J'arrive, je regarde par la croisée: on était à souper. La pauvre femme, je la vois encore, tenait à la main une bouchée de pain qu'elle oubliait de porter à ses lèvres, et, elle pleurait. Je frappe tout doucement..., on m'ouvre. «Ah!--Silence!» Une fois là, mes larmes éclatent, et je tombe à genoux en remerciant Dieu. Je leur contai tout. On me tint caché trois jours, puis je revins ici, où l'on ne songeait plus à me chercher, et où j'ai vécu jusqu'à mes quatre-vingt-deux ans, ce dont je rends grâce à Dieu, car j'ai fait un peu de bien, je crois. J'ai aimé, j'ai été aimé, et je serai pleuré..., pas de si tôt encore, j'espère... Puis il ajouta gaiement: Je marche sans bâton, je lis sans lunettes, et j'ai là une bouteille de vieux vin de Bourgogne dont je veux prendre avec vous un verre, sans que ma main tremble en le portant.
Il prit la bouteille:
A votre bon voyage, mon jeune hôte...: quand je partirai pour le mien, je veux qu'on vous en fasse part, et vous vous direz: «Ah! ce pauvre curé Barbois! Quel dommage! c'était un brave homme!...» Bonsoir, mon hôte!
E. Legouvé.
EXPOSITION DE LA SOCIÉTÉ DES AMIS DES ARTS.
Depuis quelques jours la Société des Amis des Arts a ouvert dans la salle de ses séances, au Louvre, son exposition annuelle.
Cette société a été fondée avant la Révolution: mais son influence était alors excessivement restreinte, tant par l'exiguïté de ses revenus que par le petit nombre de peintres en France à cette époque.
La Révolution interrompit ses travaux; les derniers temps de la République et ceux de l'Empire laissèrent peu de loisir pour la culture des beaux-arts, les graves questions de la guerre faisant dominer leur intérêt puissant sur tous les autres intérêts du pays.
La paix, avec la Restauration, jeta tout à coup dans les arts une foule inoccupée. Les grands noms des Gérard, des Gros, des Prud'hon, des Guérin, etc., étaient seuls connus; les travaux, peu nombreux du reste, leur revenaient de droit, et les jeunes talents abandonnés s'en allaient à la merci de la faim et du désespoir. Quelques hommes éclairés, frappés de la gravité de la position, se ressouvinrent qu'il avait existé une société vouée à l'encouragement des talents naissants et malheureux; ils résolurent de la rétablir sur de nouvelles bases plus larges et plus solides. Le duc de Berry leur prêta son appui et l'autorité de son patronage, et, dans le courant de l'année 1817, la Société des Amis des Arts fut reconstituée. Parmi les artistes qu'elle prit alors sous sa protection, nous devons citer Xavier Leprince, qui lui dut une partie de ses succès.
Depuis, elle a su distinguer et former pour ainsi dire, à force de commandes, le jeune Tanneur, l'un des peintres de marine aimés du public.
Vers 1830 la Société des Amis des Arts avait été patronnée par le duc d'Orléans; la duchesse d'Orléans a accepté, au nom du comte de Paris, cette part honorable de l'héritage paternel.
Le président de la Société est M. le comte de Noé; les vice-présidents, MM. Taylor et de Gassaud.
M. le comte Caccin est trésorier; le secrétaire et les vice-secrétaires sont MM. Valpinçon et Leblanc, Brocard et Duchesne aîné.
De 1817 à 1842, la Société des Amis des Arts a fait exécuter à grands frais par nos plus habiles graveurs trente-deux précieuses reproductions des tableaux célèbres des maîtres français et étrangers.
Les principales sont: Daphnie et Chloé d'Hersent, le Zéphyr de Prud'hon, Sapho de Gros, la Sainte Anne et la vierge de Léonard de Vinci, gravées par Laugier; la psyché de Prud'hon, gravée par Müller; la Justice et la Vengeance divine de Prud'hon, gravée par Gelée: Neptune et Amphitrite de Jules Romain, gravée par Richomme; enfin le Convoi d'un aîné de famille de Léopold Robert, gravé par Prévost. Un exemplaire de ces gravures est réservé à chacun des membres actionnaires de la Société; quant aux tableaux et aux objets d'art, ils sont adjugés par la voie du sort, à la suite de l'exposition qui clôt chaque exercice.
(Exposition de la Société des Amis des Arts.)
Jamais peut-être aucune exposition de la Société des Amis des Arts n'a été aussi brillante que celle de 1845.
Sans s'écarter en rien du but qu'elle s'est proposé, celui d'encourager les jeunes talents, elle a su former une collection fort remarquable.
Nous ne saurions trop louer l'esprit qui a guidé ses choix, faits en grande partie parmi les tableaux du dernier Salon.
Nous avons particulièrement remarqué la Satisfaction, jolie composition de M. Guillemin. C'est un jeune artiste riant à coeur joie devant un tableau qu'il vient d'esquisser. Cette petite toile, remplie d'esprit, de finesse et d'observation, est en même temps fort remarquable sous le rapport du dessin et de la couleur.
Le Marécage, par M. Jules Coignel, est un charmant paysage bien peint, bien composé et d'un aspect délicieux.
Les deux paysages de M. Karl Girardet, les Bouledogues de M. Buisson, la Marine de M. Morel-Fatio, la Jeune fille et le Serin, de M. Caminade, l'Enfant et le Chien de M. Gué, le Charles-Quint de M. Coulon, et surtout le précieux petit tableau de Nature morte de M. Philippe Rousseau, nous ont paru dignes en tout de l'intérêt que la société leur a témoigné en les comprenant dans la répartition de ses fonds pour 1845.
Gardez-vous de croire, comme quelques personnes l'assurent, qu'on ait amnistié le ridicule en France. Rabelais et Molière, ces deux grandes gloires de l'esprit français, comptent, il est vrai, peu de disciples fidèles, peu d'heureux imitateurs; la tradition du rire semble perdue. Les journaux, égarés dans l'inextricable labyrinthe du feuilleton sentimental, ont renoncé à la satire; la muse comique, un pied chaussé du cothurne classique, l'autre du brodequin du moyen âge, court en boitant à la poursuite d'un but impossible: le théâtre a cessé d'être l'école des moeurs pour devenir un kaléidoscope. N'importe! le crayon a recueilli le double héritage de la plume, le journal et le théâtre. Il n'y a plus de satire, il n'y a plus de comédie, il y a la caricature!
Autrefois la gaieté était française, et même un peu gauloise. La caricature est parisienne; elle a commencé, flânant au bras de Lautara, dans les guinguettes verdoyantes de la banlieue. Depuis, son éducation s'est perfectionnée; elle a vu les ateliers, les théâtres, les salons même, car la caricature a été introduite dans le monde, et vraiment, à part quelques expressions hasardées et un laisser-aller parfois trop grand, elle n'y a point fait mauvaise figure.
La caricature est bonne fille au fond, et bien des gens lui en font un reproche; sa moquerie ne va pas jusqu'à la méchanceté; elle pince quelquefois, mais jamais jusqu'au sang; au lieu d'un fouet elle est armée d'une épingle; elle combat à la légère, et ne blesse qu'en égratignant. C'est bien là le genre de vengeance qui convient à la société de notre époque, où la morale ne se plaint qu'à voix basse, ne s'indigne qu'à demi, mettant tous ses soins à dissimuler sa présence et craignant cependant de se faire oublier. Nous lui viendrons en aide; dans nos colonnes, elle aura le verbe haut. Notre caricature a pris des habits d'homme. Arriére les petits mots, les petits caquets, les petites médisances. Regardez ces yeux brillants, cette bouche souriante, ce crayon effilé comme une dague; c'est pour mieux voir le ridicule, pour mieux se moquer de lui, pour mieux le clouer sur le papier. Les bras vigoureux de l'artiste comique poussent la porte qui défend l'entrée du monde; si elle résiste, il l'enfoncera. Venez donc, vous tous qui avez de la verve, de l'esprit, de l'observation: notre galerie d'illustrations drolatiques est loin d'être complète, il y a place pour tous ceux qui voudront nous apporter un type nouveau.
Quelle mine plus féconde à exploiter, quel plus beau thème à broder que Paris! Gloires nouvelles, réputation du jour, splendeurs du moment, royautés de la mode ou de l'esprit, tendances des moeurs et de l'industrie, beaux-arts, littérature, théâtre, galanterie même, tout change, tout se renouvelle, tout se modifie avec la rapidité d'un songe. L'existence parisienne est un drame féerique, une comédie à tiroirs dont les décorations changent sans cesse, où se résument en transformations perpétuelles, la richesse, la beauté, l'esprit du monde entier. C'est là un des côtés du tableau, celui qu'on montre le plus volontiers; mais il en est un autre qu'on ne doit pas laisser dans l'ombre. Au-dessus de Paris, plane sans cesse une rumeur sourde que ne peuvent éteindre ni les roulements des voitures dorées, ni le bruit des instruments de fête, ni les chansons de ceux qui sont heureux: c'est la voix de la misère qui va se perdre dans le brouillard froid et humide, harmonie terrible que le vent emporte sur son aile, plainte funèbre qui ne se tait ni le soir ni le matin. Nous ferons l'histoire de cette misère, nous dirons quels coeurs battent sous les oripeaux; nous montrerons le peuple tel qu'il est, et surtout tel qu'il devait être, et cela sans fiel, sans haine, sans passion: dans un cas semblable, la réalité vaut mieux que l'imagination, et la vérité est la meilleure de toutes les satires.
Mais là ne se bornera point notre rôle.. Il ne s'agit de rien moins que d'illustrer chaque année ce roman en trois cent soixante-cinq livraisons, intitulé Paris. C'est la physiologie permanente de la capitale que nous voulons faire avec le crayon. Il faut que ceux qui n'ont jamais vu Paris puissent le visiter dans nos colonnes, que ceux qui l'habitent le reconnaissent, que ceux qui l'ont quitté le retrouvent; car Paris se désapprend comme toutes les grandes choses de la vie. Soyez toujours amoureux, vous qui voulez aimer; marchez sans cesse, vous qui voulez parvenir. Que la lampe, l'Héro s'éteigne, et Léandre ne pourra plus traverser le Bosphore. Pour comprendre Paris, il faut l'étudier sans cesse. Si vous le perdez un seul instant de vue, vous ne les reconnaissez plus, il a changé de forme. Si nous n'avions pas abusé de la métaphore, nous comparerions Paris à Protée. On nous permettra d'esquiver ce parallèle traditionnel.
Que de gens qui méconnaissaient cette vérité ont fini par la reconnaître! A peine a-t-on quitté le boulevard, que déjà on le regrette; on n'éprouve point la maladie du pays, car Paris n'est le pays de personne, mais une indéfinissable nostalgie. La vie est un cauchemar perpétuel: vos habits vous gênent, l'existence a les entournures trop étroites; vos bottes vous blessent, toutes les figures vous semblent maussades; les meilleurs mets vous dégoûtent, et vous avez faim en songeant aux restaurants à vingt-deux sous. On est atteint d'une affection bizarre, incohérente, difficile à guérir, qu'on appelle le mal de Paris.
C'est chez nous que ceux qui veulent voir Paris, ou le revoir, deux maladies analogues, viendront se guérir. Nous leur esquisserons Paris tel qu'il est, nous raconterons ses goûts, ses sympathies; nous montrerons ses grands poètes, ses grands avocats, ses grands acteurs, ses grands financiers, ses grands chanteurs, tout le personnel de sa gloire d'aujourd'hui et de sa gloire de demain, nous n'oublierons que les célébrités de la veille.--Hier n'est pas un mot parisien.--Un journal seul peut mener à bien cette oeuvre gigantesque, parce qu'il change sans mourir; c'est l'âme et le génie de la ville. Un journal, c'est Paris volant.
Ne vous attendez pas à retrouver sous notre crayon ces types de convention qui rendent Paris si monotone quelquefois, qu'on est tenté de croire que sa réputation est la plus considérable des réputations usurpées. Notre étudiant ne dansera pas inévitablement le cancan à la Chaumière; notre jeune fille ne se présentera pas avec son invariable cortège d'ânes rétifs, de rubans froissés, de baisers jetés d'une mansarde à l'autre; nos hommes de lettres ne fumeront pas perpétuellement le lattakie odorant sur des coussins d'or et de soie, ils n'auront pas non plus, contraste familier aux observateurs, les coudes percés, les bottes éculées, et le feutre gras; toutes nos femmes de lettres ne seront pas ridicules, et tous nos écrivains n'auront pas du génie; le foyer de l'Opéra ne sera pas pour nous le centre de la politique européenne; notre intention n'est pas de faire de l'esprit quand même.
Après les moeurs viendront les idées. L'histoire des hommes et des choses littéraires appelle l'attention du caricaturiste. Il faut bien que l'on sache aussi où en est la muse de 1830; cette jeune fille qui avait le coeur d'une Allemande, le regard d'une Italienne, la passion d'une Espagnole: ne l'apercevez-vous pas déjà vieille et ridée, découpant des romans au fond d'une boutique obscure? elle en a de toutes les dimensions, de tous les modèles, de tous les prix: patron Walter Scott, patron Byron, patron Cooper, patron Goëthe; elle fait tous les genres au rabais. C'est une revendeuse à la littérature. La muse s'est donné un associé qui s'appelle le journalisme; celui-là s'occupe sans cesse à prendre l'empreinte de tout ce qui surgit d'un peu original pour le reproduire ensuite; il dresse de malheureux jeunes gens à imiter, avec la cire molle de leur style, toutes les conceptions vigoureuses. Nos grands écrivains sont parodiés ainsi journellement dans ces feuilletons-Curlius qui détruisent tout ce qui reste encore d'esprit littéraire en France.
Ainsi donc, ce n'est pas l'espace qui nous manque. Moeurs, caractères, passions, idées, sentiments, ce qu'il y a de permanent au fond de Paris, ce qui jette le flux des événements, aristocratie, peuple, bourgeoisie, artistes, gens du monde, industriels, il n'est pas un coté du coeur ou de l'intelligence que nous ne puissions explorer, pas une classe de la société qui ne s'offre à nos investigations. Que les artistes se présentent donc en foule, la plume leur offre ici une association bienveillante; c'est à eux à faire revivre, avec leur crayon, l'antique maxime castigat ridendo, qui ne se lit plus maintenant ni sur la couverture de nos livres, ni sur le rideau de nos théâtres.
Pour commencer cette série, Grandville a résumé tous les ridicules du moment. Le crayon a rédigé la synthèse de l'actualité.
La caricature ouvre la porte du journal à tous les ridicules qu'elle a emprisonnés depuis longtemps dans ses cartons. Voici d'abord la canne à sucre et la betterave qui se poursuivent, brûlant d'éteindre dans le suc l'une de l'autre la haine qui les fait sécher sur plante; cette jeune grenouille en frac et le chapeau sur l'oreille, qui cherche à se faire aussi grosse que la caricature, c'est un symbole de l'amour-propre qui dévore notre malheureuse époque; ces deux enfants à peine échappés de nourrice, portant l'un une pipe et un paletot, l'autre un manchon et des plumes, n'est-ce pas là une charmante traduction de ce proverbe, qui devient malheureusement plus vrai de jour en jour: Il n'y a plus d'enfants!
Regardez cette femme avec son chapeau étriqué, ses boucles de cheveux dépassant la ceinture, son air pincé, ses allures de vieille coquette, voilà la mode, saluez la déesse, et gardez-vous d'entr'ouvrir le livre que ce penseur profond tient à la main avec tant de componction, vous n'y trouveriez que du vide. Il vaut mieux causer un moment avec ces deux débardeurs qui boivent du champagne dans un cornet à piston, double personnification du carnaval actuel.
Cet homme qui porte une colonne sur son dos, c'est l'architecte de l'Empire: voyez cette boule au sommet du monument, c'est le vieux monde: gare dessous! le vieux monde peut s'écrouler d'un instant à l'autre; fuyons. Mais un autre danger nous menace. Quel est ce volume qu'on hisse avec tant de peine avec cet instrument vulgairement appelé cherre? Ce sont les Poésies légères d'un auteur bien connu. Si la corde venait à casser, nous serions écrasés par ces feuilles fugitives.
Ici, un capitaine anglais grimpe sur un mandarin chinois qui, passez-nous l'expression, en a plein le dos; là se dressent des chemins de fer portatifs, dernière expression du progrès industriel; ce chapeau sur une boîte, c'est l'art et le daguerréotype: le soleil dessiné par lui-même. Que peut-on inventer après cela?
Paris au crayon. Caricature par Grandville.
--L'administration du Musée du Louvre vient de faire placer dans la salle des bronzes une inscription tracée sur une lame de plomb qui, dit-on, a été trouvée dans l'intérieur de la belle statue de bronze d'ancien style qui est placée sur un piédestal au centre de la galerie. Cette inscription donne les fragments du nom de deux artistes dont l'un est Rhodien: les caractères sont d'une forme telle que, si l'un s'en rapportait à ce témoignage, il faudrait faire descendre au second siècle avant notre ère un monument que l'on a considéré jusqu'à présent comme antérieur à Phidias. Mais il s'est rencontré des esprits soupçonneux qui ont révoqué en doute l'authenticité de cette lame de plomb, et qui ont pensé que le directeur du Musée avait trop facilement accordé confiance au nettoyeur qui dit l'avoir trouvée. Ces doutes ont été consignés dans un article imprimé dans la revue qui a pour titre Le Cabinet de l'Antiquaire Le sous-conservateur du Musée, qui s'est cru engagé dans la question, a répondu par une brochure dans laquelle il cherche à prouver l'antiquité de l'inscription sur plomb. Cette petite querelle occupe vivement le monde des antiquaires: elle doit intéresser aussi les artistes, puisque, en définitive, il s'agit de renverser les idées généralement reçues touchant le style de l'art des anciens sculpteurs.
Il nous serait impossible, dés à présent, de répondre par lettres à toutes les personnes qui veulent bien nous écrire, soit pour nous donner des conseils, soit pour nous offrir leur collaboration, soit pour nous faire des questions sur notre but et sur les moyens que nous comptons employer pour l'atteindre. Nous nous voyons donc obligés d'adresser nos réponses à la plupart de nos correspondants inconnus, par la voie même de notre journal. Un mot suffira souvent pour que toute notre pensée leur soit connue. Quelquefois aussi, une seule réponse préviendra un grand nombre de questions, de doutes ou de critiques. Nous avons besoin d'économiser le temps.
A M. P. L., rue du II.--La critique est juste, et nous en tiendrons certainement compte.
A M. D., boulevard Saint-Martin.--Mille remercîments; les sujets indiqués nous conviennent; M. D. en verra la preuve dans nos prochains numéros.
A M. R., d'Orléans.--En aucune manière, notre résolution à cet égard ne changera point.
A un anonyme.--Notre premier numéro n'est point un spécimen: il s'en faut de beaucoup qu'il contienne des exemples de tous les sujets que nous nous proposons d'illustrer. On ne pourra point juger l'étendue et la variété de notre plan avant plusieurs mois. Nous doutons que l'auteur de la lettre ait lu le premier article de notre premier numéro: Notre but. Nous le prions surtout de vouloir bien prendre au sérieux le dernier paragraphe de cet article. La tache est difficile: nous avons besoin de bienveillance et d'encouragements.
A Madame A L., de Versailles; MM. O.; V. T.; G. de Saint-Quentin.--Madame A. L. nous conseille de ne point représenter les scènes des théâtres et les acteurs, et de donner plus de place aux affaires criminelles, correctionnelles, à la musique et aux modes.--M. O. pense tout le contraire.--M. V. T. n'aime aucun de ces sujets, et demande surtout des oeuvres d'art et des caricatures.--M. G., qui se méprend apparemment sur le sens de notre titre, voudrait qu'il ne fût question que des hommes et des femmes illustres.--Nous sommes désolés de ne pouvoir mettre les quatre correspondants en présence les uns des autres; ils se répondraient sans doute mieux que nous ne pouvons le faire.
A M. Pr.--Jamais, Monsieur. Quelle idée!
A M. V.--Si nous suivions le conseil de M. V., l'Illustration n'aurait pas à espérer deux mois d'existence. Nous nous expliquerons, du reste, de la manière la plus explicite sur ce sujet en tête d'un des prochains numéros. Nous ne sommes enrôlés sous aucun drapeau; nous ne sommes au service d'aucun parti.
A Madame ou Mademoiselle E. N.--Nous ferons part de l'observation très-fine de l'aimable correspondante à madame Constance Aubert qui rédige nos articles sur les modes, et qui voudra bien se charger de lui répondre directement.
A M. J, d'Amiens.--Il est impossible de trouver un titre qui satisfasse tous les esprits. Le mot Illustration indique notre projet de rendre plus intelligibles, d'éclairer, en quelque sorte, au moyen de gravures sur bois, tous les sujets que nous traitons. Ce n'est pas un mot étranger: les Anglais nous l'ont emprunté, comme tant d'autres excellentes expressions de nos pères. On le trouve souvent employé par nos vieux auteurs dans le sens où nous l'employons ici. Les miniatures, par exemple, illustraient les manuscrits. Le mot journal, qui vient ensuite, exprime notre intention de nous approcher de plus en plus du caractère d'actualité qui distingue des livres, et des autres recueils, les feuilles quotidiennes. Nous publierons les nouvelles de toute nature, et nous prendrons soin d'éviter tout ce qui est uniquement rétrospectif.
A M. Ch. G.--Nous ne savons pas encore si nous accepterons des pièces de vers: nous regrettons de ne pouvoir donner une réponse plus favorable.
A M. M. de L.--Assurément. Nous représenterons fidèlement, et avec toute la rapidité possible, tous les faits d'Algérie dignes d'intérêt. Nous avons établi une correspondance active avec des artistes qui sont sur le théâtre des événements.
A M. de B.--Les portraits demandés paraîtront en avril.
A M. S. M.--Oui, le 25 mars.
A M. Am.--Nous ne venons faire concurrence à aucun recueil existant. L'avenir le prouvera. Notre plan est nouveau et nous nous éloignerons de plus en plus de tout ce qui a été fait jusqu'à ce jour; autrement notre pensée première ne serait point réalisée. Si l'on songe que les moyens d'exécution étaient presque tous à créer, que nos graveurs passent les nuits à travailler, que nous imprimons la valeur d'un volume entier chaque semaine, on voudra bien attendre avant d'exiger beaucoup plus que nous ne faisons.
A un anonyme de Caen.--Il est vrai qu'il y a dans cette direction un écueil à redouter. Nous consulterons le bon sens et le goût public. Notre ferme volonté est de ne blesser aucune convenance et de ne jamais donner droit à personne de condamner l'influence qu'il pourra nous être permis d'exercer sur les lecteurs.
N. B, En fondant ce bulletin bibliographique, que nous prenons l'engagement de publier régulièrement chaque semaine, notre intention n'est pas de faire de la critique proprement dite; nous voulons seulement appeler l'attention de nos lecteurs sur tous les ouvrages sérieux et utiles qui paraissent, soit en France, soit à l'étranger. Dans ce but, nous leur donnerons, toutes les fois que nous le pourrons, une analyse sommaire des matières que ces ouvrages renferment. A cette analyse, nous ajouterons parfois un éloge, plus rarement une critique; car nous ne parlerons que des livres vraiment dignes d'obtenir une place dans notre bulletin. Jadis les journaux politiques s'empressaient de signaler, à l'envi l'un de l'autre, les publications importantes; mais la presse n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était autrefois. Retirez-lui le produit de ses annonces, et elle cesse d'exister. Elle ne donne place dans ses colonnes à aucune nouvelle,--utile cependant à connaître,--dont elle espère se faire payer un jour l'insertion par les personnes intéressées à la répandre. Constituée sur d'autres éléments, mue par une impulsion contraire, l'Illustration annoncera, en les analysant,--dans le triple intérêt du public, des écrivains et des éditeurs, tous les ouvrages français ou étrangers qui mériteront, à des titres divers, d'être connus, lus et médités.
De la Puissance américaine. Origine, institution, esprit politique, ressources militaires, agricoles, commerciales et industrielles des Etats-Unis; par le major GUILLAUME TELL POUSSIN. 2 vol. in-8 de 52 feuilles 3/4, avec carte. Paris, Coquebert. 10 fr.
Le titre seul de ces deux volumes indique qu'ils ne ressemblent en rien à tous ceux qui ont été publiés, durant ces dernières années, sur les Etals-Unis. M. Guillaume Tell Poussin n'a pas rédigé laborieusement une longue dissertation sur les avantages ou les inconvénients de la démocratie. Loin de lui la prétention d'esquisser des tableaux de moeurs, ou de raconter des impressions de voyage. Il n'est ni un idéologue, ni un littérateur; il n'aime pas plus les phrases que les théories; sa passion dominante est la passion des faits; ce qu'il étudie, ce qu'il veut faire connaître avant tout à ses lecteurs, c'est la statistique, c'est la puissance américaine, c'est l'origine des populations diverses qui composent la fédération des États-Unis, l'histoire de leur développement, des vicissitudes qui ont marqué leur enfance et des progrès incroyables qui distinguent leur virilité; ce sont leurs ressources militaires, agricoles, commerciales, industrielles.
Le premier volume renferme l'histoire abrégée des premiers établissements des Européens dans la partie septentrionale du nouveau continent, des Français sur les rives du Saint-Laurent et du Mississipi, des Espagnols dans la Floride, des Anglais dans la Nouvelle-Angleterre. A la suite de cette revue historique, continuée jusqu'à nos jours, M. Poussin publie trois documents importants: la déclaration d'indépendance, l'acte de fédération et la constitution actuelle des États-Unis.
Le second volume, beaucoup plus intéressant que le premier, s'ouvre par l'exposition des ressources militaires des États-Unis. De ce côté de l'Atlantique, nous sommes habitués à considérer les Américains comme un peuple de marins, de marchands et de pionniers, et nous ne soupçonnons pas que l'Amérique, dans la prévoyance d'une lutte avec l'Europe, se soit préparée à la soutenir. La constitution de 1787 donnait au congrès le pouvoir de mettre le pays en état de défense. Cette sage mesure fut différée pendant plusieurs années, et l'eût été, sans doute, indéfiniment sans la guerre de 1812 avec l'Angleterre. En 1816, sous la présidence de M. Madisson, le congrès décréta que les États-Unis seraient mis en état de défense au moyen de fortifications permanentes dont l'exécution fut confiée au général du génie Bernard, qui avait été aide-de-camp de Napoléon, et chef de son cabinet topographique. M. Poussin a coopéré, sous le général Bernard, à cette grande mesure et trace un tableau aussi exact qu'intéressant du système de défense adopté par le congrès. Ce système a pour principe que la défense nationale doit reposer sur l'appui mutuel de la marine, des fortifications, des voies de communication par eau et par terre, de l'armée régulière et de la milice organisée. M. Poussin examine chacun de ces éléments. Il passe en revue, en traitant de la marine militaire, son organisation successive, son état présent, le matériel et le personnel, les chantiers de construction et de réparation, les ports de refuge, les rades de rendez-vous. Il donne ensuite de curieux détails sur la ligne de fortification, les frontières maritimes et les frontières de terre, les arsenaux, les manufactures d'armes et les fonderies, la navigation à vapeur, les canaux, les chemins de fer, l'armée régulière et la milice.
Sur la population des États-Unis, M. Poussin a recueilli de nombreux documents. L'esprit religieux, l'état de l'instruction publique, l'instruction agricole, le commerce, les manufactures, les classes ouvrières, forment autant de chapitres remplis de faits nouveaux, qui font parfaitement connaître l'étal social et industriel de l'Union. La condition de l'industrie manufacturière mérite particulièrement d'attirer l'attention, car elle prouve que, sous peu d'années, non-seulement les États-Unis pourront se passer des produits manufacturés des nations européennes; mais encore qu'ils prendront place parmi les peuples producteurs, révolution qui jettera forcément un grand désordre dans l'économie industrielle et commerciale de la France et de l'Angleterre.
La Polynésie et les îles Marquises: voyages et marine accompagnés d'un voyage en Abyssinie, et d'un coup d'oeil sur la canalisation de l'isthme de Panama; par M. LOUIS REYBAUD auteur des Etudes sur les Réformateurs. 1 vol. in-8. Paris. 1845. Guillaumin, 7 fr. 50 cent.
M. Louis Reybaud a eu l'heureuse idée de faire réimprimer en un volume in-8 une série d'articles qu'il avait publiés, durant ces dernières années, dans la Revue des deux Mondes et dans la Revue Britannique. Ce nouvel ouvrage de l'auteur des Etudes sur les Réformateurs s'ouvre par un coup d'oeil sur la science géographique, qui lui sert, pour ainsi dire, de préface. Viennent ensuite l'Histoire de la colonisation de la Nouvelle-Zélande, les analyses des voyages de l'Artémise à Taïti, de l'expédition de l'Astrolabe et de la Zélée, de 1837 à 1840, du voyage de M. Rochet d'Héricourt dans l'Abyssinie méridionale. A des réflexions pleines de justesse sur l'avenir de notre marine et à des documents statistiques sur la flotte française en 1841, succèdent enfin, deux curieux chapitres sur les îles Marquises et sur la canalisation de l'isthme de Panama. Aucun écrivain contemporain ne résume avec plus d'intelligence et n'expose avec plus de clarté une question controversée, que M. Louis Reybaud. Non-seulement il comprend admirablement tous les sujets qu'il traite,--histoire, philosophie, voyages,--mais il a, en outre, le talent de les faire comprendre à ses lecteurs. Après avoir lu ses Études sur les Réformateurs, on connaît mieux les systèmes de Saint-Simon, d'Owen et de Fourier, que si on avait médité pendant longtemps leurs ouvrages et ceux de leurs disciples. Le volume intitulé: la Polynésie et les îles Marquises remplacera avantageusement dans toutes les bibliothèques, les diverses relations de voyage dont il renferme l'analyse.
Voyage au pôle sud et dans l'Océanie, sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée, exécuté par ordre du roi, pendant les années 1837-1838-1839-1840, sous le commandement de M. DUMONT D'URVILLE. 34 volumes grand in-8º de plus de 700 pages, avec un atlas contenant environ 520 planches in-folio, publié par livraisons de 5 ou 6 planches et 64 cartes hydrographiques.--Paris, Gide, libraire-éditeur. Chaque volume 6 fr.; chaque livraison de planches, 12 fr. 50 c.
La mort malheureuse de l'amiral Dumont-d'Urville n'a apporté aucun retard à la publication de la relation de son voyage. L'ouvrage complet se divisera en huit parties: 1. Histoire des Voyages, 10 vol. 2. Zoologie, 6 vol. 3. Botanique 1 Vol. 4. Anthropologie et Physiologie humaine, 2 vol, 5 Minéralogie et Géologie, 2 vol. 6. Philologie, 4 vol. 7. Physique, 4 vol. 8. Hydrographie, 2 vol. Le quatrième volume de l'Histoire du Voyage vient d'être mis en vente. Ont déjà paru: Atlas pittoresque, 18 livraisons; Zoologie, 2 vol. Botanique, 1 vol. Physique, 1 vol.--Avons-nous besoin de rappeler, en annonçant cette belle publication, que le voyage au pôle et dans l'Océanie, de l'Astrolabe et de la Zélée, est, de toutes les expéditions entreprises et achevées dans ce siècle par la marine française, la plus récente, la plus glorieuse peut-être, et la plus féconde en résultats nouveaux.
Manuel de l'Histoire générale de l'Architecture chez tous les peuples, et particulièrement de l'architecture en France au moyen-âge; par DANIEL RAMÉE. 2 vol. in-12. Paris. 1843. Paulin, 10 fr. 50 cent. (Avec de nombreuses gravures sur bois.)
Fils d'un architecte, architecte lui-même, M. Daniel Ramée avait depuis sa jeunesse conçu le projet d'écrire un jour une histoire complète de l'architecture. Pendant plus de vingt années il étudia tous les grands monuments de l'antiquité et des temps modernes; non-seulement il cherchait à comprendre leur ensemble et leurs détails, mais il s'inquiétait, comme il le dit lui-même dans sa préface, de l'époque historique à laquelle ils furent élevés, du génie du peuple qui les édifia, des circonstances et des idées qui présidèrent à leur construction. Après avoir compulsé, en outre, les divers ouvrages français, anglais, italiens, allemands, espagnols, écrits jusqu'à ce jour sur l'art auquel il a voué une affection particulière, il vient de se décider à publier les résultats de ses longs et consciencieux travaux.
Le premier volume du Manuel de l'histoire générale de l'Architecture est consacré à l'antiquité, le second au moyen-âge. M. Daniel Ramée se propose de composer plus lard un troisième volume, qui contiendra l'histoire de l'architecture au seizième siècle et aux siècles suivants, et dans lequel il jugera d'une manière impartiale les restaurations modernes faites aux monuments du moyen-âge.
L'introduction placée en tête du premier volume se divise en cinq chapitres, ayant pour titre: L'histoire primitive des hommes, l'émigration des peuples, les religions des temps primitifs, l'origine de l'architecture et des nombres en général. Ces prémisses posées, M. Ramée promène avec lui son lecteur de l'Inde en Perse, de la Perse chez les Babyloniens, les Chaldéens, les Mèdes, les Assyriens, les Phéniciens, les Hébreux, en Ethiopie, en Nubie, en Egypte, en Grèce, dans l'Asie Mineure, en Italie, chez les Étrusques et chez les Romains. Que de monuments ne lui montre et ne lui explique-l-il pas durant cette excursion rapide, mais intelligente, depuis les temples d'Elora, dont l'origine est inconnue, jusqu'au palais que l'empereur Dioclétien fit bâtir à Spalatro.
M. Daniel Ramée espère avoir rendu une justice impartiale à l'architecture de tous les peuples. Toutefois, il s'élève contre l'étude exclusive du style grec et romain. Il s'est longtemps arrêté à l'architecture du moyen-âge en France, à l'architecture proprement dite chrétienne, à celle qui est sortie des races germaniques. L'ignorance la plus complète, la plus honteuse et la plus impardonnable, a seule pu donner au moyen-âge l'épithète de barbare et d'obscur. Ce qui prouve plus clairement que tous les livres, que tous les raisonnements, que toutes les réflexions, la civilisation avancée et intellectuelle de cette époque, c'est l'étude des oeuvres d'art qu'elle nous a laissées, et, parmi ces oeuvres, plus particulièrement encore les monuments d'architecture, ces majestueuses cathédrales, ces palais magnifiques, ces châteaux forts avec ponts-levis et à triple herse, ces hôtels-de-ville élégants, ces beffrois légers et tant d'autres édifices. L'étude de ces oeuvres d'art forme le sujet du second volume. Ce n'est plus l'univers entier, c'est l'Europe seulement, c'est le monde chrétien que le lecteur visitera désormais avec son savant cicérone. M Daniel Ramée signale d'abord l'influence du christianisme sur l'architecture; puis il part de l'Italie, s'embarque pour Constantinople, revient eu France, parcourt l'Allemagne et les Pays-Bas, passe en Angleterre, explore rapidement les États du Mord, la Suède, la Norwege, la Russie, fait une tournée en Espagne, et achève son voyage en Italie et en Sicile, où du haut de la cathédrale de Pafenne il contemple en imagination les monuments élevés par les Arabes sur cette terre de l'Afrique que ses regards ne peuvent apercevoir.
Traité du Droit international privé, ou du conflit des lois des différentes nations en matière de droit privé; par M. FOELIX, docteur en droit. 1 vol. in-S. Paris. 1855. JOUBERT. 9 fr. (612 pages.)
Le droit international (jus gentium) est l'ensemble des principes admis par les nations civilisées et indépendantes, pour régler les rapports qui existent ou peuvent naître entre elles et décider les conflits entre les lois et usages divers qui les régissent. Le droit international se divise en droit public et en droit privé. Le droit international public (jus gentium publicum) règle les rapports de nation à nation, en d'autres termes a pour objet les conflits de droit public. On appelle droit international privé (jus gentium privatum) l'ensemble des règles d'après lesquelles se jugent les conflits entre le droit privé des diverses nations; en d'autres termes, le droit international privé se compose des règles relatives à l'application des lois civiles ou criminelles d'un État dans le territoire d'un État étranger.
Le Traité du droit international privé que vient de publier M. Foelix n'est pas un ouvrage de théorie, mais une sorte de manuel-pratique. L'auteur s'est borné à réunir dans un cadre méthodique les règles ou principes qu'un usage assez général des nations parait avoir consacrés. Quant aux preuves de l'existence de cet usage, il les a recherchées dans les lois, les traités, les écrits des auteurs et les arrêts des cours de justice.
M. Foelix a divisé son ouvrage en deux livres, précédés d'une introduction. Dans le titre préliminaire, il résume rapidement l'histoire du droit international chez les Romains et au moyen-âge; il pose ensuite quelques principes fondamentaux, puis définit trois classes de statuts dont il aura à s'occuper: les statuts personnels, les statuts réels, les statuts concernant les actes de l'homme. Dans le livre premier, il traite des effets du statut personnel et du statut réel. Le livre second est beaucoup plus important que le premier; l'auteur examine avec détail les lois diverses qui régissent les actes de l'homme. Les huit premiers titres de ce livre embrassent tout le droit international civil: le titre IX et dernier est consacré au droit international criminel.
M. Foelix, rédacteur en chef de la Revue étrangère et française de législation, avait déjà publié, dans le cours de l'année dernière, deux volumes sur les mariages contractés en pays étrangers, et sur l'effet ou l'exécution des jugements dans les pays étrangers. Son traité de droit international, fruit de longues études, obtiendra un succès d'autant plus grand, qu'il est le premier ouvrage publié en français sur cette importante matière. Les autres livres ex professo, qui avaient paru jusqu'à ce jour, étaient dus à deux Anglais, MM. Storey et Burge, deux Allemands, MM. Schmaefner et Waechter, et un Italien, M. ROCCO, et n'avaient jamais été traduits dans notre langue.
Code civil de l'empire de Russie, traduit sur les éditions officielles, par un jurisconsulte russe, et précédé d'un aperçu historique sur la législation de la Russie et l'organisation judiciaire de cet empire; par M. VICTOR FOUCHER, avocat général à la Cour royale de Rennes. 1 vol. in-8. Rennes, Blin.
Le Code civil de la Russie est le produit d'un enfantement de plusieurs siècles. Alexis Milkhaelovitch fit pour la première fois, en 1669, un recueil des lois russes. Son Ulogénie remplaça les coutumes barbares qui avaient régné jusqu'à cette époque. En 1700, Pierre le Grand nomma une commission chargée de réunir dans un seul ordre tous les actes législatifs des empereurs. Cette commission, souvent renouvelée, ne finit son travail qu'en 1832. Un manifeste du 31 janvier 1833, signé par Nicolas et promulgué, a rendu obligatoire, à partir du 1er janvier 1833, le Svod, ou la collection de toutes les lois. Le Code civil, dont. W. Toucher vient de publier la traduction, forme la première partie du cinquième livre du Svod.
Histoire de la Chimie, depuis les temps les plus reculés jusqu'à notre époque, comprenant une analogie détaillée des manuscrits alchimiques de la bibliothèque Royale de Paris; un exposé des doctrines cabalistiques sur la pierre philosophale; l'histoire de la pharmacologie, de la métallurgie et, en général, des sciences et des arts qui se rattachent à la chimie, etc.; par le docteur FERDINAND HOEFER. Tome 1er, in-8. Paris, 1842. Au bureau de la Revue Scientifique, rue Jacob, 36.
Le tome 2 et dernier doit paraître prochainement; nous rendrons compte de ce curieux ouvrage dès qu'il sera terminée.
Voyage d'Horace Vernet en Orient. Dessins et textes, par M. GOUPIL PESQUET. Paris, chez M. Challamel, directeur de la France littéraire. 4, rue de l'Abbaye, éditeur du Voyage de M. de Forbin, avec texte par M. de Marcellus.
La relation du Voyage d'Horace Vernet en Orient que publie M. Challamel, est enrichie d'un joli choix de costumes, de scènes de moeurs, de vues, expliqués dans le telle et dessiné, scrupuleusement d'après nature, à Malte, dans l'Archipel, en Egypte, en Syrie, en Turquie, dans l'Asie Mineure, en Italie, etc.; elle renferme aussi quelques chants nationaux.
Le public apprendra aussi, avec plaisir, à l'époque du salon de 1843, que M. Challamel continuera cette année la série d'Albums sur les expositions de peinture, et se propose d'y ajouter, pour complément indispensable, les plus jolis tableaux de Verburg, Teniers, Metzu, etc., ainsi que la belle collection de peintres primitifs de M. Artaud de Moutor.
L'Histoire--Musée de la République française, par M. Augustin Challamel, et le joli Album de l'Opéra, méritent aussi d'être recommandés à tous les amateurs des livres illustrés.
ENCYCLOPÉDIE NOUVELLE, ou Dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et industriel, offrant le tableau des connaissances humaines au dix-neuvième siècle; publiée sous la direction de MM. P. LEROUX et J. REYNAUD. 8 vol. grand in-8, de 838 pages à deux colonnes. (Charles Cosselin, éd.) 16 fr. le vol.
ESQUISSES D'UNE PHILOSOPHIE; par F. LAMENNAIS (1841). 3 beaux et forts vol. in-8. (Pagnerre, éd.) 22 fr. 50
ETUDES SUR LES RÉFORMATEURS CONTEMPORAINS ou socialistes modernes: Saint-Simon, Charles Fourier, Robert Owen; par Louis Reynaud. 5e édition. 1 beau vol. in-8. (Guillaumin, éd.) 7 fr. 50.
INTRODUCTION A LA SCIENCE DE L'HISTOIRE; par P.-J.-B. BUCHEZ. Nouvelle édition. 2 vol. in-8. (Guillaumin, éd.) 15 fr.
RATIONALISME CHRÉTIEN (le) à la fin du onzième siècle, ou Monologium et Prologium de saint Anselme, archevêque de Cantorbéry, sur l'essence divine; par M. H. BOUCHETTE. 1 volume in-8. (Amyot, éd.) 7 fr. 50
UTOPIE DE THOMAS MORUS (L'), traduction nouvelle; par M. VICTOR STOUVENEL, in-8. (Paulin, éd.) 5 fr.
VOYAGE EN ICARIE, roman philosophique et social; par CABET. 1 vol. grand in-18. (Mallet, éd.) 4 fr.
ABBÉ DE LA SALLE (L') ET L'INSTITUT DES FRÈRES DES A ÉCOLES CHRÉTIENNES, depuis 1654 jusqu'en 1842; par un professeur de l'Université. 1 vol. grand in-18. (Lebrun, éd.) 1 fr. 25
ABÉCÉDAIRE MINIATURE EN ACTION (L'), joujou instructif avec un joli texte et plus de 100 petits dessins. (Aubert et Comp., éd.) 2 fr. 75.
BIBLE EN IMAGES (la), exercices de lectures pour l'enfance, composés de versets de la sainte Bible. 1 vol. in-18, de 550 vignettes. (Lebrun, éd.) 1 fr. 50.
CONTES D'UNE VIEILLE FILLE A SES PETITS-NEVEUX, par Mme ÉMILE DE GIRARDIN (DELPHINE GAY.). 2e édition. 2 volume in-18. (Charles Gosselin, éd.) 6 fr.
GALERIE PITTORESQUE DE LA JEUNESSE, ornée de 40 lithographies, d'après VICTOR ADAM, texte de Mme ALIDA DE SAVIGNAC. (Aubert et Comp., éd.) Cartonné. 10 fr.
GALERIE PITTORESQUE D'HISTOIRE NATURELLE. Cours élémentaire d'histoire naturelle; par M. BOITARD. 1e édit. 1 vol. in-4º orné de 210 planches. (Lebrun, éd.) Broché. 5 fr.
HISTORIETTES, CONTES ET FABLES de FÉNELON. Joli vol. in-18, illustré de nombreuses vignettes sur bois, de douze grands sujets; par Th. Fragonard. (Challamel, éd.) Br. 4 fr.
MERVEILLES DE LA FRANCE (les), ou Vade-mecum du petit voyageur. 1 vol. in-8, orné de 15 jolis dessins. (Challamel, éd.) 5 fr.
MYTHOLOGIE PITTORESQUE, ou Histoire méthodique universelle des faux dieux de tous les peuples anciens et modernes; par J. ODOLANT-DESNOS. 5e édition. 1 vol. grand in-8, orné de 50 gravures. (Lavigne, éd.) 10 fr.
MYTHOLOGIE ILLUSTRÉE; par M. PHILIPON DE LA MADELAINE, ornée de 140 vignettes et de 25 planches. 1 vol. grand in-18. (Mallet, éd.) 5 fr.
OCÉAN ET SES MERVEILLES (1'), histoire et description des animaux, coquillages et plantes marines les plus remarquables qu'il renferme: par J.-M. CHOPIN. 1 beau vol. in-12, orné de 100 gravures. (Lebrun, éd.) 1 fr. 50.
PATER DE FÉNELON (le), par S. HENRI BERTHOLD. 1 beau vol. in-12, orné de gravures et du portrait de Fénelon. (Lebrun, éd.) Broché. 1 fr. 50.
PETIT DESSINATEUR (le), ou les vrais éléments du dessin enseigné en 10 leçons; par M. VOIART. Ouvrage adopté pour les écoles primaires par le conseil royal. 2e édition. 1 vol. in-12, orné de ligures. (Lavigne, éd.) 5 fr.
PETITS CONTES HISTORIQUES; par Mme EUGÉNIE FOA. 6 petits vol. ornés de dessins. Ils se vendent séparément. (Aubert et Comp., éd.) Chaque volume broché. 50 c.
PETITS INSULAIRES (les), histoire intéressante et morale, imitée de l'anglais et ornée de jolies gravures. (Aubert et Comp., éd.).
PETITS LIVRES DE M. LE CURÉ (les), bibliothèques du presbytère et de la famille; charmants petits livres d'éducation morale et d'amusement. Chaque volume est orné d'un grand nombre de dessins, par Forest, Vernier, Valentin, etc. (Aubert et Comp., éd.) Prix de chaque volume illustré. 50 c.
VOCABULAIRE ILLUSTRÉ (le) par plus de 800 dessins gravés sur bois et intercalés dans le texte. Grand in-8º. (Aubert et Comp., éd.) Broché. 12 fr.
BIBLIOTHÈQUE POLITIQUE, publiée par Pagnerre, éd. Collection de jolis vol. in-32, imprimés avec luxe, sur papier grand jésus vélin.--Cette Bibliothèque se compose des volumes suivants.
ABOLITION DE L'ESCLAVAGE; par V. SHEOELCHER. 2e édit. 1 vol. 1 fr. 25 c.
AFFAIRES DE ROME; par F LAMENNAIS, 5e édition 2 vol. 2 fr.
AVIS AUX CONTRIBUABLES; par TIMON, pamphlet publié lors des élections de 1842. 50 c.
2 AVIS AUX CONTRIBUABLES, ou REPONSE DU MINISTRE DES FINANCES; par le même. 25 c.
BIOGRAPHIE DES DÉPUTÉS (Chambre dissoute, 1839-1842). 2 vol. 2 fr. 50 c.
CATÉCHISME DE LA RÉFORME ÉLECTORALE; par J. BENTHAM, traduit par ÉLIAS REGNAULT. 1 vol. orné du portrait de Bentham. 1 fr. 25.
CENTRALISATION (de la); par TIMON. 1 vol. 1 fr. 25.
CHANSONS POLITIQUES (Nouvelles); par ALTAROCHE. 1 vol. 1 fr. 25.
CONTES, DIALOGUES ET MÉLANGES DÉMOCRATIQUES; par ALTAROCHE. 1 vol. 1 fr. 25.
ESCLAVAGE MODERNE (de l'); par F. LAMENNAIS. 1 volume. 75 c.
ÉTAT DE LA QUESTION; par M. de CORMENIN; pamphlet publié lors des élections de 1839. 50 c.
ÉTUDE SUR TIMON; par M. CHAPUYS-MONTLAVILLE. 1 vol. 25 c.
FORTIFICATIONS DE PARIS, justes frayeurs d'un habitant de la banlieue; par A. LUCHET. 1 vol. in-32. 50 c.
FRAGMENTS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES; par LUDWIG BOEHNE. 1 fort volume orné du portrait de l'auteur. 1 fr. 50.
ITALIE POLITIQUE; par le général POPE, avec une introduction par Ch. DIDIER. 1 vol. 2 fr.
LIVRE DU PEUPLE (le); par F. LAMENNAIS. 1 vol. 1 fr. 25.
MAZAGRAN, récit des journées des 3, 4, 5 et 6 février 1810; par M. CHAPUYS-MONTLAVILLE, député. 50 c.
MOT (un) sur le pamphlet de police intitulé la Liste civile dévoilée; par M. DE CORMENIN. 25 c.
NATIONALITÉ FRANÇAISE; par Ch. DIDIER. 1 vol. 75 c.
OEUVRES COMPLÈTES DE J.-P. DE BÉRANGER. Nouvelle et très-jolie édition. 3 vol. ornés d'un beau portrait de l'auteur. 3 fr. 50.
PAMPHLETS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES, de P.-L. COURIER précèdes d'un Essai sur la vie et les écrits de l'auteur, par ARMAND CARMEL. 2 vol. 2 fr. 25.
PAROLES D'UN CROYANT; par F. LAMENNAIS. 1 vol. 75 c.
PASSÉ ET DE L'AVENIR DU PEUPLE (du); par F. LAMENNAIS. 1 vol. 1 fr. 50.
POLITIQUE A L'USAGE DU PEUPLE; par F. LAMENNAIS. 2 vol. 2 fr. 50.
PRINCIPE (le) ET L'APPLICATION, Réforme électorale; par M. CHAPUYS-MONTLAVILLE. 1 vol. in-32. 1 fr. 50.
QU'EST-CE QUE LE TIERS-ÉTAT? brochure publiée en 1789, par SIEYES. 1 vol. orné du portrait de Sieyes. 1 fr. 30.
QUESTIONS POLITIQUES et PHILOSOPHIQUES; par F. LAMENNAIS 2 vol. 2 fr. 50.
QUESTIONS SCANDALEUSES D'UN JACOBIN, au sujet d'une Dotation; suivies de la Réfutation du rapport de T. Amilhau; par TIMON. 1 vol. 50 c.
RÉCIT DE L'INAUGURATION DE LA STATUE DE GUTENBERG et des fêtes données à Strasbourg les 24, 25 et 26 juin 1810; par AUG. LUCHET orné d'une jolie vignette représentant la statue de GUTENBERG, par David (d'Angers). 1 vol. 1 fr. 25.
RÉFORME (la) ET LA RÉVOLUTION, paraboles historiques; par ALTAROCHE. 1 vol. 1 fr. 25.
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Il parait quelques rayon de soleil, et l'on ne sait avec quelle toilette nouvelle y répondre: le soir il y a représentation au théâtre, et les toilettes n'ont plus de fraîcheur. Et cependant, reprenant la plume, j'ai dû mettre en tête de cette revue du monde ce mot ambitieux et obligatoire: Modes!
Nous allons jeter un coup d'oeil sur les réunions plus ou moins importantes, sérieuses ou futiles.
En tête des solennités graves sont les mariages. Quelques-uns, célébrés tout à fait en silence, ne nous permettent pas l'indiscrétion; mais ceux qui s'entourent d'une pompe fastueuse appartiennent à nos recherches.
Un des jours de la semaine dernière, une file de voitures entourait, dès onze heures du matin, l'église Saint-Sulpice: des femmes simplement parées en descendaient et prenaient place au maître-autel, devant lequel attendaient les chaises de velours et les cierges dans les hauts flambeaux d'argent; des masses de fleurs naturelles formaient sur l'autel une pyramide mêlée de lumières: l'église était brillante et radieuse; on comprenait, dès le portique, la fête que l'on allait célébrer.
C'était une messe de mariage. Mademoiselle de J. entra, suivie de sa famille; elle traversa cette double haie d'amis et d'indifférents sans rendre un seul regard aux mille regards attirés sur elle.
Si une jeune fille a une pensée étrangère à l'événement qui l'amène en ce lieu, c'est certainement le désir d'échapper à cette foule; mais nos usages sont faits ainsi, que le moment de toute la vie où une femme voudrait concentrer le plus intimement en elle toute son âme, est celui qu'elle livre au monde, celui pour lequel il faut étudier une toilette, composer un maintien, étouffer la plus sainte des émotions, en un mot, poser en public.
Mademoiselle de J. avait une robe de velours épinglé blanc, à corsage montant, à manches longues, fermée par des boutons en diamants; un long voile d'Angleterre tombait en arrière, retenu par la couronne de fleurs d'oranger; le bouquet de mariée était en bijouterie: des perles formaient les boutons, et un feuillage en or émaillé s'étalait entre les pierreries.
Rien n'est plus convenable qu'une toilette de mariée sérieuse et modeste. Certes, ce n'est pas le moment où la jeune fille vient devant Dieu, conduite par son nouvel époux, qu'elle doit choisir pour se parer selon le monde. Le voile est un emblème éloquent de l'attitude imposée aux mariées; le voile devrait cacher le visage: il n'y a pas assez de signes extérieurs pour exprimer la réserve et la modestie dont une fiancée devrait s'entourer.
Aussi la toilette grave et enfantine tout à la fois de mademoiselle de J. fit-elle grande sensation. Les diamants sur la robe de riche étoffe, ce voile rare et magnifique, l'absence de bijoux coquets, tout était en accord.
Il est à désirer que cette mode remplace celle des robes de bal si inconvenantes pour la circonstance, et si déplacées dans une église.
Mademoiselle de J. tenait à sa main un livre couvert en ivoire, sur lequel se dessinait son chiffre, surmonté d'une couronne de comtesse.
Quelques jours avant la célébration, une grande réunion de famille avait attiré quelques étrangers à l'hôtel de J., et nous allons en dire quelques détails. Mademoiselle de J. avait parfaitement compris que si la nouvelle mariée est obligée de se soumettre à une certaine simplicité, la fiancée doit l'observer bien plus encore.
Rien n'est plus charmant que la coquetterie naïve d'une jeune fille dont on va lire le contrat de mariage. Elle doit être distinguée entre les autres jeunes filles, toutefois il ne faut pas qu'elle soit confondue avec les femmes.
Mademoiselle de J. a tout au plus dix-sept ans; à peine a-t-elle eu le temps de porter des fleurs. Jusqu'à cette soirée, qui lui donne près de 80,000 livres de rente, on aurait difficilement deviné en elle l'héritière d'une grande fortune.
Sa robe en mousseline de l'Inde, à double jupe, avait un jupon rose pour transparent; des flots de rubans rose et argent partageaient comme une Sévigné la mantille de son corsage, et les mêmes rubans accompagnaient sa coiffure.
La corbeille exposée était magnifique. Les châles de cachemire eurent à eux seuls un succès prodigieux. On fut en admiration devant un châle long, bleu, bordé de hautes palmes, complication merveilleuse de serpents et de petites figures grotesques. Les châles de cachemires sont de grande et riche élégance; le matin, à la ville, je ne sache pas quelque chose d'un meilleur goût qu'un châle long. Ceci soit dit sans attaquer nullement la faveur capricieuse du camail et de la pelisse, qui jouissent pleinement de leur royauté.
Les étoffes n'étaient qu'en petit nombre, en raison de l'époque où nous nous trouvons. Quelques taffetas rayés, quelques fantaisies, semblaient jouer à côté des pompeux velours et des velours épinglés d'une élégance si douce et si recherchée.
Parmi les bijoux, un bracelet eut une glorieuse distinction; c'est un portrait en miniature entouré de diamants et retenant cinq rangs de diamants.
Mademoiselle de J. adressa le plus charmant regard à son jeune prétendu. Ce remercîment semblait fort étranger aux diamants; car la jeune fille dit avec un ton affectueux: «Il est bien ressemblant.»
Pour les femmes qui regardaient, c'était surtout un bracelet de diamants; pour elle, c'était un portrait.
A la promenade, on va montrer sa voiture: aussi les personnes qui n'ont pas de voitures élégantes à faire voir, ne vont-elles guère se promener. Il n'y a aucune toilette de ville qui offre un peu de nouveauté.
Au théâtre, ce sont les coiffures; on voit de charmants petits bonnets fort simples, avec la passe relevée, et des rubans ou des fleurs tombant contre l'oreille. Il y a des femmes jolies et jeunes qui bravent l'aridité de la guipure près du visage, et qui font ces petits bonnets garnis en guipure plate, avec des épingles en diamants sur les cotés.
On dit que les robes de dessous en taffetas de couleur vont être adoptées avec les robes de fantaisie, pour les toilettes de jour; c'est une des plus jolies innovations que les femmes élégantes puissent encourager. Puisque l'on est revenu à quelques-unes des toilettes de nos mères, pourquoi ne pas reprendre celles qui se distinguaient le plus de toute autre époque par une recherche coquette et gracieuse.
(La solution à une prochaine livraison.)
Mercuriales MARCHÉ AUX GRAINS.--8 Mars FARINES.--Les 100 kilogrammes. 1re qualité 32 à 34 f. Arrivages 3,841 q. 94 k 2e id. 29 à 31 Ventes 5,507 3e id. 22 à 26 Restant à la halle 26,585 86 4e id 17 à 21 Cours moyen du jour, 30 f. 62 c.--De la taxe, 54 f. 24 c. GRAINS--L'hectolitre. Froment 18 f. 55 c. à 20 f. 65. c Seigle 9 65 10 65 Orge 13 55 14 15 Avoine 9 15 10 65 MARCHÉ AUX FOURRAGES.--3 Mars. Enfer. Saint-Martin Saint-Antoine Paille de blé, 1re qualité 48 à 51 f. 50 f. 48 à 50 f. Foin, id. 76 à 78 - 46 à 78 MARCHÉ AUX SCEAUX--Mars 1845. Amené. Vendu. Poids m. 1re qual. 2e qual. 3e qual. le k. Boeufs, 995 946 547 k. 1f.50c. 1f.18c. 1f.04c. Vaches, 188 181 216 1 12 .90 .68 Veaux, 494 494 57 1 76 1 60 1 44 Moutons, 8,555 8,467 22 1 46 1 30 1 06 HALLE AUX VEAUX. Amené. Vendu. Poids moyen. Le kil. 28 février 111 110 68 1f.84c à 1f.44c. 5 mars 578 578 70 2 10 1 70 VACHES GRASSES.--7 Mars. Amené 104, tant sur pied qu'abattues.--Vendu 79 de 1f.20c à 80c. le kilogramme. VACHES LAITIÈRES. Amené. Vendu. La Maison-Blanche 4 mars. 55 34 210 à 450 f. La Chapelle-Saint-Denis 7 mars. 95 42 250 à 500 LILLE.--1er Mars. Graine de colza, l'hectol. 24f.50c. Huile de colza, la tonne. 80 Graine de cameline, l'hectol. 20 Huile de cameline, la tonne. 80 25 Graine de lin, l'hectol. 21 25 Huile de lin, la tonne. 80 Tourteaux de colza, les 100 kilog 15 id. de lin, id. 16 75 MARCHÉS ÉTRANGERS.--BRUXELLES.--3 MARS 1845 Froment nouveau, l'hectolitre. 19f.70c. étranger, id. 17 77 Seigle nouveau, id. 15 77 Avoine id. 8 06 Graines de colza, id. 23 12 de lin. id. 18 59 Tourteaux de colza, l,215 kil. 168 75 de lin, id. 216 77 PRIX MOYEN DU FROMENT ET DU SEIGLE. Du Lundi au Samedi 25 Février 1845. Marchés régulateurs. Froment Hectol. Prix Moy. Seigle Hectol. Prix moy. Arlon 20f.32c. 17f.00c. Anvers 20 35 14 88 Bruges 18 15 13 25 Bruxelles 19 77 14 15 Gand 18 70 12 66 Hasselt 20 10 15 02 Liège 19 06 14 58 Louvain 20 44 14 81 Namur 20 02 15 55 Mons 19 75 12 52 Prix moyen pour tout le royaume. 19 55 14 45 Le froment reste soumis au droit d'entrée de 37 f. 50 c., et le seigle à celui de 21 f. 50 c. les 1,000 kilogrammes. Le droit de sortie sur l'une et l'autre céréale reste fixe à 25 c. les 1.000 kilogrammes. ANVERS.--3 Mars. Graines de trèfle rouge, le kilog. 0f.88c. -- blanc, id. 80 -- de chanvre de Riga, id. 51 -- de lin à semer de Riga, la tonne 26 49 -- de colza du pays, l'hectolitre. 28 56 -- -- étrangère, id. 28 50 GRAINS Froment roux indigène, l'hectolitre 25 80 -- blanc, id. 21 68 Seigle indigène, id. 15 20 -- de France, id. 15 55 Orge du pays, id. 11 89 -- étrangère, id. 9 60 Avoine à fourrage, id. 7 15 Houblon d'Angleterre, les 100 kilog. 70 LOUVAIN.--2 Mars. Froment 1re qualité, l'hectol. 21 11 -- 2e id. id. 20 25 Seigle 1re id. id. 15 09 -- 2e id. id. 14 51 Orge d'hiver id. 12 58 Beurre, 1re qualité, le kilog. 1 80 ATH. 2 Mars Froment nouveau, l'hectol. 19 30 Seigle, id. 11 75 Escourgeon, id. 11 50 Avoine, id. 6 50 AMSTERDAM--1er Mars. Huile de colza, la tonne. 68 25 -- de lin, id. 65 55 -- de chanvre, id. 61 94 Graine de colza, l'hectol. 21 58 SCHIEDAM.--8 Février Genièvre 9 5 16 degrés 52 27 -- preuve d'Amérique 54 59
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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit http://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: http://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: http://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.