The Project Gutenberg EBook of Discours civiques de Danton by Georges Jacques Danton Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. 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Sur les mesures revolutionnaires (26 aout 1792) III. Sur la patrie en danger (2 septembre 1792) IV. Sur le role de la Convention (21 septembre 1792) V. Sur le choix des juges (22 septembre 1792) VI. Justification civique (25 septembre 1792) VII. Contre Roland (29 octobre 1792) VIII. Pour la liberte des opinions religieuses (7 novembre 1792) 1793 IX. Proces de Louis XVI (janvier 1793) X. Pour Lepeletier et contre Roland (21 janvier 1793) XI. Sur la reunion de la Belgique a la France (31 janvier 1793) XII. Sur les secours a envoyer a Dumouriez (8 mars 1793) XIII. Sur la liberation des prisonniers pour dettes (9 mars 1793) XIV. Sur les devoirs de chacun envers la patrie en danger (10 mars 1793) XV. Sur l'institution d'un tribunal revolutionnaire (10 mars 1793) XVI. Sur la demission de Beurnonville (11 mars 1793) XVII. Sur le gouvernement revolutionnaire (27 mars 1793) XVIII. Justification de sa conduite en Belgique (30 mars 1793) XIX. Sur la trahison de Dumouriez et la mission en Belgique (1er avril 1793) XX. Sur le Comite de Salut public (3 avril 1793) XXI. Sur le prix du pain (5 avril 1793) XXII. Sur le droit de petition du peuple (10 avril 1793) XXIII. Sur la peine de mort contre ceux qui transigent avec l'ennemi (13 avril 1793) XXIV. Sur la tolerance des cultes 19 avril 1793) XXV. Sur un nouvel impot et de nouvelles levees (27 avril 1793) XXVI. Autre discours sur le droit de petition du peuple (1er mai 1793) XXVII. Sur l'envoi de nouvelles troupes en Vendee (8 mai 1793) XXVIII. Sur une nouvelle loi pour proteger la representation nationale (24 mai 1793) XXIX. Pour le peuple de Paris (26 mai 1793) XXX. Contre la Commission des Douze (27 mai 1793) XXXI. Autre discours contre la Commission des Douze (3l mai 1793) XXXII. Sur la chute des Girondins (13 juin 1793) XXXIII. Contre les assignats royaux (31 Juillet 1793) XXXIV. Discours pour que le Comite de Salut public soit erige en gouvernement provisoire, (ler aout 1793) XXXV. Sur les suspects (l2 aout 1793) XXXVI. Sur l'instruction gratuite et obligatoire (13 aout 1793) XXXVII. Sur les creanciers de la liste civile et les requisitions departementales (14 aout 1793) XXXVIII. Sur de nouvelles mesures revolutionnaires (4 septembre 1793) XXXIX. Sur les secours a accorder aux pretres sans ressources (22 novembre 1793) XL. Contre les mascarades antireligieuses et sur la conspiration de l'etranger (26 novembre 1793) XLI. Sur l'instruction publique (26 novembre 1793) XLII. Sur les arretes des representants en mission en matiere financiere (1er decembre 1793) XLIII. Defense aux Jacobins (3 decembre 1793) XLIV. Sur les mesures a prendre contre les suspects (7 decembre 1793) XLV. Sur l'instruction publique (12 decembre 1793) 1794 XLVI. Sur l'egalite des citoyens devant les mesures revolutionnaires (23 Janvier 1794) XLVII. Pour le Pere Duchesne et Ronsin (2 fevrier 1794) XLVIII. Sur l'abolition de l'esclavage (6 fevrier 1794) XLIX. Sur les fonctionnaires publics soumis a l'examen du Comite de Salut public (9 mars 1794) L. Sur la dignite de la Convention (19 mars 1794) MEMOIRE, ecrit en mil huit cent quarante-six, par les deux fils de Danton, le conventionnel, pour detruire les accusations de venalite contre leur pere INTRODUCTION I Voici le seul orateur populaire de la Revolution. De tous ceux qui, a la Constituante, a la Legislative ou a la Convention, ont occupe la tribune et merite le laurier de l'eloquence, Danton est le seul dont la parole trouva un echo dans la rue et dans le coeur du peuple. C'est veritablement l'homme de la parole revolutionnaire, de la parole d'insurrection. Que l'eloquence noblement ordonnee d'un Mirabeau et les discours froids et electriques d'un Robespierre, soient davantage prises que les harangues hagardes et tonnantes de Danton, c'est la un phenomene qui ne saurait rien avoir de surprenant. Si les deux premiers de ces orateurs ont pu leguer a la posterite des discours qui demeurent le testament politique d'une epoque, c'est qu'ils furent rediges pour cette posterite qui les accueille. Pour Danton rien de pareil. S'il atteste quelquefois cette posterite, qui oublie en lui l'orateur pour le meneur, c'est par pur effet oratoire, parce qu'il se souvient, lui aussi, des classiques dont il est nourri, et ce n'est qu'un incident rare. Ce n'est pas a cela qu'il pretend. Il ne sait point "prevoir la gloire de si loin". Il est l'homme de l'heure dangereuse, l'homme de la patrie en danger; l'homme de l'insurrection. "Je suis un homme de Revolution [Note: EDOUARD FLEURY. Etudes revolutionnaires: Camille Desmoulins et Roch Mercandier (la presse revolutionnaire), p. 47; Paris, 1852]", lui fait-on dire. Et c'est vrai. Telles, ses harangues n'aspirent point a se survivre. Que sa parole soit utile et ecoutee a l'heure ou il la prononce, c'est son seul desir et il estime son devoir accompli. On concoit ce que cette theorie, admirable en pratique, d'abnegation et de courage civique, peut avoir de defectueux pour la renommee oratoire de l'homme qui en fait sa regle de conduite, sa ligne politique. Nous verrons, plus loin, que ce n'est pas le seul sacrifice fait par Danton a sa patrie. Ces principes qu'il proclame, qu'il met en oeuvre, sont la meilleure critique de son eloquence. "Ses harangues sont contre toutes les regles de la rhetorique: ses metaphores n'ont presque jamais rien de grec ou de latin (quoiqu'il aimat a parler le latin). Il est moderne, actuel" [Note: F.A. AULARD. Etudes et lecons sur la Revolution francaise, tome 1, p. 183; Paris, Felix Alcan, 1893.], dit M. Aulard qui lui a consacre de profondes et judicieuses etudes. C'est la le resultat de son caractere politique, et c'est ainsi qu'il se trouve chez Danton desormais inseparable de son eloquence. Homme d'action avant tout, il meprise quelque peu les longs discours inutiles. Apathie deconcertante chez lui. En effet, il semble bien, qu'avocat, nourri dans la basoche, coutumier de toutes les chicanes, et surtout de ces effroyables chicanes judiciaires de l'ancien regime, il ait du prendre l'habitude de les ecouter en silence, quitte a foncer ensuite, tete baissee, sur l'adversaire. Mais peut-etre est-ce de les avoir trop souvent ecoutes, ces beaux discours construits selon les methodes de la plus rigoureuse rhetorique, qu'il se revele leur ennemi le jour ou la basoche le lache et fait de l'avocat aux Conseils du Roi l'emeutier formidable rue a l'assaut des vieilles monarchies? Sans doute, mais c'est surtout parce qu'il n'est point l'homme de la chicane et des tergiversations, parce que, mele a la tourmente la plus extraordinaire de l'histoire, il comprend, avec le coup d'oeil de l'homme d'Etat qu'il fut des le premier jour, le besoin, l'obligation d'agir et d'agir vite. Qui ne compose point avec sa conscience, ne compose point avec les evenements. Cela fait qu'au lendemain d'une nuit demente, encore poudreux, de la bagarre, un avocat se trouve ministre de la Justice. Se sent-il capable d'assumer cette lourde charge? Est-il prepare a la terrible et souveraine fonction? Le sait-il? Il ne discute point avec lui-meme et accepte. Il sait qu'il est avocat du peuple, qu'il appartient au peuple. Il accepte parce qu'il faut vaincre, et vaincre sur-le-champ.[Note: "Mon ami Danton est devenu ministre de la Justice par la grace du canon: cette journee sanglante devait finir, pour nous deux surtout, par etre eleves ou hisses ensemble. Il l'a dit a l'Assemblee nationale: Si j'eusse ete vaincu, je serais criminel." Lettre de Camille Desmoulins a son pere, 15 aout 1792. Oeuvres de Camille Desmoulins, recueillies et publiees d'apres les textes originaux par M. Jules Claretie, tome II, p. 367-369; Paris, Pasquelle, 1906.] Cet homme-la n'est point l'homme de la mure reflexion, et de la ses fautes. Il accepte l'inspiration du moment, pourvu, toutefois, qu'elle s'accorde avec l'ideal politique que, des les premiers jours, il s'est propose d'atteindre. Il n'a point, comme Mirabeau, le genie de la facilite, cette abondance meridionale que parent les plus belles fleurs de l'esprit, de l'intelligence et de la reminiscence. Mirabeau, c'est un phenomene d'assimilation, extraordinaire echo des pensees d'autrui qu'il fond et denature magnifiquement au creuset de sa memoire, une maniere de Bossuet du plagiat que nul sujet ne trouve pris au depourvu. Danton, lui, avoue simplement son ignorance en certaines matieres. "Je ne me connais pas grandement en finances", disait-il un jour [Note: Seance de la Convention, du 31 juillet 1793.] et il parle cinq minutes. Mirabeau eut parle cinq heures. Il n'a point non plus, comme Robespierre, ce don de l'axiome geometrique, cette logique froide qui tombe comme le couperet, etablit, ordonne, institue, promulgue et ne discute pas. Quand cela coule des minces levres de l'avocat d'Arras, droit et rigide a la tribune, on ne songe pas que durant des nuits il s'est penche sur son papier, livrant bataille au mot rebelle, acharne sur la metaphore, raturant, recommencant, en proie a toutes les affres du style. Or, Danton n'ecrit rien [Note: P. AULARD, oevr. cit., tome I, p. 172.]. Paresse, a-t-on dit? Peut-etre. Il reconnait: "Je n'ai point de correspondance." [Note: Seance de la Convention, du 21 aout 1793.]. C'est l'aveu implicite de ses improvisations repetees. Qui n'ecrit point de lettres ne redige point de discours. C'est chose laissee a l'Incorruptible et a l'Ami du Peuple. Ce n'est point davantage a Marat qu'on peut le comparer. L'eloquence de celui-ci a quelque chose de forcene et de lamentatoire, une ardeur d'apostolat revolutionnaire et de charite, de vengeur et d'implorant a la fois. Ce sont bien des plaintes ou passe, suivant la saisissante expression de M. Vellay, l'ombre desesperee de Cassandre. [Note: La Correspondance de Marat, recueillie et publiee par Charles Vellay, intr. xxii; Paris, Fasquelle, 1896.] Chez Danton, rien de tout cela. Et a qui le comparer sinon qu'a lui? Dans son style on entend marcher les evenements. Ils enflent son eloquence, la font hagarde, furieuse, furibonde; chez lui la parole bat le rappel et bondit armee. Aussi, point de longs discours. Toute colere tombe, tout enthousiasme faiblit. Les grandes harangues ne sont point faites de ces passions extremes. Si pourtant on les retrouve dans chacun des discours de Danton, c'est que de jour en jour elles se chargent de ranimer une vigueur peut-etre flechissante, quand, a Arcis-sur-Aube, il oublie l'orage qui secoue son pays pour le foyer qui l'attend, le sourire de son fils, la presence de sa mere, l'amour de sa femme, la beaute molle et onduleuse des vifs paysages champenois qui portent alors a l'idylle et a l'eglogue ce grand coeur aimant. Mais que Danton reprenne pied a Paris, qu'il se sente aux semelles ce pave brulant du 14 juillet et du 10 aout, que l'amour du peuple et de la patrie prenne le pas sur l'amour et le souvenir du pays natal, c'est alors Antee. Il tonne a la tribune, il tonne aux Jacobins, il tonne aux armees, il tonne dans la rue. Et ce sont les lambeaux heurtes et dechires de ce tonnerre qu'il legue a la posterite. Ses discours sont des exemples, des lecons d'honnetete, de foi, de civisme et surtout de courage. Quand il se sent parler d'abondance, sur des sujets qui lui sont etrangers, il a comme une excuse a faire. "Je suis savant dans le bonheur de mon pays", dit-il. [Note: Seance de la Convention, du 31 juillet 1793.] Cela, c'est pour lui la supreme excuse et le supreme devoir. Son pays, le peuple, deux choses qui priment tout. Entre ces deux poles son eloquence bondit, sur chacun d'eux sa parole pose le pied et ouvre les ailes. Et quelle parole! Au moment ou Paris et la France vivent dans une atmosphere qui sent la poudre, la poussiere des camps, il ne faut point etre surpris de trouver dans les discours de Danton comme un refrain de Marseillaise en prose. Sa metaphore, au bruit du canon et du tocsin, devient guerriere et marque le pas avec les sections en marche, avec les volontaires leves a l'appel de la patrie en danger. Elle devient audacieuse, extreme, comme le jour ou, dans l'enthousiasme de la Convention, d'abord abattue par la trahison de Dumouriez, il declare a ses accusateurs: "Je me suis retranche dans la citadelle de la raison; j'en sortirai avec le canon de la verite et je pulveriserai les scelerats qui ont voulu m'accuser." [Note: Seance de la Convention, du 1er avril 1793.] Cela, Robespierre ne l'eut point ecrit et dit. C'est chez Danton un mepris de la froide et elegante sobriete, mais faut-il conclure de la que c'etait simplement de l'ignorance? Cette absence des formes classiques du discours et de la recherche du langage, c'est a la fievre des evenements, a la violence de la lutte qu'il faut l'attribuer, declare un de ses plus courageux biographes. [Note: Dr ROBINET. Danton, mem. sur sa vie privee, p. 67; Paris, 1884.] On peut le croire. Mais pour quiconque considere Danton a l'action, cette excuse est inutile. Son oeuvre politique explique son eloquence. Si elle roule ces scories, ces eclats de rudes rocs, c'est qu'il meprise les rheteurs, c'est, encore une fois, et il faut bien le repeter, parce qu'il a la religion de l'action; et ce culte seul domine chez lui. Il ne va point pour ce jusqu'a la grossierete, cette grossierete de jouisseur, de grand mangeur, de materialiste, qu'on lui attribue si volontiers. "Aucune de ses harangues ne fournit d'indices de cette grossierete", dit le Dr Robinet. [Note: Ibid., p. 67.] Et quand meme cela eut ete, quand meme elles eussent eu cette violence et cette exageration que demande le peuple a ses orateurs, en quoi diminueraient-elles la memoire du Conventionnel?" Je porte dans mon caractere une bonne portion de gaiete francaise", a-t-il repondu. [Note: Seance de la Convention, du 16 mars 1794.] Mais cette gaiete francaise, c'est celle-la meme du pays de Rabelais. Si Pantagruel est grossier, Danton a cette grossierete-la. Il sait qu'on ne parle point au peuple comme on parle a des magistrats ou a des legislateurs, qu'il faut au peuple le langage rude, simple, franc et net du peuple. Paris n'a-t-il point baille a l'admirable morceau de froid lyrisme et de noble eloquence de Robespierre pour la fete de l'Etre Supreme? C'est en vain que, sur les gradins du Tribunal revolutionnaire, Vergniaud deroula les plus harmonieuses periodes classiques d'une defense a la grande facon. Mais Danton n'eut a dire que quelques mots, a sa maniere, et la salle se dressa tout a coup vers lui, contre la Convention. Il fallut le baillon d'un decret pour museler le grand dogue qui allait reveiller la conscience populaire. La seul fut l'art de Danton. La Revolution venait d'en bas, il descendit vers elle et ne demeura pas, comme Maximilien Robespierre, a la place ou elle l'avait trouve. Par la, il sut mieux etre l'echo des desirs, des besoins, le cri vivant de l'heroisme exaspere, le tonnerre de la colere portee a son summum. Il fut la Revolution tout entiere, avec ses haines francaises, ses fureurs, ses espoirs et ses illusions. Robespierre, au contraire, la domina toujours et, jacobin, resta aristocrate parmi les jacobins. Derriere la guillotine du 10 thermidor s'erige la Minerve antique, porteuse du glaive et des tables d'airain. Derriere la guillotine du 16 germinal se dresse la France blessee, echevelee et libre, la France de 93. Ne cherchons pas plus loin. De la la popularite de Danton; de la l'hostilite haineuse ou le peuple roula le cadavre sacrifie par la canaille de thermidor a l'ideal jacobin et francais. II La Patrie! Point de discours ou le mot ne revienne. La Patrie, la France, la Republique; point de plus haut ideal propose a ses efforts, a son courage, a son civisme. Il aime son pays, non point avec cette fureur jalouse qui fait du patriotisme un monopole a exploiter, il l'aime avec respect, avec admiration. Il s'incline devant cette terre ou fut le berceau de la liberte, il s'agenouille devant cette patrie qui, aux nations asservies, donne l'exemple de la liberation. C'est bien ainsi qu'il se revele comme imbu de l'esprit des encyclopedistes [Note: F. AULARD, oevr. cit., tome I, p. 181.], comme le representant politique le plus accredite de l'ecole de l'Encyclopedie. [Note: ANTONIN DUBOST. Danton et la politique contemporaine, p. 48; Paris, Fasquelle, 1880.] Le peuple qui, le premier, conquit sur la tyrannie la sainte liberte est a ses yeux le premier peuple de l'univers. Il est de ce peuple, lui. De la son orgueil, son amour, sa devotion. Jamais homme n'aima sa race avec autant de fierte et de fougue; jamais citoyen ne consentit tant de sacrifices a son ideal. En effet, Danton n'avait pas comme un Fouche, un Lebon, un Tallien, a se tailler une existence nouvelle dans le regime nouveau; au contraire. Pourvu d'une charge fructueuse, au sommet de ce Tiers Etat qui etait alors autre chose et plus que notre grande bourgeoisie contemporaine, la Revolution ne pouvait que lui apporter la ruine d'une existence laborieuse mais confortable, aisee, paisible. Elle vint, cette Revolution attendue, esperee, souhaitee, elle vint et cet homme fut a elle. Il aimait son foyer, cela nous le savons, on l'a prouve, demontre; il quitta ce foyer, et il fut a la chose publique. Nous connaissons les angoisses de sa femme pendant la nuit du 10 aout. Cette femme, il l'aimait, il l'aima au point de la faire exhumer, huit jours apres sa mort, pour lui donner le baiser supreme de l'adieu; et pourtant, il laissa la sa femme pour se donner a la neuve Republique. Il quitta tout, sa vieille mere (et il l'adorait, on le sait), son foyer, pour courir dans la Belgique enflammer le courage des volontaires. Dans tout cela il apportait un esprit d'abnegation sans exemple. Il sacrifiait sa memoire, sa gloire, son nom, son honneur a la Patrie. "Que m'importe d'etre appele buveur de sang, pourvu que la patrie soit sauvee!" Et il la sauvait. Il etait feroce, oui, a la tribune, quand il parlait des ennemis de son pays. Il en appelait aux mesures violentes, extremes, au nom de son amour pour la France. Il etait terrible parce qu'il aimait la Patrie avant l'humanite. Et pourtant, on l'a dit, cet homme "sous des formes aprement revolutionnaires, cachait des pensees d'ordre social et d'union entre les patriotes". Qui, aujourd'hui, apres les savants travaux de feu A. Bougeart [Note: ALFRED BOUGEART. Danton, documents authentiques pour servir a l'histoire de la Revolution francaise; 1861, in-8 deg..] et du Dr Robinet, ne saurait souscrire a cette opinion d'Henri Martin? Son ideal, en effet, etait l'ordre, la concorde entre les republicains. Jusque dans son dernier discours a la Convention, alors que deja a l'horizon en deroute montait l'aube radieuse et terrible du 16 germinal, alors encore il faisait appel a la concorde, a la fraternite, a l'ordre. Sorti de la classe qui l'avait vu naitre, il ne pouvait etre un anarchiste, un destructeur de toute harmonie. Il aimait trop son pays pour n'avoir point l'orgueil de construire sur les ruines de la monarchie la cite nouvelle promise au labeur et a l'effort de la race liberee. Etait-il propre a cette tache? L'ouvrier de la premiere heure aurait-il moins de merite que celui de la derniere? "C'etait un homme bien extraordinaire, fait pour tout", disait de lui l'empereur exile, revenu au jacobinisme auquel il avait du de retrouver une France neuve. [Note: BARON GOURGAUD. Journal inedit de Sainte-Helene (1815-1818), avec preface et notes de MM. le vicomte de Grouchy et Antoine Guillois.] La reorganisation, l'organisation faudrait-il dire, fut son grand but. Qu'on lise ces discours, on y verra cette preoccupation constante: satisfaire les besoins de la Republique, les devancer, l'organiser. Cela, certes, est indeniable. Ainsi que Carnot organisa la victoire, il medita d'organiser la Republique. Ce qui est non moins incontestable, c'est que le temps et les moyens lui firent defaut, et que, lasse du trop grand effort donne, son courage flechit. Le jour ou il souhaita le repos fut la veille de sa ruine. Son programme politique, M. Antonin Dubost l'a expose avec une sobre nettete dans son bel ouvrage sur la politique dantoniste. "Repousser l'invasion etrangere, ecrit-il, briser les dernieres resistances retrogrades et constituer un gouvernement republicain en le fondant sur le concours de toutes les nuances du parti progressif, independamment de toutes vues particulieres, de tout systeme quelconque, dans l'unique but de permettre au pays de poursuivre son libre developpement intellectuel, moral et pratique entrave depuis si longtemps par la coalition retrograde; mettre au service de cette oeuvre une energie terrible, necessaire pour conquerir notre independance nationale et pour rompre les fils de la conspiration royaliste, et une opiniatrete comme on n'en avait pas encore vu a etablir entre tous les republicains un accord etroit sans lequel la fondation de la republique etait impossible, tel etait le programme de Danton a son entree au pouvoir. Ce programme, il en a poursuivi l'application jusqu'a son dernier jour, a travers des resistances inouies et avec un esprit de suite, une souplesse, une appropriation des moyens aux circonstances qui etonneront toujours des hommes doues de quelque aptitude politique." [Note: ANTONIN DUBOST, vol. cit., p. 56.] Ces moyens, on le sait, furent souvent violents, mais ici encore ils etaient, reprenons l'expression de M. Dubost, appropries aux circonstances. Or, jamais pays ne se trouva en pareille crise, en presence de telles circonstances. Terribles, elles durent etre combattues terriblement. A la Terreur prussienne repondit la Terreur francaise. L'arme se retourna contre ceux qui la brandissaient. C'est la l'explication et la justification--nous ne disons pas excuse,--du systeme. Cette explication est vieille, nul ne l'ignore, mais c'est la seule qui puisse etre donnee, c'est la seule qui ait ete combattue. En effet, enlevez a la Terreur la justification des circonstances, et c'est la un regime de folie et de sauvagerie. Theme facile aux declarations reactionnaires, on ne s'arrete que la. C'est un argument qui semble peremptoire et sans replique; le lieu commun qui autorise les pires arguties et fait condamner, pele-mele, Danton, Robespierre, Fouquier-Tinville, Carrier, Lebon et Saint-Just. Cette reprobation, Danton, par anticipation, l'assuma. Il consentit a charger sa memoire de ce qui pouvait sembler violent, excessif et inexorable dans les mesures qu'il proposait. Le salut de la Patrie primait sa justification devant la posterite. Or, il n'echappe a quiconque etudie avec son ame, avec sa raison, l'heure de cette crise, que c'est precisement la qu'il importe de chercher la glorification de Danton. Ces mesures contre les suspects, le tribunal revolutionnaire, l'impot sur les grosses fortunes, la Terreur enfin, ce fut lui qui la proposa. Et la Terreur sauva la France. Si quelque bien-etre et quelque liberte sont notre partage aujourd'hui dans le domaine politique et materiel, c'est a la Terreur que nous les devons. La responsabilite etait terrible. Danton l'assuma devant l'Histoire, courageusement, franchement, sans arriere-pensee, car, on l'a avoue, l'ombre de la trahison et de la lachete effrayait cet homme. [Note: Memoires de R. Levasseur (de la Sarthe), tome II.] Il se revela l'incarnation vibrante et vivante de la defense nationale a l'heure la plus tragique de la race francaise. Cette defense, la Terreur l'assura a l'interieur et a l'exterieur. A l'instant meme ou elle triomphait de toutes resistances, Danton faiblit. Pour la premiere fois il recula, il se sentit flechir sous l'enorme poids de cette responsabilite et il douta de lui-meme et de la justice de la posterite. Et celui que Garat appelait un grand seigneur de la Sans-culotterie [Note: Louis BLANC, Histoire de la Revolution francaise, t. VII, p. 97.] eut comme honte de ce qui lui allait assurer une indefectible gloire. Et c'est l'heure que la reaction guette, dans cette noble et courageuse vie, pour lui impartir sa dedaigneuse indulgence; c'est l'heure ou elle est tentee d'absoudre Danton des coups qu'il lui porta, au nom d'une clemence qui ne fut chez lui que de la lassitude. III C'est contre cet outrageant eloge de la clemence de Danton qu'il faut defendre sa memoire. La reaction honore en lui la victime de la pitie et de Robespierre. C'est pour avoir tente d'arreter la marche de la Terreur qu'il succomba, repete le theme habituel des apologistes malgre eux. Il faut bien le dire: pour faire tomber Danton, il ne fallut que Danton lui-meme, et, si cette mort fut le crime de Maximilien, elle fut aussi son devoir. La Gironde abattue, Danton se trouva en presence de deux partis reunis cependant par les memes interets: les Hebertistes a la Commune, les Montagnards a la Convention. Entre eux point de place pour les moderes, ce modere fut-il Danton. Il revenait, lui, de sa ferme d'Arcis-sur-Aube, de cette maison paysanne dont le calme et le repos demeuraient son seul regret dans la terrible lutte. Il estimait avoir fait son devoir jusqu'au bout, il estimait peut-etre aussi que la Revolution etait au terme de son evolution, qu'elle etait desormais etablie sur des bases indestructibles. On sait quelles illusions c'etaient la en 1794. Pourtant Danton y crut, il y crut pour l'amour du repos, par lassitude. Il s'arreta alors qu'il eut fallu continuer la rude marche, il s'arreta alors que la Patrie demandait un dernier effort. Son influence etait puissante encore; vers cette grande tete ravagee et illuminee se tournaient un grand nombre de regards sur les bancs de la Montagne. De cette bouche eloquente, pleine d'eclats eteints, de foudres muettes, pouvait venir le mot d'ordre fatal. La lassitude de Danton pouvait etre prise par les Dantonistes comme une reprobation; un mot de fatigue pouvait etre interprete comme un ordre de recul. Reculer, c'etait condamner la Terreur, la paralyser au moment de son dernier effort. Et c'est ici que le devoir de Maximilien s'imposa: il lui fallut choisir de la Revolution ou de Danton. Il choisit. C'est ce devoir qu'on lui impute comme un crime. Et pourtant! pourtant, oui, c'etait un crime, cet austere, atroce et formidable Devoir! L'homme qu'il fallait frapper au nom du progres revolutionnaire parce qu'il devenait un danger, cet homme avait reveille l'energie guerriere de la France, cet homme avait, pour appeler a la defense du sol, trouve des mots qui avaient emporte et dechire le coeur du peuple, il avait ete son incarnation, son echo, sa bouche d'airain. Cet homme avait propose tout ce qui avait sauve la Patrie et c'etait au nom de ces memes mesures qu'il importait de le frapper. Et il fut frappe. Robespierre ne se resigna point a l'atroce tache avec la joie sauvage, la cruaute froide et la facilite dont on charge sa memoire. Un de ceux qui se deciderent a abattre Danton sans discuter, Vadier, ce meme Vadier qui disait: "Nous allons vider ce Turbot farci!", Vadier reconnut plus tard qu'il lui avait, au contraire, fallu vaincre l'opposition de Robespierre, le retard que l'Incorruptible apportait a se decider pour l'arrestation de son ancien ami. Non point qu'il n'en avait pas compris la necessite, nous venons de montrer que pour l'inflexibilite de Robespierre la chose etait un devoir, mais parce qu'il lui repugnait d'arracher de son coeur le souvenir de l'amour que Danton avait porte a la patrie. Cet aveu de Vadier fut consigne par Taschereau-Fargues, dans une brochure devenue rare, ou, rapportant les details de l'arrestation, il ajoute: "Pourquoi ne dirai-je point que cela fut un assassinat medite, prepare de longue main, lorsque deux jours apres cette seance ou presidait le crime, le representant Vadier, me racontant toutes les circonstances de cet evenement, finit par me dire: que Saint-Just, par son entetement, avait failli occasionner la chute des membres des deux comites, car il voulait, ajouta-t-il, que les accuses fussent presents lorsqu'il aurait lu le rapport a la Convention nationale; et telle etait son opiniatrete que, voyant notre opposition formelle, il jeta de rage son chapeau dans le feu, et nous planta la. Robespierre etait aussi de son avis; il craignait qu'en faisant arreter prealablement ces deputes, celle demarche ne fut tot ou tard reprehensible; mais, comme la peur etait un argument irresistible aupres de lui, je me servis de cette arme pour le combattre: Tu peux courir la chance d'etre guillotine, si tel est ton plaisir; pour moi, je veux eviter ce danger, en les faisant arreter sur-le-champ, car il ne faut point se faire illusion sur le parti que nous devons prendre; tout se reduit a ces mots: Si nous ne les faisons point guillotiner, nous le serons nous-memes." [Note: P.-A. Taschereau.--Fargues a Maximilien Robespierre aux Enfers; Paris, an III, p. 16.--Cite dans les Annales revolutionnaires, n deg. 1, janvier-mars 1908, p. 101.] L'hesitation de Robespierre vaincue, Danton etait perdu. L'accusation contre Danton completa le crime. C'etait le completer, l'aggraver, en effet, que d'elever contre lui le reproche de la venalite. De source girondine, le grief fut repris par les Montagnards; et il a fallu attendre pres d'un siecle pour en laver la memoire outragee et blasphemee de Danton. Mais le premier pas fait, les autres ne couterent guere et on sait jusqu'ou Saint-Just alla. Ici point d'excuse. Cette haute et pure figure se voile tout a coup, s'efface et il ne demeure qu'un faussaire odieux, celui qui donnera, dans le dos de Danton, le coup de couteau dont il ne se relevera pas. Fouquier-Tinville, dans son dernier memoire justificatif, a eclaire les dessous de cette terrible machination, il a dit d'ou etait venu le coup, on a reconnu la main... Helas! la main qui, a Strasbourg et sur le Rhin, signa les plus brillantes et les plus enflammees des proclamations jacobines! Au 9 thermidor, quand, immobile, muet, dechu, Saint-Just se tient debout devant la tribune ou Robespierre lance son dernier appel a la raison francaise, dans le tumulte hurlant de la Convention dechainee, peut-etre, devinant l'expiation, Saint-Just se rememora-t-il les supremes paroles de Danton au Tribunal revolutionnaire: "Et toi, Saint-Just, tu repondras a la posterite de la diffamation lancee contre le meilleur ami du peuple, contre son plus ardent defenseur!" [Note: Bulletin du Tribunal revolutionnaire, 4e partie, n deg. 21.] Et c'est ce qui fait cette jeune et noble gloire un peu moins grande et un peu moins pure. IV L'improvisation, si elle nuisit a la purete litteraire des discours de Danton, eut encore d'autres desavantages pour lui. Elle nous les laissa incomplets, souvent denatures et alteres. Rares sont ceux-la qui nous sont parvenus dans leur ensemble. Alors que des orateurs comme Vergniaud et Robespierre prenaient soin d'ecrire leurs discours et d'en corriger les epreuves au Moniteur, Danton dedaignait de s'en preoccuper. Il ne demandait point pour ses paroles la consecration de l'avenir, et il avait a leur egard la maniere de mepris et de dedain dont il usait envers ses accusateurs. C'est pourquoi beaucoup de ces discours sont a jamais perdus. Ceux qui demeurent nous sont arrives par les versions du Moniteur et du Lorgotachygraphe. Elles offrent entre elles des variantes que M. Aulard avait deja signalees. Entre les deux nous avions a choisir. C'est a celle du Moniteur que nous nous sommes arrete. Outre son caractere officiel,--denature, nous le savons bien, mais officiel quand meme,--elle offre au lecteur, desireux de restituer le discours donne a son ensemble, la facilite de se retrouver plus aisement. Tel discours publie ici, nous ne le dissimulons pas, prend un caractere singulierement plus significatif lu dans le compte rendu d'une seance. Mais cette qualite devenait un defaut pour quelques autres qu'elle privait de leur cohesion, de l'enchainement logique des periodes. C'est pourquoi nous nous sommes decide a supprimer, a moins d'une necessite imperieuse, tout ce qui pouvait en contrarier la lecture, telles les interruptions sans importance, tels les applaudissements, ce qui, enfin, n'avait en aucune maniere modifie la suite du discours. Nous avons, au contraire, scrupuleusement respecte tout ce qui avait decide l'orateur a repondre sur-le-champ aux observations presentees. C'est le cas ou nous nous sommes trouve pour la seance ou Danton s'expliqua sur ses relations avec Dumouriez, et quelques autres encore. Un choix, d'autre part, s'imposait parmi tous les discours du conventionnel. Ce n'est pas a l'ensemble de son oeuvre oratoire que nous avons pretendu ici, et d'ailleurs, il serait a coup sur impossible de le reconstituer rigoureusement. Ce choix, la matiere meme des discours nous le facilita singulierement. Tous les sujets de quelque importance furent discutes et traites par Danton avec assez d'abondance. L'obligation de reproduire les discours ou il exposa ses vues politiques, le plus completement et le plus longuement, s'imposait donc. Ce fut d'ailleurs la methode dont se servit, en 1886, A. Vermorel, pour reunir quelques discours du conventionnel sous le titre: Oeuvres de Danton, comme il avait recueilli celles de Saint-Just, de Robespierre, de Mirabeau et de Desmoulins. Ce fut la seule tentative faite pour reunir les discours du ministre du 10 aout; mais, outre les erreurs de dates assez serieuses, Vermorel n'avait pris aucun soin de resumer ou de donner la breve physionomie des seances ou les discours publies furent prononces. Nous avons essaye de combler cette lacune, d'eclairer ainsi certains passages qui pouvaient sembler obscurs. Enfin, nous avons cru utile de joindre a ce volume le memoire justificatif redige par les fils Danton contre les accusations de venalite portees contre leur pere. Cette piece curieuse publiee par le Dr. Robinet dans son memoire sur la vie privee du conventionnel meritait d'etre reproduite, tant a cause de la haute memoire qu'elle defend, qu'a cause de la personnalite de ses signataires. C'est une reponse precise, moderee et de noble ton, qui a le merite de prouver, par des pieces ecrites, et authentiques, la probite de celui qui mourut, suivant le mot de M. Aulard, pur de sang, pur d'argent. Restitues ainsi dans leur ensemble, ces discours de Danton apparaitront comme de belles lecons de civisme et de pur patriotisme. Jamais amour pour la terre natale ne brula d'un feu plus egal, plus haut; jamais patriotisme ne s'affirma avec plus de perseverance et plus de foi en le pays; jamais homme ne legua a l'histoire une plus vaste esperance dans les glorieuses destinees de la Revolution. ANNEE 1792 I SUR LES DEVOIRS DE L'HOMME PUBLIC (Novembre 1791) Nomme administrateur du departement de Paris le 31 janvier 1791, Danton occupa cette fonction pendant presque toute cette annee. Il ne s'en demit qu'a la fin de novembre pour prendre le poste de substitut du procureur de la Commune, auquel le Dix Aout devait l'arracher pour le faire ministre. La vigueur deployee par lui dans ce poste prepara les voies de la grande journee fatale a la Monarchie, et le discours qu'il prononca, lors de son installation, le fit aisement prevoir. C'est le programme des devoirs de l'homme public qu'il y expose dans cette harangue murement reflechie et qui, si elle n'a pas toute la flamme de ses eclatantes improvisations de 93, se fait cependant remarquer par une audace de pensee assez rare, au debut du grand conflit national, dans les rangs des magistrats du peuple. Vermorel, qui la publia d'apres le texte donne par Freron dans "L'Orateur du Peuple", lui donne la date de novembre 1792 (p. 109). C'est en novembre 1791 qu'il convient de la retablir. * * * * * Monsieur le Maire et Messieurs, Dans une circonstance qui ne fut pas un des moments de sa gloire, un homme dont le nom doit etre a jamais celebre dans l'histoire de la Revolution disait: qu'il savait bien qu'il n'y avait pas loin du Capitole a la roche Tarpeienne; et moi, vers la meme epoque a peu pres, lorsqu'une sorte de plebiscite m'ecarta de l'enceinte de cette assemblee ou m'appelait une section de la capitale, je repondais a ceux qui attribuaient a l'affaiblissement de l'energie des citoyens ce qui n'etait que l'effet d'une erreur ephemere, qu'il n'y avait pas loin, pour un homme pur, de l'ostracisme suggere aux premieres fonctions de la chose publique. L'evenement justifie aujourd'hui ma pensee; l'opinion, non ce vain bruit qu'une faction de quelques mois ne fait regner qu'autant qu'elle-meme, l'opinion indestructible, celle qui se fonde sur des faits qu'on ne peut longtemps obscurcir, cette opinion qui n'accorde point d'amnistie aux traitres, et dont le tribunal supreme, casse les jugements des sots et les decrets des juges vendus a la tyrannie, cette opinion me rappelle du fond de ma retraite, ou j'allais cultiver cette metairie qui, quoique obscure et acquise avec le remboursement notoire d'une charge qui n'existe plus, n'en a pas moins ete erigee par mes detracteurs en domaines immenses, payes par je ne sais quels agents de l'Angleterre et de la Prusse. Je dois prendre place au milieu de vous, messieurs, puisque tel est le voeu des amis de la liberte et de la constitution; je le dois--d'autant plus que ce n'est pas dans le moment ou la patrie est menacee de toutes parts qu'il est permis de refuser un poste qui peut avoir ses dangers comme celui d'une sentinelle avancee. Je serais entre silencieusement ici dans la carriere qui m'est ouverte, apres avoir dedaigne pendant tout le cours de la Revolution de repousser aucune des calomnies sans nombre dont j'ai ete assiege, je ne me permettrais pas de parler un seul instant de moi, j'attendrais ma juste reputation de mes actions et du temps, si les fonctions deleguees auxquelles je vais me livrer ne changeaient pas entierement ma position. Comme individu, je meprise les traits qu'on me lance, ils ne me paraissent qu'un vain sifflement; devenu homme du peuple, je dois, sinon repondre a tout, parce qu'il est des choses dont il serait absurde de s'occuper, mais au moins lutter corps a corps avec quiconque semblera m'attaquer avec une sorte de bonne foi. Paris, ainsi que la France entiere, se compose de trois classes; l'une ennemie de toute liberte, de toute egalite, de toute constitution, et digne de tous les maux dont elle a accable, dont elle voudrait encore accabler la nation; celle-la je ne veux point lui parler, je ne veux que la combattre a outrance jusqu'a la mort; la seconde est l'elite des amis ardents, des cooperateurs, des plus fermes soutiens de notre Revolution, c'est elle qui a constamment voulu que je sois ici; je ne dois non plus rien dire, elle m'a juge, je ne la tromperai jamais dans son attente: la troisieme, aussi nombreuse que bien intentionnee, veut egalement la liberte, mais elle en craint les orages; elle ne hait pas ses defenseurs qu'elle secondera toujours dans les moments de perils, mais elle condamne souvent leur energie, qu'elle croit habituellement ou deplacee ou dangereuse; c'est a cette classe de citoyens que je respecte, lors meme qu'elle prete une oreille trop facile aux insinuations perfides de ceux qui cachent sous le masque de la moderation l'atrocite de leurs desseins; c'est, dis-je, a ces citoyens que je dois, comme magistrat du peuple, me faire bien connaitre par une profession de foi solennelle de mes principes politiques. La nature m'a donne en partage les formes athletiques et la physionomie apre de la liberte. Exempt du malheur d'etre ne d'une de ces races privilegiees suivant nos vieilles institutions, et par cela meme presque toujours abatardies, j'ai conserve, en creant seul mon existence civile, toute ma vigueur native, sans cependant cesser un seul instant, soit dans ma vie privee, soit dans la profession que j'avais embrassee, de prouver que je savais allier le sang-froid de la raison a la chaleur de l'ame et a la fermete du caractere. Si, des les premiers jours de notre regeneration, j'ai eprouve tous les bouillonnements du patriotisme, si j'ai consenti a paraitre exagere pour n'etre jamais faible, si je me suis attire une premiere proscription pour avoir dit hautement ce qu'etaient ces hommes qui voulaient faire le proces a la Revolution, pour avoir defendu ceux qu'on appelait les energumenes de la liberte, c'est que je vis ce qu'on devait attendre des traitres qui protegeaient ouvertement les serpents de l'aristocratie. Si j'ai ete toujours irrevocablement attache a la cause du peuple, si je n'ai pas partage l'opinion d'une foule de citoyens, bien intentionnes sans doute, sur des hommes dent la vie politique me semblait d'une versatilite bien dangereuse, si j'ai interpelle face a face, et aussi publiquement que loyalement, quelques-uns de ces hommes qui se croyaient les pivots de notre Revolution; si j'ai voulu qu'ils s'expliquassent sur ce que mes relations avec eux m'avait fait decouvrir de fallacieux dans leurs projets, c'est que j'ai toujours ete convaincu qu'il importait au peuple de lui faire connaitre ce qu'il devait craindre de personnages assez habiles pour se tenir perpetuellement en situation de passer, suivant le cours des evenements, dans le parti qui offrirait a leur ambition les plus hautes destinees; c'est que j'ai cru encore qu'il etait digne de moi de m'expliquer en presence de ces memes hommes, de leur dire ma pensee tout entiere, lors meme que je prevoyais bien qu'ils se dedommageraient de leur silence en me faisant peindre par leurs creatures avec les plus noires couleurs, et en me preparant de nouvelles persecutions. Si, fort de ma cause, qui etait celle de la nation, j'ai prefere les dangers d'une seconde proscription judiciaire, fondee non pas meme sur ma participation chimerique a une petition trop tragiquement celebre, mais sur je ne sais quel conte miserable de pistolets emportes en ma presence, de la chambre d'un militaire, dans une journee a jamais memorable, c'est que j'agis constamment d'apres les lois eternelles de la justice, c'est que je suis incapable de conserver des relations qui deviennent impures, et d'associer mon nom a ceux qui ne craignent pas d'apostasier la religion du peuple qu'ils avaient d'abord defendu. Voila quelle fut ma vie. Voici, messieurs, ce qu'elle sera desormais. J'ai ete nomme pour concourir au maintien de la Constitution, pour faire executer les lois jurees par la nation; eh bien, je tiendrai mes serments, je remplirai mes devoirs, je maintiendrai de tout mon pouvoir la Constitution, rien que la Constitution, puisque ce sera defendre tout a la fois l'egalite, la liberte et le peuple. Celui qui m'a precede dans les fonctions que je vais remplir a dit qu'en l'appelant au ministere le roi donnait une nouvelle preuve de son attachement a la Constitution; le peuple, en me choisissant, veut aussi fortement, au moins, la Constitution; il a donc bien seconde les intentions du roi? Puissions-nous avoir dit, mon predecesseur et moi, deux eternelles verites! Les archives du monde attestent que jamais peuple lie a ses propres lois, a une royaute constitutionnelle, n'a rompu le premier ses serments; les nations ne changent ou ne modifient jamais leurs gouvernements que quand l'exces de l'oppression les y contraint; la royaute constitutionnelle peut durer plus de siecles en France que n'en a dure la royaute despotique. Ce ne sont pas les philosophes, eux qui ne font que des systemes, qui ebranlent les empires; les vils flatteurs des rois, ceux qui tyrannisent en leurs noms le peuple, et qui l'affament, travaillent plus surement a faire desirer un autre gouvernement que tous les philanthropes qui publient leurs idees sur la liberte absolue. La nation francaise est devenue plus fiere sans cesser d'etre plus genereuse. Apres avoir brise ses fers, elle a conserve la royaute sans la craindre, et l'a epuree sans la hair. Que la royaute respecte un peuple dans lequel de longues oppressions n'ont point detruit le penchant a etre confiant, et souvent trop confiant; qu'elle livre elle-meme a la vengeance des lois tous les conspirateurs sans exception et tous ces valets de conspiration qui se font donner par les rois des acomptes sur des contre-revolutions chimeriques, auxquelles ils veulent ensuite recruter, si je puis parler ainsi, des partisans a credit. Que la royaute se montre sincerement enfin l'amie de la liberte, _sa souveraine_, alors elle s'assurera une duree pareille a celle de la nation elle-meme, alors on verra que les citoyens qui ne sont accuses d'etre au _dela de la Constitution_ que par ceux memes qui sont evidemment en deca, que ces citoyens, quelle que soit leur theorie arbitraire sur la liberte, ne cherchent point a rompre le pacte social; qu'ils ne veulent pas, pour un mieux ideal, renverser un ordre de choses fonde sur l'egalite, la justice et la liberte. Oui, messieurs, je dois le repeter, quelles qu'aient ete mes opinions individuelles lors de la revision de la Constitution, _sur les choses et sur les hommes_, maintenant qu'elle est juree, j'appellerai a grands cris la mort sur le premier qui leverait un bras sacrilege pour l'attaquer, fut-ce mon frere, mon ami, fut-ce mon propre fils; tels sont mes sentiments. La volonte generale du peuple francais, manifestee aussi solennellement que son adhesion a la Constitution, sera toujours ma loi supreme. J'ai consacre ma vie tout entiere a ce peuple qu'on n'attaquera plus, qu'on ne trahira plus impunement, et qui purgera bientot la terre de tous les tyrans, s'ils ne renoncent pas a la ligue qu'ils ont formee contre lui. Je perirai, s'il le faut, pour defendre sa cause; lui seul aura mes derniers voeux, lui seul les merite; ses lumieres et son courage l'ont tire de l'abjection du neant; ses lumieres et son courage le rendront eternel. II SUR LES MESURES REVOLUTIONNAIRES (28 aout 1792) Dans la seance du 28 aout de la Legislative, Danton, ministre de la Justice, monta a la tribune pour exposer les mesures revolutionnaires qu'il semblait important de prendre. Merlin (de Thionville) convertit la proposition en motion que la Legislative vota et qui, le lendemain, fut mise a execution. Les barrieres furent fermees a 2 heures, et les visites domiciliaires durerent jusqu'a l'aube. * * * * * Le pouvoir executif provisoire m'a charge d'entretenir l'Assemblee nationale des mesures qu'il a prises pour le salut de l'Empire. Je motiverai ces mesures en ministre du peuple, en ministre revolutionnaire. L'ennemi menace le royaume, mais l'ennemi n'a pris que Longwy. Si les commissaires de l'Assemblee n'avaient pas contrarie par erreur les operations du pouvoir executif, deja l'armee remise a Kellermann se serait concertee avec celle de Dumouriez. Vous voyez que nos dangers sont exageres. Il faut que l'armee se montre digne de la nation. C'est par une convulsion que nous avons renverse le despotisme; c'est par une grande convulsion nationale que nous ferons retrograder les despotes. Jusqu'ici nous n'avons fait que la guerre simulee de Lafayette, il faut faire une guerre plus terrible. Il est temps de dire an peuple qu'il doit se precipiter en masse sur les ennemis. Telle est notre situation que tout ce qui peut materiellement servir a notre salut doit y concourir. Le pouvoir executif va nommer des commissaires pour aller exercer dans les departements l'influence de l'opinion. Il a pense que vous deviez en nommer aussi pour les accompagner, afin que la reunion des representants des deux pouvoirs produise un effet plus salutaire et plus prompt. Nous vous proposons de declarer que chaque municipalite sera autorisee a prendre l'elite des hommes bien equipes qu'elle possede. On a jusqu'a ce moment ferme les portes de la capitale et on a eu raison; il etait important de se saisir des traitres; mais, y en eut-il 30.000 a arreter, il faut qu'ils soient arretes demain, et que demain Paris communique avec la France entiere. Nous demandons que vous nous autorisiez a faire faire des visites domiciliaires. Il doit y avoir dans Paris 80.000 fusils en etat. Eh bien! il faut que ceux qui sont armes volent aux frontieres. Comment les peuples qui ont conquis la liberte l'ont-ils conservee? Ils ont vole a l'ennemi, ils ne l'ont point attendu. Que dirait la France, si Paris dans la stupeur attendait l'arrivee des ennemis? Le peuple francais a voulu etre libre; il le sera. Bientot des forces nombreuses seront rendues ici. On mettra a la disposition des municipalites tout ce qui sera necessaire, en prenant l'engagement d'indemniser les possesseurs. Tout appartient a la patrie, quand la patrie est en danger. III SUR LA PATRIE EN DANGER (2 septembre 1792) Le matin du 2 septembre on apprit a Paris, apres les premiers succes de Brunswick et la capitulation de Longwy, l'investissement de Verdun. Une emotion et une fureur extraordinaires s'emparerent de la capitale, et tandis que Danton tonnait a la tribune, le peuple se vengeait, sur les suspects des prisons, des malheurs de la patrie. "Il me semble, ecrit avec raison M. Aulard, que cette vehemente harangue peut etre consideree comme un des efforts les plus remarquables de Danton pour empecher les massacres".[Note: F.-A. AULARD. _Etudes et Lecons sur la Revolution francaise_, t. II, p. 54; Paris, Felix Alcan, 1898.] Elles ne les empecha point, mais assura, du moins, la gloire a son auteur. * * * * * Il est satisfaisant, pour les ministres du peuple libre, d'avoir a lui annoncer que la patrie va etre sauvee. Tout s'emeut, tout s'ebranle, tout brule de combattre. Vous savez que Verdun n'est point encore au pouvoir de nos ennemis. Vous savez que la garnison a promis d'immoler le premier qui proposerait de se rendre. Une partie du peuple va se porter aux frontieres, une autre va creuser des retranchements, et la troisieme, avec des piques, defendra l'interieur de nos villes. Paris va seconder ces grands efforts. Les commissaires de la Commune vont proclamer, d'une maniere solennelle, l'invitation aux citoyens de s'armer et de marcher pour la defense de la patrie. C'est en ce moment, messieurs, que vous pouvez declarez que la capitale a bien merite de la France entiere. C'est en ce moment que l'Assemblee nationale va devenir un veritable comite de guerre. Nous demandons que vous _concouriez avec nous_ a diriger le mouvement sublime du peuple, en nommant des commissaires qui nous seconderont dans ces grandes mesures. Nous demandons que quiconque refusera de servir de sa personne, ou de remettre ses armes, sera puni de mort. Nous demandons qu'il soit fait une instruction aux citoyens pour diriger leurs mouvements. Nous demandons qu'il soit envoye des courriers dans tous les departements pour avertir des decrets que vous aurez rendus. Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvee [Note: Texte du Moniteur.--Celui du _Journal des Debats et de Decrets_ offre quelques legeres variantes.]. IV SUR LE ROLE DE LA CONVENTION (21 septembre 1792) Paris nomma, le 8 septembre, Danton representant a la Convention nationale. Des longtemps son choix entre la fonction de ministre et celle de depute etait fait. "Il n'hesitera pas un moment a quitter le ministere pour etre representant du peuple", ecrivait le 26 aout Camille Desmoulins a son pere. [Note: _Oeuvres de Camille Demoulins_, recueillies et publiees d'apres les textes originaux, par M. Jules Claretie, t. II, p. 369; Paris, Fasquelle.] Le 21 septembre, dans la deuxieme seance de la Convention nationale, Danton donna sa demission du ministere. Il indiqua, en outre, dans son discours, le veritable role de la Convention et les devoirs qu'elle assumait devant le peuple dont elle etait l'emanation. Improvisation breve et nerveuse, inspiree des memes sentiments qui dicterent celle sur les mesures revolutionnaires. * * * * * Avant d'exprimer mon opinion sur le premier acte [Note: L'abolition de la royaute.] que doit faire l'Assemblee nationale, qu'il me soit permis de resigner dans son sein les fonctions qui m'avaient ete deleguees par l'Assemblee legislative. Je les ai recues au bruit du canon, dont les citoyens de la capitale foudroyerent le despotisme. Maintenant que la jonction des armees est faite, que la jonction des representants du peuple est operee, je ne dois plus reconnaitre mes fonctions premieres; je ne suis plus qu'un mandataire du peuple, et c'est en cette qualite que je vais parler. On vous a propose des serments; il faut, en effet, qu'en entrant dans la vaste carriere que vous avez a parcourir, vous appreniez au peuple, par une declaration solennelle, quels sont les sentiments et les principes qui presideront a vos travaux. Il ne peut exister de constitution que celle qui sera textuellement, nominativement acceptee par la majorite des assemblees primaires. Voila ce que vous devez declarer au peuple. Les vains fantomes de dictature, les idees extravagantes de triumvirat, toutes ces absurdites inventees pour effrayer le peuple disparaissent alors, puisque rien ne sera constitutionnel que ce qui aura ete accepte par le peuple. Apres cette declaration, vous en devez faire une autre qui n'est pas moins importante pour la liberte et pour la tranquillite publique. Jusqu'ici on a agite le peuple, parce qu'il fallait lui donner l'eveil contre les tyrans. Maintenant il _faut que les lois soient aussi terribles contre ceux qui y porteraient atteinte_, que le peuple l'a ete en foudroyant la tyrannie; il faut qu'elles punissent tous les coupables pour que le peuple n'ait plus rien a desirer. On a paru croire, d'excellents citoyens ont pu presumer que des amis ardents de la liberte pouvaient nuire a l'ordre social en exagerant les principes eh bien, abjurons ici toute exageration; declarons que toutes les proprietes territoriales, individuelles et industrielles seront eternellement maintenues. Souvenons-nous ensuite que nous avons tout a revoir, tout a recreer; que la declaration des droits elle-meme n'est pas sans tache, et qu'elle doit passer a la revision d'un peuple vraiment libre. V SUR LE CHOIX DES JUGES (22 septembre 1792) Apres etre intervenu dans le conflit entre la population d'Orleans et ses officiers municipaux royalistes, Danton prit part, dans la seance du 22 septembre, a la discussion des reformes a operer dans le systeme judiciaire. Ce discours est particulierement remarquable en ce sens que c'est un des rares ou l'avocat ait passe devant le citoyen, sans toutefois l'oublier. La Convention decida que les juges pourraient etre choisis parmi toutes les classes des citoyens. * * * * * Je ne crois pas que vous deviez dans ce moment changer l'ordre judiciaire; mais je pense seulement que vous devez etendre la faculte des choix. Remarquez que tous les hommes de loi sont d'une aristocratie revoltante; si le peuple est force de choisir parmi ces hommes, _il ne saura ou reposer sa confiance_. Je pense que si l'on pouvait, au contraire, etablir dans les elections un principe d'exclusion, ce devrait etre contre ces hommes de loi qui jusqu'ici se sont arroge un privilege exclusif, qui a ete une des grandes plaies du genre humain. Que le peuple choisisse a son gre les hommes a talents qui meriteront sa confiance. Il ne se plaindra pas quand il aura choisi a son gre. Au lieu qu'il aura sans cesse le droit de s'insurger contre des hommes entaches d'aristocratie que vous l'auriez force de choisir. Elevez-vous a la hauteur des grandes considerations. Le peuple ne veut point de ses ennemis dans les emplois publics; laissez-lui donc la faculte de choisir ses amis. Ceux qui se sont fait un etat de juger les hommes etaient comme les pretres; les uns et les autres ont eternellement trompe le peuple. La justice doit se rendre par les simples lois de la raison. Et moi aussi, je connais les formes; et si l'on defend l'ancien regime judiciaire, je prends l'engagement de combattre en detail, pied a pied, ceux qui se montreront les sectateurs de ce regime [Note: Quelques conventionnels s'etant, en cet endroit, opposes a la proposition de Danton, il continua, developpant ses arguments en faveur de la libre election de tous les citoyens au poste de juge.]. Il s'agit de savoir s'il y a de graves inconvenients a decreter que le peuple pourra choisir indistinctement, parmi tous les citoyens, les hommes qu'il croira les plus capables d'appliquer la justice. Je repondrai froidement et sans flagornerie pour le peuple aux observations de M. Chassey. Il lui est echappe un aveu bien precieux; il vous a dit que, comme membre du tribunal de cassation, il avait vu arriver a ce tribunal une multitude de proces extremement entortilles, et tous vicies par des violations de forme. Comment se fait-il qu'il convient que les praticiens sont detestables, meme en forme, et que cependant il veut que le peuple ne prenne que des praticiens. Il vous a dit ensuite: plus les lois actuelles sont compliquees, plus il faut que les hommes charges de les appliquer soient verses dans l'etude de ces lois. Je dois vous dire, moi, que ces hommes infiniment verses dans l'etude des lois sont extremement rares, que ceux qui se sont glisses dans la composition actuelle des tribunaux sont des subalternes; qu'il y a parmi les juges actuels un grand nombre de procureurs et meme d'huissiers; eh bien, ces memes hommes, loin d'avoir une connaissance approfondie des lois, n'ont qu'un jargon de chicane; et cette science, loin d'etre utile, est infiniment funeste. D'ailleurs on m'a mal interprete; je n'ai pas propose d'exclure les hommes de loi des tribunaux, mais seulement de supprimer l'espece de privilege exclusif qu'ils se sont arroge jusqu'a present. Le peuple elira sans doute tous les citoyens de cette classe, qui unissent le patriotisme aux connaissances, mais, a defaut d'hommes de loi patriotes, ne doit-il pas pouvoir elire d'autres citoyens? Le preopinant, qui a appuye, en partie les observations de M. Chassey, a reconnu lui-meme la necessite de placer un prud'homme dans la composition des tribunaux, d'y placer un citoyen, un homme de bon sens, reconnu pour tel dans son canton, pour reprimer l'esprit de dubitation qu'ont souvent les hommes barbouilles de la science de la justice. En un mot, apres avoir pese ces verites, attachez-vous surtout a celle-ci: le peuple a le droit de vous dire: tel homme est ennemi du nouvel ordre des choses, il a signe une petition contre les societes populaires, il a adresse a l'ancien pouvoir executif des petitions flagorneuses; il a sacrifie nos interets a la cour, je ne puis lui accorder ma confiance. Beaucoup de juges, en effet, qui n'etaient pas tres experts en mouvements politiques, ne prevoyaient pas la Revolution et la Republique naissante; ils correspondaient avec le pouvoir executif, ils lui envoyaient une foule de pieces qui prouvaient leur incivisme: et, par une fatalite bien singuliere ces pieces envoyees a M. Joly, ministre de la tyrannie, ont tombe entre les mains du ministre du peuple. C'est alors que je me suis convaincu plus que jamais de la necessite d'exclure cette classe d'hommes des tribunaux; en un mot, il n'y a aucun inconvenient grave, puisque le peuple pourra reelire tous les hommes de loi qui sont dignes de sa confiance. VI JUSTIFICATION CIVIQUE (25 septembre 1792) Le plus vif enthousiasme accueillit, le 25 septembre, ce discours de Danton. Sous les attaques de Lasource, l'accusant de former, avec Marat et Robespierre, un triumvirat aspirant a la dictature, le grand orateur civique se reveilla. On sait que Marat reconnut lui-meme qu'il etait l'auteur de la proposition d'un triumvirat. Robespierre, Danton, disait-il, en "ont constamment improuve l'idee ". Il est a remarquer que ce discours de Danton contient, en germe, le decret du 1er avril suivant qui depouilla les deputes suspects de leur inviolabilite [Note: _Moniteur_ du jeudi 4 avril 1793, p. 94.]. C'est toutefois, malgre sa fougueuse violence oratoire, un bel et pathetique appel a la concorde. * * * * * C'est un beau jour pour la nation, c'est un beau jour pour la Republique francaise, que celui qui amene entre nous une explication fraternelle. S'il y a des coupables, s'il existe un homme pervers qui veuille dominer despotiquement les representants du peuple, sa tete tombera aussitot qu'il sera demasque. On parle de dictature, de triumvirat. Cette imputation ne doit pas etre une imputation vague et indeterminee; celui qui l'a faite doit la signer; je le ferai, moi, cette imputation dut-elle faire tomber la tete de mon meilleur ami. Ce n'est pas la deputation de Paris prise collectivement qu'il faut inculper; je ne chercherai pas non plus a justifier chacun de ses membres, je ne suis responsable pour personne; je ne vous parlerai donc que de moi. Je suis pret a vous retracer le tableau de ma vie publique. Depuis trois ans, j'ai fait tout ce que j'ai cru devoir faire pour la liberte. Pendant la duree de mon ministere, j'ai employe toute la vigueur de mon caractere, j'ai apporte dans le conseil toute l'activite et tout le zele d'un citoyen embrase de l'amour de son pays. S'il y a quelqu'un qui puisse m'accuser a cet egard, qu'il se leve et qu'il parle. Il existe, il est vrai, dans la deputation de Paris, un homme dont les opinions sont, pour le parti republicain, ce qu'etaient celles de Royou pour le parti aristocratique; c'est Marat. Assez et trop longtemps l'on m'a accuse d'etre l'auteur des ecrits de cet homme. J'invoque le temoignage du citoyen qui vous preside [Note: Petion avait ete, des la premiere seance, elu president par 235 voix. (_Proces-verbal de la Convention national_, tome I.)]. Il lut, votre president, la lettre menacante qui m'a ete adressee par ce citoyen; il a ete temoin d'une altercation qui a eu lieu, entre lui et moi a la mairie. Mais j'attribue ces exagerations aux vexations que ce citoyen a eprouvees. Je crois que les souterrains dans lesquels il a ete enferme, ont ulcere son ame... Il est tres vrai que d'excellents citoyens ont pu etre republicains par exces, il faut en convenir; mais n'accusons pas pour quelques individus exageres une deputation tout entiere. Quant a moi, je n'appartiens pas a Paris; je suis ne dans un departement vers lequel je tourne toujours mes regards avec un sentiment de plaisir; mais aucun de nous n'appartient a tel ou tel departement, il appartient a la France entiere. Faisons donc tourner cette discussion au profit de l'interet public. Il est incontestable qu'il faut une loi vigoureuse contre ceux qui voudraient detruire la liberte publique. Eh bien! portons-la, cette loi, portons une loi qui prononce la peine de mort contre quiconque se declarerait en faveur de la dictature ou du triumvirat; mais apres avoir pose ces bases qui garantissent le regne de l'egalite, aneantissons cet esprit de parti qui nous perdrait. On pretend qu'il est parmi nous des hommes qui ont l'opinion de vouloir morceler la France; faisons disparaitre ces idees absurdes, en prononcant la peine de mort contre les auteurs. La France doit etre un tout indivisible. Elle doit avoir unite de representation. Les citoyens de Marseille veulent donner la main aux citoyens de Dunkerque. Je demande donc la peine de mort contre quiconque voudrait detruire l'unite en France, et je propose de decreter que la Convention nationale pose pour base du gouvernement qu'elle va etablir l'unite de representation et d'execution. Ce ne sera pas sans fremir que les Autrichiens apprendront cette sainte harmonie; alors, je vous jure, nos ennemis sont morts. VII CONTRE ROLAND (29 octobre 1792) Danton mis en cause des le 10 octobre par la Gironde au sujet de la gestion des fonds du ministere, et ce malgre qu'il eut rendu ses comptes le 6, trouva l'occasion, dans la seance du 29 octobre, d'attaquer de front ses calomniateurs. Ce fut le rapport de Roland qui le lui fournit. Tandis qu'il s'opposait energiquement a l'envoi de cette piece hypocrite et mensongere aux departements, il defendait Robespierre. Il n'avait pas oublie l'accusation de Lasource et c'est comme la seconde partie de son discours du 25 septembre precedent qu'il prononca le 29 octobre. * * * * * J'ai peine a concevoir comment l'Assemblee hesiterait a fixer decidement a un jour prochain la discussion que necessite le rapport du ministre. Il est temps enfin que nous sachions de qui nous sommes les collegues; il est temps que nos collegues sachent ce qu'ils doivent penser de nous. On ne peut se dissimuler qu'il existe dans l'Assemblee un grand germe de defiance entre ceux qui la composent.... Si j'ai dit une verite que vous sentez tous, laissez m'en donc tirer les consequences. Eh bien, ces defiances, il faut qu'elles cessent; et s'il y a un coupable parmi nous, il faut que vous en fassiez justice. Je declare a la Convention et a la nation entiere que je n'aime point l'individu Marat; je dis avec franchise que j'ai fait l'experience de son temperament: non seulement il est volcanique et acariatre, mais insociable. Apres un tel aveu qu'il me soit permis de dire que, moi aussi, je suis sans parti et sans faction. Si quelqu'un peut prouver que je tiens a une faction, qu'il me confonde a l'instant.... Si, au contraire, il est vrai que ma pensee soit a moi, que je sois fortement decide a mourir plutot que d'etre cause d'un dechirement ou d'une tendance a un dechirement dans la Republique, je demande a enoncer ma pensee tout entiere sur notre situation politique actuelle. Sans doute il est beau que la philanthropie, qu'un sentiment d'humanite fasse gemir le ministre de l'Interieur et tous les grands citoyens sur les malheurs inseparables d'une grande revolution, sans doute on a le droit de reclamer toute la rigueur de la justice nationale contre ceux qui auraient evidemment servi leurs passions particulieres au lieu de servir la Revolution et la liberte. Mais comment se fait-il qu'un ministre qui ne peut pas ignorer les circonstances qui ont amene les evenements dont il vous a entretenus oublie les principes et les verites qu'un autre ministre vous a developpes sur ces memes evenements. [Note: Danton entend designer Garat qui etait precedemment intervenu.] Rappelez-vous ce que le ministre actuel de la Justice vous a dit sur ces malheurs inseparables de la Revolution. Je ne ferai point d'autre reponse au ministre de l'Interieur. Si chacun de nous, si tout republicain a le droit d'invoquer la justice contre ceux qui n'auraient excite des troubles revolutionnaires que pour assouvir des vengeances particulieres, je dis qu'on ne peut pas se dissimuler non plus que jamais trone n'a ete fracasse sans que ses eclats blessassent quelques bons citoyens; que jamais revolution complete n'a ete operee sans que cette vaste demolition de l'ordre de choses existant n'ait ete funeste a quelqu'un; qu'il ne faut donc pas imputer, ni a la cite de Paris, ni a celles qui auraient pu presenter les memes desastres, ce qui est peut-etre l'effet de quelques vengeances particulieres dont je ne nie pas l'existence; mais ce qui est bien plus probablement la suite de cette commotion generale, de cette fievre nationale qui a produit les miracles dont s'etonnera la posterite. Je dis donc que le ministre a cede a un sentiment que je respecte, mais que son amour passionne pour l'ordre et les lois lui a fait voir sous la couleur de l'esprit de faction et de grands complots d'Etat, ce qui n'est peut-etre que la reunion de petites et miserables intrigues dans leur objet comme dans leurs moyens. Penetrez-vous de cette verite qu'il ne peut exister de faction dans une republique; il y a des passions qui se cachent; il y a des crimes particuliers; mais il n'y a pas de ces complots vastes et particuliers qui puissent porter atteinte a la liberte. Et ou sont donc ces hommes qu'on accuse comme des conjures, comme des pretendants a la dictature ou au triumvirat? Qu'on les nomme? Oui, nous devons reunir nos efforts pour faire cesser l'agitation de quelques ressentiments et de quelques pretentions personnelles, plutot que de nous effrayer par de vains et chimeriques complots dont on serait bien embarrasse d'avoir a prouver l'existence. Je provoque donc une explication franche sur les defiances qui nous divisent, je demande que la discussion sur le Memoire du ministre soit ajournee a jour fixe, parce que je desire que les faits soient approfondis, et que la Convention prenne des mesures contre ceux qui peuvent etre coupables. J'observe que c'est avec raison qu'on a reclame contre l'envoi aux departements de lettres qui inculpent indirectement les membres de cette Assemblee, et je declare que tous ceux qui parlent de la faction Robespierre sont a mes yeux ou des hommes prevenus ou de mauvais citoyens. Que tous ceux qui ne partagent pas mon opinion me la laissent etablir avant de la juger. Je n'ai accuse personne et je suis pret a repousser toutes les accusations. C'est parce que je m'en sens la force et que je suis inattaquable que je demande la discussion pour lundi prochain. Je la demande pour lundi, parce qu'il faut que les membres qui veulent accuser s'assurent de leurs materiaux et puissent rassembler leurs pieces, et pour que ceux qui se trouvent en etat de les refuter puissent preparer leurs developpements et repousser a leur tour des imputations calomnieuses. Ainsi, les bons citoyens qui ne cherchent que la lumiere, qui veulent connaitre les choses et les hommes, sauront bientot a qui ils doivent leur haine, ou la fraternite qui seule peut donner a la Convention cette marche sublime qui marquera sa carriere. VIII POUR LA LIBERTE DES OPINIONS RELIGIEUSES (7 novembre 1792) Danton dont la politique n'eut jamais rien de dogmatique, dont le civisme s'alliait avec la tolerance, intervint plusieurs fois dans les discussions religieuses a la Convention. Dans le cas present, en parlant en faveur des pretres, il parlait aussi en faveur de la liberte des opinions religieuses, et une fois encore son patriotisme, eclaire et prevoyant, lui dictait cette intervention. Avec la suppression brusque du culte il prevoyait des troubles, la guerre civile, les mille maux que creent des citoyens violemment heurtes dans la liberte de leur conscience. En outre, l'encyclopediste revelait la ses theories les plus cheres, en declarant que "c'est un crime de lese-nation que d'oter au peuple des hommes dans lesquels il peut trouver encore quelques consolations". Il est difficile de ne point rendre hommage a la noblesse de cette pensee. * * * * * Je viens ajouter quelques idees a celles qu'a developpees le preopinant. Sans doute il est douloureux pour les representants du peuple de voir que leur caractere est plus indignement, plus insolemment outrage par le peuple lui-meme que par ce Lafayette, complice des attentats du despotisme. On ne peut se dissimuler que les partisans du royalisme, les fanatiques et les scelerats qui, malheureusement pour l'espece humaine, se trouvent dissemines sur tous les points de la Republique, ne rendent la liberte deplorable. Il y a eu une violation infame, il faut la reprimer; il faut sevir contre ceux qui, pretextant la souverainete nationale, attaquent cette souverainete et se souillent de tous les crimes. Il y a des individus bien coupables, car qui peut excuser celui qui veut agiter la France? N'avez-vous pas declare que la Constitution serait presentee a l'acceptation du peuple? Mais il faut se defier d'une idee jetee dans cette Assemblee. On a dit qu'il ne fallait pas que les pretres fussent salaries par le tresor public. On s'est appuye sur des idees philosophiques qui me sont cheres; car je ne connais d'autre bien que celui de l'univers, d'autre culte que celui de la justice et de la liberte. Mais l'homme maltraite de la fortune cherche des jouissances eventuelles; quand il voit un homme riche se livrer a tous ses gouts, caresser tous ses desirs, tandis que ses besoins a lui sont restreints au plus etroit necessaire, alors il croit, et cette idee est consolante pour lui, il croit que dans une autre vie ses jouissances se multiplieront en proportion de ses privations dans celle-ci. Quand vous aurez eu pendant quelque temps des officiers de morale qui auront fait penetrer la lumiere aupres des chaumieres, alors il sera bon de parler au peuple morale et philosophie. Mais jusque-la il est barbare, c'est un crime de lese-nation que d'oter au peuple des hommes dans lesquels il peut trouver encore quelques consolations. Je penserais donc qu'il serait utile que la Convention fit une adresse pour persuader au peuple qu'elle ne veut rien detruire, mais tout perfectionner; que si elle poursuit le fanatisme, c'est parce qu'elle veut la liberte des opinions religieuses. Il est encore un objet qui merite l'attention et qui exige la prompte decision de l'Assemblee. Le jugement du ci-devant roi est attendu avec impatience; d'une part, le republicain est indigne de ce que ce proces semble interminable; de l'autre, le royaliste s'agite en tous sens, et comme il a encore des moyens de finances et qu'il conserve son orgueil accoutume, vous verrez au grand scandale et au grand malheur de la France, ces deux partis s'entrechoquer encore. S'il faut des sacrifices d'argent, si les millions mis a la disposition du ministre ne suffisent pas, il faut lui en donner de nouveaux; mais plus vous prendrez de precautions sages, plus aussi doit eclater votre justice contre les agitateurs. Ainsi, d'une part, assurance au peuple qu'il lui sera fourni des bles, acceleration du jugement du ci-devant roi, et deploiement des forces nationales contre les scelerats qui voudraient amener la famine au milieu de l'abondance: telles sont les conclusions que je vous propose, et que je crois les seules utiles. ANNEE 1793 IX PROCES DE LOUIS XVI (Janvier 1793) Apres les succes de Dumouriez contre les forces prussiennes, la majorite girondine du Conseil executif decida, sur les instances du general, l'envahissement des Pays-Bas! Le 1er decembre 1792, Danton partit, avec Lacroix, rejoindre les armees, sur l'ordre de la Convention. Le 14 janvier il revenait a Paris et, le surlendemain, prenait part aux debats du proces du Roi. Parlant sur la question du jugement, il demanda qu'il fut rendu a la simple Majorite. * * * * * On a pretendu que telle etait l'importance de cette question, qu'il ne suffisait pas qu'on la vidat dans la forme ordinaire. Je demande pourquoi, quand c'est par une simple majorite qu'on a prononce sur le sort de la nation entiere, quand on n'a pas meme pense a soulever cette question lorsqu'il s'est agi d'abolir la royaute, on veut prononcer sur le sort d'un individu, d'un conspirateur avec des formes plus severes et plus solennelles. Nous prononcons comme representant par provision la souverainete. Je demande si, quand une loi penale est portee contre un individu quelconque, vous renvoyez au peuple, ou si vous avez quelques scrupules a lui donner son execution immediate? Je demande si vous n'avez pas vote a la majorite absolue seulement la republique, la guerre; et je demande si le sang qui coule au milieu des combats ne coule pas definitivement? Les complices de Louis n'ont-ils pas subi immediatement la peine sans aucun recours au peuple et en vertu de l'arret d'un tribunal extraordinaire? Celui qui a ete l'ame de ces complots merite-t-il une exception? Vous etes envoyes par le peuple pour juger le tyran, non pas comme juges proprement dits, mais comme representants: vous ne pouvez denaturer votre caractere; je demande qu'on passe a l'ordre du jour sur la proposition de Lehardy; je me motive et sur les principes et sur ce que vous avez deja pris deux deliberations a la simple majorite. * * * * * Present lors de l'appel nominal sur la troisieme question; "Quelle peine Louis Capet, ci-devant roi des Francais, a-t-il encourue?", il vota la mort, motivant en ces termes son opinion: * * * * * Je ne suis point de cette foule d'hommes d'Etat qui ignorent qu'on ne compose point avec les tyrans, qui ignorent qu'on ne frappe les rois qu'a la tete, qui ignorent qu'on ne doit rien attendre de ceux de l'Europe que par la force de nos armes. Je vote pour la mort du tyran. * * * * * Son intervention dans la seance du 17 janvier fut marquee d'un incident assez vif. Le president ayant annonce l'arrivee d'une lettre des defenseurs de Louis XVI et d'une missive du ministre d'Espagne en faveur du monarque, Garan-Coulon prit la parole et des le premier mot fut interrompu par Danton. Louvet s'ecria, de sa place: "Tu n'es pas encore roi, Danton!" A ce grief girondin habituel, les rumeurs eclaterent, tandis que Louvet continuait: "Quel est donc ce privilege? Je demande que le premier qui interrompra soit rappele a l'ordre." A cette impertinence de l'auteur de Faublas, Danton riposta: "Je demande que l'insolent qui dit que je ne suis pas roi encore soit rappele a l'ordre du jour avec censure..." Et s'adressant a Garan-Coulon, il ajouta: "Puisque Garan pretend avoir demande la parole avant moi, je la lui cede." Garan ayant parle en faveur de l'audition des defenseurs du Roi, Danton prit la parole pour appuyer cet avis, et s'elever en termes vigoureux et eloquents contre la pretention du ministre d'Espagne: Je consens a ce que les defenseurs de Louis soient entendus apres que le decret aura ete prononce, persuade qu'ils n'ont rien de nouveau a vous apprendre, et qu'ils ne vous apportent point de pieces capables de faire changer votre determination. Quant a l'Espagne, je l'avouerai, je suis etonne de l'audace d'une puissance qui ne craint pas de pretendre a exercer son influence sur votre deliberation. Si tout le monde etait de mon avis, on voterait a l'instant, pour cela seul, la guerre a l'Espagne. Quoi! on ne reconnait pas notre Republique et l'on veut lui dicter des lois? On ne la reconnait pas, et l'on veut lui imposer des conditions, participer au jugement que ses representants vont rendre? Cependant qu'on entende si on le veut cet ambassadeur, mais que le president lui fasse une reponse digne du peuple dont il sera l'organe et qu'il lui dise que les vainqueurs de Jemmapes ne dementiront pas la gloire qu'ils ont acquise, et qu'ils retrouveront, pour exterminer tous les rois de l'Europe conjures contre nous, les forces qui deja les ont fait vaincre. Defiez-vous, citoyens, des machinations qu'on ne va cesser d'employer pour vous faire changer de determination; on ne negligera aucun moyen; tantot, pour obtenir des delais, on pretextera un motif politique; tantot une negociation importante ou a entreprendre ou prete a terminer. Rejetez, rejetez, citoyens, toute proposition honteuse; point de transaction avec la tyrannie; soyez dignes du peuple qui vous a donne sa confiance et qui jugerait ses representants, si ses representants l'avaient trahi. Dans la nuit du 17 au 18 janvier, alors que Vergniaud avait deja prononce l'arret condamnant par 366 voix Louis XVI a la peine de mort, la Convention decida de deliberer sur la question: Y aura-t-il sursis, oui ou non, a l'execution du decret gui condamne Louis Capet? L'appel nominal commence, malgre la fatigue de l'Assemblee, a huit heures et demie, se termina vers minuit. On sait que, par 380 voix contre 310, ce sursis fut rejete. Tallien avait demande a la Convention de decider sur-le-champ de la question du sursis. Danton etait intervenu aux debats dans ces termes: On vous a parle d'humanite, mais on en a reclame les droits d'une maniere derisoire... Il ne faut pas decreter, en sommeillant, les plus chers interets de la patrie. Je declare que ce ne sera ni par la lassitude, ni par la terreur qu'on parviendra a entrainer la Convention nationale a statuer, dans la precipitation d'une deliberation irreflechie, sur une question a laquelle la vie d'un homme et le salut public sont egalement attaches. Vous avez appris le danger des deliberations soudaines; et certes, pour la question qui nous occupe, vous avez besoin d'etre prepares par des meditations profondement suivies. La question qui vous reste a resoudre est une des plus importantes. Un de vos membres, Thomas Payne, a une opinion importante a vous communiquer. Peut-etre ne sera-t-il pas sans importance d'apprendre de lui ce qu'en Angleterre... (_Murmures.) Je n'examine point comment on peut flatter le peuple, en adulant en lui un sentiment qui n'est peut-etre que celui d'une curiosite atroce. Les veritables amis du peuple sont a mes yeux ceux qui veulent prendre toutes les mesures necessaires pour que le sang du peuple ne coule pas, que la source de ses larmes soit tarie, que son opinion soit ramenee aux veritables principes de la morale, de la justice et de la raison. Je demande donc la question prealable sur la proposition de Tallien; et que, si cette proposition etait mise aux voix, elle ne put l'etre que par l'appel nominal. X POUR LEPELETIER ET CONTRE ROLAND (21 janvier 1793) Le dimanche 20 janvier, dans le sous-sol du restaurant Teisier, au Palais-Royal, un ancien garde du corps nomme Deparis, tua d'un coup de sabre Michel Lepeletier de Saint-Fargeau. Dans sa seance du 21, la Convention decida d'accorder a ce dernier les honneurs du Pantheon, tandis que, desireux de frapper les contre-revolutionnaires qu'ils presumaient etre les instigateurs de l'assassinat, plusieurs deputes demandaient des visites domiciliaires pareilles a celles-la memes que Danton demanda le 28 aout 1892. S'associant a la premiere proposition, Danton s'eleva contre la seconde. La Convention ordonna neanmoins la mesure, qui fut executee dans la nuit qui suivit. On retrouvera dans ce beau et rude discours du conventionnel un nouvel echo de la lutte contre la Gironde. Elle allait bientot atteindre son paroxysme et proscrire toute clemence. Mais une fois encore l'amour de la patrie passa avant toute querelle politique, et jamais plus belle profession de foi patriotique ne fut melee a plus d'abnegation. * * * * * Ce qui honore le plus les Francais, c'est que dans des moments de vengeance le peuple ait surtout respecte ses representants. Que deviendrions-nous, si, au milieu des doutes que l'on jette sur une partie de cette assemblee, l'homme qui a peri victime des assassins n'etait pas patriote! O Lepeletier, ta mort servira la Republique; je l'envie, ta mort. Vous demandez pour lui les honneurs du Pantheon; mais il a deja recueilli les palmes du martyre de la Liberte. Le moyen d'honorer sa memoire, c'est de jurer que nous ne nous quitterons pas sans avoir donne une Constitution a la Republique. Qu'il me sera doux de vous prouver que je suis etranger a toutes les passions! Je ne suis point l'accusateur de Petion; a mon sens il eut des torts. Petion peut avoir ete faible; mais, je l'avoue avec douleur, bientot la France ne saura plus sur qui reposer sa confiance. Quant aux attentats dont nous avons tous gemi, l'on aurait du vous dire clairement que nulle puissance n'aurait pu les arreter. Ils etaient la suite de cette rage revolutionnaire qui animait tous les esprits. Les hommes qui connaissent le mieux ces evenements terribles furent convaincus que ces actes etaient la suite necessaire de la fureur d'un peuple qui n'avait jamais obtenu justice. J'adjure tous ceux qui me connaissent de dire si je suis un buveur de sang, si je n'ai pas employe tous les moyens de conserver la paix dans le conseil executif. Je prends a temoin Brissot lui-meme. N'ai-je pas montre une extreme deference pour un vieillard dont le caractere est opiniatre, et qui aurait du au contraire epuiser tous les moyens de douceur pour retablir le calme? Roland, dont je n'accuse pas les intentions, repute scelerats tous ceux qui ne partagent pas ses opinions. Je demande pour le bien de la Republique qu'il ne soit plus ministre; je desire le salut public, vous ne pouvez suspecter mes intentions. Roland, ayant craint d'etre frappe d'un mandat dans des temps trop fameux, voit partout des complots; il s'imagine que Paris veut s'attribuer une espece d'autorite sur les autres communes. C'est la sa grande erreur. Il a concouru a animer les departements contre Paris, qui est la ville de tous. On a demande une force departementale pour environner la Convention. Eh bien, cette garde n'aura pas plus tot sejourne dans Paris, qu'elle y prendra l'esprit du peuple. En doutez-vous maintenant? Je puis attester sans acrimonie que j'ai acquis la conviction que Roland a fait circuler des ecrits qui disent que Paris veut dominer la Republique. Quant aux visites domiciliaires, je m'oppose a cette mesure dans son plein, dans un moment ou la nation s'eleve avec force contre le bill rendu contre les etrangers; mais il vous faut un comite de surete generale qui jouisse de la plenitude de votre confiance; lorsque les deux tiers des membres de ce conseil tiendront les fils d'un complot, qu'ils puissent se faire ouvrir les maisons. Maintenant que le tyran n'est plus, tournons toute notre energie, toutes nos agitations vers la guerre. Faisons la guerre a l'Europe. Il faut, pour epargner les sueurs et le sang de nos concitoyens, developper la prodigalite nationale. Vos armees ont fait des prodiges dans un moment deplorable, que ne feront-elles pas quand elles seront bien secondees? Chacun de nos soldats croit qu'il vaut deux cents esclaves. Si on leur disait d'aller a Vienne, ils iraient a Vienne ou a la mort. Citoyens, prenez les reines d'une grande nation, elevez-vous a sa hauteur, organisez le ministere, qu'il soit immediatement nomme par le peuple. Un autre ministere est entre les mains d'un bon citoyen, mais il passe ses forces; je ne demande pas qu'on le ravisse a ses fonctions, mais qu'elles soient partagees. Quant a moi, je ne suis pas fait pour venger des passions personnelles, je n'ai que celle de mourir pour mon pays; je voudrais, an prix, de mon sang, rendre a la patrie le defenseur qu'elle a perdu. XI SUR LA REUNION DE LA BELGIOUE A LA FRANCE (31 janvier 1793) Les premiers succes de Dumouriez dans les Pays-Bas causerent un enthousiasme indescriptible. La theorie girondine de la propagande revolutionnaire armee recevait sa sanction. Danton monta a la tribune dans la seance du 31 janvier, comprenant tout le parti que pouvait tirer la jeune Republique de l'annexion de la Belgique au moment ou, sur ce territoire, se livrait une guerre decisive. Le soir meme, Danton partait pour les frontieres. On sait que c'est durant ce voyage que mourut, le l0 fevrier 1793, sa premiere femme Antoinette-Gabrielle Charpentier. * * * * * Ce n'est pas en mon nom seulement, c'est au nom des patriotes belges, du peuple belge, que je viens demander aussi la reunion de la Belgique. Je ne demande rien a votre enthousiasme, mais tout a votre raison, mais tout aux interets de la Republique Francaise. N'avez-vous pas prejuge cette reunion quand vous avez decrete une organisation provisoire de la Belgique. Vous avez tout consomme par cela seul que vous avez dit aux amis de la liberte: organisez-vous comme nous. C'etait dire: nous accepterons votre reunion si vous la proposez. Eh bien, ils la proposent aujourd'hui. Les limites de la France sont marquees par la nature. Nous les atteindrons dans leurs quatre points: a l'Ocean, au Rhin, aux Alpes, aux Pyrenees. On nous menace des rois! Vous leur avez jete le gant, ce gant est la tete d'un roi, c'est le signal de leur mort prochaine. On vous menace de l'Angleterre! Les tyrans de l'Angleterre sont morts. Vous avez la plenitude de la puissance nationale. Le jour ou la Convention nommera des commissaires pour savoir ce qu'il y a dans chaque commune d'hommes et d'armes, elle aura tous les Francais. Quant a la Belgique, l'homme du peuple, le cultivateur veulent la reunion. Lorsque nous leur declarames qu'ils avaient le pouvoir de voter, ils sentirent que l'exclusion ne portait que sur les ennemis du peuple, et ils demanderent l'exclusion de votre decret. Nous avons ete obliges de donner la protection de la force armee au receveur des contributions auquel le peuple demandait la restitution des anciens impots. Sont-ils murs, ces hommes-la? De cette reunion depend le sort de la Republique dans la Belgique. Ce n'est que parce que les patriotes pusillanimes doutent de cette reunion, que votre decret du 15 a eprouve des oppositions. Mais prononcez-la et alors vous ferez executer les lois francaises, et alors les aristocrates, nobles et pretres, purgeront la terre de la liberte. Cette purgation operee, nous aurons des hommes, des armes de plus. La reunion decretee, vous trouverez dans les Belges des republicains dignes de vous, qui feront mordre la poussiere aux despotes. Je conclus donc a la reunion de la Belgique. XII SUR LES SECOURS A ENVOYER A DUMOURIEZ (8 mars 1793) La trahison de Dumouriez fut precedee des revers qui amenerent par la suite, au lendemain de sa convention avec Mack, l'evacuation de la Belgique par les armees francaises. Danton, au cours de sa mission, eut l'occasion de voir et de juger les deplorables resultats de la campagne. Au moment ou il revenait a Paris, avec Lacroix, l'avant-garde de l'armee abandonnait Liege a l'ennemi. La Convention decreta les mesures proposees par Danton dans ce discours: * * * * * Nous avons plusieurs fois fait l'experience que tel est le caractere francais, qu'il lui faut des dangers pour trouver toute sou energie. Eh bien, ce moment est arrive. Oui, il faut dire a la France entiere: "Si vous ne volez pas au secours de vos freres de la Belgique, si Dumouriez est enveloppe en Hollande, si son armee etait obligee de mettre bas les armes, qui peut calculer les malheurs incalculables d'un pareil evenement? La fortune publique aneantie, la mort de 600.000 Francais pourraient en etre la suite!" Citoyens, vous n'avez pas une minute a perdre; je ne vous propose pas en ce moment des mesures generales pour les departements, votre comite de defense vous fera demain son rapport. Mais nous ne devons pas attendre notre salut uniquement de la loi sur le recrutement; son execution sera necessairement lente, et des resultats tardifs ne sont pas ceux qui conviennent a l'imminence du danger qui nous menace. Il faut que Paris, cette cite celebre et tant calomniee, il faut que cette cite qu'on aurait renversee pour servir nos ennemis qui redoutent son brulant civisme contribue par son exemple a sauver la patrie. Je dis que cette ville est encore appelee a donner a la France l'impulsion qui, l'annee derniere, a enfante nos triomphes. Comment se fait-il que vous n'ayez pas senti que, s'il est bon de faire les lois avec maturite, on ne fait bien la guerre qu'avec enthousiasme? Toutes les mesures dilatoires, tout moyen tardif de recruter detruit cet enthousiasme, et reste souvent sans succes. Vous voyez deja quels en sont les miserables effets. Tous les Francais veulent etre libres. Ils se sont constitues en gardes nationales. Aux termes de leur serments, ils doivent tous marcher quand la patrie reclame leur secours. Je demande, par forme de mesure provisoire, que la Convention nomme des commissaires qui, ce soir, se rendront dans toutes les sections de Paris, convoqueront les citoyens, leur feront prendre les armes, et les engageront, au nom de la liberte et de leurs serments, a voter la defense de la Belgique. La France entiere sentira le contre-coup de cette impulsion salutaire. Nos armees recevront de prompts renforts; et, il faut le dire ici, les generaux ne sont pas aussi reprehensibles que quelques personnes ont paru le croire. Nous leur avions promis qu'au 1er fevrier l'armee de la Belgique recevrait un renfort de 30.000 hommes. Rien ne leur est arrive. Il y a trois mois qu'a notre premier voyage dans la Belgique ils nous dirent que leur position militaire etait detestable, et que, sans un renfort considerable, s'ils etaient attaques au printemps, ils seraient peut-etre forces d'evacuer la Belgique entiere. Hatons-nous de reparer nos fautes. Que ce premier avantage de nos ennemis soit, comme celui de l'annee derniere, le signal du reveil de la nation. Qu'une armee, conservant l'Escaut, donne la main a Dumouriez, et les ennemis seront disperses. Si nous avons perdu Aix-la-Chapelle, nous trouverons en Hollande des magasins immenses qui nous appartiennent. Dumouriez reunit au genie du general l'art d'echauffer et d'encourager le soldat. Nous avons entendu l'armee battue le demander a grands cris. L'histoire jugera ses talents, ses passions et ses vices; mais ce qui est certain, c'est qu'il est interesse a la splendeur de la Republique. S'il est seconde, si une armee lui prete la main, il saura faire repentir nos ennemis de leurs premiers succes. Je demande que des commissaires soient nommes a l'instant. XIII SUR LA LIBERATION DES PRISONNIERS POUR DETTES (9 mars 1793) Ce fut une des mesures les plus humaines que celle reclamee par Danton dans ce discours. Avocat, il comprenait tout l'odieux du systeme; patriote, il en sentait tout l'absurde au moment ou la defense de la Republique exigeait toutes les energies, toutes les forces vives de la nation. La Convention s'associa a l'unanimite a la genereuse proposition de l'ancien ministre. * * * * * Non sans doute, citoyens, l'espoir de vos commissaires ne sera pas decu. Oui, vos ennemis, les ennemis de la liberte seront extermines, parce que vos efforts ne vont point se ralentir. Vous serez dignes d'etre les regulateurs de l'energie nationale. Vos commissaires, en se disseminant sur toutes les parties de la Republique, vont repeter aux Francais que la grande querelle qui s'est elevee entre le despotisme et la liberte va etre enfin terminee. Le peuple francais sera venge: c'est a nous qu'il appartient de mettre le monde politique en harmonie, de creer des lois concordantes avec cette harmonie. Mais avant de vous entretenir de ces grands objets, je viens vous demander la declaration d'un principe trop longtemps meconnu, l'abolition d'une erreur funeste, la destruction de la tyrannie de la richesse sur la misere. Si la mesure que je propose est adoptee, bientot ce Pitt, le Breteuil de la diplomatie anglaise, et ce Burke, l'abbe Maury du Parlement britannique, qui donnent aujourd'hui au peuple anglais une impulsion si contraire a la liberte, seront aneantis. Que demandez-vous? Vous voulez que tous les Francais s'arment pour la defense commune. Eh bien, il est une classe d'hommes qu'aucun crime n'a souilles, qui a des bras, mais qui n'a pas de liberte, c'est celle des malheureux detenus pour dettes; c'est une honte pour l'humanite, pour la philosophie, qu'un homme, en recevant de l'argent, puisse hypothequer et sa personne et sa surete. Je pourrais demontrer que la declaration du principe que je proclame est favorable a la cupidite meme, car l'experience prouve que celui qui pretait ne prenait aucune garantie pecuniaire, parce qu'il pouvait disposer de la personne de son debiteur; mais qu'importent ces considerations mercantiles? Elles ne doivent pas influer sur une grande nation. Les principes sont eternels, et tout Francais ne peut etre prive de sa liberte que pour avoir forfait a la societe. Que les proprietaires ne s'alarment pas. Sans doute quelques individus se sont portes a des exces; mais la nation, toujours juste, respectera les proprietes. Respectez la misere, et la misere respectera l'opulence. Ne soyons jamais coupables envers les malheureux, et le malheureux, qui a plus d'ame que le riche, ne sera jamais coupable. Je demande que la Convention nationale declare que tout citoyen francais, emprisonne pour dettes, sera mis en liberte, parce qu'un tel emprisonnement est contraire a la saine morale, aux droits de l'homme, aux vrais principes de la liberte. XIV SUR LES DEVOIRS DE CHACUN ENVERS LA PATRIE EN DANGER (10 mars 1793) L'emotion des terribles nouvelles pesait sur la Convention dans la seance du 10 mars. L'ennemi occupait Liege et forcait a la levee du siege de Maestricht. Le decouragement avait succedee l'enthousiasme des premiers jours. Nous tenons le discours que Danton prononca a cette occasion pour le plus admirable morceau d'eloquence civique. Jamais appel plus vibrant, plus electrique ne fut lance a la nation par l'homme qui s'effacait devant le danger de la patrie. Le dedain qu'il eut toujours pour sa defense personnelle se manifeste une fois encore ici: "Que m'importe d'etre appele buveur de sang!.... Conquerons la liberte!" Vingt jours plus tard, la trahison de Dumouriez etait chose faite. * * * * * Les considerations generales qui vous ont ete presentees sont vraies; mais il s'agit moins en ce moment d'examiner les causes des evenements desastreux qui peuvent nous frapper, que d'y appliquer promptement le remede. Quand l'edifice est en feu, je ne m'attache pas aux fripons qui enlevent les meubles, j'eteins l'incendie. Je dis que vous devez etre convaincus plus que jamais, par la lecture des depeches de Dumouriez, que vous n'avez pas un instant a perdre pour sauver la Republique. Dumouriez avait concu un plan qui honore son genie. Je dois lui rendre meme une justice bien plus eclatante que celle que je lui rendis dernierement. Il y a trois mois qu'il a annonce au pouvoir executif, a votre comite de defense generale, que, si nous n'avions pas assez d'audace pour envahir la Hollande au milieu de l'hiver, pour declarer sur-le-champ la guerre a l'Angleterre, qui nous la faisait depuis longtemps, nous doublerons les difficultes de la campagne, en laissant aux forces ennemies le temps de se deployer. Puisque l'on a meconnu ce trait de genie, il faut reparer nos fautes. Dumouriez ne s'est pas decourage; il est au milieu de la Hollande, il y trouvera des munitions; pour renverser tous nos ennemis, il ne lui faut que des Francais, et la France est remplie de citoyens. Voulons-nous etre libres? Si nous ne le voulons plus, perissons, car nous l'avions jure. Si nous le voulons, marchons tous pour defendre notre independance. Nos ennemis font leurs derniers efforts. Pitt sent bien qu'ayant tout a perdre, il n'a rien a epargner. Prenons la Hollande, et Carthagene est detruite, et l'Angleterre ne peut plus vivre que pour la liberte.... Que la Hollande soit conquise a la liberte, et l'aristocratie commerciale elle-meme, qui domine en ce moment le peuple anglais, s'elevera contre le gouvernement qui l'aura entrainee dans cette guerre du despotisme contre un peuple libre. Elle renversera ce ministere stupide qui a cru que les talents de l'ancien regime pouvaient etouffer le genie de la liberte qui plane sur la France. Ce ministere renverse par l'interet du commerce, le parti de la liberte se montrera, car il n'est pas mort; et si vous saisissez vos devoirs, si vos commissaires partent a l'instant, si vous donnez la main a l'etranger qui soupire apres la destruction de toute espece de tyrannie, la France est sauvee et le monde est libre. Faites donc partir vos commissaires: soutenez-les par votre energie; qu'ils partent ce soir, cette nuit meme; qu'ils disent a la classe opulente: il faut que l'aristocratie de l'Europe, succombant sous nos efforts, paye notre dette, ou que vous la payiez; le peuple n'a que du sang; il le prodigue. Allons, miserables, prodiguez vos richesses. Voyez, citoyens, les belles destinees qui vous attendent. Quoi! vous avez une nation entiere pour levier, la raison pour point d'appui, et vous n'avez pas encore bouleverse le monde. Il faut pour cela du caractere, et la verite est qu'on en a manque. Je mets de cote toutes les passions, elles me sont toutes parfaitement etrangeres, excepte celle du bien public. Dans des circonstances plus difficiles, quand l'ennemi etait aux portes de Paris, j'ai dit a ceux qui gouvernaient alors: Vos discussions sont miserables, je ne connais que l'ennemi. Vous qui me fatiguez de vos contestations particulieres, au lieu de vous occuper du salut de la Republique, je vous repudie tous comme traitres a la patrie. Je vous mets tous sur la meme ligne. Je leur disais: Eh que m'importe ma reputation! que la France soit libre et que mon nom soit fletri! Que m'importe d'etre appele buveur de sang! Eh bien, buvons le sang des ennemis de l'humanite, s'il le faut; combattons, conquerons la liberte. On parait craindre que le depart des commissaires affaiblisse l'un ou l'autre parti de la Convention. Vaines terreurs! Portez votre energie partout. Le plus beau ministere est d'annoncer au peuple que la dette terrible qui pese sur lui sera dessechee aux depens de ses ennemis, ou que le riche la paiera avant peu. La situation nationale est cruelle; le signe representatif n'est plus en equilibre dans la circulation; la journee de l'ouvrier est au-dessous du necessaire; il faut un grand moyen correctif. Conquerons la Hollande; ranimons en Angleterre le parti republicain; faisons marcher la France, et nous irons glorieux a la posterite. Remplissez ces grandes destinees; point de debats; point de querelles, et la patrie est sauvee. * * * * * Danton, outre le discours sur le Tribunal revolutionnaire que l'on trouvera plus loin, intervint dans les debats de cette seance pour demander la comparution, a la barre de la Convention, du general Stengel qui, ne sujet palatin, se refusait a porter les armes contre sa patrie et demandait a etre employe dans un autre poste. * * * * * Je suis bien eloigne de croire Stengel republicain; je ne crois pas qu'il doive commander nos armees. Mais je pense qu'avant de le decreter d'accusation, il faut qu'il vous soit fait un rapport ou que vous l'entendiez vous-memes a la barre. Il faut de la raison et de l'inflexibilite; il faut que l'impunite, portee jusqu'a present trop loin, cesse; mais il ne faut pas porter de decret d'accusation au hasard. Je demande que le ministre de la guerre soit charge de faire traduire a la barre Stengel et Lanoue. * * * * * La Convention decreta que Stengel et Lanoue comparaitraient a sa barre. XV SUR L'INSTITUTION D'UN TRIBUNAL REVOLUTIONNAIRE (10 mars 1793) La conspiration de l'ennemi interieur se combinant avec les dangers exterieurs exigeait des mesures severes, terribles. Tandis que la nation armee se portait aux frontieres, il importait d'empecher, au lendemain de possibles desastres, le retour des evenements sanglants qui avaient marque les premiers jours de septembre, au lendemain de l'invasion. C'est dans cet esprit que Danton proposa la creation d'un tribunal revolutionnaire. * * * * * Je somme tous les bons citoyens de ne pas quitter leurs postes. (_Tous les membres se remettent en place, un calme profond regne dans toute l'Assemblee_.) Quoi, citoyens! au moment ou notre position est telle, que si Maranda etait battu, et cela n'est pas impossible, Dumouriez enveloppe serait oblige de mettre bas les armes, vous pourriez vous separer sans prendre les grandes mesures qu'exige le salut de la chose publique? Je sens a quel point il est important de prendre des mesures judiciaires qui punissent les contre-revolutionnaires; car c'est pour eux que ce tribunal est necessaire; c'est pour eux que ce tribunal doit suppleer au tribunal supreme de la vengeance du peuple. Les ennemis de la liberte levent un front audacieux; partout confondus, ils sont partout provocateurs. En voyant le citoyen honnete occupe dans ses foyers, l'artisan occupe dans ses ateliers, ils ont la stupidite de se croire en majorite: eh bien, arrachez-les vous-memes a la vengeance populaire, l'humanite vous l'ordonne. Rien n'est plus difficile que de definir un crime politique; mais si un homme du peuple, pour un crime particulier, en recoit a l'instant le chatiment; s'il est si difficile d'atteindre un crime politique, n'est-il pas necessaire que des lois extraordinaires, prises hors du corps social, epouvantent les rebelles et atteignent les coupables? Ici le salut du peuple exige de grands moyens et des mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal revolutionnaire. L'histoire atteste cette verite; et puisqu'on a ose, dans cette Assemblee, rappeler ces journees sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gemi, je dirai, moi, que si un tribunal eut alors existe, le peuple auquel on a si souvent, si cruellement reproche ces journees, ne les aurait pas ensanglantees; je dirai, et j'aurai l'assentiment de tous ceux qui ont ete les temoins de ces terribles evenements, que nulle puissance humaine n'etait dans le cas d'arreter le debordement de la vengeance nationale. Profitons des fautes de nos predecesseurs. Faisons ce que n'a pas fait l'Assemblee legislative; soyons terribles pour dispenser le peuple de l'etre; organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu'il se pourra, afin que le glaive de la loi pese sur la tete de tous ses ennemis. Ce grand oeuvre termine, je vous rappelle aux armes, aux commissaires que vous devez faire partir, au ministere que vous devez organiser; car nous ne pouvons le dissimuler, il nous faut des ministres; et celui de la marine, par exemple, dans un pays ou tout peut etre cree, parce que tous les elements s'y trouvent, avec toutes les qualites d'un bon citoyen, n'a pas cree de marine; nos fregates ne sont pas sorties et l'Angleterre enleve nos corsaires. Eh bien, le moment est arrive, soyons prodigues d'hommes et d'argent; deployons tous les moyens de la puissance nationale, mais ne mettons la direction de ces moyens qu'entre les mains d'hommes dont le contact necessaire et habituel avec vous vous assure l'ensemble et l'execution des mesures que vous avez combinees pour le salut de la Republique. Vous n'etes pas un corps constitue, car vous pouvez tout constituer vous-memes. Prenez-y garde, citoyens, vous repondez au peuple de nos armees, de son sang, de ses assignats; car si ses defaites attenuaient tellement la valeur de cette monnaie que les moyens d'existence fussent aneantis dans ses mains, qui pourrait arreter les effets de son ressentiment et de sa vengeance? Si, des le moment que je vous l'ai demande, vous eussiez fait le developpement de forces necessaires, aujourd'hui l'ennemi serait repousse loin de nos frontieres. Je demande donc que le tribunal revolutionnaire soit organise, seance tenante, que le pouvoir executif, dans la nouvelle organisation, recoive les moyens d'action et d'energie qui lui sont necessaires. Je ne demande pas que rien soit desorganise, je ne propose que des moyens d'amelioration. Je demande que la Convention juge mes raisonnements et meprise les qualifications injurieuses et fletrissantes qu'on ose me donner. Je demande qu'aussitot que les mesures de surete generale seront prises, vos commissaires partent a l'instant, qu'on ne reproduise plus l'objection qu'ils siegent dans tel ou tel cote de cette salle. Qu'ils se repandent dans les departements, qu'ils y echauffent les citoyens, qu'ils y raniment l'amour de la liberte, et que, s'ils ont regret de ne pas participer a des decrets utiles, ou de ne pouvoir s'opposer a des decrets mauvais, ils se souviennent que leur absence a ete le salut de la patrie. Je me resume donc: ce soir, organisation du tribunal, organisation du pouvoir executif; demain, mouvement militaire; que, demain, vos commissaires soient partis; que la France entiere se leve, coure aux armes, marche a l'ennemi; que la Hollande soit envahie; que la Belgique soit libre; que le commerce d'Angleterre soit ruine; que les amis de la liberte triomphent de cette contree; que nos armes, partout victorieuses, apportent aux peuples la delivrance et le bonheur; que le monde soit venge. XVI SUR LA DEMISSION DE BEURNONVILLE (11 mars 1793) Nomme ministre de la Guerre le 4 fevrier 1793, Beurnonville donna sa demission le 11 mars suivant. A ce propos, plusieurs membres de la Convention voulurent lui demander les motifs de son depart. Danton s'y opposa, insistant dans son discours sur la cohesion et l'unite reclamees par le gouvernement republicain, faisant appel au civisme de tous pour le salut public. On sait qu'envoye a la suite de sa demission aupres de Dumouriez, Beurnonville fut livre par lui aux Autrichiens qui le retinrent en otage jusqu'au 12 brumaire an IV. * * * * * Avant de rendre au ministre de la Guerre la justice que lui doit tout Francais qui aime son pays, et qui sait apprecier ceux qui ont combattu vaillamment pour lui, je dois cette declaration positive de mes principes et de mes sentiments: que, s'il est dans mes opinions que la nature des choses et les circonstances exigent que la Convention se reserve la faculte de prendre partout, et meme dans son sein, des ministres, je declare en meme temps, et je le jure par la patrie, que, moi, je n'accepterai jamais une place dans le ministere, tant que j'aurai l'honneur d'etre membre de la Convention nationale. Je le declare, dis-je, sans fausse modestie; car, je l'avoue, je crois valoir un autre citoyen francais. Je le declare avec le desir ardent que mon opinion individuelle ne devienne pas celle de tous mes collegues; car je tiens pour incontestable que vous feriez une chose funeste a la chose publique, si vous ne vous reserviez pas cette faculte. Apres un tel aveu, je vous somme tous, citoyens, de descendre dans le fond de votre conscience. Quel est celui d'entre vous qui ne sent pas la necessite d'une plus grande cohesion, de rapports plus directs, d'un rapprochement plus immediat, plus quotidien, entre les agents du pouvoir executif revolutionnaire, charge de defendre la liberte contre toute l'Europe, et vous qui etes charges de la direction supreme de la legislation civile et de la defense de la Republique? Vous avez la nation a votre disposition, vous etes une Convention nationale, vous n'etes pas un corps constitue, mais un corps charge de constituer tous les pouvoirs, de fonder tous les principes de notre Republique; vous n'en violerez donc aucun, rien ne sera renverse, si, exercant toute la latitude de vos pouvoirs, vous prenez le talent partout ou il existe pour le placer partout ou il peut etre utile. Si je me recuse dans les choix que vous pourrez faire, c'est que, dans mon poste, je me crois encore utile a pousser, a faire marcher la Revolution; c'est que je me reserve encore la faculte de denoncer les ministres qui, par malveillance et par imperitie, trahiraient notre confiance. Ainsi mettons-nous donc bien tous dans la tete que presque tous, que tous, nous voulons le salut public. Que les defiances particulieres ne nous arretent pas dans notre marche, puisque nous avons un but commun. Quant a moi, je ne calomnierai jamais personne; je suis sans fiel, non par vertu, mais par temperament. La haine est etrangere a mon caractere.... Je n'en ai pas besoin; ainsi je ne puis etre suspect, meme a ceux qui ont fait profession de me hair. Je vous rappelle a l'infinite de vos devoirs. Je n'entends pas desorganiser le ministere; je ne parle pas de la necessite de prendre des ministres dans votre sein, mais de la necessite de vous en reserver la faculte. ---J'arrive a la discussion particuliere qui s'est elevee sur la lettre de demission envoyee par le ministre de la Guerre. On veut lui demander les motifs de sa demission: certes, jamais on ne pourra dire que c'est par faiblesse. Celui qui a combattu si bien les ennemis, braverait l'erreur populaire avec le meme courage; il mourrait a son poste sans sourciller; tel est Beurnonville, tel nous devons le proclamer. Mais la nature, variee dans ses faveurs, distribue aux hommes differents genres de talents; tel est capable de commander une armee, d'echauffer le soldat, de maintenir la discipline qui n'a pas les formes populaires conciliatrices, necessaires dans les circonstances critiques et orageuses, quand on veut le bien. Celui qui donne sa demission a du se consulter sous ces differents rapports; il ne serait pas meme de la dignite de la Convention de lui faire les questions qu'on propose. Beurnonville a su se juger; il peut encore vaincre nos ennemis sur le champ de bataille; mais il n'a pas les formes familieres qui, dans les places administratives, appellent la confiance des hommes peu eclaires; car le peuple est ombrageux, et l'experience de nos revolutions lui a bien acquis le droit de craindre pour sa liberte. Je ne doute pas que Beurnonville n'ait gere en bon citoyen; il doit etre excepte de la rigueur de la loi qui defend a tout ministre de quitter Paris, avant d'avoir rendu ses comptes; et nous ne perdrons pas l'esperance de voir Beurnonville allant aux armees, y conduisant des renforts, remporter avec elles de nouveaux triomphes. XVII SUR LE GOUVERNEMENT REVOLUTIONNAIRE (27 mars 1793) Cree le 10 mars, le Tribunal criminel extraordinaire n'etait pas encore entre en activite. Danton s'eleva avec force contre ce retard et rappela dans son discours les devoirs assumes par le gouvernement revolutionnaire. Le lendemain, 28 mars, la Convention decretait que le Tribunal entrerait en activite le meme jour et pour ce l'autorisait a juger au nombre de dix jures. * * * * * Je declare avoir recommande aux ministres d'excellents patriotes, d'excellents revolutionnaires. Il n'y a aucune loi qui puisse oter a un representant du peuple sa pensee. La loi ancienne qu'on veut rappeler etait absurde; elle a ete revoquee par la revolution. Il faut enfin que la Convention nationale soit un corps revolutionnaire; il faut qu'elle soit peuple; il est temps qu'elle declare la guerre aux ennemis interieurs. Quoi! la guerre civile est allumee de toutes parts, et la Convention reste immobile! Un tribunal revolutionnaire a ete cree qui devait punir tous les conspirateurs, et ce tribunal n'est pas encore en activite! Que dira donc ce peuple! car il est pret a se lever en masse; il le doit, il le sent. Il dira: Quoi donc! des passions miserables agitent nos representants, et cependant les contre-revolutionnaires tuent la liberte. Je dois enfin vous dire la verite, je vous la dirai sans melange; que m'importent toutes les chimeres que l'on peut repandre contre moi, pourvu que je puisse servir la patrie! Oui, citoyens; vous ne faites pas votre devoir. Vous dites que le peuple est egare; mais pourquoi vous eloignez-vous de ce peuple? Rapprochez-vous de lui, il entendra la voix de la raison. La revolution ne peut marcher, ne peut etre consolidee qu'avec le peuple. Le peuple en est l'instrument, c'est a vous de vous en servir. En vain dites-vous que les societes populaires fourmillent de denonciateurs absurdes, de denonciateurs atroces. Eh bien, que n'y allez-vous? Une nation en revolution est comme l'airain qui bout et se regenere dans le creuset. La statue de la liberte n'est pas fondue. Ce metal bouillonne; si vous n'en surveillez le fourneau, vous serez tous brules. Comment se fait-il que vous ne sentiez pas que c'est aujourd'hui qu'il faut que la Convention decrete que tout homme du peuple aura une pique aux frais de la nation. Les riches la paieront, ils la paieront en vertu d'une loi; les proprietes ne seront pas violees. Il faut decreter encore que, dans les departements ou la revolution s'est manifestee, quiconque a l'audace d'appeler cette contre-revolution sera mis hors la loi. A Rome, Valerius Publicola eut le courage de proposer une loi qui portait peine de mort contre quiconque appellerait la tyrannie. Eh bien, moi, je declare que, puisque dans les rues, dans les places publiques, les patriotes sont insultes; puisque, dans les spectacles, on applaudit avec fureur aux applications qui se rapportent avec les malheurs de la patrie; je declare, dis-je, que quiconque oserait appeler la destruction de la liberte, ne perira que de ma main, dusse-je apres porter ma tete sur l'echafaud, heureux d'avoir donne un exemple de vertu a ma patrie. Je demande qu'on passe a l'ordre du jour sur la motion qui m'a donne lieu de parler. Je demande que, dans toute la Republique, un citoyen ait une pique aux frais de la nation. Je demande que le tribunal extraordinaire soit mis en activite. Je demande que la Convention declare au peuple francais, a l'Europe, a l'univers qu'elle est un corps revolutionnaire, qu'elle est resolue de maintenir la liberte, d'etouffer les serpents qui dechirent le sein de la patrie. Montrez-vous revolutionnaires; montrez-vous peuple, et alors la liberte n'est plus en peril. Les nations qui veulent etre grandes doivent, comme les heros, etre elevees a l'ecole du malheur. Sans doute nous avons eu des revers; mais si, au mois de septembre, on vous eut dit: "la tete du tyran tombera sous le glaive des lois, l'ennemi sera chasse du territoire de la Republique; 100.000 hommes seront a Mayence; nous aurons une armee a Tournai", vous eussiez vu la liberte triomphante. Eh bien, telle est encore notre position. Nous avons perdu un temps precieux. Il faut le reparer. On a cru que la revolution etait faite. On a crie aux factieux. Eh bien, ce sont ces factieux qui tombent sous le poignard des assassins. Et toi, Lepeletier, quand tu perissais victime de ta haine pour les tyrans, on criait aussi que tu etais un factieux. Il faut sortir de cette lethargie politique. Marseille sait deja que Paris n'a jamais voulu opprimer la Republique, n'a jamais voulu que la liberte. Marseille s'est declaree la montagne de la Republique. Elle se gonflera, cette montagne, elle roulera les rochers de la liberte, et les ennemis de la liberte seront ecrases. Je ne veux pas rappeler de facheux debats. Je ne veux pas faire l'historique des haines dirigees contre les patriotes. Je ne dirai qu'un mot. Je vous dirai que Roland ecrivait a Dumouriez (et c'est ce general qui nous a montre la lettre, a Lacroix et a moi): "Il faut vous liguer avec nous pour ecraser ce parti de Paris, et surtout ce Danton." Jugez si une imagination frappee au point de tracer de pareils tableaux a du avoir une grande influence sur toute la Republique. Mais tirons le rideau sur le passe. Il faut nous reunir. C'est cette reunion qui devrait etablir la liberte d'un pole a l'autre, aux deux tropiques et sur la ligne de la Convention. Je ne demande pas d'ambassades particulieres. Quant a moi, je fais serment de mourir pour defendre mon plus cruel ennemi. Je demande que ce sentiment sacre enflamme toutes les ames. Il faut tuer les ennemis interieurs pour triompher des ennemis exterieurs. Vous deviendrez victimes de vos passions ou de votre ignorance, si vous ne sauvez la Republique. La Republique, elle est immortelle! L'ennemi pourra bien faire encore quelques progres; il pourrait prendre encore quelques-unes de nos places, mais il s'y consumerait lui-meme. Que nos echecs tournent a notre avantage! que le Francais, en touchant la terre de son pays, comme le geant de la fable, reprenne de nouvelles forces. J'insiste sur ce qui est plus qu'une loi, sur ce que la necessite vous commande, soyez peuple. Que tout homme qui porte encore dans son coeur une etincelle de liberte, ne s'eloigne pas du peuple. Nous ne sommes pas ses peres, nous sommes ses enfants. Exposons-lui nos besoins et ses ressources, disons qu'il sera inviolable, s'il veut etre uni. Qu'on se rappelle l'epoque memorable et terrible du mois d'aout. Toutes les passions se croisaient. Paris ne voulait pas sortir de ses murs. J'ai, moi, car il faut bien quelquefois se citer, j'ai amene le conseil executif a se reunir a la mairie avec tous les magistrats du peuple. Le peuple vit notre reunion, il la seconda, et l'ennemi a ete vaincu. Si on se reunit, si on aime les societes populaires, si on y assiste, malgre ce qu'il peut y avoir en elles de defectueux, car il n'y a rien de parfait sur la terre, la France reprendra sa force, redeviendra victorieuse, et bientot les despotes se repentiront de ces triomphes ephemeres qui n'auront ete que plus funestes pour eux. XVIII JUSTIFICATION DE SA CONDUITE EN BELGIQUE (30 mars 1793) Dans la seance du 30 mars, un membre [Note: Le Moniteur du 1er avril, n deg. 91, qui rend compte de la seance du 30 mars ne donne pas le nom de ce membre.] de la Convention demanda l'execution du decret ordonnant a Danton de rendre compte de l'etat de la Belgique au moment de son depart. "Il importe, ajoutait-il, que nous connaissions toutes les operations de nos commissaires Gironde contre le conventionnel". Il demanda aussitot la parole et prononca ce long discours ou il se justifia d'une facon eclatante des reproches sournois et hypocrites que Mme Roland reedita depuis dans son libelle. * * * * * Citoyens, vous aviez, par un decret, ordonne que, Camus et moi, seuls des commissaires pres l'armee de la Belgique, qui se trouvent actuellement dans la Convention, rendions compte de ce que nous avions vu et fait dans la Belgique. Le changement des circonstances, les lettres nouvelles parvenues a votre Comite de defense generale, ont rendu ce rapport moins important, quant a ce qui concerne la situation des armees, puisque cette situation a change; elles ont necessite des mesures provisoires que vous avez decretees. J'etais pret et je le suis encore a m'expliquer amplement, et sur l'historique de la Belgique, et sur les generaux, et sur l'armee, et sur la conduite des commissaires. Il est temps que tout soit connu. Si la saine raison, si le salut de la patrie et celui de l'armee a oblige vos commissaires d'etre en quelque sorte stationnaires, aujourd'hui le temps de bannir toute espece de politique est arrive; il l'est d'autant plus que je m'apercois qu'on a insinue dans l'Assemblee que les malheurs de la Belgique pouvaient avoir ete plus ou moins amenes par l'influence, les fautes et meme les crimes de vos commissaires. Eh bien, je prends a cette tribune l'engagement solennel de tout dire, de tout reveler, de repondre a tout. J'appellerai tous les contradicteurs possibles d'un bout de la Republique a l'autre; j'appellerai le Conseil executif, les commissaires nationaux; j'appellerai tous mes collegues en temoignage. Et apres cette vaste explication, quand on aura bien sonde l'abime dans lequel on a voulu nous plonger, on reconnaitra que ceux-la qui ont travaille la reunion, qui ont demande des renforts, qui se sont empresses de vous annoncer nos echecs pour hater l'envoi des secours, s'ils n'obtiennent pas l'honorable fruit de leurs travaux, sont au moins bien fortement in inculpables. Je rendrai, je pourrai me tromper sur quelques details, les comptes qui me sont demandes; mais je puis annoncer a l'avance qu'il y aura unanimite dans le temoignage de vos commissaires sur les principaux objets de ces rapports. Je demande que la seance de demain soit consacree a un rapport preliminaire, car il y aura beaucoup de personnes a entendre, beaucoup de chefs a interroger. On verra si nous avons manque d'amour pour le peuple, lorsque nous n'avons pas voulu tout a coup priver l'armee des talents militaires dont elle avait besoin, dans des hommes dont cependant nous combattions les opinions politiques, ou si nous n'avons pas au contraire sauve cette armee. On verra, par exemple, que, si nous avions donne a cette fameuse lettre qui a ete lue partout, excepte dans cette enceinte, les suites que nous aurions pu lui donner, des qu'elle nous a ete connue, on verra que, si nous n'avions pas, dans cette circonstance, mis dans notre conduite la prudence que nous dictaient les evenements, l'armee, denuee de chefs, se serait repliee sur nos frontieres avec un tel desordre, que l'ennemi serait entre avec elle dans nos places fortes. Je ne demande ni grace, ni indulgence. J'ai fait mon devoir dans ce moment de nouvelle revolution, comme je l'ai fait au 10 aout. Et, a cet egard, comme je viens d'entendre des hommes qui, sans doute sans connaitre les faits, mettant en avant des opinions dictees par la prevention, me disent que je rende mes comptes, je declare que j'ai rendu les miens et que je suis pret a les rendre encore. Je demande que le Conseil executif soit consulte sur toutes les parties de ma conduite ministerielle. Qu'on me mette en opposition avec ce ci-devant ministre qui, par des reticences, a voulu jeter des soupcons sur moi. J'ai fait quelques instants le sacrifice de ma reputation pour mieux payer mon contingent a la Republique, en ne m'occupant que de la servir. Mais j'appelle aujourd'hui sur moi toutes les explications, tous les genres d'accusation, car je suis resolu a tout dire. Ainsi preparez-vous a etre aussi francs jusque dans vos haines, et francs dans vos passions, car je les attends. Toutes ces discussions pourront peut-etre tourner encore au profit de la chose publique. Nos maux viennent de nos divisions; eh bien, connaissons-nous tous. Car comment se fait-il qu'une portion des representants du peuple traite l'autre de conjures? Que ceux-ci accusent les premiers de vouloir les faire massacrer? Il a ete un temps pour les passions; elles sont malheureusement dans l'ordre de la nature; mais il faut enfin que tout s'explique, que tout le monde se juge et se reconnaisse. Le peuple, il faut le dire, ne sait plus ou reposer sa confiance; faites donc que l'on sache si vous etes un compose de deux partis, une assemblee d'hommes travailles de soupcons respectifs, ou si vous tendez tous au salut de la patrie. Voulez-vous la reunion? Concourez d'un commun accord aux mesures severes et fermes que reclame le peuple indigne des trahisons dont il a ete si longtemps victime. Instruisez, armez les citoyens; ce n'est pas assez d'avoir des armees aux frontieres, il faut au sein de la Republique une colonne centrale qui fasse front aux ennemis du dedans, pour reporter ensuite la guerre au dehors. Non seulement je repondrai categoriquement aux inculpations qui m'ont ete et me seront faites ici, dans cette Assemblee qui a l'univers pour galerie, mais je dirai tout ce que je sais sur les operations de la Belgique, persuade que la connaissance approfondie du mal peut seule nous en faire decouvrir le remede. Ainsi, s'il est un seul d'entre vous qui ait le moindre soupcon sur ma conduite, comme ministre; s'il en est un seul qui desire des comptes iteratifs, lorsque deja toutes les pieces sont deposees dans vos comites; s'il en est un seul qui ait des soupcons sur mon administration, relativement aux depenses secretes de revolution, qu'il monte demain a la tribune, que tout se decouvre, que tout soit mis a nu, et, libres de defiances, nous passerons ensuite a l'examen de notre situation politique [Note: A. AULARD (_Oeuvr. cit._, tome I, p. 137 et suiv.) a prouve, pieces en mains, que, contrairement a l'assertion de la femme Roland et de presque tous les historiens, Danton avait rendu les comptes de son ministere dans la seance de la Convention du 6 octobre 1792.]. Ces defiances, quand on veut se rapprocher, sont-elles donc si difficiles a faire disparaitre? Je le dis, il s'en faut qu'il y ait dans cette Assemblee les conspirations qu'on se prete. Trop longtemps, il est vrai, un amour mutuel de vengeance, inspire par les preventions, a retarde la marche de la Convention, et diminue son energie, en la divisant souvent. Telle opinion forte a ete repoussee par tel ou tel cote, par cela seul qu'elle ne lui appartenait pas. Qu'enfin donc le danger vous rallie. Songez que vous vous trouvez dans la crise la plus terrible; vous avez une armee entierement desorganisee, et c'est la plus importante, car d'elle dependait le salut public, si le vaste projet de ruiner en Hollande le commerce de l'Angleterre eut reussi. Il faut connaitre ceux qui peuvent avoir trempe dans la conspiration qui a fait manquer ce projet; les tetes de ceux qui ont influe, soit comme generaux, soit comme representants du peuple sur le sort de cette armee, ces tetes doivent tomber les premieres. D'accord sur les bases de la conduite que nous devons tenir, nous le serons facilement sur les resultats. Interrogeons, entendons, comparons, tirons la verite du chaos; alors nous saurons distinguer ce qui appartient aux passions et ce qui est le fruit des erreurs; nous connaitrons ou a ete la veritable politique nationale, l'amour de son pays, et l'on ne dira plus qu'un tel est un ambitieux, un usurpateur, parce qu'il a un temperament plus chaud et des formes plus robustes. Non, la France ne sera pas re asservie, elle pourra etre embranlee, mais le peuple, comme le Jupiter de l'Olympe, d'un seul signe fera rentrer dans le neant tous les ennemis. Je demande que demain le Conseil executif nous fasse un rapport preliminaire; je demande a m'expliquer ensuite, car le peuple doit etre instruit de tout. Les nouvelles recues hier des armees transpirent deja. C'est en soulevant petit a petit le voile, c'est en renoncant aux palliatifs que nous previendrons l'explosion que pourrait produire l'exces de mecontentement. Je demande que le Conseil executif, pieces en main, nous rende compte de ses differents agents. Que la verite colore le civisme et le courage; que nous ayons encore l'espoir de sauver la Republique, et de ramener a un centre commun ceux qui se sont un moment laisse egarer par leurs passions. Citoyens, nous n'avons pas un instant a perdre. L'Europe entiere pousse fortement la conspiration. Vous voyez que ceux-la qui ont preche plus perseveramment la necessite du recrutement qui s'opere enfin pour le salut de la Republique; que ceux qui ont demande le tribunal revolutionnaire; que ceux qui ont provoque l'envoi des commissaires dans les departements pour y souffler l'esprit public, sont presentes presque comme des conspirateurs. On se plaint de miserables details. Et des corps administratifs n'ont-ils pas demande ma tete? Ma tete!.... elle est encore la, elle y restera. Que chacun emploie celle qu'il a recue de la nature, non pour servir de petites passions, mais pour servir la Republique. Je somme celui qui pourrait me supposer des projets d'ambition, de dilapidation, de forfaiture quelconque, de s'expliquer demain franchement sur ces soupcons, sous peine d'etre repute calomniateur. Cependant je vous en atteste tous, des le commencement de la Revolution, j'ai ete peint sous les couleurs les plus odieuses. Je suis reste inebranlable, j'ai marche a pas fermes vers la liberte. On verra qui touchera au terme ou le peuple arrivera, apres avoir ecrase tous les ennemis. Mais puisque aujourd'hui l'union, et par consequent une confiance reciproque, nous est necessaire, je demande a entrer, apres le rapport du Conseil executif, dans toutes explications qu'on jugera. XIX SUR LA TRAHISON DE DUMOURIEZ ET LA MISSION EN BELGIQUE (1er avril 1793) La trahison de Dumouriez, dont les operations avaient, a plusieurs reprises, ete defendues par Danton, crea pour celui-ci une nouvelle source d'accusations. Apres un discours de Cambaceres, au nom du Comite de defense generale, une defense de Sillery, reclamant l'examen de ses papiers pour se disculper d'une complicite supposee avec Dumouriez, et quelques mots de Fonfrede et de Robespierre, Penieres monta a la tribune pour denoncer un fait que le Moniteur (n deg. 93) relate en ces termes: PENIERES.--Quelques jours apres l'arrivee de Danton et de Delacroix de la Belgique, une lettre ecrite par Dumouriez fut envoyee au Comite de defense generale, sans avoir ete lue a l'Assemblee. (PLUSIEURS MEMBRES.--Cela n'est pas vrai!) La lettre fut apportee au Comite de defense generale, ou Danton fut appele pour en entendre la lecture; Breard, qui etait alors president, dit qu'il etait de son devoir d'en donner connaissance a l'Assemblee. Delacroix lui repondit en ces termes: "Quant a moi, si j'etais president, je ne balancerais pas un moment a exposer ma responsabilite, et la lettre ne serait pas lue; car si un decret d'accusation devait etre porte contre Dumouriez, j'aimerais mieux que ma tete tombat que la sienne: Dumouriez est utile a l'armee." Apres cette explication, il fut arrete que le lendemain on ferait renvoyer cette lettre au comite, sans en faire la lecture. Apres que ce renvoi fut decrete, Danton nous dit qu'il repartirait avec Delacroix et qu'il promettait de faire retracter Dumouriez; et il ajouta que, dans le cas ou Dumouriez s'y refuserait, il demanderait lui-meme le decret d'accusation contre lui. Qu'est-il arrive? Danton, de retour de la Belgique, ne se presenta ni a l'Assemblee ni au comite. Je lui demande en ce moment: pourquoi, ayant promis de faire retracter Dumouriez, et ne l'ayant pas fait, n'a-t-il pas demande contre lui le decret d'accusation. * * * * * Breard ayant, en quelques mots, explique son role en cet incident, Danton monta a la tribune pour justifier sa conduite envers Dumouriez, sa mission en Belgique, et confondre ses calomniateurs. A plusieurs reprises son discours fut interrompu. Force nous est donc de suivre le texte du Moniteur (n deg. 93 et 94) pour donner une physionomie exacte de la seance, et de reproduire toutes les interruptions pour suivre la defense de Danton. * * * * * Je commence par bien preciser l'interpellation faite, elle se reduit a ceci: "Vous avez dit, Danton, que, si vous ne parveniez pas a faire ecrire a Dumouriez une lettre qui detruisit l'effet de la premiere, vous demanderiez contre lui le decret d'accusation. Cette lettre n'ayant point eu lieu, pourquoi n'avez-vous pas tenu votre promesse?" Voila la maniere dont je suis interpelle. Je vais donner les eclaircissements qui me sont demandes. D'abord, j'ai fait ce que j'avais annonce: la Convention a recu une lettre par laquelle Dumouriez demandait qu'il ne fut fait de rapport sur sa premiere qu'apres que la Convention aurait entendu les renseignements que devaient lui donner ses commissaires. Cette lettre ne nous satisfit pas, et, apres avoir confere avec lui, nous acquimes la conviction qu'il n'y avait plus rien a attendre de Dumouriez pour la Republique. Arrive a Paris a neuf heures du soir, je ne vins pas au comite; mais le lendemain j'ai dit que Dumouriez etait devenu tellement atroce, qu'il avait dit que la Convention etait composee de trois cents imbeciles et de quatre cents brigands. J'ai demande que tout fut devoile; ainsi tous ceux qui s'y sont trouves ont du voir que mon avis etait qu'il fallait arracher Dumouriez a son armee. Mais ce fait ne suffit pas, il importe que la Convention et la nation entiere sachent la conduite qu'ont tenue vos commissaires a l'egard de Dumouriez, et il est etrange que ceux qui, constamment, ont ete en opposition de principes avec lui soient aujourd'hui accuses comme ses complices. Qu'a voulu Dumouriez? Etablir un systeme financier dans la Belgique. Qu'a voulu Dumouriez? Point de reunion. Quels sont ceux qui ont fait les reunions? Vos commissaires. La reunion du Hainaut, dit Dumouriez, s'est faite a coups de sabre. Ce sont vos commissaires qui l'ont faite. C'est nous que Dumouriez accuse des malheurs de la Belgique; c'est nous qu'il accuse d'avoir fait couler le sang dans le Hainaut et, par une fatalite inconcevable, c'est nous qu'on accuse de proteger Dumouriez! J'ai dit que Dumouriez avait concu un plan superbe d'invasion de la Hollande: si ce plan eut reussi, il aurait peut-etre epargne bien des crimes a Dumouriez; peut-etre l'aurait-il voulu faire tourner a son profit; mais l'Angleterre n'en aurait pas ete moins abaissee et la Hollande conquise. Voila le systeme de Dumouriez: Dumouriez se plaint des societes populaires et du tribunal extraordinaire; il dit que bientot Danton n'aura plus de credit que dans la banlieue de Paris. UNE VOIX.--Ce sont les decrets de l'Assemblee, et non vous. On m'observe que je suis dans l'erreur; je passe a un autre fait plus important: c'est que Dumouriez a dit a l'armee que si Danton et Delacroix y reparaissaient, il les ferait arreter. Citoyens, les faits parlent d'eux-memes; on voit facilement que la commission a fait son devoir. Dumouriez s'est rendu criminel, mais ses complices seront bientot connus. J'ai deja annonce que Dumouriez a ete egare par les impulsions qu'il a recues de Paris, et qu'il etait aigri par les ecrits qui presentaient les citoyens les plus energiques comme des scelerats. La plupart de ces ecrits sont sortis de cette enceinte; je demande que la Convention nomme une commission pour debrouiller ce chaos et pour connaitre les auteurs de ce complot. Quand on verra comment nous avons combattu les projets de Dumouriez, quand on verra que vous avez ratifie tous les arretes que nous avons pris, il ne restera plus aucun soupcon sur notre conduite. Citoyens, ce n'est point assez de decouvrir d'ou viennent nos maux; il faut leur appliquer un remede immediat. Vous avez, il est vrai, ordonne un recrutement, mais cette mesure est trop lente; je crois que l'Assemblee doit nommer un comite de la guerre, charge de creer une armee improvisee. Les ennemis veulent se porter sur Paris; leur complice vous l'a devoile; je demande qu'il soit pris des mesures pour qu'un camp de cinquante mille hommes soit forme a vingt lieues de Paris; ce camp fera echouer les projets de nos ennemis, et pourra au besoin servir a completer les armees. Je demande aussi que mes collegues dans la Belgique soient rappeles sur-le-champ. PLUSIEURS MEMBRES.--Cela est fait. Je demande enfin que le Conseil executif rende un compte exact de nos operations dans la Belgique: l'Assemblee acquerra les lumieres qui lui sont necessaires, et elle verra que nous avons toujours ete en contradiction avec Dumouriez. Si vos commissaires avaient fait enlever Dumouriez au moment ou il etait a la tete de son armee, on aurait rejete sur eux la desorganisation de cette armee. Vos commissaires, quoique investis d'un grand pouvoir, n'ont rien pour assurer le succes de leurs operations; les soldats ne nous prennent, en arrivant aux armees, que pour de simples secretaires de commission; il aurait fallu que la Convention donnat a ceux qu'elle charge de promulguer ses lois a la tete des armees une sorte de decoration moitie civile et moitie militaire. Que pouvaient faire de plus vos commissaires, sinon de dire: il y a urgence, il faut arracher promptement Dumouriez de la tete de son armee? Si nous avions voulu employer la force, elle nous eut manque; car quel general, au moment ou Dumouriez executait sa retraite, et lorsqu'il etait entoure d'une armee qui lui etait devouee, eut voulu executer nos ordres? Dumouriez etait constamment jour et nuit a cheval, et jamais il n'y a eu deux lieues de retraite sans un combat: ainsi il nous etait impossible de le faire arreter. Nous avons fait notre devoir, et j'appelle sur ma tete toutes les denonciations, sur que ma tete loin de tomber sera la tete de Meduse qui fera trembler tous les aristocrates. LASOURCE.--Ce n'est point une accusation formelle que je vais porter contre Danton; mais ce sont des conjectures que je vais soumettre a l'Assemblee. Je ne sais point deguiser ce que je pense, ainsi je vais dire franchement l'idee que la conduite de Delacroix et de Danton a fait naitre dans mon esprit. Dumouriez a ourdi un plan de contre-revolution; l'a-t-il ourdi seul, oui ou non? Danton a dit qu'il n'avait pu, qu'il n'avait ose sevir contre Dumouriez, parce qu'au moment ou il se battait, aucun officier general n'aurait voulu executer ses ordres. Je reponds a Danton qu'il est bien etonnant qu'il n'ait ose prendre aucune mesure contre Dumouriez, tandis qu'il nous a dit que l'armee etait tellement republicaine, que, malgre la confiance qu'elle avait dans son general, si elle lisait dans un journal que Dumouriez a ete decrete d'accusation, elle l'amenerait elle-meme a la barre de l'Assemblee. Danton vient de dire qu'il avait assure le comite que la Republique n'avait rien a esperer de Dumouriez. J'observe a l'Assemblee que Dumouriez avait perdu la tete en politique, mais qu'il conservait tous ses talents militaires; alors Robespierre demanda que la conduite de Dumouriez fut examinee; Danton s'y opposa et dit qu'il ne fallait prendre aucune mesure contre lui avant que la retraite de la Belgique fut entierement effectuee. Son opinion fut adoptee. Voila les faits, voici comme je raisonne. MAURE.--Je demande a dire un fait, c'est qu'on a propose d'envoyer Gensonne qui avait tout pouvoir sur Dumouriez, afin de traiter avec lui du salut de la patrie. PLUSIEURS MEMBRES.--C'est vrai. LASOURCE.--Voici comment je raisonne. Je dis qu'il y avait un plan de forme pour retablir la royaute, et que Dumouriez etait a la tete de ce plan. Que fallait-il faire pour le faire reussir? Il fallait maintenir Dumouriez a la tete de son armee. Danton est venu a la tribune, et a fait le plus grand eloge de Dumouriez. S'il y avait un plan de forme pour faire reussir les projets de Dumouriez, que fallait-il faire? Il fallait se populariser. Qu'a fait Delacroix? Delacroix, en arrivant de la Belgique, a affecte un patriotisme exagere dont jusqu'a ce moment il n'avait donne aucun exemple. (_De violents murmures se font entendre_.) Et pour mieux dire, Delacroix se declara Montagnard. L'avait-il fait jusqu'alors? Non. Il tonna contre les citoyens qui ont vote l'appel au peuple et contre ceux qu'on designe sous le nom d'hommes d'Etat. L'avait-il fait jusqu'alors? Non. Pour faire reussir la conspiration tramee par Dumouriez, il fallait acquerir la confiance populaire, il fallait tenir les deux extremites du fil. Delacroix reste dans la Belgique; Danton vient ici; il y vient pour prendre des mesures de surete generale; il assiste au comite, il se tait. DANTON.--Cela est faux! PLUSIEURS VOIX.--C'est faux! LASOURCE.--Ensuite Danton, interpelle de rendre compte des motifs qui lui ont fait abandonner la Belgique, parle d'une maniere insignifiante. Comment se fait-il qu'apres avoir rendu son compte Danton reste a Paris? Avait-il donne sa demission? Non. Si son intention etait de ne pas retourner dans la Belgique, il fallait qu'il le dit, afin que l'Assemblee le remplacat; et dans le cas contraire, il devait y retourner. Pour faire reussir la conspiration de Dumouriez, que fallait-il faire? Il fallait faire perdre a la Convention la confiance publique. Que fait Danton? Danton parait a la tribune, et la il reproche a l'Assemblee d'etre au-dessous de ses devoirs; il annonce une nouvelle insurrection; il dit que le peuple est pret a se lever, et cependant le peuple etait tranquille. Il n'y avait pas de marche plus sure pour amener Dumouriez a ses fins que de ravaler la Convention et de faire valoir Dumouriez; c'est ce qu'a fait Danton. Pour proteger la conspiration, il fallait exagerer les dangers de la patrie, c'est ce qu'ont fait Delacroix et Danton. On savait qu'en parlant de revers, il en resulterait deux choses: la premiere, que les ames timides se cacheraient; la seconde, que le peuple, en fureur de se voir trahi, se porterait a des mouvements qu'il est impossible de retenir. En criant sans cesse contre la faction des hommes d'Etat, ne semble-t-il pas qu'on se menageait un mouvement, tandis que Dumouriez se serait avance a la tete de son armee? Citoyens, voila les nuages que j'ai vus dans la conduite de vos commissaires. Je demande, comme Danton, que vous nommiez une commission ad hoc pour examiner les faits et decouvrir les coupables. Cela fait, je vous propose une mesure de salut public. Je crois que la conduite de Dumouriez, mal connue de son armee, pourrait produire quelques mouvements funestes. Il faut qu'elle et la France entiere sachent les mesures que vous avez prises; car Dumouriez est, comme le fut jadis Lafayette, l'idole de la Republique. (_De violents murmures et des cris_: Non, non! s'elevent dans toutes les parties de la salle.) Pour les inquietudes que nos revers ont pu faire naitre dans l'ame des Francais, il faut que la nation sache que, si l'armee a ete battue, c'est qu'elle a ete trahie; il faut que la nation sache que, tant que son general a voulu la liberte, l'armee a marche a des triomphes. Je termine par une observation: vous voyez maintenant a decouvert le projet de ceux qui parlaient au peuple de couper des tetes, vous voyez s'ils ne voulaient pas la royaute. Je sais bien que le peuple ne la voulait pas, mais il etait trompe. On lui parle sans cesse de se lever. Eh bien! peuple francais, leve-toi, suis le conseil de tes perfides ennemis, forge-toi des chaines, car c'est la liberte qu'on veut perdre, et non pas quelques membres de la Convention. Et vous, mes collegues, souvenez-vous que le sort de la liberte est entre vos mains; souvenez-vous que le peuple veut la justice. Il a vu assez longtemps le Capitole et le trone, il veut voir maintenant la roche Tarpeienne et l'echafaud. (_Applaudissements_.) Le tribunal que vous avez cree ne marche pas encore; je demande: 1 deg. Qu'il rende compte tous les trois jours des proces qu'il a juges et de ceux qu'il instruit; de cette maniere on saura s'il a fait justice. 2 deg. Je demande que les citoyens Egalite et Sillery, qui sont inculpes, mais que je suis loin de croire coupables, soient mis en etat d'arrestation chez eux. 3 deg. Je demande que la commission demandee par Danton soit a l'instant organisee. 4 deg. Que le proces-verbal qui vous a ete lu soit imprime, envoye aux departements et aux armees, qu'une adresse soit jointe a ce proces-verbal; ce moyen est puissant; car, lorsque le peuple voit une adresse de l'Assemblee nationale, il croit voir un oracle. Je demande enfin, pour prouver a la nation que nous ne capitulerons jamais avec un tyran, que chacun d'entre nous prenne l'engagement de donner la mort a celui qui tenterait de se faire roi ou dictateur. (_Une acclamation unanime se fait entendre. Les applaudissements et les cris_: Oui, oui! se repetent a plusieurs reprises. L'assemblee entiere est levee; tout les membres, dont l'attitude du serment, repetent celui de Lasource. Les tribunes applaudissent.) BIROTEAU.--Je demande la parole pour un fait personnel. Au comite de defense generale, ou l'on agita les moyens de sauver la patrie, Fabre d'Eglantine, qu'on connait tres lie avec Danton, qui, dans une seance precedente, avait fait son eloge, Fabre d'Eglantine, dis-je, annonce qu'il avait un moyen de sauver la Republique, mais qu'il n'osait pas en faire part, attendu qu'on calomniait sans cesse les opinions. On le rassura, en lui disant que les opinions etaient libres, et que d'ailleurs tout ce qui se disait au comite y demeurait enseveli. Alors Fabre d'Eglantine a mots couverts proposa un roi. (_De violents murmures se font entendre_.) PLUSIEURS MEMBRES s'ecrient a la fois:--Cela n'est pas vrai! DANTON.--C'est une sceleratesse: vous avez pris la defense du roi, et vous voulez rejeter vos crimes sur nous. BIROTEAU.--Je vais rendre les propres paroles de Fabre avec la reponse qu'on lui fit. Il dit: (_De nouveaux murmures s'elevent_.) DELMAS.--Je demande la parole au nom du salut public. Citoyens, je me suis recueilli; j'ai ecoute tout ce qui a ete dit a cette tribune. Mon opinion est que l'explication qu'on provoque dans ce moment doit perdre la Republique. Le peuple vous a envoyes pour sauver la chose publique; vous le pouvez; mais il faut eloigner cette explication; et moi aussi j'ai des soupcons, mais ce n'est pas le moment de les eclaircir. Je demande que l'on nomme la commission proposee par Lasource; qu'on la charge de recueillir tous les faits, et ensuite on les fera connaitre au peuple francais. DANTON.--Je somme Cambon, sans personnalites, sans s'ecarter de la proposition qui vient d'etre decretee, de s'expliquer sur un fait d'argent, sur cent mille ecus qu'on annonce avoir ete remis a Danton et a Delacroix, et de dire la conduite que la commission a tenue relativement a la reunion.... * * * * * La proposition de Delmas est adoptee unanimement. * * * * * PLUSIEURS VOIX.--Le renvoi a la commission! Cette proposition est decretee. Danton retourne a sa place; toute l'extreme gauche se leve, et l'invite a retourner a la tribune pour etre entendu. (_Des applaudissements s'elevent dans les tribunes et se prolongent pendant quelques instants_.) Danton s'elance a la tribune. (_Les applaudissements des tribunes continuent avec ceux d'une grande partie de l'Assemblee_.)_ Le president se couvre pour retablir l'ordre et le silence. (_Le calme renait_.) LE PRESIDENT.--Citoyens, je demande la parole, et je vous prie de m'ecouter en silence. Differentes propositions ont ete faites: on avait provoque une explication sur des faits qui inculpaient des membres de la Convention. Delmas a demande la nomination d'une commission chargee d'examiner les faits et d'en rendre compte a l'Assemblee. Cette proposition a ete adoptee a l'unanimite. Danton s'y etait rendu, maintenant il demande la parole pour des explications; je consulte l'Assemblee. TOUTE LA PARTIE GAUCHE.--Non, non! il a la parole de droit. Un grand nombre de membres de l'autre cote reclament avec la meme chaleur le maintien du decret.--(_L'Assemblee est longtemps agitee_.) LASOURCE.--Je demande que Danton soit entendu, et je declare qu'il n'est entre dans mon procede aucune passion. LE PRESIDENT.--Citoyens, dans cette crise affligeante le voeu de l'Assemblee ne sera pas equivoque. Je vais le prendre. L'Assemblee, consultee, accorde la parole a Danton, a une tres grande majorite. DANTON.--Je dois commencer par vous rendre hommage comme vraiment amis du salut du peuple, citoyens qui etes places a cette montagne (_se tournant vers l'amphitheatre de l'extremite gauche_); vous avez mieux juge que moi. J'ai cru longtemps que, quelle que fut l'impetuosite de mon caractere, je devais temperer les moyens que la nature m'a departis; je devais employer dans les circonstances difficiles ou m'a place ma mission la moderation que m'ont paru commander les evenements. Vous m'accusiez de faiblesse, vous aviez raison, je le reconnais devant la France entiere. Nous, faits pour denoncer ceux qui, par imperitie ou sceleratesse, ont constamment voulu que le tyran echappat au glaive de la loi.... (_Un tres grand nombre de membres se levent en criant_: Oui, oui! _et en indiquant du geste les membres places dans la partie droite.--Des rumeurs et des recriminations violentes s'elevent dans cette partie_.) Eh bien! ce sont ces memes hommes.... (_Les murmures continuent a la droite de la tribune.--L'orateur se tournant vers les interrupteurs_.) Vous me repondrez, vous me repondrez.... Citoyens, ce sont, dis-je, ces memes hommes qui prennent aujourd'hui l'attitude insolente de denonciateurs.... (_Grangeneuve interrompt.--Les murmures d'une grande partie de l'Assemblee couvrent sa voix_.) GRANGENEUVE.--Je demande a faire une interpellation a Danton.... UN GRAND NOMBRE DE VOIX.--Vous n'avez pas la parole.... A l'Abbaye! DANTON.--Et d'abord, avant que d'entrer aussi a mon tour dans des rapprochements, je vais repondre. Que vous a dit Lasource? Quelle que soit l'origine de son roman, qu'il soit le fruit de son imagination ou la suggestion d'hommes adroits.... (_De nouveaux murmures s'elevent dans la partie de la salle a la droite de la tribune_.) ALBITTE.--Nous avons tranquillement ecoute Lasource, soyez tranquilles a votre tour. DANTON.--Soit que cet homme, dont on s'est empare plusieurs fois dans l'Assemblee legislative, ait voulu preparer, ce que j'aime a ne pas croire, le poison de la calomnie contre moi, pour le faire circuler pendant l'intervalle qui s'ecoulera entre sa denonciation et le rapport general qui doit vous etre fait sur cette affaire, je n'examine pas maintenant ses intentions. Mais que vous a-t-il dit? Qu'a mon retour de la Belgique, je ne me suis pas presente au Comite de defense generale; il en a menti: plusieurs de mes collegues m'ont cru arrive vingt-quatre heures avant mon retour effectif, pensant que j'etais parti le jour meme de l'arrete de la commission; je ne suis arrive que le vendredi 29, a huit heures du soir. Fatigue de ma course et du sejour que j'ai fait a l'armee, on ne pouvait exiger que je me transportasse immediatement au comite. Je sais que les soupcons de l'inculpation m'ont precede. On a represente vos commissaires comme les causes de la desorganisation de l'armee. Nous, desorganisateurs! nous, qui avons rallie les soldats francais, nous, qui avons fait deloger l'ennemi de plusieurs postes importants! Ah! sans doute tel a dit que nous etions venus pour sonner l'alarme, qui, s'il eut ete temoin de notre conduite, vous aurait dit que nous etions faits pour braver le canon autrichien, comme nous braverons les complots et les calomnies des ennemis de la liberte. J'en viens a la premiere inculpation de Lasource. En arrivant, je n'etais pas meme instruit qu'il dut y avoir comite ce jour-la. Me fera-t-on un crime d'avoir ete retenu quelques heures chez moi pour reparer mes forces affaiblies par le voyage et par la necessite de manger? Des le lendemain, je suis alle au comite; et quand on vous a dit que je n'y ai donne que de faibles details, on a encore menti. J'adjure tous mes collegues qui etaient presents a cette seance: j'ai dit que Dumouriez regardait la Convention comme un compose de trois cents hommes stupides et de quatre cents scelerats. "Que peut faire pour la Republique, ai-je ajoute, un homme dont l'imagination est frappee de pareilles idees? Arrachons-le a son armee." (_L'orateur se tournant vers l'extremite gauche de la salle_.) N'est-ce pas cela que j'ai dit? (_Plusieurs voix._--Oui! oui!) II y a plus. Camus, qu'on ne soupconnera pas d'etre mon partisan individuel, a fait un recit qui a coupe le mien; et ici j'adjure encore mes collegues. Il a fait un rapport dont les details se sont trouves presque identiques avec le mien. (_Plusieurs voix._--Cela est vrai!) Ainsi, il est resulte de ce que nous avons dit en commun un rapport effectif au comite. Lasource trouve etrange que je sois reste a Paris, tandis que ma mission me rappelait dans la Belgique; il cherche a faire croire a des intelligences entre Delacroix et moi, dont l'un serait reste a l'armee, et l'autre a Paris, pour diriger a la fois les deux fils de la conspiration. Lasource n'est pas de bonne foi; Lasource sait bien que je ne devais partir qu'autant que j'aurais des mesures a porter avec moi; que j'avais demande et declare que je voulais rendre compte a la Convention de ce que je savais. Il n'y a donc dans ma presence ici aucun rapport avec les evenements de la Belgique, aucun delit, rien qui puisse faire soupconner une connivence. Lasource vous a dit: "Danton et Delacroix ont proclame que, si un decret d'accusation etait porte contre Dumouriez, il s'executerait, et qu'il suffirait que le decret fut connu par les papiers publics pour que l'armee l'executat elle-meme. Comment donc ces memes commissaires n'ont-ils pas fait arreter Dumouriez?...." Je ne nie pas le propos cite par Lasource; mais avions-nous ce decret d'accusation dont j'ai parle? Pouvions-nous prendre la resolution d'enlever Dumouriez; lorsque nous n'etions a l'armee que Delacroix et moi, lorsque la commission n'etait pas rassemblee? Nous nous sommes rendus vers la commission, et c'est elle qui a exige que Delacroix retournat vers l'etat-major, et qui a juge qu'il y aurait du danger, pour la retraite meme de l'armee, a enlever Dumouriez. Comment se fait il donc qu'on me reproche, a moi individu, ce qui est du fait de la commission? La correspondance des commissaires prouve qu'ils n'ont pu se saisir de l'individu Dumouriez. Qu'auraient-ils donc fait en notre place, ceux qui nous accusent? eux qui ont signe des taxes, quoiqu'il y eut un decret contraire. (_On applaudit dans une grande partie de l'Assemblee_.) Je dois dire un fait qui s'est passe dans le Comite meme de defense generale. C'est que, lorsque je declarai que je croyais du danger a ce qu'on lut la lettre de Dumouriez, et a s'exposer d'engager un combat au milieu d'une armee en retraite, en presence de l'ennemi, je proposai cependant des mesures pour que l'on parvint a se saisir du general, au moment ou on pourrait le faire sans inconvenient. Je demandai que les amis meme de Dumouriez, que Guadet, Gensonne se rendissent a l'armee; que, pour lui oter toute defiance, les commissaires fussent pris dans les deux partis de la Convention, et que par la il fut prouve en meme temps que, quelles que soient les passions qui vous divisent, vous etes unanimes pour ne jamais consentir a recevoir la loi d'un seul homme. (_On applaudit._) Ou nous le guerirons momentanement, leur disais-je, ou nous le garrotterons. Je demande si l'homme qui proferait ces paroles peut etre accuse d'avoir eu des _menagements_ pour Dumouriez. Quels sont ceux qui ont pris constamment des menagements? Qu'on consulte les canaux de l'opinion, qu'on examine ce qu'on disait partout, par exemple dans le journal qui s'intitule _Patriote-francais_. On y disait que Dumouriez etait _loin d'associer ses lauriers aux cypres du 2 septembre_. C'est contre moi qu'on excitait Dumouriez. Jamais on n'a eu la pensee de nous associer dans les memes complots; nous ne voulions pas prendre sur nous la responsabilite de l'enlevement de Dumouriez; mais je demande si l'on ne m'a pas vu dejouer constamment la politique de ce general, ses projets de finances, les projets d'ambition qu'il pouvait avoir sur la Belgique; je les ai constamment mis a jour. Je le demande a Cambon; il dira, par exemple, la conduite que j'ai tenue relativement aux 300.000 livres de depenses qui ont ete secretement faites dans la Belgique. Et aujourd'hui, parce que j'ai ete trop sage et trop circonspect, parce qu'on a eu l'art de repandre que j'avais un parti, que je voulais etre _dictateur_, parce que je n'ai pas voulu, en repondant a mes adversaires, produire de trop rudes combats, occasionner des dechirements dans cette assemblee, on m'accuse de mepriser et d'avilir la Convention. Avilir la Convention! Et qui plus que moi a constamment cherche a relever sa dignite, a fortifier son autorite? N'ai-je pas parle de mes ennemis meme avec une sorte de respect? (_Se tournant vers la partie droite._) Je vous interpelle, vous qui m'accusez sans cesse.... PLUSIEURS VOIX.--Tout a l'heure vous venez de prouver votre respect. Tout a l'heure, cela est vrai; ce que vous me reprochez est exact; mais pourquoi ai-je abandonne le systeme du silence et de la moderation? parce qu'il est un terme a la prudence, parce que quand on se sent attaque par ceux-la memes qui devraient s'applaudir de ma circonspection, il est permis d'attaquer a son tour et de sortir des limites de la patience. (_On applaudit dans une grande partie de l'Assemblee._) Mais comment se fait-il que l'on m'impute a crime la conduite d'un de mes collegues? Oui, sans doute, j'aime Delacroix; on l'inculpe parce qu'il a eu le bon esprit de ne pas partager, je le dis franchement, je le tiens de lui, parce qu'il n'a pas voulu partager les vues et les projets de ceux qui ont cherche a sauver le tyran. (_De violents murmures s'elevent dans la partie droite.--Les plus vifs applaudissements eclatent dans une grande partie du cote oppose et dans les tribunes._) Quelques voix s'elevent pour demander que Danton soit rappele a l'ordre. DUHEM.--Oui, c'est vrai, on a conspire chez Roland, et je connais le nom des conspirateurs. MAURE.--C'est Barbaroux, c'est Brissot, c'est Guadet. DANTON.--Parce que Delacroix s'est ecarte du federalisme et du systeme perfide de l'appel au peuple; parce que, lorsque apres l'epoque de la mort de Lepeletier, on lui demanda s'il voulait que la Convention quittat Paris, il fit sa profession de foi, en repondant: "J'ai vu qu'on a arme de preventions tous les departements contre Paris, je ne suis pas des votres." On a inculpe Delacroix, parce que, patriote courageux, sa maniere de voter dans l'Assemblee a toujours ete consequente a la conduite qu'il a tenue dans la grande affaire du tyran. Il semble aujourd'hui que, moi, j'en aie fait mon second en conjuration. Ne sont-ce pas la les consequences, les apercus jetes en avant par Lasource? (_Plusieurs voix a la droite de la tribune:_ Oui, oui!--_Une autre voix_: Ne parlez pas tant, mais repondez!) Eh! que voulez-vous que je reponde? J'ai d'abord refute pleinement les details de Lasource: j'ai demontre que j'avais rendu au Comite de defense generale le compte que je lui devais, qu'il y avait identite entre mon rapport et celui de Camus qui n'a ete qu'un prolongement du mien; que, si Dumouriez n'a pas ete deja amene pieds et poings lies a la Convention, ce menagement n'est pas de mon fait. J'ai repondu enfin assez pour satisfaire tout homme de bonne foi (_plusieurs voix dans l'extremite gauche_: Oui, oui!); et certes, bientot je tirerai la lumiere de ce chaos. Les verites s'amoncelleront et se derouleront devant vous. Je ne suis pas en peine de ma justification. Mais tout en applaudissant a cette commission que vous venez d'instituer, je dirai qu'il est assez etrange que ceux qui ont fait la reunion contre Dumouriez; qui, tout en rendant hommage a ses talents militaires, ont combattu ses opinions politiques, se trouvent etre ceux contre lesquels cette commission parait etre principalement dirigee. Nous, vouloir un roi! Encore une fois, les plus grandes verites, les plus grandes probabilites morales restent seules pour les nations. Il n'y a que ceux qui ont eu la stupidite, la lachete de vouloir menager un roi qui peuvent etre soupconnes de vouloir retablir un trone; il n'y a, au contraire, que ceux qui constamment ont cherche a exasperer Dumouriez contre les societes populaires et contre la majorite de la Convention; il n'y a que ceux qui ont presente notre empressement a venir demander des secours pour une armee delabree comme une pusillanimite; il n'y a que ceux qui ont manifestement voulu punir Paris de son civisme, armer contre lui les departements.... (_Un grand nombre de membres se levant, et indiquant du geste la partie droite_: Oui, oui, ils l'ont voulu!) MARAT.--Et leurs petits soupers! DANTON.--Il n'y a que ceux qui ont fait des soupers clandestins avec Dumouriez quand il etait a Paris.... (_On applaudit dans une grande partie de la salle._) MARAT.--Lasource!.... Lasource en etait.... Oh! je denoncerai tous les traitres. DANTON.--Oui, eux seuls sont les complices de la conjuration. (_De vifs applaudissements s'elevent a l'extremite gauche et dans les tribunes._) Et c'est moi qu'on accuse!.... moi!.... Je ne crains rien de Dumouriez, ni de tous ceux avec qui j'ai ete en relation. Que Dumouriez produise une seule ligne de moi qui puisse donner lieu a l'ombre d'une inculpation, et je livre ma tete. MARAT.--Il a vu les lettres de Gensonne.... C'est Gensonne qui etait en relation intime avec Dumouriez. GENSONNE.--Danton, j'interpelle votre bonne foi. Vous avez dit avoir vu la minute de mes lettres, dites ce qu'elles contenaient. DANTON.--Je ne parle pas textuellement de vos lettres, je n'ai point parle de vous; je reviens a ce qui me concerne. J'ai, moi, quelques lettres de Dumouriez: elles prouveront qu'il a ete oblige de me rendre justice; elles prouveront qu'il n'y avait nulle identite entre son systeme politique et le mien: c'est a ceux qui ont voulu le federalisme.... PLUSIEURS VOIX.--Nommez-les! MARAT (_se tournant vers les membres de la partie droite_).--Non, vous ne parviendrez pas a egorger la patrie! DANTON.--Voulez-vous que je dise quels sont ceux que je designe? UN GRAND NOMBRE DE VOIX.--Oui, oui! DANTON.--Ecoutez! MARAT (_se tournant vers la partie droite_).--Ecoutez! DANTON.--Voulez-vous entendre un mot qui paye pour tous? LES MEMES CRIS S'ELEVENT.--Oui, oui! DANTON.--Eh bien! je crois qu'il n'est plus de treve entre la Montagne, entre les patriotes qui ont voulu la mort du tyran et les laches qui, en voulant le sauver, nous ont calomnies dans la France. (_Un grand nombre de membres de la partie gauche se levent simultanement, et applaudissent.--Plusieurs voix se font entendre_: Nous sauverons la patrie!) Eh! qui pourrait se dispenser de proferer ces verites, quand, malgre la conduite immobile que j'ai tenue dans cette assemblee; quand vous representez ceux qui ont le plus de sang-froid et de courage comme des ambitieux; quand, tout en semblant me caresser, vous me couvrez de calomnies; quand beaucoup d'hommes, qui me rendent justice individuellement, me presentent a la France entiere dans leur correspondance comme voulant ruiner la liberte de mon pays? Cent projets absurdes de cette nature ne m'ont-ils pas ete successivement pretes? Mais jamais la calomnie n'a ete consequente dans ses systemes, elle s'est repliee de cent facons sur mon compte, cent fois elle s'est contredite. Des le commencement de la Revolution, j'avais fait mon devoir, et vous vous rappelez que je fus alors calomnie, j'ai ete de quelque utilite a mon pays, lorsqu'a la revolution du 10 aout, Dumouriez lui-meme reconnait que j'avais apporte du courage dans le conseil, et que je n'avais pas peu contribue a nos succes. Aujourd'hui les homelies miserables d'un vieillard cauteleux, reconnu tel, ont ete le texte de nouvelles inculpations; et puisqu'on veut des faits, je vais vous en dire sur Roland. Tel est l'exces de son delire, et Garat lui-meme m'a dit que ce vieillard avait tellement perdu la tete, qu'il ne voyait que la mort; qu'il croyait tous les citoyens prets a la frapper; qu'il dit un jour, en parlant de son ami, qu'il avait lui-meme porte au ministere: _Je ne mourrai que de la main de Pache, depuis qu'il se met a la tete des factieux de Paris...._ Eh bien! quand Paris perira, il n'y aura plus de Republique. Paris est le centre constitue et naturel de la France libre. C'est le centre des lumieres. On nous accuse d'etre les factieux de Paris. Eh bien! nous avons deroule notre vie devant la nation, elle a ete celle d'hommes qui ont marche d'un pas ferme vers la revolution. Les projets criminels qu'on m'impute, les epithetes de scelerats, tout a ete prodigue contre nous, et l'on espere maintenant nous effrayer? Oh! non. (_De vifs applaudissements eclatent dans l'extremite gauche de la salle; ils sont suivis de ceux des tribunes.--Plusieurs membres demandent qu'elles soient rappelees au respect qu'elles doivent a l'Assemblee._) Eh bien! les tribunes de Marseille ont aussi applaudi a la Montagne.... J'ai vu depuis la Revolution, depuis que le peuple francais a des representants, j'ai vu se repeter les miserables absurdites que je viens d'entendre debiter ici. Je sais que le peuple n'est pas dans les tribunes, qu'il ne s'y en trouve qu'une petite portion, que les Maury, les Cazales et tous les partisans du despotisme calomniaient aussi les citoyens des tribunes. Il fut un temps ou vous vouliez une garde departementale. (_Quelques murmures se font entendre._) On voulait l'opposer aux citoyens egares par la faction de Paris. Eh bien! vous avez reconnu que ces memes citoyens des departements, que vous appeliez ici, lorsqu'ils ont ete a leur tour places dans les tribunes, n'ont pas manifeste d'autres sentiments que le peuple de Paris, peuple instruit, peuple qui juge bien ceux qui le servent (_On applaudit dans les tribunes et dans une tres grande partis de l'Assemblee_); peuple qui se compose de citoyens pris dans tous les departements; peuple exerce aussi a discerner quels sont ceux qui prostituent leurs talents; peuple qui voit bien que qui combat avec la Montagne ne peut pas servir les projets d'Orleans. (_Memes applaudissements._) Le projet lache et stupide qu'on avait concu d'armer la fureur populaire contre les Jacobins, contre vos commissaires, contre moi, parce que j'avais annonce que Dumouriez avait des talents militaires, et qu'il avait fait un coup de genie en accelerant l'entreprise de la Hollande: ce projet vient sans doute de ceux qui ont voulu faire massacrer les patriotes; car il n'y a que les patriotes qu'on egorge. UN GRAND NOMBRE DE VOIX.--Oui, oui. MARAT.--Lepeletier et Leonard Bourdon. DANTON.--Eh bien! leurs projets seront toujours decus, le peuple ne s'y meprendra pas. J'attends tranquillement et impassiblement le resultat de cette commission. Je me suis justifie de l'inculpation de n'avoir pas parle de Dumouriez. J'ai prouve que j'avais le projet d'envoyer dans la Belgique une commission composee de tous les partis pour se saisir, soit de l'esprit, soit de la personne de Dumouriez. MARAT.--Oui, c'etait bon, envoyez-y Lasource? DANTON.--J'ai prouve, puisqu'on me demande des preuves pour repondre a de simples apercus de Lasource que, si je suis reste a Paris, ce n'a ete en contravention a aucun de vos decrets. J'ai prouve qu'il est absurde de dire que le sejour prolonge de Delacroix dans la Belgique etait concerte avec ma presence ici, puisque l'un et l'autre nous avons suivi les ordres de la totalite de la commission; que, si la commission est coupable, il faut s'adresser a elle et la juger sur des pieces apres l'avoir entendue; mais qu'il n'y a aucune inculpation individuelle a faire contre moi. J'ai prouve qu'il etait lache et absurde de dire que moi, Danton, j'ai recu cent mille ecus pour travailler la Belgique. N'est-ce pas Dumouriez qui, comme Lasource, m'accuse d'avoir opere a coups de sabre la reunion? Ce n'est pas moi qui ai dirige les depenses qu'a entrainees l'execution du decret du 13 decembre. Ces depenses ont ete necessitees pour dejouer les pretres fanatiques qui salariaient le peuple malheureux; ce n'est pas a moi qu'il faut en demander compte, c'est a Lebrun. CAMBON.--Ces cent mille ecus sont tout simplement les depenses indispensablement necessaires pour l'execution du decret du 15 decembre. DANTON.--Je prouverai subsequemment que je suis un revolutionnaire immuable, que je resisterai a toutes les atteintes, et je vous prie, citoyens (_se tournant vers les membres de la partie gauche_), d'en accepter l'augure. J'aurai la satisfaction de voir la nation entiere se lever en masse pour combattre les ennemis exterieurs, et en meme temps pour adherer aux mesures que vous avez decretees sur mes propositions. A-t-on pu croire un instant, a-t-on eu la stupidite de croire que, moi, je me sois coalise avec Dumouriez? Contre qui Dumouriez s'eleve-t-il? Contre le tribunal revolutionnaire: c'est moi qui ai provoque l'etablissement de ce tribunal. Dumouriez veut dissoudre la Convention. Quand on a propose, dans le meme objet, la convocation des assemblees primaires, ne m'y suis-je pas oppose? Si j'avais ete d'accord avec Dumouriez, aurais-je combattu ses projets de finances sur la Belgique? Aurais-je dejoue son projet de retablissement des trois Etats? Les citoyens de Mons, de Liege, de Bruxelles, diront si je n'ai pas ete redoutable aux aristocrates, autant execre par eux qu'ils meritent de l'etre: ils vous diront qui servait les projets de Dumouriez, de moi ou de ceux qui le vantaient dans les papiers publics, ou de ceux qui exageraient les troubles de Paris, et publiaient que des massacres avaient lieu dans la rue des Lombards. Tous les citoyens vous diront: quel fut son crime? c'est d'avoir defendu Paris. A qui Dumouriez declare-t-il la guerre? aux societes populaires. Qui de nous a dit que sans les societes populaires, sans le peuple en masse, nous ne pourrions nous sauver? De telles mesures coincident-elles avec celles de Dumouriez, ou la complicite ne serait-elle pas plutot de la part de ceux qui ont calomnie a l'avance les commissaires pour faire manquer leur mission? (_Applaudissements._) Qui a presse l'envoi des commissaires? Qui a accelere le recrutement, le completement des armees. C'est moi! moi, je le declare a toute la France, qui ai le plus puissamment agi sur ce completement. Ai-je, moi, comme Dumouriez, calomnie les soldats de la liberte qui courent en foule pour recueillir les debris de nos armees? N'ai-je pas dit que j'avais vu ces hommes intrepides porter aux armees le civisme qu'ils avaient puise dans l'interieur? N'ai-je pas dit que cette portion de l'armee, qui, depuis qu'elle habitait sur une terre etrangere, ne montrait plus la meme vigueur, reprendrait, comme le geant de la fable, en posant le pied sur la terre de la liberte, toute l'energie republicaine? Est-ce la le langage de celui qui aurait voulu tout desorganiser? N'ai-je pas montre la conduite d'un citoyen qui voulait vous tenir en mesure contre toute l'Europe? Qu'on cesse donc de reproduire des fantomes et des chimeres qui ne resisteront pas a la lumiere et aux explications. Je demande que la commission se mette sur-le-champ en activite, qu'elle examine la conduite de chaque depute depuis l'ouverture de la Convention. Je demande qu'elle ait caractere surtout pour examiner la conduite de ceux qui, posterieurement au decret pour l'indivisibilite de la Republique, ont manoeuvre pour la detruire; de ceux qui, apres la rejection de leur systeme pour l'appel au peuple, nous ont calomnies; et si, ce que je crois, il y a ici une majorite vraiment republicaine, elle en fera justice. Je demande qu'elle examine la conduite de ceux qui ont empoisonne l'opinion publique dans tous les departements. On verra ce qu'on doit penser de ces hommes qui ont ete assez audacieux pour notifier a une administration qu'elle devait arreter des commissaires de la Convention; de ces hommes qui ont voulu constituer des citoyens, des administrateurs, juges des deputes que vous avez envoyes dans les departements pour y rechauffer l'esprit public et y accelerer le recrutement. On verra quels sont ceux qui, apres avoir ete assez audacieux pour transiger avec la royaute, apres avoir desespere, comme ils en sont convenus, de l'energie populaire, ont voulu sauver les debris de la royaute! car on ne peut trop le repeter, ceux qui ont voulu sauver l'individu, ont par la meme eu intention de donner de grandes esperances au royalisme. (_Applaudissements d'une grande partie de l'Assemblee._) Tout s'eclaircira; alors on ne sera plus dupe de ce raisonnement par lequel on cherche a insinuer qu'on n'a voulu detruire un trone que pour en etablir un autre. Quiconque aupres des rois est convaincu d'avoir voulu frapper un d'eux, est pour tous un ennemi mortel. UNE VOIX.--Et Cromwell?.... (_Des murmures s'elevent dans une partie de l'Assemblee._) DANTON, _se tournant vers l'interlocuteur._--Vous etes bien scelerat de me dire que je ressemble a Cromwell. Je vous cite devant la nation. (_Un grand nombre de voix s'elevent simultanement pour demander que l'interrupteur soit censure; d'autres, pour qu'il soit envoye a l'Abbaye._) Oui, je demande que le vil scelerat qui a eu l'impudeur de dire que je suis un Cromwell soit puni, qu'il soit traduit a l'Abbaye. (_On applaudit._) Et si, en dedaignant d'insister sur la justice que j'ai le droit de reclamer, si je poursuis mon raisonnement, je dis que, quand j'ai pose en principe que quiconque a frappe un roi a la tete, devient l'objet de l'execration de tous les rois, j'ai etabli une verite qui ne pourrait etre contestee. (_Plusieurs voix_--C'est vrai!) Eh bien! croyez-vous que ce Cromwell dont vous me parlez ait ete l'ami des rois? UNE VOIX.--Il a ete roi lui-meme! DANTON.--Il a ete craint, parce qu'il a ete le plus fort. Ici ceux qui ont frappe le tyran de la France seront craints aussi. Ils seront d'autant plus craints que la liberte s'est engraissee du sang du tyran. Ils seront craints, parce que la nation est avec eux. Cromwell n'a ete souffert par les rois que parce qu'il a travaille avec eux. Eh bien! je vous interpelle tous. (_Se tournant vers les membres de la partie gauche._) Est-ce la terreur, est-ce l'envie d'avoir un roi qui vous a fait proscrire le tyran? (_L'Assemblee presque unanime_: Non, non!) Si donc ce n'est que le sentiment profond de vos devoirs qui a dicte mon arret de mort, si vous avez cru sauver le peuple, et faire en cela ce que la nation avait droit d'attendre de ses mandataires, ralliez-vous (_S'adressant a la meme partie de l'Assemblee_), vous qui avez prononce l'arret du tyran contre les laches (_indignant du geste les membres de la partie droite_) qui ont voulu l'epargner (_Une partie de l'Assemblee applaudit_); serrez-vous; appelez le peuple a se reunir en armes contre l'ennemi du dehors, et a ecraser celui du dedans, et confondez, par la vigueur et l'immobilite de votre caractere, tous les scelerats, tous les moderes (_L'orateur, s'adressant toujours a la partie gauche, et indiquant quelquefois du geste les membres du cote oppose_), tous ceux qui vous ont calomnies dans les departements. Plus de composition avec eux! ( _Vifs applaudissements d'une grande partie de l'Assemblee et des tribunes._) Reconnaissez-le tous, vous qui n'avez jamais su tirer de votre situation politique dans la nation le parti que vous auriez pu en tirer; qu'enfin justice vous soit rendue. Vous voyez, par la situation ou je me trouve en ce moment, la necessite ou vous etes d'etre fermes, et de declarer la guerre a tous vos ennemis, quels qu'ils soient. (_Memes applaudissements_) Il faut former une phalange indomptable. Ce n'est pas vous, puisque vous aimez les societes populaires et le peuple, ce n'est pas vous qui voudrez un roi. (_Les applaudissements recommencent._--Non, non!_s'ecrie-t-on avec force dans la grande majorite de l'Assemblee._) C'est a vous a en oter l'idee a ceux qui ont machine pour conserver l'ancien tyran. Je marche a la Republique; marchons-y de concert, nous verrons qui de nous ou de nos detracteurs atteindra le but. Apres avoir demontre que, loin d'avoir ete jamais d'accord avec Dumouriez, il nous accuse textuellement d'avoir fait la reunion a coups de sabre, qu'il a dit publiquement qu'il nous ferait arreter, qu'il etait impossible a Delacroix et a moi, qui ne sommes pas la commission, de l'arracher a son armee; apres avoir repondu a tout; apres avoir rempli cette tache de maniere a satisfaire tout homme sense et de bonne foi, je demande que la commission des six, que vous venez d'instituer, examine non seulement la conduite de ceux qui vous ont calomnies, qui ont machine contre l'indivisibilite de la Republique, mais de ceux encore qui ont cherche a sauver le tyran (_Nouveaux applaudissements d'une partie de l'Assemblee et des tribunes_), enfin de tous les coupables qui ont voulu ruiner la liberte, et l'on verra si je redoute les accusateurs. Je me suis retranche dans la citadelle de la raison; j'en sortirai avec le canon de la verite, et je pulveriserai les scelerats qui ont voulu m'accuser. (_Danton descend de la tribune au milieu des plus vifs applaudissements d'une tres grande partie de l'Assemblee et des citoyens. Plusieurs membres de l'extremite gauche se precipitent vers lui pour l'embrasser. Les applaudissements se prolongent._) XX SUR LE COMITE DE SALUT PUBLIC (3 avril 1793) Dans la seance permanente de la Convention, commencee le mercredi 3 avril, au matin, Isnard proposa, au nom du Comite de defense generale, la creation d'un nouveau comite d'execution compose de neuf membres charges de remplir les fonctions qui etaient attribuees au Conseil executif, et de prendre toutes les mesures de defense generale que pouvaient necessiter les circonstances. Danton, tout en adoptant le principe, en fit renvoyer le projet de decret au lendemain. Dans sa seance du vendredi 5 avril, la Convention elut les neuf membres de ce premier Comite de Salut public: Barere, Delmas, Breard, Cambon, Jean Debry, Danton, Guyton, Treilhard, Lacroix (_Moniteur_, no. 98). * * * * * Je demande aussi la parole pour une motion d'ordre. Quelle qu'ait ete la divergence des opinions, il n'en est pas moins vrai que la majorite de la Convention veut la Republique. Nous voulons repousser et aneantir la conjuration des rois; nous sentons que telle est la nature des circonstances, telle est la grandeur du peril qui nous menace, qu'il nous faut un developpement extraordinaire de forces et de mesures de salut public; nous cherchons a etablir une agence funeste pour les rois; nous sentons que, pour creer des armees, trouver de nouveaux chefs, il faut un pouvoir nouveau toujours dans la main de la Convention, et qu'elle puisse aneantir a volonte; mais je pense que ce plan doit etre medite, approfondi. Je crois qu'une Republique, tout en proscrivant les dictateurs et les triumvirs, n'en a pas moins le pouvoir et meme le devoir de creer une autorite terrible. Telle est la violence de la tempete qui agite le vaisseau de l'Etat, qu'il est impossible pour le sauver, d'agir avec les seuls principes de l'art. Ecartons toute idee d'usurpation. Eh! qui donc pourrait etre usurpateur? Vous voyez que cet homme qui avait remporte quelques victoires va appeler contre lui toutes les forces des Francais. Deja le departement ou il est ne demande sa tete. Rapprochons-nous, rapprochons-nous fraternellement; il y va du salut de tous. Si la conjuration triomphe, elle proscrira tout ce qui aura porte le nom de patriote, quelles qu'ai en ete les nuances. Je demande le renvoi du projet de decret, et l'ajournement a demain. XXI SUR LE PRIX DU PAIN (5 avril 1793) Sur la proposition de Lacroix (de l'Eure) la Convention decida, dans sa seance du vendredi 5 avril, de ne plus admettre aucun ci-devant privilegie, soit comme officier, soit comme volontaire, dans les armees revolutionnaires. Danton demanda la creation d'une garde nationale payee par la nation, comme suite logique du precedent decret. A cette proposition il ajouta celle de l'abaissement du prix du pain. "Ces deux propositions, dit le Moniteur (n deg. 99), sont adoptees au milieu des applaudissements de toute l'Assemblee." * * * * * Le decret que vous venez de rendre annoncera a la nation et a l'univers entier quel est le grand moyen d'eterniser la Republique; c'est d'appeler le peuple a sa defense. Vous allez avoir une armee de sans-culottes; mais ce n'est pas assez; il faut que, tandis que vous irez combattre les ennemis de l'exterieur, les aristocrates de l'interieur soient mis sous la pique des sans-culottes. Je demande qu'il soit cree une garde du peuple qui sera salariee par la nation. Nous serons bien defendus, quand nous le serons par les sans-culottes. J'ai une autre proposition a faire; il faut que dans toute la France le prix du pain soit dans une juste proportion avec le salaire du pauvre: ce qui excedera sera paye par le riche (_On applaudit_). Par ce seul decret, vous assurerez au peuple et son existence et sa dignite; vous l'attacherez a la revolution; vous acquerrez son estime et son amour. Il dira: nos representants nous ont donne du pain; ils ont plus fait qu'aucun de nos anciens rois. Je demande que vous mettiez aux voix les deux propositions que j'ai faites, et qu'elles soient renvoyees au Comite pour vous en presenter la redaction. XXII SUR LE DROIT DE PETITION DU PEUPLE (10 avril 1793) Ce discours de Danton fut la reponse a une motion de Petion tendant a traduire en tribunal revolutionnaire le president et les secretaires de la Section de la Halle-aux-Bles. Cette section avait demande, par une petition repandue dans Paris, le decret d'accusation contre Roland. * * * * * C'est une verite incontestable, que vous n'avez pas le droit d'exiger du peuple ou d'une portion du peuple plus de sagesse que vous n'en avez vous-memes. Le peuple n'a-t-il pas le droit de sentir des bouillonnements qui le conduisent a un delire patriotique, lorsque cette tribune semble continuellement etre une arene de gladiateurs? N'ai-je pas ete moi-meme, tout a l'heure, assiege a cette tribune? Ne m'a-t-on pas dit que je voulais etre dictateur?.... Je vais examiner froidement le projet de decret presente par Petion; je n'y mettrai aucune passion, moi; je conserverai mon immobilite, quels que soient les flots d'indignation qui me pressent en tous sens. Je sais quel sera le denouement de ce grand drame; le peuple restera libre; je veux la Republique, je prouverai que je marche constamment a ce but. La proposition de Petion est insignifiante. On sait que dans plusieurs departements on a demande tour a tour la tete des membres qui siegeaient dans l'un ou l'autre des cotes de la salle. N'a-t-on pas aussi demande la mienne? Tous les jours il arrive des petitions plus ou moins exagerees; mais il faut les juger par le fond. J'en appelle a Petion lui-meme. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il se trouve dans les orages populaires. Il sait bien que lorsqu'un peuple brise sa monarchie pour arriver a la Republique, il depasse son but par la force de projection qu'il s'est donnee. Que doit faire la representation nationale. Profiter de ces exces memes. Dans la premiere Assemblee constituante, Marat n'etait ni moins terrible aux aristocrates, ni moins odieux aux moderes. Eh bien! Marat y trouva des defenseurs; il disait aussi que la majorite etait mauvaise, et elle l'etait. Ce n'est pas que je croie qu'il en soit de meme de cette assemblee. Mais que devez-vous repondre au peuple quand il vous dit des verites severes? Vous devez lui repondre en sauvant la Republique. Et depuis quand vous doit-on des eloges? Etes-vous a la fin de votre mission? On parle des calomniateurs: la calomnie dans un Etat vraiment libre n'est rien pour l'homme qui a conscience intime de son devoir. Encore une fois, tout ce qui a rapport a la calomnie ne peut etre la base d'une deliberation dans la Convention. Il existe des lois, des tribunaux; que ceux qui croient devoir poursuivre cette adresse, l'y poursuivent. Oui, je le declare, vous seriez indignes de votre mission, si vous n'aviez pas constamment devant les yeux ces grands objets: vaincre les ennemis, retablir l'ordre dans l'interieur, et faire une bonne constitution. Nous la voulons tous, la France la veut; elle sera d'autant plus belle qu'elle sera nee au milieu des orages de la liberte; ainsi un peuple de l'antiquite construisait ses murs, en tenant d'une main la truelle, et de l'autre l'epee pour repousser les ennemis. N'allons pas nous faire la guerre, animer les sections, les mettre en deliberation sur des calomnies, tandis que nous devons concentrer leur energie pour la diriger contre les Autrichiens.... Que l'on ne vienne donc plus nous apporter des denonciations exagerees, comme si l'on craignait la mort. Voila l'exemple que vous donnez! Vous voulez sevir contre le peuple, et vous etes plus virulents que lui! Je demande la question prealable et le rapport du Comite de Salut public. XXIII SUR LA PEINE DE MORT CONTRE CEUX QUI TRANSIGENT AVEC L'ENNEMI (13 avril 1793) Robespierre demanda, dans la seance du 13 avril, de decreter la peine de mort contre quiconque proposerait, de quelque maniere que ce soit, de transiger avec les ennemis. Danton appuya Robespierre tout en presentant une autre redaction que la Convention adopta dans la meme seance, malgre l'opposition de Barbaroux. * * * * * Il faut bien saisir le veritable objet de la motion qui vient d'etre faite, et ne pas lui donner une etendue que n'a pas voulu lui attribuer son auteur. Je demande qu'elle soit ainsi posee: "La peine de mort est decretee contre quiconque proposerait a la Republique de transiger avec des ennemis qui, pour preliminaire, ne reconnaitraient pas la souverainete du peuple." II est temps, citoyens, que la Convention nationale fasse connaitre a l'Europe que la France sait allier a la politique les vertus republicaines. Vous avez rendu, dans un moment d'enthousiasme, un decret dont le motif etait beau sans doute, puisque vous vous etes obliges a donner protection aux peuples qui voudraient resister a l'oppression de leurs tyrans. Ce decret semblerait vous engager a secourir quelques patriotes qui voudraient faire une revolution en Chine. Il faut, avant tout, songer a la conservation de notre corps politique, et fonder la grandeur francaise. Que la Republique s'affermisse, et la France, par ses lumieres et son energie, fera attraction sur tous les peuples. Mais voyez ce que votre position a d'avantageux malgre les revers que nous avons eprouves. La trahison de Dumouriez nous donne l'occasion de faire un nouveau scrutin epuratoire de l'armee. L'ennemi va etre force de reconnaitre que la nation veut absolument la liberte, puisqu'un general victorieux qui avait promis a nos ennemis de leur livrer et son armee tout entiere et une partie de la nation ne leur a porte que son _miserable individu_. Citoyens, c'est le genie de la liberte qui a lance le char de la revolution. Le peuple tout entier le tire, et il s'arretera aux termes de la raison. Decretons que nous ne nous melerons pas de ce qui se passe chez nos voisins; mais decretons aussi que la Republique vivra, et condamnons a mort celui qui proposerait une transaction autre que celle qui aurait pour base les principes de notre liberte. XXIV SUR LA TOLERANCE DES CULTES (19 avril 1793) A propos de la discussion sur l'article IX de la Declaration des droits de l'homme [Note: Cet article etait ainsi concu: "Tout homme est libre dans l'exercice de son culte." (_Moniteur_, n deg. 111.)], lu par Barere, dans la seance du vendredi 19 avril, Danton prit la parole apres quelques mots de Vergniaud. * * * * * Rien ne doit plus nous faire prejuger le salut de la patrie que la disposition actuelle. Nous avons paru divises entre nous, mais au moment ou nous nous occupons du bonheur des hommes nous sommes d'accord. Vergniaud vient de vous dire de bien grandes et d'eternelles verites. L'Assemblee constituante, embarrassee par un roi, par les prejuges qui enchainaient encore la nation, par l'intolerance qui s'etait etablie, n'a pu heurter de front les principes recus, et a fait encore beaucoup pour la liberte en consacrant celui de la tolerance. Aujourd'hui le terrain de la liberte est deblaye, nous devons au peuple francais de donner a son gouvernement des bases eternelles et pures! Oui! nous leur dirons: Francais, vous avez la liberte d'adorer la divinite qui vous parait digne de vos hommages; la liberte de culte que vos lois peuvent avoir pour objet ne peut etre que la liberte de la reunion des individus assembles pour rendre, a leur maniere, hommage a la divinite. Une telle liberte ne peut etre atteinte que par des lois reglementaires et de police; or, sans doute, vous ne voudrez pas inserer dans une declaration des droits une loi reglementaire. Le droit de la liberte du culte, droit sacre, sera protege par vos lois, qui, en harmonie avec les principes, n'auront pour but que de les garantir. La raison humaine ne peut retrograder; nous sommes trop avances pour que le peuple puisse croire n'avoir pas la liberte de son culte, parce qu'il ne verra pas le principe de cette liberte grave sur la table de vos lois. Si la superstition semble encore avoir quelque part aux mouvements qui agitent la Republique, c'est que la politique de nos ennemis l'a toujours employee; mais regardez que partout le peuple, degage des impulsions de la malveillance, reconnait que quiconque veut s'interposer entre lui et la divinite est un imposteur. Partout on a demande la deportation des pretres fanatiques et rebelles. Gardez-vous de mal presumer de la raison nationale; gardez-vous d'inserer un article qui contiendrait cette presomption injuste; en passant a l'ordre du jour, adoptez une espece de question prealable sur les pretres qui vous honore aux yeux de vos concitoyens et de la posterite. GENSONNE.--Les principes developpes pour retirer l'article me paraissent incontestables, je conviens qu'il ne doit pas se trouver dans la Declaration des droits; il trouvera sa place dans le chapitre particulier de la Constitution, destine a poser les bases fondamentales de la liberte civile. _(On demande a aller aux voix.)_ DURAND-MAILLANE.--Ecoutons tout le monde. DANTON.--Eussions-nous ici un cardinal je voudrais qu'il fut entendu. XXV SUR UN NOUVEL IMPOT ET DE NOUVELLES LEVEES (27 avril 1793) Cambon ayant, dans la seance du 27 avril, donne connaissance de l'heureux resultat des mesures prises par les commissaires du departement de l'Herault, la Convention decreta la mention honorable au proces-verbal pour le memoire lu par Cambon, et l'envoi aux departements. Danton monta aussitot a la tribune pour demander l'application a Paris et a la France entiere de ces memes mesures. Il conclut en demandant une nouvelle levee de 20.000 hommes a envoyer en Vendee. "La proposition de Danton est decretee a l'unanimite." (_Moniteur_, n deg. 119.) * * * * * Vous venez de decreter la mention honorable de ce qu'a cru faire pour le salut public le departement de l'Herault. Ce decret autorise la Republique entiere a adopter les memes mesures; car votre decret ratifie celles qu'on vient de vous faire connaitre. Si partout les memes mesures sont adoptees, la Republique est sauvee; on ne traitera plus d'agitateurs et d'anarchistes les amis ardents de la liberte, ceux qui mettent la nation en mouvement, et l'on dira: Honneur aux agitateurs qui tournent la vigueur du peuple contre ses ennemis. Quand le temple de la liberte sera assis, le peuple saura bien le decorer. Perisse plutot le sol de la France que de retourner sous un dur esclavage! mais qu'on ne croie pas que nous devenions barbares apres avoir fonde la liberte; nous l'embellirons. Les despotes nous porteront envie; mais tant que le vaisseau de l'Etat est battu par la tempete, ce qui est a chacun est a tous. On ne parle plus de lois agraires; le peuple est plus sage que ses calomniateurs ne le pretendent, et le peuple en masse a plus de genie que beaucoup qui se croient des grands hommes. Dans un peuple on ne compte pas plus les grands hommes que les grands arbres dans une vaste foret. On a cru que le peuple voulait la loi agraire; cette idee pourrait faire naitre des soupcons sur les mesures adoptees par le departement de l'Herault; sans doute, on empoisonnera ses intentions et ses arretes; il a, dit-on, impose les riches; mais, citoyens, imposer les riches, c'est les servir; c'est un veritable avantage pour eux qu'un sacrifice considerable; plus le sacrifice sera grand sur l'usufruit, plus le fonds de la propriete est garanti contre l'envahissement des ennemis. C'est un appel a tout homme qui a les moyens de sauver la Republique. Cet appel est juste. Ce qu'a fait le departement de l'Herault, Paris et toute la France veulent le faire. Voyez la ressource que la France se procure. Paris a un luxe et des richesses considerables; eh bien, par ce decret, cette eponge va etre pressee. Et, par une singularite satisfaisante, il va se trouver que le peuple fera la revolution aux depens de ses ennemis interieurs. Ces ennemis eux-memes apprendront le prix de la liberte; ils desireront la posseder lorsqu'ils reconnaitront qu'elle aura conserve leurs jouissances. Paris, en faisant un appel aux capitalistes, fournira son contingent, il nous donnera les moyens d'etouffer les troubles de la Vendee; car, a quelque prix que ce soit, il faut que nous etouffions ces troubles. A cela seul tient votre tranquillite exterieure. Deja les departements du Nord ont appris aux despotes coalises que votre territoire ne pouvait etre entame; et bientot peut-etre vous apprendrez la dissolution de cette ligue formidable de rois; car, en s'unissant contre vous, ils n'ont pas oublie leur vieille haine et leurs pretentions respectives, et peut-etre, si le conseil executif eut eu plus de latitude dans ses moyens, cette ligue serait entierement dissoute. Il faut donc diriger Paris sur la Vendee; il faut que les hommes requis dans cette ville pour former le camp de reserve se portent sur la Vendee. Cette mesure prise, les rebelles se dissiperont, et, comme les Autrichiens, commenceront a se retrancher eux-memes, comme eux-memes a cette heure sont en quelque sorte assieges. Si le foyer des discordes civiles est eteint, on nous demandera la paix, et nous la ferons honorablement. Je demande que la Convention nationale decrete que sur les forces additionnelles au recrutement vote par les departements, 20.000 hommes seront portes par le ministre de la guerre sur les departements de la Vendee, de la Mayenne et de la Loire. XXVI AUTRE DISCOURS SUR LE DROIT DE PETITION (1er mai 1793) Une deputation du faubourg Saint-Antoine vint, le 1er mai, reclamer a la barre de la Convention le _maximum_, un impot sur les riches et le depart des troupes de Paris aux frontieres. Ayant expose ces mesures, les orateurs conclurent: "Si vous ne les adoptez pas, nous vous declarons... que nous sommes en etat d'insurrection; dix mille hommes sont a la porte de la salle...." (_Moniteur_, n deg. 123). Boyer-Fonfrede ayant, apres un assez vif debat, demande l'arrestation des petitionnaires, Danton intervint en leur faveur, comme il etait deja intervenu, precedemment, le 10 avril. La Convention, revenue au calme, adopta la proposition de Danton. * * * * * Sans doute, la Convention nationale peut eprouver un mouvement d'indignation quand on lui dit qu'elle n'a rien fait pour la liberte; je suis loin de desapprouver ce sentiment; je sais que la Convention peut repondre qu'elle a frappe le tyran, qu'elle a dejoue les projets d'un ambitieux, qu'elle a cree un tribunal revolutionnaire pour juger les ennemis de la patrie, enfin, qu'elle dirige l'energie francaise contre les revoltes; voila ce que nous avons fait. Mais ce n'est pas par un sentiment d'indignation que nous devons prononcer sur une petition bonne en elle-meme. Je sais qu'on distingue la petition du dernier paragraphe, mais on aurait du considerer ce qu'etait la plenitude du droit de petition. Lorsqu'on repete souvent ici que nous sommes incapables de sauver la chose publique, ce n'est pas un crime de dire que, si telles mesures ne sont pas adoptees, la nation a le droit de s'insurger.... PLUSIEURS VOIX.--Les petitionnaires ne sont pas la nation. DANTON.--On conviendra sans doute que la volonte generale ne peut se composer en masse que de volontes individuelles. Si vous m'accordez cela, je dis que tout Francais a le droit de dire que, si telle mesure n'est pas adoptee, le peuple a le droit de se lever en masse. Ce n'est pas que je ne sois convaincu que de mauvais citoyens egarent le peuple, ce n'est pas que j'approuve la petition qui vous a ete presentee; mais j'examine le droit de petition en lui-meme, et je dis que cet asile devrait etre sacre, que personne ne devrait se permettre d'insulter un petitionnaire, et qu'un simple individu devrait etre respecte par les representants du peuple comme le peuple tout entier. _(Quelques rumeurs.)_ Je ne tirerais pas cette consequence de ce que je viens de dire, que vous assuriez l'impunite a quiconque semblerait etre un conspirateur dangereux, dont l'arrestation serait necessaire a l'interet public; mais je dis que, quand il est probable que le crime d'un individu ne consiste que dans des phrases mal digerees, vous devez vous respecter vous-memes. Si la Convention sentait sa force, elle dirait avec dignite et non avec passion, a ceux qui viennent lui demander des comptes et lui declarer qu'ils sont dans un etat d'insurrection: "Voila ce que nous avons fait, et vous, citoyens, qui croyez avoir l'initiative de l'insurrection, la hache de la justice est la pour vous frapper si vous etes coupables." Voila comme vous devez leur repondre. Les habitants du faubourg Saint-Antoine vous ont dit qu'ils vous feraient un rempart de leur corps; apres cette declaration, comment n'avez-vous pas repondu aux petitionnaires: "Citoyens, vous avez ete dans l'erreur", ou bien: "Si vous etes coupables, la loi est la pour vous punir." Je demande l'ordre du jour, et j'observe que, quand il sera notoire que la Convention a passe a l'ordre du jour motive sur l'explication qui lui a ete donnee, il n'y aura pas de pusillanimite dans sa conduite; croyez qu'un pareil decret produira plus d'effet sur l'ame des citoyens qu'un decret de rigueur. Je demande qu'en accordant les honneurs de la seance aux petitionnaires, l'Assemblee passe a l'ordre du jour sur le tout. XXVII SUR L'ENVOI DE NOUVELLES TROUPES EN VENDEE (8 mai 1793) Au moment ou la guerre de Vendee redoublait de violence, l'envoi de nouvelles troupes fut decide. A propos de leur depart, Danton revint a l'idee d'appliquer de nouveaux impots sur les riches demeures a Paris. L'inspiration de ce discours du 8 mai fut la meme que celle qui dicta la harangue fougueuse du 27 avril; le conventionnel y suit strictement la meme ligne de politique interieure. * * * * * C'est une verite puisee dans l'histoire et dans le coeur humain, qu'une grande nation en revolution, ou meme en guerre civile, n'en est pas moins redoutable a ses ennemis. Ainsi donc, loin de nous effrayer de notre situation, nous n'y devons voir que le developpement de l'energie nationale, que nous pouvons tourner encore au profit de la liberte. La France entiere va s'ebranler. Douze mille hommes de troupe de ligne, tires de vos armees ou ils seront aussitot remplaces par des recrues, vont s'acheminer vers la Vendee. Avec cette force va se joindre la force parisienne. Eh bien, combinons avec ces moyens de puissance les moyens politiques. C'est de faire connaitre a ceux que des traitres ont egares, que la nation ne veut pas verser leur sang, mais qu'elle veut les eclairer et les rendre a la patrie. Les despotes ne sont pas toujours malhabiles dans leurs moyens. Dans la Belgique, l'empereur traite les peuples avec la plus grande douceur, et semble meme flatter ceux qui s'etaient declares contre lui avec le plus d'energie; pourquoi n'agirions-nous pas de meme pour rendre des hommes a la liberte? Il faut donc creer une commission ayant pouvoir de faire grace a ceux des rebelles qui se soumettraient volontairement avant l'action de la force armee. Cette mesure prise, il faut faire marcher la force de Paris. Deux choses se sont un moment opposees a son recrutement: les intrigues des aristocrates et les inquietudes des patriotes eux-memes. Ceux-ci n'ont pas considere que Paris a une arriere-garde bien formidable; elle est composee de 150.000 citoyens que leurs occupations quotidiennes ont eloignes jusqu'ici des affaires publiques, mais que vous devez engager a se porter dans les sections, sauf a les indemniser de la perte de temps qu'ils essuieront. Ce sont ces citoyens qui, dans un grand jour, se debordant sur nos ennemis, les feront disparaitre de la terre de la liberte. Que le riche paye, puisqu'il n'est pas digne, le plus souvent, de combattre pour la liberte; qu'il paye largement et que l'homme du peuple marche dans la Vendee. Il y a telle section ou se trouvent des groupes de capitalistes, il n'est pas juste que ces citoyens profitent seuls de ce qui sortira de ces eponges. Il faut que la Convention nationale nomme deux commissaires par sections pour s'informer de l'etat du recrutement. Dans les sections ou le contingent est complet, ils annonceront que l'on repartira egalement les contributions des riches. Dans les sections qui, dans trois jours, n'auront point fourni leur contingent, ils assembleront les citoyens et les feront tirer au sort. Ce mode, je le sais, a des inconvenients, mais il en a moins encore que tous les autres. Il est un decret que vous avez rendu en principe et dont je demande l'execution pratique. Vous avez ordonne la formation d'une garde soldee dans toutes les grandes villes. Cette institution soulagera les citoyens que n'a pas favorises la fortune. Je demande qu'elle soit promptement organisee, et j'annonce a la Convention nationale qu'apres avoir opere le recrutement de Paris, si elle veut revenir a l'unite d'action, si elle veut mettre a contribution les malheurs meme de la patrie, elle verra que les machinations de nos ennemis pour soulever la France n'auront servi qu'a son triomphe. La force nationale va se developper; si vous savez diriger son energie, la patrie sera sauvee, et vous verrez les rois coalises vous proposer une paix honorable. XXVIII SUR UNE NOUVELLE LOI POUR PROTEGER LA REPRESENTATION NATIONALE (24 mai 1793) [Note: Vermorel qui donne, p. 51, 58, quelques fragments de ce discours lui attribue la date du 23 mai 1793. La reedition du Moniteur (p. 467) donne en effet cette date: vendredi, 23 mai. Mais c'est la une erreur certaine, car ce vendredi etait le 24 mai. La manchette de ce numero (n deg. 146) porte d'ailleurs: Dimanche 26 mai 1793.] La chute de la Gironde etait proche. Sentant le terrain lui manquer sous les pieds, elle fit proposer un decret dont l'article 1er etait ainsi redige: "La Convention nationale met sous la sauvegarde speciale des bons citoyens la fortune publique, la representation nationale et la ville de Paris." (_Moniteur_, n deg. 145.) Ce decret emanait de la Commission des Douze et avait ete soutenu par Vigee, Vergniaud et Boyer-Fonfrede. Sans le combattre entierement, Danton s'opposa cependant a son adoption immediate. Le decret fut adopte dans la meme seance. C'etait un des supremes triomphes de la Gironde. * * * * * L'objet de cet article n'a rien de mauvais en soi. Sans doute la representation nationale a besoin d'etre sous la sauvegarde de la nation. Mais comment se fait-il que vous soyez assez domines par les circonstances pour decreter aujourd'hui ce qui se trouve dans toutes vos lois? Sans doute, l'aristocratie menace de renverser la liberte, mais quand les perils sont communs a tous, il est indigne de nous de faire des lois pour nous seuls, lorsque nous trouvons notre surete dans celles qui protegent tous les citoyens. Je dis donc que decreter ce qu'on vous propose, c'est decreter la peur. ---Eh bien! j'ai peur, moi!.... DANTON.--Je ne m'oppose pas a ce que l'on prenne des mesures pour rassurer chaque individu qui craint pour sa surete; je ne m'oppose pas a ce que vous donniez une garde de crainte au citoyen qui tremble ici. Mais la Convention nationale peut-elle annoncer a la Republique qu'elle se laisse dominer par la peur. Remarquez bien jusqu'a quel point cette crainte est ridicule. Le comite vous annonce qu'il y a des dispositions portant qu'on a voulu attenter a la representation nationale. On sait bien qu'il existe a Paris une multitude d'aristocrates, d'agents soudoyes par les puissances; mais les lois ont pourvu a tout; on dit qu'elles ne s'executent pas; mais une preuve qu'elles s'executent, c'est que la Convention nationale est intacte, et que, si un de ses membres a peri, il etait du nombre de ceux qui ne tremblent pas. Remarquez bien que l'esprit public des citoyens de Paris qu'on a tant calomnies.... UN GRAND NOMBRE DE VOIX.--Cela est faux! la preuve en est dans le projet qu'on Propose! DANTON.--Je ne dis pas que ce soit calomnier Paris que de proposer le projet de decret qui vous est presente; mais on a calomnie Paris, en demandant une force departementale; car, dans une ville comme Paris, ou la population presente une masse si imposante, la force des bons citoyens est assez grande pour terrasser les ennemis de la liberte. Je dis que, si, dans la reunion dont on a parle, il s'est trouve des hommes assez pervers pour proposer de porter atteinte a la representation nationale, cette proposition a ete vivement repoussee, et que si ces hommes sont saisis et peuvent etre livres a la justice, ils ne trouveront point ici de defenseurs. On a cherche aussi a inculper le maire de Paris, et a le rendre, pour ainsi dire, complice de ces hommes vendus ou traitres; mais l'on n'a pas dit que, si le maire de Paris n'etait pas venu vous instruire de ce qui s'etait passe, c'est qu'il etait venu en rendre compte au Comite du Salut public, qui devait vous en instruire. Ainsi donc, quand il est demontre que les propositions qui ont ete faites ont ete rejetees avec horreur; quand Paris est pret a s'armer contre tous les traitres qu'il renferme pour proteger la Convention nationale, il est absurde de creer une loi nouvelle; pour proteger la representation nationale, il ne s'agit que de diriger l'action des lois existantes contre le vrai coupable. Encore une fois, je ne combats pas le fond du projet, mais je dis qu'il se trouve dans les lois preexistantes. Ne faisons donc rien par peur; ne faisons rien pour nous-memes; ne nous attachons qu'aux considerations nationales; ne nous laissons point diriger par les passions. Prenez garde qu'apres avoir cree une commission pour rechercher les complots qui se trament dans Paris, on ne vous demande s'il ne conviendrait pas d'en creer aussi une pour rechercher les crimes de ceux qui ont cherche a egarer l'esprit des departements. Je ne demande qu'une chose, c'est que les membres qui proposent ce projet se depouillent de toutes leurs haines. Il faut que les criminels soient bien connus, et il est de votre sagesse d'attendre un rapport preliminaire sur le tout. XXIX POUR LE PEUPLE DE PARIS (26 mai 1793) L'attitude du president Isnard donna lieu, dans la seance de la Convention du 26 mai, a de violents incidents. Repondant a une deputation de la Commune, il prononca les mots, devenus fameux depuis: "Si, par ces insurrections toujours renaissantes, il arrivait qu'on portat atteinte a la representation nationale, je vous le declare au nom de la France entiere, Paris serait aneanti! Bientot on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existe." Danton, se levant, cria: "President, je demande la parole sur votre reponse!" Appuye par la gauche, il allait la prendre quand Cambon monta a la tribune pour donner lecture d'une lettre du general Lamorliere. A cette lecture succeda une deputation de la section des Gardes-Francaises, venant presenter son contingent. Cette fois la reponse du president fut patriotique et moderee. Apres les honneurs de la seance, decernes a des petitionnaires de la section de l'Unite, Danton monta a la tribune pour protester du civisme du peuple de Paris et contre les parole d'Isnard. * * * * * Si le president eut presente l'olivier de la paix a la Commune avec autant d'art qu'il a presente le signal du combat aux guerriers qui viennent de defiler ici, j'aurais applaudi a sa reponse; mais je dois examiner quel peut etre l'effet politique de son discours. Assez et trop longtemps on a calomnie Paris en masse. (_On applaudit dans la partie gauche et dans les tribunes. Il s'eleve de violents murmures dans la partie droite_.) PLUSIEURS VOIX.--Non, ce n'est pas Paris qu'on accuse, mais les scelerats qui s'y trouvent. DANTON.--Voulez-vous constater que je me suis trompe? ON GRAND NOMBRE DE VOIX.--Oui! DANTON.--Ce n'est pas pour disculper Paris que je me suis presente a cette tribune, il n'en a pas besoin. Mais c'est pour la Republique entiere. Il importe de detruire aupres des departements les impressions defavorables que pourrait faire la reponse du president. Quelle est cette imprecation du president contre Paris? Il est assez etrange qu'on vienne presenter la devastation que feraient de Paris tous les departements, si cette ville se rendait coupable.... (Oui, _s'ecrient un grand nombre de voix_, ils le feraient.--_On murmure dans l'extreme gauche_.) Je me connais aussi, moi, en figures oratoires. (_Murmures dans la partie droite_.) Il entre dans la reponse du president un sentiment d'amertume. Pourquoi supposer qu'un jour on cherchera vainement sur les rives de la Seine si Paris a existe? Loin d'un president de pareils sentiments, il ne lui appartient que de presenter des idees consolantes. Il est bon que la Republique sache que Paris ne deviera jamais des principes; qu'apres avoir detruit le trone d'un tyran couvert de crimes, il ne le relevera pas pour y asseoir un nouveau despote. Que l'on sache aussi que les representants du peuple marchent entre deux ecueils; ceux qui servent un parti lui apportent leurs vices comme leurs vertus. Si dans le parti qui sert le peuple il se trouve des coupables, le peuple saura les punir; mais faites attention a cette grande verite, c'est que, s'il fallait choisir entre deux exces, il vaudrait mieux se jeter du cote de la liberte que rebrousser vers l'esclavage. En reprenant ce qu'il y a de blamable, il n'y a plus partout que des republicains. Depuis quelque temps les patriotes sont opprimes dans les sections. Je connais l'insolence des ennemis du peuple; ils ne jouiront pas longtemps de leur avantage; bientot les aristocrates, fideles aux sentiments de fureur qui les animent, vexeraient tout ce qui a porte le caractere de la liberte; mais le peuple detrompe les fera rentrer dans le neant. Qu'avons-nous a faire, nous, legislateurs, qui sommes au centre des evenements? Reprimons tous les audacieux; mais tournons-nous d'abord vers l'aristocrate, car il ne changera pas. Vous, hommes ardents, qui servez le peuple, qui etes attaches a sa cause, ne vous effrayez pas de voir arriver une sorte de moderantisme perfide; unissez la prudence a l'energie qui vous caracterise, tous les ennemis du peuple seront ecrases. Parmi les bons citoyens, il y en a de trop impetueux, mais pourquoi leur faire un crime d'une energie qu'ils emploient a servir le peuple? S'il n'y avait pas eu des hommes ardents, si le peuple lui-meme n'avait pas ete violent, il n'y aurait pas eu de revolution. Je reviens a mon premier objet: je ne veux exasperer personne parce que j'ai le sentiment de ma force en defendant la raison. Sans faire mon apologie, je defie de me prouver un crime. Je demande que l'on renvoie devant le tribunal revolutionnaire ceux qui auront conspire contre la Convention; et moi, je demande a y etre renvoye le premier, si je suis trouve coupable. On a repete souvent que je n'avais pas rendu mes comptes. J'ai eu 400.000 livres a ma disposition pour des depenses secretes; j'ai rendu compte de l'emploi que j'en ai fait; que ceux qui m'ont fait des reproches les parcourent avant de me calomnier. Une somme de 100.000 livres avait ete remise entre mes mains pour faire marcher la Revolution. Cette somme devait etre employee d'apres l'avis du Conseil executif; il connait l'emploi que j'en ai fait; il a, lui, rendu ses comptes. PLUSIEURS VOIX.--Ce n'est pas la question! DANTON.--Je reviens a ce que souhaite la Convention; il faut reunir les Departements; il faut bien se garder de les aigrir contre Paris! Quoi! cette cite immense, qui se renouvelle tous les jours, porterait atteinte a la representation nationale! Paris, qui a brise le premier le sceptre de fer, violerait l'Arche sainte qui lui est confiee! Non; Paris aime la Revolution; Paris, par les sacrifices qu'il a faits a la liberte, merite les embrassements de tous les Francais. Ces sentiments sont les votres, eh bien! manifestez-les; faites imprimer la reponse de votre president, en declarant que Paris n'a jamais cesse de bien meriter de la Republique, puisque la municipalite.... (_Il s'eleve de violents murmures dans une grande partie de la salle_). Puisque la majorite de Paris a bien merite.... (_On applaudit dans toutes les parties de la salle_), et cette majorite, c'est la presque totalite de Paris. (_Memes applaudissements_). Par cette declaration, la nation saura apprecier la proposition qui a ete faite de transporter le siege de la Convention dans une autre ville. Tous les departements auront de Paris l'opinion qu'ils doivent en avoir, et qu'ils en ont reellement. Paris, je le repete, sera toujours digne d'etre le depositaire de la representation generale. Mon esprit sent que, partout ou vous irez, vous y trouverez des passions, parce que vous y porterez les votres. Paris sera bien connu; le petit nombre de conspirateurs qu'il renferme sera puni. Le peuple francais, quelles que soient vos opinions, se sauvera lui-meme, s'il le faut, puisque tous les jours il remporte des victoires sur les ennemis, malgre nos dissensions. Le masque arrache a ceux qui jouent le patriotisme et qui servent de rempart aux aristocrates, la France se levera et terrassera ses ennemis. XXX CONTRE LA COMMISSION DES DOUZE (27 mai 1793) L'arrestation d'Hebert, ordonnee par la Commission des Douze, crea une vive effervescence a la Commune. Dans la seance du lundi 27 mai, une deputation de la section de la cite vint demander la traduction des Douze devant le Tribunal Revolutionnaire. Isnard, qui presidait, repondit: "Citoyens, la Convention nationale pardonne a l'egarement de votre jeunesse...." Un indescriptible tumulte s'ensuivit. Robespierre, Bourdon (de l'Oise), Henri Lariviere, tenterent en vain d'obtenir la parole. Le president s'etant couvert au milieu du tumulte, Danton s'ecria sur une observation de Delacroix (d'Eure-et-Loir): "Je vous le declare, tant d'impudence commence a nous perdre; nous vous resisterons! "Et toute l'extreme gauche cria avec lui: "Nous vous resisterons!" La droite demanda l'insertion de la phrase de Danton au proces-verbal. "Oui, dit Danton, je la demande moi-meme." Et il monta a la tribune: * * * * * Je declare a la Convention et a tout le peuple francais que si l'on persiste a retenir dans les fers des citoyens qui ne sont que presumes coupables, dont tout le crime est un exces de patriotisme; si l'on refuse constamment la parole a ceux qui veulent les defendre; je declare, dis-je, que, s'il y a ici cent bons citoyens, nous resisterons. Je declare en mon propre nom, et je signerai cette declaration, que le refus de la parole a Robespierre est une lache tyrannie. Je declare a la France entiere que vous avez mis souvent en liberte des gens plus que suspects sur de simples reclamations, et que vous retenez dans les fers des citoyens d'un civisme reconnu, qu'on les tient en charte privee, sans vouloir faire aucun rapport.... PLUSIEURS MEMBRES A DROITE.--C'est faux, le rapporteur de la Commission des Douze a demande la parole. DANTON.--Tout membre de l'Assemblee a le droit de parler sur et contre la Commission des Douze. C'est un prealable d'autant plus necessaire, que cette Commission des Douze tourne les armes qu'on a mises dans ses mains contre les meilleurs citoyens; cette commission est d'autant plus funeste qu'elle arrache a leurs fonctions des magistrats du peuple. PLUSIEURS VOIX.--Et les commissaires envoyes dans les departements! DANTON.--Vos commissaires, vous les entendrez.... Si vous vous obstinez a refuser la parole a un representant du peuple qui veut parler en faveur d'un patriote jete dans les fers, je declare que je proteste contre votre tyrannie, contre votre despotisme. Le peuple francais jugera. * * * * * Dans cette meme seance Danton reprit la parole apres la declaration du ministre de l'Interieur, protestant une fois encore de sa soif de paix, de son desir de concorde. * * * * * Je demande que le ministre me reponde; je me flatte que de cette grande lutte sortira la verite, comme des eclats de la foudre sort la serenite de l'air; il faut que la nation sache quels sont ceux qui veulent la tranquillite. Je ne connaissais pas le ministre de l'Interieur; je n'avais jamais eu de relation avec lui. Je le somme de declarer, et cette declaration m'importe dans les circonstances ou nous nous trouvons, dans un moment ou un depute (c'est Brissot) a fait contre moi une sanglante diatribe; dans le moment ou le produit d'une charge que j'avais est travestie en une fortune immense.... (_Il s'eleve de violents murmures dans la partie droite_.) Il est bon que l'on sache quelle est ma vie. PLUSIEURS VOIX DANS LA PARTIE DROITE.--Ne nous parlez pas de vous, de votre guerre avec Brissot. DANTON.--C'est par ce que le Comite de Salut public a ete accuse de favoriser les mouvements de Paris qu'il faut que je m'explique.... PLUSIEURS MEMBRES.--On ne dit pas cela. DANTON.--Voila ces amis de l'ordre qui ne veulent pas entendre la verite, que l'on juge par la quels sont ceux qui veulent l'anarchie. J'interpelle le ministre de l'Interieur de dire si je n'ai pas ete plusieurs fois chez lui pour l'engager a calmer les troubles, a unir les departements, a faire cesser les preventions qu'on leur avait inspirees contre Paris; j'interpelle le ministre de dire, si depuis la revolution, je ne l'ai pas invite a apaiser toutes les haines, si je ne lui ai pas dit: "je ne veux pas que vous flattiez tel parti plutot que tel autre; mais que vous prechiez l'union." Il est des hommes qui ne peuvent pas se depouiller d'un ressentiment. Pour moi, la nature m'a fait impetueux, mais exempt de haine. Je l'interpelle de dire s'il n'a pas reconnu que les pretendus amis de l'ordre etaient la cause de toutes les divisions, s'il n'a pas reconnu que les citoyens les plus exageres sont les plus amis de l'ordre et de la paix. Que le ministre reponde. XXXI AUTRE DISCOURS CONTRE LA COMMISSION DES DOUZE (31 mai 1793) Tandis que grondait le canon de l'insurrection de la journee fatale pour la Gironde, Danton, intervenant dans la discussion sur l'emeute denoncee par Vergniaud, reprit son requisitoire contre la Commission des Douze et demanda sa suppression. Il interrompit le president Mallarme, lui disant: "Faites donc justice, avant tout, de la Commission!" Apres un court debat sur la question de priorite, il monta a la tribune. * * * * * J'ai demande la parole pour motiver la priorite en faveur de la motion de Thuriot. [Note: "C'est l'aneantissement de la Commission que je sollicite," avait dit Thuriot (_Moniteur_, p. 152).] Il ne sera pas difficile de faire voir que cette motion est d'un ordre superieur a celle meme demander le commandant a la barre. Il faut que Paris ait justice de la Commission; elle n'existe pas comme la Convention. Vous avez cree une Commission impolitique.... PLUSIEURS VOIX.--Nous ne savons pas cela.... DANTON.--Vous ne le savez pas? il faut donc vous le rappeler. Oui, votre Commission a merite l'indignation populaire. Rappelez-vous mon discours a ce sujet, ce discours trop modere. Elle a jete dans les fers des magistrats du peuple, par cela seul qu'ils avaient combattu, dans des feuilles, cet esprit de moderantisme que la France veut tuer pour sauver la Republique. Je ne pretends pas inculper ni disculper la Commission, il faudra la juger sur un rapport et sur leur defense. Pourquoi avez-vous ordonne l'elargissement de ces fonctionnaires publics? Vous y avez ete engages sur le rapport d'un homme que vous ne respectez pas, d'un homme que la nature a cree doux, sans passions, le ministre de l'Interieur. Il s'est explique clairement, textuellement, avec developpement, sur le compte d'un des magistrats du peuple. En ordonnant de le relacher, vous avez ete convaincus que la Commission avait mal agi sous le rapport politique. C'est sous ce rapport que j'en demande, non pas la cassation, car il faut un rapport, mais la suppression. Vous l'avez creee, non pour elle, mais pour vous. Si elle est coupable, vous en ferez un exemple terrible qui effrayera tous ceux qui ne respectent pas le peuple, meme dans son exageration revolutionnaire. Le canon a tonne, mais Paris n'a voulu donner qu'un grand signal pour vous apporter ses representations; si Paris, par une convention trop solennelle, trop retentissante, n'a voulu qu'avertir tous les citoyens de vous demander une justice eclatante, Paris a encore bien merite de la patrie. Je dis donc que, si vous etes legislateurs politiques, loin de blamer cette explosion, vous la tournerez au profit de la chose publique, d'abord en reformant vos erreurs, en cassant votre Commission. Ce n'est qu'a ceux qui ont recu quelques talents politiques que je m'adresse, et non a ces hommes stupides qui ne savent faire parler que leurs passions. Je leur dis: "Considerez la grandeur de votre but, c'est de sauver le peuple de ses ennemis, des aristocrates, de le sauver de sa propre colere." Sous le rapport politique, la Commission a ete assez depourvue de sens pour prendre de nouveaux arretes et de les notifier au maire de Paris, qui a en la prudence de repondre qu'il consulterait la Convention. Je demande la suppression de la Commission, et le jugement de la conduite particuliere de ses membres. Vous les croyez irreprochables; moi je crois qu'ils ont servi leurs ressentiments. Il faut que ce chaos s'eclaircisse; mais il faut donner justice au peuple. QUELQUES VOIX.--Quel peuple? DANTON.--Quel peuple, dites-vous? ce peuple est immense, ce peuple est la sentinelle avancee de la Republique. Tous les departements haissent fortement la tyrannie. Tous les departements execrent ce lache moderantisme qui ramene la tyrannie. Tous les departements en un jour de gloire pour Paris avoueront ce grand mouvement qui exterminera tous les ennemis de la liberte. Tous les departements applaudiront a votre sagesse, quand vous aurez fait disparaitre une Commission impolitique. Je serai le premier a rendre une justice eclatante a ces hommes courageux qui ont fait retentir les airs.... (_Les tribunes applaudissent_.) Je vous engage, vous, representants du peuple, a vous montrer impassibles; faites tourner au profit de la patrie cette energie que de mauvais citoyens seuls pourraient presenter comme funeste. Et si quelques hommes, vraiment dangereux, n'importe a quel parti ils appartiennent, voulaient prolonger un mouvement devenu inutile, quand vous aurez fait justice, Paris lui-meme les fera rentrer dans le neant; je demande froidement la suppression pure et simple de la Commission sous le rapport politique seul, sans rien prejuger, ni pour, ni contre; ensuite vous entendrez le commandant general, vous prendrez connaissance de ce qui est relatif a ce grand mouvement, et vous finirez par vous conduire en hommes qui ne s'effraient pas des dangers. PALLES.--Nous savons bien que ce n'est qu'un simulacre, les citoyens courent sans savoir pourquoi. DANTON.--Vous sentez que, s'il est vrai que ce ne soit qu'un simulacre, quand il s'agit de la liberte de quelques magistrats, le peuple fera pour sa liberte une insurrection entiere. Je demande que, pour mettre fin a tant de debats facheux, que, pour marcher a la Constitution qui doit comprimer toutes les passions, vous mettiez aux voix par l'appel nominal la revocation de la Commission. XXXII SUR LA CHUTE DES GIRONDINS (13 juin 1793_) [Note: Une autre erreur de Vermorel, p. 203, donne a ce discours la date du 14 juin. Le n deg. 167 du _Moniteur_, qui le rapporte, specifie qu'il fut prononce dans la seance du jeudi 13 juin, dans la discussion sur les arretes des administrations de l'Eure et du Calvados.] Danton n'intervint dans la discussion des troubles du Calvados, a la Convention, que pour rallier ses collegues au parti national. Apres avoir fait l'apologie de l'insurrection du 31 mai, il leur demanda de s'expliquer "loyalement" a cet egard et de songer aux dangers de la patrie. * * * * * Nous touchons au moment de fonder veritablement la liberte francaise, en donnant a la France une Constitution republicaine. C'est au moment d'une grande production que les corps politiques comme les corps physiques paraissent toujours menaces d'une destruction prochaine. Nous sommes entoures d'orages, la foudre gronde. Eh bien, c'est du milieu de ses eclats que sortira l'ouvrage qui immortalisera la nation francaise. Rappelez-vous, citoyens, ce qui s'est passe du temps de la conspiration de Lafayette. Nous semblions etre dans la position dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Rappelez-vous ce qu'etait alors Paris; les patriotes etaient opprimes, proscrits partout; nous etions menaces des plus grands malheurs. C'est aujourd'hui la meme position; il semble qu'il n'y ait de perils que pour ceux qui ont cree la liberte. Lafayette et sa faction furent bientot demasques: aujourd'hui les nouveaux ennemis du peuple se sont trahis eux-memes, ils ont fui, ils ont change de nom, de qualite, ils ont pris de faux passeports. Ce Brissot, ce coryphee de la secte impie qui va etre etouffee, cet homme qui vantait son courage et son indigence en m'accusant d'etre couvert d'or, n'est plus qu'un miserable qui ne peut echapper au glaive des lois, et dont le peuple a deja fait justice en l'arretant comme un conspirateur. On dit que l'insurrection de Paris cause des mouvements dans les departements; je le declare a la face de l'univers, ces evenements feront la gloire de cette superbe cite; je le proclame a la face de la France, sans les canons du 31 mai, sans l'insurrection, les conspirateurs triomphaient, ils nous donnaient la loi. Que le crime de cette insurrection retombe sur nous; je l'ai appelee, moi, cette insurrection, lorsque j'ai dit que, s'il y avait dans la Convention cent hommes qui me ressemblassent, nous resisterions a l'oppression, nous fonderions la liberte sur des bases inebranlables. Rappelez-vous qu'on a dit que l'agitation qui regne dans les departements ne s'etait manifestee que depuis les evenements qui se sont passes ici. Eh bien, il y a des pieces qui constatent qu'avant le 31 mai les departements avaient envoye une circulaire pour faire une federation et se coaliser. Que nous reste-t-il a faire? A nous identifier avec le peuple de Paris, avec tous les bons citoyens, a faire le recit de tout ce qui s'est passe. On sait que moi, plus que tout autre, j'ai ete menace des baionnettes, qu'on les a appuyees sur ma poitrine; on sait que nous avons couvert de nos corps ceux qui se croyaient en danger. Non, les habitants de Paris n'en voulaient pas a la liberte d'aucun representant du peuple; ils ont pris l'attitude qui leur convenait; ils se sont mis en insurrection. Que les adresses envoyees des departements pour calomnier Paris ne vous epouvantent pas; elles sont l'ouvrage de quelques intrigants et non celui des citoyens des departements: rappelez-vous qu'il en est venu de semblables contre Paris en faveur du tyran. Paris est le centre ou tout vient aboutir; Paris sera le foyer qui recevra tous les rayons du patriotisme francais, et en brulera tous les ennemis. Je demande que vous vous expliquiez loyalement sur l'insurrection qui a eu de si heureux resultats. Le peuple voit que ces hommes qu'on avait accuses de vouloir se gorger du sang du peuple ont plus fait depuis huit jours pour le bonheur du peuple que la Convention, tourmentee par des intrigants, n'en avait pu faire depuis son existence. Voila le resultat qu'il faut presenter au peuple des departements: il est bon, il applaudira a vos sages mesures. Les hommes criminels qui ont fui ont repandu des terreurs partout sur leur passage; ils ont tout exagere, tout amplifie; mais le peuple detrompe reagira plus fortement, et se vengera sur ceux qui l'ont trompe. Quant a la question qui nous occupe, je crois qu'il faut prendre des mesures generales pour tous les departements; il faut qu'il soit accorde vingt-quatre heures aux administrateurs qui auraient pu etre egares, sans cependant donner une amnistie aux agitateurs. Il faut que, dans les departements ou les Communes patriotes luttent contre des administrateurs aristocrates, ces administrateurs soient destitues et remplaces par de vrais republicains. Je demande enfin que la Convention declare que, sans l'insurrection du 31 mai, il n'y aurait plus de liberte. Citoyens, pas de faiblesse; faites cette declaration solennelle au peuple Francais; dites-lui qu'on veut encore le retour des nobles; dites-lui que la horde scelerate vient de prouver qu'elle ne voulait pas de constitution; dites-lui de prononcer entre la Montagne et cette faction; dites aux citoyens francais: "Rentrez dans vos droits imprescriptibles; serrez-vous autour de la Convention; preparez-vous a accepter la constitution qu'elle va vous presenter; cette constitution qui, comme je l'ai deja dit, est une batterie qui fait un feu a mitraille contre les ennemis de la liberte, et qui les ecrasera tous; preparez une force armee, mais que ce soit contre les ennemis de la Vendee. Etouffez la rebellion de cette partie de la France et vous aurez la paix." Le peuple, instruit sur cette derniere epoque de la Revolution, ne se laissera plus surprendre. On n'entendra plus de calomnies contre une ville qui a cree la liberte, qui ne perira pas avec elle, mais qui triomphera avec la liberte, et passera avec elle a l'immortalite. XXXIII CONTRE LES ASSIGNATS ROYAUX (31 juillet 1793) Cambon, dans cette seance du 31 juillet, proposa a la Convention de demonetiser les assignats royaux d'une valeur au-dessus de cent livres, tout en gardant la valeur de ceux de cinquante livres. Sur cette proposition, Bazire demanda la question prealable. Danton se rangea a l'avis de Cambon, dont la Convention en cette meme seance adopta le decret. * * * * * Je demande a parler contre l'ajournement.... Je combats la question prealable demandee par Bazire. Il y a plus de six mois que j'ai dit ici qu'il y a trop de signes representatifs en circulation; il faut que ceux qui possedent immensement payent la dette nationale. Quels sont ceux qui supportent la misere publique, qui versent leur sang pour la liberte, qui combattent l'aristocratie financiere et bourgeoise? ce sont ceux qui n'ont pas en leur pouvoir un assignat royal de cent livres. Frappez, que vous importent les clameurs des aristocrates; lorsque le bien sort en masse de la mesure que vous prenez, vous obtenez la benediction nationale. On a dit que cette loi aurait un effet retroactif, c'est ici une loi politique, et toutes les lois politiques qui ont rase le despotisme n'ont-elles pas en un effet retroactif? Qui de vous peut les blamer? On a dit que celui qui n'a qu'un assignat de cent livres sera greve, parce qu'il sera oblige de vendre son assignat. Je reponds qu'il y gagnera, car les denrees baisseront; d'ailleurs, ce ne sont pas les hommes de la Revolution qui ont ces assignats. Soyez comme la nature, elle voit la conservation de l'espece; ne regardez pas les individus. Si le despotisme triomphait, il ferait disparaitre tous les signes de la liberte. Eh bien, ne souillez pas les yeux des amis de la liberte de l'image du tyran dont la tete est tombee sous le glaive de la loi. Les despotes de l'Europe diront: "Quelle est cette nation puissante qui par un seul decret ameliore la fortune publique, soulage le peuple, fait revivre le credit national, et prepare de nouveaux moyens de combattre les ennemis?" Cette mesure n'est pas nouvelle, Cambon l'a longtemps meditee; il est de votre devoir de l'adopter; si vous ne l'adoptez pas, la discussion qui vient d'avoir lieu produira des inconvenients qui peuvent etre attaches a la loi, et n'en presentera aucun avantage. Je ne me connais pas grandement en finances, mais je suis savant dans le bonheur de mon pays. Les riches fremissent de ce decret; mais je sais que ce qui est funeste a ces gens est avantageux pour le peuple. Le rencherissement des denrees vient de la trop grande masse d'assignats en circulation; que l'eponge nationale epuise cette grande masse, l'equilibre se retablira. Je demande que la proposition de Cambon soit adoptee. XXXIV DISCOURS POUR QUE LE COMITE DE SALUT PUBLIC SOIT ERIGE EN GOUVERNEMENT PROVISOIRE (1er aout 1793) Ce discours est un des plus importants de la carriere politique de Danton. C'est de lui que sortit la dictature jacobine et terroriste qui souleva la France et lui assura la victoire. Danton, president depuis le 25 juillet, descendit du fauteuil a la tribune pour le prononcer apres une motion violente de Couthon. Ce dernier, apres avoir declare: "Le gouvernement anglais nous fait une guerre d'assassins", demanda a la Convention d'infliger aux Francais placant des fonds a Londres une amende egale a celle de l'argent depose, et d'obliger les deposants, sous peine de la meme amende, a declarer leurs depots dans le mois suivant la publication du decret propose. Le discours de Danton suivit aussitot cette motion. * * * * * J'appuie d'autant plus ces propositions que le moment est arrive d'etre politique. Sans doute un peuple republicain ne fait pas la guerre a ses ennemis par la corruption, l'assassinat et le poison. Mais le vaisseau de la raison doit avoir son gouvernail, c'est la saine politique. Nous n'aurons de succes que lorsque la Convention, se rappelant que l'etablissement du Comite de Salut public est une des conquetes de la liberte, donnera a cette institution l'energie et le developpement dont elle peut etre susceptible. Il a, en effet, rendu assez de services pour qu'elle perfectionne ce genre de gouvernement. N'en doutez pas, ce Cobourg qui s'avance sur votre territoire rend le plus grand service a la Republique. Les memes circonstances que l'annee derniere se reproduisent aujourd'hui; les memes dangers nous menacent.... Mais le peuple n'est point use, puisqu'il a accepte la Constitution; j'en jure par l'enthousiasme sublime qu'elle vient de produire. Il a, par cette acceptation, contracte l'engagement de se deborder tout entier contre les ennemis. Eh bien, soyons terribles, faisons la guerre en lions. Pourquoi n'etablissons-nous pas un gouvernement provisoire qui seconde, par de puissantes mesures, l'energie nationale? Je le declare, je n'entrerai dans aucun comite responsable. Je conserverai ma pensee tout entiere, et la faculte de stimuler sans cesse ceux qui gouvernent, mais je vous donne un conseil, j'espere que vous en profiterez. Il nous faut les memes moyens qu'emploie Pitt, a l'exception de ceux du crime. Si vous eussiez, il y a deux mois, eclaire les departements sur la situation de Paris; si vous eussiez repandu partout le tableau fidele de votre conduite; si le ministre de l'Interieur se fut montre grand et ferme, et qu'il eut fait pour la Revolution ce que Roland a fait contre elle, le federalisme et l'intrigue n'auraient pas excite de mouvements dans les departements. Mais rien ne se fait. Le gouvernement ne dispose d'aucun moyen politique. Il faut donc, en attendant que la Constitution soit en activite et pour qu'elle puisse l'etre, que votre Comite de Salut public soit erige en gouvernement provisoire; que les ministres ne soient que les premiers agents de ce Comite de gouvernement. Je sais qu'on objectera que les membres de la Convention ne doivent pas etre responsables. J'ai deja dit que vous etes responsables de la liberte, et que si vous la sauvez, et alors seulement, vous obtiendrez les benedictions du peuple. Il doit etre mis a la disposition de ce Comite de gouvernement les fonds necessaires pour les depenses politiques auxquelles nous obligent les perfidies de nos ennemis. La raison peut etre servie a moindres frais que la perfidie; ce Comite pourra enfin mettre a execution des mesures provisoires fortes, avant leur publicite. N'arrachons point en ce moment aux travaux de la campagne les bras necessaires a la recolte. Prenons une premiere mesure, c'est de faire un inventaire rigoureux de tous les grains. Pitt n'a pas seulement joue sur nos finances; il a accapare, il a exporte nos denrees. Il faudrait avant tout assurer tous les Francais que, si le ciel et la terre nous ont si bien servis, nous n'aurons plus a craindre la disette factice dans une annee d'abondance. Il faudra, apres la recolte, que chaque commune fournisse un contingent d'hommes qui s'enroleront d'autant plus volontiers que le terme de la campagne approche. Chez un peuple qui veut etre libre, il faut que la nation entiere marche quand sa liberte est menacee. L'ennemi n'a encore vu que l'avant-garde nationale. Qu'il sente enfin le poids des efforts reunis de cette superbe nation. Nous donnons au monde un exemple qu'aucun peuple n'a donne encore. La nation francaise aura voulu individuellement, et par ecrit, le gouvernement qu'elle a adopte; et perisse un peuple qui ne saurait pas defendre un gouvernement aussi solennellement jure! Remarquez que dans la Vendee on fait la guerre avec plus d'energie que nous. On fait marcher de force les indifferents. Nous qui stipulons pour les generations futures; nous que l'univers contemple; nous qui, meme en perissant tous, laisserions des noms illustres, comment se fait-il que nous envisageons dans une froide inaction les dangers qui nous menacent? Comment n'avons-nous pas deja entraine sur les frontieres une masse immense de citoyens? Deja dans plusieurs departements le peuple s'est indigne de cette mollesse, et a demande que le tocsin du reveil general fut sonne. Le peuple a plus d'energie que vous. La liberte est toujours partie de sa base. Si vous vous montrez dignes de lui, il vous suivra; et vos ennemis seront extermines. Je demande que la Convention erige en gouvernement provisoire son Comite de Salut public; que les ministres ne soient que les premiers commis de ce gouvernement provisoire; qu'il soit mis 50 millions a la disposition de ce gouvernement, qui en rendra compte a la fin de sa session, mais qui aura la faculte de les employer tous en un jour, s'il le juge utile. Une immense prodigalite pour la cause de la liberte est un placement a usure. Soyons donc grands et politiques partout. Nous avons dans la France une foule de traitres a decouvrir et a dejouer. Eh bien, un gouvernement adroit aurait une foule d'agents: et remarquez que c'est par ce moyen que vous avez decouvert plusieurs correspondances precieuses. Ajoutez a la force des armes, au developpement de la force nationale, tous les moyens additionnels que les bons esprits peuvent vous suggerer. Il ne faut pas que l'orgueilleux ministre d'un despote surpasse en genie et en moyens ceux qui sont charges de regenerer le monde. Je demande, au nom de la posterite, car si vous ne tenez pas d'une main ferme les renes du gouvernement, vous affaiblissez plusieurs generations par l'epuisement de la population; enfin vous les condamneriez a la servitude et a la misere; je demande, dis-je, que vous adoptiez sans delai ma proposition. Apres, vous prendrez une mesure pour inventorier toutes les moissons. Vous ferez surveiller les transports, afin que rien ne puisse s'ecouler par les ports ou par les frontieres. Vous ferez faire aussi l'inventaire des armes. A partir d'aujourd'hui vous mettrez a la disposition du gouvernement 400 millions pour fondre des canons, faire des fusils et des piques. Dans toutes les villes un peu considerables, l'enclume ne doit etre frappee que pour la fabrication du fer que vous devez tourner contre vos ennemis. Des que la moisson sera finie, vous prendrez dans chaque commune une force additionnelle, et vous verrez que rien n'est desespere. Au moins a present, vous etes purges des intrigants; vous n'etes plus genes dans votre marche; vous n'etes plus tirailles par les factions; et nos ennemis ne peuvent plus se vanter, comme Dumouriez, d'etres maitres d'une partie de la Convention. Le peuple a confiance en vous. Soyez grands et dignes de lui; car si votre faiblesse vous empechait de le sauver, il se sauverait sans vous et l'opprobre vous resterait. * * * * * Apres une courte intervention de Saint-Andre, de Cambon et de Barere, Danton, repondant a ce dernier offrant sa demission de membre d'un comite charge du maniement des fonds, dit: * * * * * Ce n'est pas etre homme public que de craindre la calomnie. Lorsque l'annee derniere, dans le conseil executif, je pris seul sur ma responsabilite les moyens necessaires pour donner la grande impulsion, pour faire marcher la nation sur les frontieres; je me dis: qu'on me calomnie, je le prevois, il ne m'importe; dut mon nom etre fletri, je sauverai la liberte. Aujourd'hui la question est de savoir s'il est bon que le Comite de gouvernement ait des moyens de finances, des agents, etc., etc. Je demande qu'il ait a sa disposition 50 millions, avec cet amendement, que les fonds resteront a la tresorerie nationale et n'en seront tires que sur des arretes du Comite. * * * * * Robespierre, Couthon, Lacroix et Thiriot prirent ensuite part a la discussion, qui fut cloturee par cette declaration de Danton: * * * * * Je declare que, puisqu'on a laisse a moi seul le poids de la proposition que je n'ai faite qu'apres avoir eu l'avis de plusieurs de mes collegues, meme des membres du Comite de salut public, je declare, comme etant un de ceux qui ont toujours ete les plus calomnies, que je n'accepterai jamais de fonctions dans ce Comite; j'en jure par la liberte de ma patrie. XXXV SUR LES SUSPECTS (12 aout 1793) Les Assemblees primaires envoyerent a la Convention nationale une petition que celle-ci accueillit dans sa seance du 12 aout. L'arrestation des suspects y etait demandee sur tout le territoire de la Republique. Danton appuya la demande et proposa, en outre, de conferer aux commissaires des assemblees primaires le droit de mettre en requisition 400.000 hommes contre les ennemis du Nord. * * * * * Les deputes des assemblees primaires viennent d'exercer parmi nous l'initiative de la terreur contre les ennemis de l'interieur. Repondons a leurs voeux; non, pas d'amnistie a aucun traitre. L'homme juste ne fait point de grace au mechant. Signalons la vengeance populaire par le glaive de la loi sur les conspirateurs de l'interieur; mais sachons donc mettre a profit cette memorable journee. On vous a dit qu'il fallait se lever en masse; oui, sans doute, mais il faut que ce soit avec ordre. C'est une belle idee que celle que Barere vient de nous donner, quand il vous a dit que les commissaires des assemblees primaires devaient etre des especes de representants du peuple, charges d'exciter l'energie des citoyens pour la defense de la constitution. Si chacun d'eux pousse a l'ennemi vingt hommes armes, et ils doivent etre a peu pres huit mille commissaires, la patrie est sauvee. Je demande qu'on les investisse de la qualite necessaire pour faire cet appel au peuple; que, de concert avec les autorites constituees et les bons citoyens, ils soient charges de faire l'inventaire des grains, des armes, la requisition des hommes, et que le Comite de salut public dirige ce sublime mouvement. C'est a coups de canon qu'il faut signifier la constitution a nos ennemis. J'ai bien remarque l'energie des hommes que les sections nationales nous ont envoyes, j'ai la conviction qu'ils vont tous jurer de donner, en retournant dans leurs foyers, cette impulsion a leurs concitoyens. Je demande donc qu'on mette en etat d'arrestation tous les hommes vraiment suspects; mais que cette mesure s'execute avec plus d'intelligence que jusqu'a present, ou, au lien de saisir les grands scelerats, les vrais conspirateurs, on a arrete des hommes plus qu'insignifiants. Ne demandez pas qu'on les mene a l'ennemi, ils seraient dans nos armees plus dangereux qu'utiles. Enfermons-les, ils seront nos otages. Je demande que la Convention nationale, qui doit etre maintenant penetree de toute sa dignite, car elle vient d'etre revetue de toute la force nationale, je demande qu'elle decrete qu'elle investit les commissaires des assemblees primaires du droit de dresser l'etat des armes, des subsistances, des munitions, et de mettre en requisition 400.000 hommes contre nos ennemis du Nord. XXXVI SUR L'INSTRUCTION GRATUITE ET OBLIGATOIRE (13 aout 1793) C'est dans ce discours qu'on a, fort heureusement, pris une des epigraphes qui ornent la statue de Danton. C'est que jamais plus nobles paroles et plus nobles pensees ne furent exprimees dans la grande tourmente revolutionnaire. C'est a elles que la democratie moderne doit l'instruction dont elle jouit. * * * * * Citoyens, apres la gloire de donner la liberte a la France, apres celle de vaincre ses ennemis, il n'en est pas de plus grande que de preparer aux generations futures une education digne de la liberte; tel fut le but que Lepeletier se proposa. Il partit de ce principe que tout ce qui est bon pour la societe doit etre adopte par ceux qui ont pris part au contrat social. Or, s'il est bon d'eclairer les hommes, notre collegue, assassine par la tyrannie, merita bien de l'humanite. Mais que doit faire le legislateur? Il doit concilier ce qui convient aux principes et ce qui convient aux circonstances. On a dit contre le plan que l'amour paternel s'oppose a son execution: sans doute il faut respecter la nature meme dans ses ecarts. Mais, si nous ne decretons pas l'education imperative, nous ne devons pas priver les enfants du pauvre de l'education. La plus grande objection est celle de la finance; mais j'ai deja dit qu'il n'y a point de depense reelle la ou est le bon emploi pour l'interet public, et j'ajoute ce principe, que l'enfant du peuple sera eleve aux depens du superflu des hommes a fortunes scandaleuses. C'est a vous, republicains celebres, que j'en appelle; mettez ici tout le feu de votre imagination, mettez-y toute l'energie de votre caractere, c'est le peuple qu'il faut doter de l'education nationale. Quand vous semez dans le vaste champ de la Republique, vous ne devez pas compter le prix de cette semence. Apres le pain, l'education est le premier besoin du peuple. Je demande qu'on pose la question: sera-t-il forme aux depens de la nation des etablissements ou chaque citoyen aura la faculte d'envoyer ses enfants pour l'instruction publique? Apres une intervention de Charlier, Guyomard et Robespierre, Danton continua: C'est aux moines, cette espece miserable, c'est au siecle de Louis XIV, ou les hommes etaient grands par leurs connaissances, que nous devons le siecle de la philosophie, c'est-a-dire de la raison mise a la portee du peuple; c'est aux jesuites, qui se sont perdus par leur ambition politique, que nous devons ces elans sublimes qui font naitre l'admiration. La Republique etait dans les esprits vingt ans au moins avant sa proclamation. Corneille faisait des epitres dedicatoires a Montoron, mais Corneille avait fait le Cid, Cinna; Corneille avait parle en Romain, et celui qui avait dit: "Pour etre plus qu'un roi, tu te crois quelque chose", etait un vrai republicain. Allons donc a l'instruction commune; tout se retrecit dans l'education domestique, tout s'agrandit dans l'education commune. On a fait une objection en presentant le tableau des affections paternelles; et moi aussi, je suis pere, et plus que les aristocrates qui s'opposent a l'education commune, car ils ne sont pas surs de leur paternite. Eh bien, quand je considere ma personne relativement au bien general, je me sens eleve; mon fils ne m'appartient pas, il est a la Republique; c'est a elle a lui dicter ses devoirs pour qu'il la serve bien. On a dit qu'il repugnerait aux coeurs des cultivateurs de faire le sacrifice de leurs enfants. Eh bien, ne les contraignez pas, laissez-leur-en la faculte seulement. Qu'il y ait des classes ou il n'enverra ses enfants que le dimanche seulement, s'il le veut. Il faut que les institutions forment les moeurs. Si vous attendiez pour l'Etat une regeneration absolue, vous n'auriez jamais d'instruction. Il est necessaire que chaque homme puisse developper les moyens moraux qu'il a recus de la nature. Vous devez avoir pour cela des maisons communes, facultatives, et ne point vous arreter a toutes les considerations secondaires. Le riche payera, et il ne perdra rien s'il veut profiter de l'instruction pour son fils. Je demande que, sauf les modifications necessaires, vous decretiez qu'il y aura des etablissements nationaux ou les enfants seront instruits, nourris et loges gratuitement, et des classes ou les citoyens qui voudront garder leurs enfants chez eux pourront les envoyer s'instruire. XXXVII SUR LES CREANCIERS DE LA LISTE CIVILE ET LES REQUISITIONS DEPARTEMENTALES (14 aout 1793) Mallarme, dans la seance du 14 aout, proposa a la Convention de payer aux boulanger, boucher et autres employes de la liste civile ce qui leur demeurait du. Il n'exceptait de cette mesure que les creanciers ayant prete de l'argent "au ci-devant roi pour l'aider a etouffer la liberte naissante". (_Moniteur_, n deg. 227.) Danton s'opposa en ces termes a la proposition de Mallarme: * * * * * Il doit paraitre etonnant a tout bon republicain que l'on propose de payer les creanciers de la ci-devant liste civile, tandis que le decret qui accorde des indemnites aux femmes et enfants des citoyens qui versent leur sang pour la patrie reste sans execution. Aucun homme de bonne foi ne peut disconvenir que les creanciers de la liste civile ne fussent les complices du tyran dans le projet qu'il avait forme d'ecraser le peuple francais. La distinction faite par Mallarme est nulle pour des hommes clairvoyants. On sait qu'il y avait des aristocrates qui pretaient des sommes d'argent au tyran, duquel ils recevaient des reconnaissances portant qu'ils lui avaient fourni telle quantite de telle ou telle marchandise. Je demande que la Convention decrete que la nation ne paiera aucun creancier du ci-devant roi. Je demande aussi que la liste de ses creanciers soit imprimee, afin que le peuple les connaisse. * * * * * Les propositions de Danton furent adoptees. Barere monta aussitot a la tribune et demanda, au nom du Comite de salut public, d'etendre les devoirs des envoyes des assemblees primaires et de les charger de faire un appel au peuple. Danton proposa de les obliger, en outre, a de nouvelles requisitions. * * * * * En parlant a l'energie nationale, en faisant appel au peuple, je crois que vous avez pris une grande mesure, et le Comite de salut public a fait un rapport digne de lui, en faisant le tableau des dangers que court la patrie, et des ressources qu'elle a, en parlant des sacrifices que devaient faire les riches, mais il ne nous a pas tout dit. Si les tyrans mettaient notre liberte en danger, nous les surpasserions en audace, nous devasterions le sol francais avant qu'ils pussent le parcourir, et les riches, ces vils egoistes, seraient les premiers la proie de la fureur populaire. Vous qui m'entendez, repetez ce langage a ces memes riches de vos communes; dites-leur: "Qu'esperez-vous, malheureux? Voyez ce que serait la France si l'ennemi l'envahissait, prenez le systeme le plus favorable. Une regence conduite par un imbecile, le gouvernement d'un mineur, l'ambition des puissances etrangeres, le morcellement du territoire devoreraient vos biens; vous perdriez plus par l'esclavage que par tous les sacrifices que vous pourriez faire pour soutenir la liberte." Il faut qu'au nom de la Convention nationale, qui a la foudre populaire entre les mains, il faut que les envoyes des assemblees primaires, la ou l'enthousiasme ne produira pas ce qu'on a droit d'en attendre, fassent des requisitions a la premiere classe. En reunissant la chaleur de l'apostolat de la liberte a la rigueur de la loi, nous obtiendrons pour resultat une grande masse de forces. Je demande que la Convention donne des pouvoirs plus positifs et plus etendus aux commissaires des assemblees primaires, et qu'ils puissent faire marcher la premiere classe en requisition. Je demande qu'il soit nomme des commissaires pris dans le sein de la Convention pour se concerter avec les delegues des assemblees primaires, afin d'armer cette force nationale, de pourvoir a sa subsistance, et de la diriger vers un meme but. Les tyrans, en apprenant ce mouvement sublime, seront saisis d'effroi, et la terreur que repandra la marche de cette grande masse nous en fera justice. Je demande que mes propositions soient mises aux voix et adoptees. * * * * * "Les propositions de Danton sont decretees au milieu des applaudissements." (_Moniteur_, n deg. 227.) XXXVIII SUR DE NOUVELLES MESURES REVOLUTIONNAIRES (4 septembre 1793) C'est, une nouvelle fois, le plus vif amour du peuple qui inspira ce discours de Danton en reponse a la denonciation de Bazire d'une contre-revolution sectionnaire. Grace a lui, une indemnite de deux francs par jour fut accordee aux citoyens assistant aux assemblees de sections. Ce ne fut que par un decret du 4 fructidor an II que cette mesure fut abolie. Les propositions de Danton furent toutes trois adoptees dans cette seance. * * * * * Je pense comme plusieurs membres, notamment comme Billaud-Varennes, qu'il faut savoir mettre a profit l'elan sublime de ce peuple qui se presse autour de nous. Je sais que, quand le peuple presente ses besoins, qu'il offre de marcher contre ses ennemis, il ne faut prendre d'autres mesures que celles qu'il presente lui-meme, car c'est le genie national qui les a dictees. Je pense qu'il sera bon que le comite fasse son rapport, qu'il calcule et qu'il propose les moyens d'execution; mais je vois aussi qu'il n'y a aucun inconvenient a decreter a l'instant meme une armee revolutionnaire. Elargissons, s'il se peut, ces mesures. Vous venez de proclamer a la face de la France qu'elle est encore en vraie revolution active; et bien, il faut la consommer, cette revolution. Ne vous effrayez point des mouvements que pourront tenter les contre-revolutionnaires de Paris. Sans doute ils voudraient eteindre le feu de la liberte dans son foyer le plus ardent, mais la masse immense des vrais patriotes, des sans-culottes, qui cent fois ont terrasse leurs ennemis, existe encore; elle est prete a s'ebranler: sachez la diriger, et elle confondra encore et dejouera toutes les manoeuvres. Ce n'est pas assez d'une armee revolutionnaire, soyez revolutionnaires vous-memes. Songez que les hommes industrieux qui vivent du prix de leurs sueurs ne peuvent aller dans les sections. Decretez donc deux grandes assemblees de sections par semaine, que l'homme du peuple qui assistera a ces assemblees politiques ait une juste retribution pour le temps qu'elles enleveront a son travail. Il est bon encore que nous annoncions a tous nos ennemis que nous voulons etre continuellement et completement en mesure contre eux. Vous avez decrete 30 millions a la disposition du ministre de la Guerre pour des fabrications d'armes; decretez que ces fabrications extraordinaires ne cesseront que quand la nation aura donne a chaque citoyen un fusil. Annoncons la ferme resolution d'avoir autant de fusils et presque autant de canons que de sans-culottes. Que ce soit la Republique qui mette le fusil dans la main du citoyen, du vrai patriote; qu'elle lui dise: "La patrie te confie cette arme pour sa defense; tu la representeras tous les mois et quand tu en seras requis par l'autorite nationale." Qu'un fusil soit la chose la plus sacree parmi nous; qu'on perde plutot la vie que son fusil. Je demande donc que vous decretiez au moins cent millions pour faire des armes de toute nature; car si nous avions eu des armes nous aurions tous marche. C'est le besoin d'armes qui nous enchaine. Jamais la patrie en danger ne manquera de citoyens. Mais il reste a punir et l'ennemi interieur que vous tenez, et celui que vous avez a saisir. Il faut que le tribunal revolutionnaire soit divise en un assez grand nombre de sections pour que tous les jours un aristocrate, un scelerat paie de sa tete ses forfaits. 1 deg. Je demande donc qu'on mette aux voix d'abord la proposition de Billaud. 2 deg. Qu'on decrete egalement que les sections de Paris s'assembleront extraordinairement les dimanches et les jeudis, et que tout citoyen faisant partie de ces assemblees, qui voudra, attendu ses besoins, reclamer une indemnite, la recevra, a raison de 40 sols par assemblee. 3 deg. Qu'il soit decrete par la Convention qu'elle met a la disposition du ministre de la Guerre 100 millions pour des fabrications d'armes, et notamment pour des fusils; que ces manufactures extraordinaires recoivent tous les encouragements et les additions necessaires, et qu'elles ne cessent leurs travaux que quand la France aura donne a chaque citoyen un fusil. Je demande enfin qu'il soit fait un rapport sur le mode d'augmenter de plus en plus l'action du tribunal revolutionnaire. Que le peuple voie tomber ses ennemis, qu'il voie que la Convention s'occupe de ses besoins. Le peuple est grand, et il vous en donne en cet instant meme une preuve remarquable: c'est que, quoi qu'il ait souffert de la disette factice machinee pour le mener a la contre-revolution, il a senti qu'il souffrait pour sa propre cause; et, sous le despotisme, il aurait extermine tous les gouvernements. Tel est le caractere du Francais eclaire par quatre annees de revolutions. Hommage vous soit rendu, peuple sublime! A la grandeur vous joignez la Perseverance; vous voulez la liberte avec obstination; vous jeunez pour la liberte, vous devez l'acquerir. Nous marcherons avec vous, vos ennemis seront confondus, vous serez libres! XXXIX SUR LES SECOURS A ACCORDER AUX PRETRES SANS RESSOURCES (22 novembre 1793) Dans la seance de la Convention du 22 novembre fut discutee la question des secours a accorder aux pretres refractaires. Danton, avec une generosite egale a sa tolerance, proposa de secourir meme ceux qui s'etaient montres rebelles a la loi, et ce en raison meme du veritable esprit revolutionnaire. * * * * * Sachez, citoyens, que vos ennemis ont mis a profit pour vous perdre jusqu'a la philosophie qui vous dirige; ils ont cru qu'en accueillant les pretres que la raison porte a abandonner leur etat, vous persecuteriez ceux qui sont aveugles par le bandeau de l'erreur. Le peuple est aussi juste qu'eclaire. L'Assemblee ne veut salarier aucun culte, mais elle execre la persecution et ne ferme point l'oreille aux cris de l'humanite. Citoyens, accordez des secours a tous les pretres; mais que ceux qui sont encore dans l'age de prendre un etat ne puissent pretendre aux secours de la nation apres s'etre procure les moyens de subsister. Si Pitt a pense que l'abolition du fanatisme serait un obstacle a votre rentree en Belgique par la persecution que vous ferez eprouver aux pretres, qu'il soit detrompe, et qu'il apprenne a respecter une nation genereuse qu'il n'a cesse de calomnier. Citoyens, il faut concilier la politique avec la saine raison: apprenez que si vous otez aux pretres les moyens de subsister, vous les reduisez a l'alternative, ou de mourir de faim, ou de se reunir avec les rebelles de la Vendee. Soyez persuades que tout pretre, observant le cours de la raison, se hatera d'alleger le fardeau de la Republique en devenant utile a lui-meme, et que ceux qui voudront encore secouer les torches de la discorde seront arretes par le peuple qui ecrase tous ses ennemis sous le char de la Revolution. Je demande l'economie du sang des hommes; je demande que la Convention soit juste envers ceux qui ne sont pas signales comme les ennemis du peuple. Citoyens, n'y eut-il qu'un seul pretre qui, prive de son etat, se trouve sans ressources, vous lui devez de quoi vivre; soyez justes, politiques, grands comme le peuple: au milieu de sa fureur vengeresse, il ne s'ecarte jamais de la justice; il la veut. Proclamez-la en son nom, et vous recevrez ses applaudissements. XL CONTRE LES MASCARADES ANTIRELIGIEUSES ET SUR LA CONSPIRATION DE L'ETRANGER (26 novembre 1793) Plusieurs des seances de la Convention avaient vu defiler a la barre des deputations venant offrir les depouilles des eglises, et des ecclesiastiques venant deposer leurs lettres de pretrise. Danton s'eleva avec force contre ces _mascarades antireligieuses_, et, rappelant les differents besoins et desirs du peuple, demanda plus d'activite dans les mesures revolutionnaires et la lecture du rapport sur la conspiration de l'etranger ourdie par le baron Jean de Batz. * * * * * Il y a un decret qui porte que les pretres qui abdiqueront iront porter leur renonciation au comite. Je demande l'execution de ce decret, car je ne doute pas qu'ils ne viennent successivement abjurer l'imposture. Il ne faut pas tant s'extasier sur la demarche d'hommes qui ne font que suivre le torrent. Nous ne voulons nous engouer pour personne. Si nous n'avons pas honore le pretre de l'erreur et du fanatisme, nous ne voulons pas non plus honorer le pretre de l'incredulite: nous voulons servir le peuple. Je demande qu'il n'y ait plus de mascarades antireligieuses dans le sein de la Convention. Que les individus qui voudront deposer sur l'autel de la patrie les depouilles de l'Eglise ne s'en fassent plus un jeu ni un trophee. Notre mission n'est pas de recevoir sans cesse des deputations qui repetent toujours les memes mots. Il est un terme a tout, meme aux felicitations. Je demande qu'on pose la barriere. Il faut que les comites preparent un rapport sur ce qu'on appelle une conspiration de l'etranger. Il faut nous preparer a donner du ton et de l'energie au gouvernement. Le peuple veut, et il a raison, que la terreur soit a l'ordre du jour. Mais il veut que la terreur soit reportee a son vrai but, c'est-a-dire contre les aristocrates, contre les egoistes, contre les conspirateurs, contre les traitres amis de l'etranger. Le peuple ne veut pas que celui qui n'a pas recu de la nature une grande force d'energie, mais qui sert la patrie de tous ses moyens, quelque faibles qu'ils soient, non, le peuple ne veut pas qu'il tremble. Un tyran, apres avoir terrasse la Ligue, disait a un des chefs qu'il avait vaincus, en le faisant suer [Note: Et non "tuer" comme Vermorel, p. 230, l'imprime.]: "Je ne veux pas d'autre vengeance de vous." Le temps n'est pas venu ou le peuple pourra se montrer clement. Le temps de l'inflexibilite et des vengeances nationales n'est point passe; il faut un nerf puissant, un nerf terrible au peuple. Ce nerf est le sien propre, puisque, d'un souffle, il peut creer et detruire ses magistrats, ses representants. Nous ne sommes, sous le rapport politique, qu'une commission nationale que le peuple encourage par ses applaudissements. Le peuple veut, apres avoir fonde la Republique, que nous essayions tous les moyens qui pourront donner plus de force et d'action au gouvernement republicain. Que chacun de vous medite donc tous les jours ces grands objets. Il faut que le Comite de salut public se degage de beaucoup de details, pour se livrer tout entier a ces importantes meditations. Donnons enfin des resultats au peuple. Depuis longtemps c'est le peuple qui fait toutes les grandes choses. Certes, il est beau que ses representants s'humilient devant sa puissance souveraine. Mais il serait plus beau qu'ils s'associassent a sa gloire, qu'ils previnssent et dirigeassent ses mouvements immortels. Je demande que le Comite de salut public, reuni a celui de surete generale, fasse un prompt rapport sur la conspiration denoncee, et sur les moyens de donner une action grande et forte au gouvernement provisoire. * * * * * Fayau etant intervenu pour observer que, Danton ayant parle de clemence, le moment etait peut-etre mal choisi pour montrer de l'indulgence envers les ennemis de la patrie, Danton repondit: * * * * * Je demande a relever un fait. Il est faux que j'aie dit qu'il fallait que le peuple se portat a l'indulgence; j'ai dit au contraire que le temps de l'inflexibilite et des vengeances nationales n'etait point passe. Je veux que la terreur soit a l'ordre du jour; je veux des peines plus fortes, des chatiments plus effrayants contre les ennemis de la liberte, mais je veux qu'ils ne portent que sur eux seuls. * * * * * Une nouvelle observation de Fayau reprocha a Danton d'avoir parle du gouvernement republicain comme d'un essai. Danton conclut: * * * * * Je ne concois pas qu'on puisse ainsi denaturer mes idees. Il est encore faux que j'aie parle d'un essai de gouvernement republicain. Et moi aussi, je suis republicain, republicain imperissable. La Constitution est decretee et acceptee. Je n'ai parle que du gouvernement provisoire; j'ai voulu tourner l'attention de mes collegues vers les lois de detail necessaires pour parvenir a l'execution de cette Constitution republicaine. XLI SUR L'INSTRUCTION PUBLIQUE (26 novembre 1793) A plusieurs reprises Danton revint sur la question de l'instruction publique. Dans cette meme seance de la Convention il demanda l'institution de fetes publiques et nationales, notamment a l'Etre supreme, idee que Robespierre devait faire sienne quelques mois plus tard. * * * * * Dans ce moment ou la superstition succombe pour faire place a la raison, vous devez donner une centralite a l'instruction publique, comme vous en avez donne une au gouvernement. Sans doute vous disseminerez dans les departements des maisons ou la jeunesse sera instruite dans les grands principes de la raison et de la liberte; mais le peuple entier doit celebrer les grandes actions qui auront honore notre revolution. Il faut qu'il se reunisse dans un vaste temple, et je demande que les artistes les plus distingues concourent pour l'elevation de cet edifice, ou, a un jour indique, seront celebres des jeux nationaux. Si la Grece eut ses jeux olympiques, la France solennisera aussi ses jours sans-culottides. Le peuple aura des fetes dans lesquelles il offrira l'encens a l'Etre supreme, au maitre de la nature; car nous n'avons pas voulu aneantir le regne de la superstition, pour etablir le regne de l'atheisme. Citoyens, que le berceau de la liberte soit encore le centre des fetes nationales. Je demande que la Convention consacre le Champ-de-Mars aux jeux nationaux, qu'elle ordonne d'y elever un temple ou les Francais puissent se reunir en grand nombre. Cette reunion alimentera l'amour sacre de la liberte, et augmentera les ressorts de l'energie nationale; c'est par de tels etablissements que nous vaincrons l'univers. Des enfants vous demandent d'organiser l'instruction publique; c'est le pain de la raison, vous le leur devez; c'est la raison, ce sont les lumieres qui font la guerre aux vices. Notre revolution est fondee sur la justice, elle doit etre consolidee par les lumieres. Donnons des armes a ceux qui peuvent les porter, de l'instruction a la jeunesse, et des fetes nationales au peuple. XLII SUR LES ARRETES DES REPRESENTANTS EN MISSION EN MATIERE FINANCIERE (1er decembre 1793) Dans la seance du 1er decembre, la Convention decreta sur certains arretes rigoureux pris en matiere financiere, soit sur l'or, soit sur les assignats, par des representants en mission. Danton s'eleva contre l'arbitraire possible de pareilles manoeuvres. * * * * * Cambon nous a fait une declaration solennelle et qu'il faut repeter; c'est que nous avons au tresor public de l'or, de quoi acquerir du pain et des armes, autant que le commerce neutre pourra nous en fournir. D'apres cela, nous ne devons rien faire precipitamment en matiere de finances. C'est toujours avec circonspection que nous devons toucher a ce qui a sauve la Republique. Quelque interet qu'eussent tous nos ennemis a faire tomber l'assignat, il est reste, parce que sa valeur a pour base le sol entier de la Republique. Nous pourrons examiner a loisir, et mediter murement la theorie du comite. J'en ai raisonne avec Cambon. Je lui ai developpe des inconvenients graves dont il est convenu avec moi. N'oublions jamais qu'en pareille matiere des resultats faux compromettraient la liberte. Cambon nous a apporte des faits. Des representants du peuple ont rendu des lois de mort pour l'argent. Nous ne saurions nous montrer assez severes sur de pareilles mesures, et surtout a l'egard de nos collegues. Maintenant que le federalisme est brise, les mesures revolutionnaires doivent etre une consequence necessaire de nos lois positives. La Convention a senti l'utilite d'un supplement de mesures revolutionnaires; elle l'a decrete: des ce moment, tout homme qui se fait ultra-revolutionnaire donnera des resultats aussi dangereux que pourrait le faire le contre-revolutionnaire decide. Je dis donc que nous devons manifester la plus vive indignation pour tout ce qui excedera les bornes que je viens d'etablir. Declarons que nul n'aura le droit de faire arbitrairement la loi a un citoyen; defendons contre toute atteinte ce principe: que la loi n'emane que de la Convention, qui seule a recu du peuple la faculte legislative; rappelons ceux de nos commissaires qui, avec de bonnes intentions sans doute, ont pris les mesures qu'on nous a rapportees, et que nul representant du peuple ne prenne desormais d'arrete qu'en concordance avec nos decrets revolutionnaires, avec les principes de la liberte, et d'apres les instructions qui lui seront transmises par le Comite de salut public. Rappelons-nous que si c'est avec la pique que l'on renverse, c'est avec le compas de la raison et du genie qu'on peut elever et consolider l'edifice de la societe. Le peuple nous felicite chaque jour sur nos travaux; il nous a signifie de rester a notre poste: c'est parce que nous avons fait notre devoir. Rendons-nous de plus en plus dignes de la confiance dont il s'empresse de nous investir; faisons seuls la loi et que nul ne nous la donne. J'insiste sur le rappel et l'improbation des commissaires qui ont pris l'arrete qui vous a ete denonce. Enfin je demande que le Comite de salut public soit charge de notifier a tous les representants du peuple qui sont en commission, qu'ils ne pourront prendre aucune mesure qu'en consequence de vos lois revolutionnaires et des instructions qui leur seront donnees. * * * * * Fayau, ayant parle en faveur des mesures revolutionnaires extremes necessitees dans certains departements, fit observer que le Comite de salut public en pouvait juger, puisque les representants en mission lui communiquaient leurs arretes dans les vingt-quatre heures. Danton repondit, et, quoique admettant les motifs de Fayau, il en contesta l'urgence tout en demandant une application rigoureuse des mesures revolutionnaires: * * * * * Je suis d'accord sur l'action prolongee et necessaire du mouvement et de la force revolutionnaires. Le Comite de salut public examinera celles qui seront necessaires et utiles; et s'il est utile d'ordonner la remise de l'or et de l'argent, sous peine de mort, nous le ratifierons, et le peuple le ratifiera avec nous; mais le principe que j'ai pose n'en est pas moins constant: c'est au Comite de salut public a diriger les mesures revolutionnaires sans les resserrer; ainsi tout commissaire peut arreter les individus, les imposer meme, telle est mon intention. Non seulement je ne demande point le ralentissement des mesures revolutionnaires, mais je me propose d'en presenter qui frapperont et plus fort et plus juste; car, dans la Republique, il y a un tas d'intrigants et de conspirateurs veritables qui ont echappe au bras national, qui en a atteint de moins coupables qu'eux. Oui, nous voulons marcher revolutionnairement, dut le sol de la Republique s'aneantir; mais, apres avoir donne tout a la vigueur, donnons beaucoup a la sagesse; c'est de la constitution de ces deux elements que nous recueillerons les moyens de sauver la patrie. * * * * * Dans cette meme seance, un citoyen venu a la barre commenca la lecture d'une apologie rimee de Jean-Paul Marat, que Danton interrompit avec vehemence: * * * * * Et moi aussi j'ai defendu Marat contre ses ennemis, et moi aussi j'ai apprecie les vertus de ce republicain; mais, apres avoir fait son apotheose patriotique, il est inutile d'entendre tous les jours son eloge funebre et des discours ampoules sur le meme sujet; il vous faut des travaux et non pas des discours. Je demande que le petitionnaire dise clairement et sans emphase l'objet de sa petition. XLIII DEFENSE AUX JACOBINS (3 decembre 1793) A la seance des Jacobins du 3 decembre, un membre ayant demande que la Convention fut invitee a fournir des locaux aux societes populaires n'en possedant point encore fut combattu par Danton. Coupe (de l'Oise) accusa Danton de moderantisme et lui fit le reproche de vouloir paralyser la Revolution. L'accuse improvisa aussitot sa defense: * * * * * Coupe a voulu empoisonner mon opinion. Certes, jamais je n'ai pretendu proposer de rompre le nerf revolutionnaire, puisque j'ai dit que la Constitution devait dormir pendant que le peuple etait occupe a frapper ses ennemis. Les principes que j'ai enonces portent sur l'independance des societes populaires de toute espece d'autorite. C'est d'apres ce motif que j'ai soutenu que les societes populaires ne devaient avoir recours a personne pour solliciter des localites (_sic_). J'ai entendu des rumeurs. Deja des denonciations graves ont ete dirigees contre moi; je demande enfin a me justifier aux yeux du peuple, auquel il ne sera pas difficile de faire reconnaitre mon innocence et mon amour pour la liberte. Je somme tous ceux, qui ont pu concevoir contre moi des motifs de defiance, de preciser leurs accusations, car je veux y repondre en public. J'ai eprouve une forte defaveur en paraissant a la tribune. Ai-je donc perdu ces traits qui caracterisent la figure d'un homme libre? Ne suis-je plus ce meme homme qui s'est trouve a vos cotes dans les moments de crise? Ne suis-je pas celui que vous avez souvent embrasse comme votre ami, et qui doit mourir avec vous? Ne suis-je pas l'homme qui a ete accable de persecution? J'ai ete un des plus intrepides defenseurs de Marat. J'evoquerai l'ombre de l'Ami du peuple pour ma justification. Vous serez etonne, quand je vous ferai connaitre ma conduite privee, de voir que la fortune colossale que mes ennemis et les votres m'ont pretee se reduit a la petite portion de biens que j'ai toujours eue. Je defie les malveillants de fournir contre moi la preuve d'aucun crime. Tous leurs efforts ne pourront m'ebranler. Je veux rester debout avec le peuple. Vous me jugerez en sa presence. Je ne dechirerai pas plus la page de mon histoire que vous ne dechirerez la votre, qui doivent immortaliser les fastes de la liberte. * * * * * Le _Moniteur_ ne donne pas la suite du discours de Danton, et la resume en ces mots: "L'orateur, apres plusieurs morceaux violents prononces avec une abondance qui n'a pas permis d'en recueillir tous les traits, termine par demander qu'il soit nomme une commission de douze membres charges d'examiner les accusations dirigees contre lui, afin qu'il puisse y repondre en presence du peuple. Robespierre monta ensuite a la tribune pour justifier Danton qui, a la fin de la seance, recut l'accolade fraternelle, au milieu des applaudissements les plus flatteurs". XLIV SUR LES MESURES A PRENDRE CONTRE LES SUSPECTS (7 decembre 1793) Sur la proposition de Couthon, la Convention decreta, le 7 decembre, que les comites revolutionnaires prenant des mesures de surete contre les suspects non compris dans la loi du 17 septembre 1793 motiveraient ces mesures sur un registre particulier. Danton y ajouta une proposition qui fut adoptee. * * * * * Il faut nous convaincre d'une verite politique, c'est que, parmi les personnes arretees, il en est de trois classes, les unes qui meritent la mort, un grand nombre dont la Republique doit s'assurer, et quelques-unes sans doute qu'on peut relaxer sans danger pour elle. Mais il vaudrait mieux, au lieu d'affaiblir le ressort revolutionnaire, lui donner plus de nerf et de vigueur. Avant que nous en venions a des mesures combinees, je demande un decret revolutionnaire que je crois instant. J'ai eu, pendant ma convalescence, la preuve que des aristocrates, des nobles extremement riches, qui ont leurs fils chez l'etranger, se trouvent seulement arretes comme suspects, et jouissent d'une fortune qu'il est juste de faire servir a la defense de la liberte qu'ils ont compromise. Je demande que vous decretiez que tout individu qui a des fils emigres, et qui ne prouvera pas qu'il a ete ardent patriote, et qu'il a fait tout au monde pour empecher leur emigration, ne soit plus que pensionnaire de l'Etat, et que tous ses biens soient acquis a la Republique. XLV SUR L'INSTRUCTION PUBLIQUE (12 decembre 1793) Ces observations de Danton, dans la seance du 12 decembre, completent les precedents discours sur l'instruction publique. * * * * * Il est temps de retablir ce grand principe qu'on semble meconnaitre: que les enfants appartiennent a la Republique avant d'appartenir a leurs parents. Personne plus que moi ne respecte la nature. Mais l'interet social exige que la seulement doivent se reunir les affections. Qui me repondra que les enfants, travailles par l'egoisme des peres, ne deviennent dangereux pour la Republique? Nous avons assez fait pour les affections, nous devons dire aux parents: nous ne vous arrachons pas vos enfants; mais vous ne pouvez les soustraire a l'influence nationale. Et que doit donc nous importer la raison d'un individu devant la raison Nationale? Qui de nous ignore les dangers que peut produire cet isolement Perpetuel? C'est dans les ecoles nationales que l'enfant doit sucer le lait republicain. La Republique est une et indivisible. L'instruction publique doit aussi se rapporter a ce centre d'unite. A qui d'ailleurs accorderions-nous cette faculte de s'isoler? C'est au riche seul. Et que dira le pauvre, contre lequel peut-etre on elevera des serpents? J'appuie donc l'amendement propose. ANNEE 1794 XLVI SUR L'EGALITE DES CITOYENS DEVANT LES MESURES REVOLUTIONNAIRES (23 janvier 1794) Les commissaires de la section Mucius Scaevola avaient fait une perquisition chez M. Duplessis, beau-pere de Camille Desmoulins. Ils etaient partis en emportant une partie de sa bibliotheque. Camille vint reclamer a la Convention contre cet acte d'arbitraire. Danton, malgre son amitie, s'eleva contre lui au nom de l'egalite de tous les citoyens, membres de la Convention ou non, devant les mesures de salut public. * * * * * Je m'oppose a l'espece de distinction, de privilege, qui semblerait accorde au beau-pere de Desmoulins. Je veux que la Convention ne s'occupe que d'affaires generales. Si l'on veut un rapport pour ce citoyen, il en faut aussi pour tous les autres. Je m'eleve contre la priorite de date qu'on cherche a lui donner a leur prejudice. Il s'agit d'ailleurs de savoir si le Comite de surete generale n'est pas tellement surcharge d'affaires qu'il trouve a peine le temps de s'occuper de reclamations particulieres. Une revolution ne peut se faire geometriquement. Les bons citoyens qui souffrent pour la liberte doivent se consoler par ce grand et sublime motif. Personne n'a plus que moi demande les comites revolutionnaires; c'est sur ma proposition qu'ils ont ete etablis. Vous avez voulu creer une espece de dictature patriotique des citoyens les plus devoues a la liberte, sur ceux qui se sont rendus suspects. Ils ont ete eleves dans un moment ou le federalisme predominait. Il a fallu, il faut encore les maintenir dans toute leur force; mais prenons garde aux deux ecueils contre lesquels nous pourrions nous briser. Si nous faisions trop pour la justice, nous donnerions peut-etre dans le moderantisme, et preterions des armes a nos ennemis. Il faut que la justice soit rendue de maniere a ne point attenuer la severite de nos mesures. Lorsqu'une revolution marche vers son terme quoiqu'elle ne soit pas encore consolidee, lorsque la Republique obtient des triomphes, que ses ennemis sont battus, il se trouve une foule de patriotes tardifs et de fraiche date; il s'eleve des luttes de passions, des preventions, des haines particulieres, et souvent les vrais, les constants patriotes sont ecrases par ces nouveaux venus. Mais enfin, la ou les resultats sont pour la liberte par des mesures generales, gardons-nous de les accuser. Il vaudrait mieux outrer la liberte et la Revolution, que de donner a nos ennemis la moindre esperance de retroaction. N'est-elle pas bien puissante, cette nation? N'a-t-elle pas le droit comme la force d'ajouter a ses mesures contre les aristocrates, et de dissiper les erreurs elevees contre les ennemis de la patrie? Au moment ou la Convention peut, sans inconvenient pour la chose publique, faire justice a un citoyen, elle violerait ses droits, si elle ne s'empressait de le faire. La reclamation de mon collegue est juste en elle-meme, mais elle ferait naitre un decret indigne de nous. Si nous devions accorder une priorite, elle appartiendrait aux citoyens qui ne trouvent pas, dans leur fortune et dans leurs connaissances avec des membres de la Convention, des esperances et des ressources au milieu de leur malheur; ce serait aux malheureux, aux necessiteux, qu'il faudrait d'abord tendre les mains. Je demande que la Convention medite les moyens de rendre justice a toutes les victimes des mesures et arrestations arbitraires, sans nuire a l'action du gouvernement revolutionnaire. Je me garderai bien d'en prescrire ici les moyens. Je demande le renvoi de cette question a la meditation du Comite de surete generale, qui se concertera avec le Comite de salut public; qu'il soit fait un rapport a la Convention, et qu'il soit suivi d'une discussion large et approfondie; car toutes les discussions de la Convention ont eu pour resultat le triomphe de la liberte. La Convention n'a eu de succes que parce qu'elle a ete peuple; elle restera Peuple; elle cherchera et suivra sans cesse l'opinion qui doit decreter toutes les lois que vous proclamez. En approfondissant ces grandes questions, vous obtiendrez, je l'espere, des resultats qui satisferont la justice et l'humanite. XLVII POUR LE PERE DUCHESNE ET RONSIN (2 fevrier 1794) Dans la nuit du 19 decembre 1793, Hebert et Ronsin avaient ete arretes. Le Comite de surete generale proposa a la Convention, le 2 fevrier, de decreter leur mise en liberte. Lecointre, Philippeaux et Bourdon (de l'Oise) s'opposerent a cette mesure que Danton reclama en ce discours: * * * * * Ce devrait etre un principe incontestable parmi les patriotes que, par provision, on ne traitat pas comme suspects des veterans revolutionnaires qui, de l'aveu public, ont rendu des services constants a la liberte. Je sais que le caractere violent et impetueux de Vincent et de Ronsin a pu leur donner des torts particuliers vis-a-vis de tel ou tel individu; mais, de meme que dans toutes les grandes affaires, je conserverai l'inalterabilite de mon opinion, et que j'accuserai mon meilleur ami si ma conscience me dit qu'il est coupable, de meme je veux aujourd'hui defendre Ronsin et Vincent contre des preventions que je pourrais reprocher a quelques-uns de mes collegues, et contre des faits enonces posterieurement a l'arrestation de deux detenus, ou bien anterieurement, mais alors peu soigneusement conserves dans les circonstances dont on les a environnes. Car enfin, sur ces derniers, vous venez d'entendre l'explication de Levasseur; quant aux autres, quelles probabilites les accompagnent? combien de signataires en attestent la verite? qui les garantit a celui qui a signe la denonciation? Lui-meme est-il temoin et temoin oculaire? Si aucun des signataires n'a ete le temoin de ce qu'il a avance, s'il n'a que de simples soupcons, je repete qu'il est tres dangereux et tres impolitique d'assigner comme suspect un homme qui a rendu de grands services a la revolution. Je suppose que Ronsin et Vincent, s'abandonnant aussi a des preventions individuelles, voulussent voir dans les erreurs ou Philippeaux a pu tomber, le plan forme d'une contre-revolution; immuable, comme je le suis, je declare que je n'examinerais que les faits, et que je laisserais de cote le caractere qu'on aurait voulu leur donner. Ainsi donc, quand je considere que rien, en effet, n'est parvenu au Comite de surete generale contre Vincent et Ronsin, que, d'un autre cote, je vois une denonciation signee d'un seul individu, qui peut-etre ne declare qu'un oui-dire, je rentre alors dans mes fonctions de legislateur; je me rappelle le principe que je posais tout a l'heure, qui est qu'il faut etre bien sur des faits pour preter des intentions contre-revolutionnaires a des amis ardents de la liberte, ou pour donner a leurs erreurs un caractere de gravite qu'on ne supporterait pas pour les siennes propres. Je dis alors qu'il faut etre aussi prompt a demeler les intentions evidentes d'un aristocrate qu'a rechercher le veritable delit d'un patriote; je dis ce que je disais a Fabre lui-meme lorsqu'il arracha a la Convention le decret d'arrestation contre Vincent et Ronsin: "vous pretendez que la Convention a ete grande lorsqu'elle a rendu ce decret, et moi je soutiens qu'elle a eu seulement une bonne intention et qu'il la fallait bien eclairer". Ainsi je defends Ronsin et Vincent contre des preventions, de meme que je defendrai Fabre et mes autres collegues, tant qu'on n'aura pas porte dans mon ame une conviction contraire a celle que j'en ai. L'exuberance de chaleur qui nous a mis a la hauteur des circonstances, et qui nous a donne la force de determiner les evenements et de les faire tourner au profit de la liberte, ne doit pas devenir profitable aux ennemis de la liberte! Mon plus cruel ennemi, s'il avait ete utile a la Republique, trouverait en moi un defenseur ardent quand il serait arrete, parce que je me defierais d'autant plus de mes preventions qu'il aurait ete plus patriote. Je crois Philippeaux profondement convaincu de ce qu'il avance, sans que pour cela je partage son opinion; mais, ne voyant pas de danger pour la liberte dans l'elargissement de deux citoyens qui, comme lui et comme nous, veulent la Republique, je suis convaincu qu'il ne s'y opposera pas; qu'il se contentera d'epier leur conduite et de saisir les occasions de prouver ce qu'il avance; a plus forte raison la Convention, ne voyant pas de danger dans la mesure que lui propose le Comite de surete generale, doit se hater de l'adopter. Si, quand il fallait etre electrise autant qu'il etait possible pour operer et maintenir la revolution; si, quand il a fallu surpasser en chaleur et en energie tout ce que l'histoire rapporte de tous les peuples de la terre; si, alors, j'avais vu un seul moment de douceur, meme envers les patriotes, j'aurais dit: notre energie baisse, notre chaleur diminue. Ici, je vois que la Convention a toujours ete ferme, inexorable envers ceux qui ont ete opposes a l'etablissement de la liberte; elle doit etre aujourd'hui bienveillante envers ceux qui l'ont servie, et ne pas se departir de ce systeme qu'elle ne soit convaincue qu'il blesse la justice. Je crois qu'il importe a tous que l'avis du Comite soit adopte; preparez-vous a etre plus que jamais impassibles envers vos vieux ennemis, difficiles a accuser vos anciens amis. Voila, je declare, ma profession de foi, et j'invite mes collegues a la faire dans leur coeur. Je jure de me depouiller eternellement de toute passion, lorsque j'aurai a prononcer sur les opinions, sur les ecrits, sur les actions de ceux qui ont servi la cause du peuple et de la liberte. J'ajoute qu'il ne faut pas oublier qu'un premier tort conduit toujours a un plus grand. Faisons d'avance cesser ce genre de division que nos ennemis, sans doute, cherchent a jeter au milieu de nous; que l'acte de justice que vous allez faire soit un germe d'esperance jete dans le coeur des citoyens qui, comme Vincent et Ronsin, ont souffert un instant pour la cause commune, et nous verrons naitre pour la liberte des jours aussi brillants et aussi purs que vous lui en avez deja donne de victorieux. XLVIII SUR L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE (6 fevrier 1794) C'est en alliant l'humanite aux principes politiques que Danton appuya, le 6 fevrier, l'abolition de l'esclavage. Il voyait dans cette mesure genereuse, digne du nouveau regime, un des moyens d'abattre l'Angleterre ennemie. "C'est aujourd'hui que l'Anglais est mort", dit-il, persuade que la liberte etait le meilleur adversaire a opposer a la tyrannie. * * * * * Representants du peuple francais, jusqu'ici nous n'avions decrete la liberte qu'en egoistes et pour nous seuls. Mais aujourd'hui nous proclamons a la face de l'univers, et les generations futures trouveront leur gloire dans ce decret, nous proclamons la liberte universelle. Hier, lorsque le president donna le baiser fraternel aux deputes de couleur, je vis le moment ou la Convention devait decreter la liberte de nos freres. La seance etait trop nombreuse. La Convention vient de faire son devoir. Mais apres avoir accorde le bienfait de la liberte, il faut que nous en soyons pour ainsi dire les moderateurs. Renvoyons au Comite de salut public et des colonies, pour combiner les moyens de rendre ce decret utile a l'humanite, sans aucun danger pour elle. Nous avions deshonore noire gloire en tronquant nos travaux. Les grands principes developpes par le vertueux Las Cases avaient ete meconnus. Nous travaillons pour les generations futures, lancons la liberte dans les colonies: c'est aujourd'hui que l'Anglais est mort. En jetant la liberte dans le Nouveau Monde, elle y portera des fruits abondants, elle y poussera des racines profondes. En vain Pitt et ses complices voudront par des considerations politiques ecarter la jouissance de ce bienfait, ils vont etre entraines dans le neant, la France va reprendre le rang et l'influence que lui assurent son energie, son sol et sa population. Nous jouirons nous-memes de notre generosite, mais nous ne l'entendrons point au dela des bornes de la sagesse. Nous abattrons les tyrans comme nous avons ecrase les hommes perfides qui voulaient faire retrograder la revolution. Ne perdons point notre energie, lancons nos fregates, soyons surs des benedictions de l'univers et de la posterite, et decretons le renvoi des mesures a l'examen du Comite. XLIX SUR LES FONCTIONNAIRES PUBLICS SOUMIS A L'EXAMEN DU COMITE DE SALUT PUBLIC (9 mars 1794) Bouchotte etait accuse devant la Convention. Danton, intervenant aux debats, reclama l'examen de la conduite de tous les fonctionnaires publics. L'homme qui seize jours plus tard devait mourir jetait un supreme appel a la confiance en le Comite: * * * * * La representation nationale, appuyee de la force du peuple, dejouera tous les complots. Celui qui devait, ces jours derniers, perdre la liberte est deja presque en totalite aneanti. Le peuple et la Convention veulent que tous les coupables soient punis de mort. Mais la Convention doit prendre une marche digne d'elle. Prenez garde qu'en marchant par saccade, on ne confonde le vrai patriote avec ceux qui s'etaient couverts du masque du patriotisme pour assassiner le peuple. Le decret dont on vient de lire la redaction n'est rien; il s'agit de dire au Comite de salut public: examinez le complot dans toutes ses ramifications; scrutez la conduite de tous les fonctionnaires publics; voyez si leur mollesse ou leur negligence a concouru, meme malgre eux, a favoriser les conspirateurs. Un homme qui affectait l'empire de la guerre se trouve au nombre des coupables. Eh bien, le ministre est, a mon opinion, dans le cas d'etre accuse de s'etre au moins laisse paralyser. Le Comite de salut public veille jour et nuit; que les membres de la Convention s'unissent tous; que les revolutionnaires qui ont les premiers parle de Republique, face a face, avec Lafayette, apportent ici leur tete et leurs bras pour servir la patrie. Nous sommes tous responsables au peuple de sa liberte. Francais, ne vous effrayez pas, la liberte doit bouillonner jusqu'a ce que l'ecume soit sortie. Nos comites sont l'avant-garde politique; les armees doivent vaincre quand l'avant-garde est en surveillance. Jamais la Republique ne fut, a mon sens, plus grande. Voici le nouveau temps marque pour cette sublime revolution. Il fallait vaincre ceux qui singeaient le patriotisme pour tuer la liberte; nous les avons vaincus. Je demande que le Comite de salut public se concerte avec celui de surete generale pour examiner la conduite de tous les fonctionnaires. Il faut que chacun de nous se prononce. J'ai demande le premier le gouvernement revolutionnaire. On rejeta d'abord mon idee, on l'a adoptee ensuite; ce gouvernement revolutionnaire a sauve la Republique; ce gouvernement, c'est vous. Union, vigilance, meditation, parmi les membres de la Convention. L SUR LA DIGNITE DE LA CONVENTION (19 mars 1794) Dans cette meme seance de la Convention, Pache vint, avec le conseil general, protester de son devouement au gouvernement. Ruhl, qui presidait, lui reprocha de venir "un peu tard faire cette protestation". L'inscription de cette reponse au proces-verbal ayant ete demandee par quelques membres, Danton protesta au nom de la dignite de la Convention nationale. Ce fut son dernier discours. * * * * * Je demande la parole sur cette proposition. La representation nationale doit toujours avoir une marche digne d'elle. Elle ne doit pas avilir un corps entier, et frapper d'une prevention collective une administration collective, parce que quelques individus de ce corps peuvent etre coupables. Si nous ne reglons pas nos mouvements, nous pouvons confondre des patriotes energiques avec des scelerats qui n'avaient que le masque de patriotisme. Je suis convaincu que la grande majorite du conseil general de la Commune de Paris est digne de toute la confiance du peuple et de ses representants; qu'elle est composee d'excellents patriotes, d'ardents revolutionnaires. J'aime a saisir cette occasion pour lui faire individuellement hommage de mon estime. Le conseil general est venu declarer qu'il fait cause commune avec vous. Le president de la Convention a senti vivement sa dignite; la reponse qu'il a faite est, par le sens qu'elle renferme et par l'intention dans laquelle elle est redigee, digne de la majeste du peuple que nous representons. L'accent patriarcal et le ton solennel dont il l'a prononcee, donnaient a ces paroles un caractere plus auguste encore. Cependant ne devons-nous pas craindre, dans ce moment, que les malveillants n'abusent des expressions de Ruhl, dont l'intention ne nous est point suspecte, et qui ne veut surement pas que des citoyens qui viennent se mettre dans les rangs, sous les drapeaux du peuple et de la liberte, remportent de notre sein la moindre amertume? Au nom de la patrie, ne laissons pas aucune prise a la dissension. Si jamais, quand nous serons vainqueurs, et deja la victoire nous est assuree, si jamais des passions particulieres pouvaient prevaloir sur l'amour de la patrie, si elles tentaient de creuser un nouvel abime pour la liberte, je voudrais m'y precipiter tout le premier. Mais loin de nous tout ressentiment.... Le temps est venu ou l'on ne jugera plus que les actions. Les masques tombent, les masques ne seduiront plus. On ne confondra plus ceux qui veulent egorger les patriotes avec les veritables magistrats du peuple, qui sont peuple eux-memes. N'y eut-il parmi tous les magistrats qu'un seul homme qui eut fait son devoir, il faudrait tout souffrir plutot que de lui faire boire le calice d'amertume; mais ici on ne doute pas du patriotisme de la plus grande majorite de la Commune. Le president lui a fait une reponse ou regne une severe justice; mais elle peut etre mal interpretee. Epargnons a la Commune la douleur de croire qu'elle a ete censuree avec aigreur. LE PRESIDENT.--Je vais repondre a la tribune; viens, mon cher collegue, occupe toi-meme le fauteuil. DANTON.--President, ne demande pas que je monte au fauteuil, tu l'occupes dignement. Ma pensee est pure; si mes expressions l'ont mal rendue, pardonne-moi une inconsequence involontaire; je te pardonnerais moi-meme une pareille erreur. Vois en moi un frere qui a exprime librement son opinion. _Ruhl descend de la tribune et se jette dans les bras de Danton. Cette scene excite le plus vif enthousiasme dans l'Assemblee_. MEMOIRE ECRIT EN MIL HUIT CENT QUARANTE-SIX PAR LES DEUX FILS DE DANTON, LE CONVENTIONNEL, POUR DETRUIRE LES ACCUSATIONS DE VENALITE CONTRE LEUR PERE MEMOIRE DES FILS DE DANTON Rien au monde ne nous est plus cher que la memoire de notre pere. Elle a ete, elle est encore tous les jours calomniee, outragee d'une maniere affreuse; aussi notre desir le plus ardent a-t-il toujours ete de voir l'histoire lui rendre justice. Georges-Jacques Danton, notre pere, se maria deux fois. Il epousa d'abord, en juin 1787, Antoinette-Gabrielle Charpentier, qui mourut le 10 fevrier 1793. Dans le cours de la meme annee 1793, nous ne pourrions pas indiquer l'epoque precise, il epousa en secondes noces Mlle Sophie Gely, qui vivait encore il y a deux ans (nous ne savons pas si elle est morte depuis). Notre pere, en mourant, ne laissa que deux fils issus de son premier mariage. Nous sommes nes, l'un le 18 juin 1790, et l'autre le 17 fevrier 1792. Notre pere mourut le 5 avril 1794; nous n'avons donc pas pu avoir le bonheur de recevoir ses enseignements, ses confidences, d'etre inities a ses pensees, a ses projets. Au moment de sa mort, tout chez lui a ete saisi, confisque, et plus tard aucun de ses papiers, a l'exception de ses titres de propriete, ne nous a ete rendu. Nous avons ete eleves par M. Francois-Jerome Charpentier, notre grand-pere maternel et notre tuteur. Il ne parlait jamais sans attendrissement de Danton, son gendre. M. Charpentier, qui habitait Paris, y mourut en 1804, a une epoque ou, sans doute, il nous trouvait encore trop jeunes pour que nous puissions bien apprecier ce qu'il aurait pu nous raconter de la vie politique de notre pere, car il s'abstint de nous en parler. Du reste, il avait environ quatre-vingts ans quand il mourut, et, dans ses dernieres annees, son esprit paraissait beaucoup plus occupe de son avenir dans un autre monde que de ce qui s'etait passe dans celui-ci. Apres la mort de notre grand-pere Charpentier, M. Victor Charpentier, son fils, fut nomme notre tuteur. Il mourut en 1810. Quoiqu'il habitat Paris, nous revinmes en 1805 a Arcis, pour ne plus le quitter. La fin de notre enfance et le commencement de notre jeunesse s'y ecoulerent aupres de la mere de notre pere. Elle etait affaiblie par l'age, les infirmites et les chagrins. C'etait toujours les yeux remplis de larmes qu'elle nous entretenait de son fils, des innombrables temoignages d'affection qu'il lui avait donnes, des tendres caresses dont il l'accablait. Elle fit de frequents voyages a Paris; il aimait tant a la voir a ses cotes! Il avait en elle une confiance entiere; elle en etait digne, et, s'il eut eu des secrets, elle les eut connus, et nous les eussions connus par elle. Tres souvent, elle nous parlait de la Revolution; mais, en embrasser tout l'ensemble d'un seul coup d'oeil, en apprecier les causes, en suivre la marche, en juger les hommes et les evenements, en distinguer tous les partis, deviner leur but, demeler les fils qui les faisaient agir, tout cela n'etait pas chose facile, on en conviendra: aussi, quoique la mere de Danton eut beaucoup d'intelligence et d'esprit, on ne sera pas surpris que, d'apres ses recits, nous n'ayons jamais connu la Revolution que d'une maniere extremement confuse. Jusqu'ici nous n'avons parle que des choses qui se rapportent a nous; cela, de notre part, peut paraitre ridicule, mais cesse veritablement de l'etre quand on considere qu'il nous a fallu entrer dans ces explications pour faire comprendre comment il se fait que nous, enfants de Danton, nous ne puissions pas donner le moindre eclaircissement sur aucun des grands evenements dans lesquels il a figure. Sa mere, d'accord avec tous ceux qui nous ont si souvent parle de lui pour l'avoir connu, et que notre position sociale ne fera, certes, pas suspecter de flatterie, sa mere nous l'a toujours depeint comme le plus honnete homme que l'on puisse rencontrer, comme l'homme le plus aimant, le plus franc, le plus loyal, le plus desinteresse, le plus genereux, le plus devoue a ses parents, a ses amis, a son pays natal et a sa patrie. Quoi d'etonnant, nous dira-t-on? Dans la bouche d'une mere, que prouve un pareil eloge? Rien, sinon qu'elle adorait son fils. On ajoutera: Est-ce que, pour juger un homme, la posterite devra s'en rapporter aux declarations de la mere et des fils de cet homme? Non, sans doute, elle ne le devra pas, nous en convenons. Mais aussi, pour juger ce meme homme, devra-t-elle s'en rapporter aux declarations de ses ennemis? Elle ne le devra pas davantage. Et pourtant, que ferait-elle, si, pour juger Danton, elle ne consultait que les Memoires de ceux qu'il a toujours combattus? Justifier la vie politique de notre pere, defendre sa memoire, c'est pour nous un devoir sacre. Pourquoi ne l'avons-nous pas rempli? C'est parce que nous n'avons eu en notre possession aucun document, absolument aucun, et que nous ne pourrions mettre en avant que des allegations sans preuves ecrites; mais nous allons refuter une accusation excessivement grave qui se rattache a sa vie privee. Nous croyons qu'il nous sera facile de le faire victorieusement, car nos principaux arguments auront pour base des actes authentiques. Voici cette accusation. On a reproche a Danton d'avoir exploite la Revolution pour amasser scandaleusement une fortune enorme. Nous allons prouver d'une maniere incontestable, que c'est a tres grand tort qu'on lui a adresse ce reproche. Pour atteindre ce but, nous allons comparer l'etat de sa fortune au commencement de la Revolution avec l'etat de sa fortune au moment de sa mort. Au moment ou la Revolution eclata, notre pere etait avocat aux conseils du roi. C'est un fait dont il n'est pas necessaire de fournir la preuve: ses ennemis eux-memes ne le contestent pas. Nous ne pouvons pas etablir d'une maniere precise et certaine ce qu'il possedait a cette epoque. Cependant nous disons que, s'il ne possedait rien autre chose (ce qui n'est pas prouve), _il possedait au moins sa charge_, et voici sur ce point notre raisonnement: 1 deg. Quelques notes qui sont en notre possession nous prouvent que Jacques Danton, notre grand-pere, decede a Arcis, le 24 fevrier 1762, laissa des immeubles sur le finage de Plancy et sur celui d'Arcis; il est donc presumable que notre pere, ne le 26 octobre 1759, et par consequent reste mineur en tres bas age, a du posseder un patrimoine quelconque, si modique qu'on veuille le supposer. 2 deg. Si, avant la Revolution, on pouvait etre recu avocat quand on avait vingt et un ans accomplis (ce que nous ignorons), notre pere aura pu etre avocat vers 1780; en admettant qu'il fallut avoir vingt-cinq ans, il aura pu etre avocat vers la fin de 1784. Il devint ensuite avocat aux conseils du roi en 1787; il etait donc possible que, avant 1789, il eut deja fait quelques benefices, tant comme avocat au Parlement, que comme avocat aux conseils, et que, sur ces benefices, il eut fait quelques economies. 3 deg. Il y a lieu de penser qu'en epousant notre mere, il recut une dot quelconque. Eh bien, nous avons toujours cru qu'il paya sa charge aux conseils du roi, tant avec cette dot qu'avec le peu d'economies qu'il pouvait avoir faites sur ce qu'il avait pu gagner d'abord comme avocat au Parlement, ensuite comme avocat aux conseils, et qu'avec le peu de patrimoine qu'il devait posseder. Vous faites une supposition, nous dira-t-on? C'est vrai, c'est une supposition, puisque nous n'apportons pas les preuves de ce que nous venons d'avancer; mais si ses ennemis ne veulent pas admettre avec nous que notre supposition soit une realite, il faudra que, de leur cote, ils supposent que notre pere n'avait pas le moindre patrimoine, qu'il n'avait fait aucun benefice, tant en qualite d'avocat au Parlement qu'en qualite d'avocat aux conseils; que, s'il avait fait des benefices il n'avait pas fait d'economies; enfin qu'ils supposent que sa femme en l'epousant ne lui a pas apporte de dot. A moins qu'ils ne prouvent tout cela, ils feront aussi une supposition. Or, nous le demandons a toutes les personnes qui sont de bonne foi et sans prevention, notre supposition est-elle plus vraisemblable que celle des ennemis de notre pere? Oui, sans doute. Nous l'admettons donc comme un fait prouve, et nous disons: Danton n'etait pas riche au commencement de la Revolution, mais, s'il ne possedait rien autre chose (ce qui n'est pas prouve), il possedait au moins sa charge d'avocat aux conseils du roi. Maintenant Danton est-il riche au moment de sa mort? c'est ce que nous allons examiner. Nous allons etablir que ce qu'il possedait au moment de sa mort n'etait que l'equivalent a peu pres de sa charge d'avocat aux conseils. Nous n'avons jamais su s'il a ete fait des actes de partage de son patrimoine et de celui de ses femmes, ni si, au moment de la confiscation de ses biens, il en a ete dresse inventaire, mais nous savons tres bien et tres exactement ce que nous avons recueilli de sa succession, et nous allons le dire, sans rester dans le vague sur aucun point, car c'est ici que, comme nous l'avons annonce, nos arguments vont etre bases sur des actes authentiques. Nous ferons observer que l'etat que nous allons donner comprend sans distinction ce qui vient de notre pere et de notre mere. Une loi de fevrier 1791 ordonna que le prix des charges et offices supprimes serait rembourse par l'Etat aux titulaires. La charge que Danton possedait etait de ce nombre. Nous n'avons jamais su, pas meme approximativement, combien elle lui avait coute. Il en recut le remboursement sans doute, car precisement vers cette epoque, il commenca a acheter des immeubles dont voici le detail: Le 24 mars 1791, il achete aux encheres, moyennant quarante-huit mille deux cents livres, un bien national provenant du clerge, consistant en une ferme appelee Nuisement, situee sur le finage de Chassericourt, canton de Chavanges, arrondissement d'Arcis, departement de l'Aube, a sept lieues d'Arcis. Le titre de propriete de cette ferme n'est plus entre nos mains, en voici la raison: afin de payer le prix d'acquisition d'une filature de coton, nous avons vendu cette ferme a M. Nicolas Marchere-Lavigne, par acte passe par-devant maitre Jeannet, notaire a Arcis, en date du vingt-trois juillet mil huit cent treize, moyennant quarante-trois mille cinq cents francs, savoir trente mille francs portes au contrat, et treize mille francs que nous avons recus en billets. Nous avons remis le titre de propriete a l'acquereur. Danton avait achete cette ferme la somme de quarante-huit mille deux cents livres, ci...... 48.200 liv. 12 avril 91.--Il achete aux encheres du district d'Arcis, par l'entremise de maitre Jacques Jeannet-Boursier, son mandataire et son cousin, moyennant quinze cent soixante quinze livres, qu'il paye le vingt du meme mois, un bien national provenant du clerge consistant en une piece de pres contenant un arpent quatre denrees, situe sur le finage du Chene, lieu dit Villieu, ci...... 1.575 liv. 12 avril 91.--Il achete encore aux encheres du district d'Arcis, par l'entremise de maitre Jeannet-Boursier, moyennant six mille sept cent vingt-cinq livres, qu'il paya le lendemain, un bien national provenant du clerge, consistant en une piece de pre et saussaie contenant huit arpents, situe sur le finage de Torcy-le-Petit, lieu dit Lingle, ci...... 6.725 liv. 13 avril 91.--Mademoiselle Marie-Madeleine Piot de Courcelles, demeurant a Courcelles, par acte passe ce jour-la par-devant maitre Odin, notaire a Troyes, vend a Georges-Jacques Danton, administrateur du departement de Paris, ce acceptant M. Jeannet-Boursier, moyennant vingt-cinq mille trois cents livres qu'il paye comptant, un bien patrimonial n'ayant absolument rien de seigneurial, malgre les apparences qui pourraient resulter du nom de la venderesse, et consistant en une maison, cour, jardin, canal, enclos et dependances, situes a Arcis-sur-Aube, place du Grand-Pont, le tout contenant environ neuf arpents, trois denrees, quatorze carreaux, ci...... 25.300 liv. Nota.--Voila la modeste propriete que les ennemis de Danton decoraient du nom pompeux de sa terre d'Arcis, par derision peut-etre, mais plutot pour le depopulariser et jeter sur lui de l'odieux en faisant croire que, devenu tout a coup assez riche pour acheter et pour payer la terre d'Arcis, Danton, le republicain, n'avait pas mieux demande que de se substituer a son seigneur. La verite est que la terre d'Arcis (et il n'y en a qu'une, consistant en un chateau avec dependances considerables) n'a pas cesse un instant depuis plus d'un siecle d'appartenir a la famille de la Briffe, qui en possede plusieurs. Depuis l'an 1840 seulement, cette famille a vendu les dependances et n'a garde que le chateau avec son parc. 28 octobre 91.--Il achete, non par un mandataire, mais par lui-meme, de M. Beon-Jeannet, par acte passe par-devant maitre Finot, notaire a Arcis, moyennant deux mille deux cent cinquante livres qu'il paye comptant, un bien patrimonial consistant en cinq petites pieces de bois, situees sur le finage d'Arcis et sur celui du Chene, et contenant ensemble deux arpents, deux denrees, ci...... 2.250 liv. 7 novembre 91.--Il achete de M. Gilbert-Lasnier, par acte passe par-devant maitre Finot, notaire a Arcis, moyennant deux cent quarante livres qu'il paye comptant, une denree, vingt-cinq carreaux de jardin, pour agrandir la propriete qu'il a acquise de mademoiselle Piot, ci...... 240 liv. Par le meme acte il achete aussi, moyennant quatre cent soixante livres qu'il paye aussi comptant, deux denrees de bois que plus tard (le 3 avril 93), il donne en echange d'une denree, soixante-quatre carreaux de bois, qu'il reunit a la propriete de mademoiselle Piot, ci...... 460 liv. 8 novembre 91.--Il achete de M. Bouquet-Beon, par acte passe par-devant maitre Finot, notaire a Arcis, moyennant deux cent dix livres qu'il ne paye que le 10 juin 1793, un jardin dont la contenance n'est pas indiquee et qu'il reunit a la propriete de mademoiselle Piot, ci...... 210 liv. Total du prix de toutes les acquisitions d'immeubles faites par Danton en mil sept cent quatre-vingt onze: quatre-vingt-quatre mille neuf cent soixante livres, ci...... 84.960 liv. On doit remarquer qu'il est presumable que la plus grande partie de ces acquisitions a du etre payee en assignats, qui, a cette epoque, perdaient deja de leur valeur et dont, par consequent, la valeur nominale etait superieure a leur valeur reelle en argent, d'ou il resulterait que le prix reel en argent des immeubles ci-dessus indiques aurait ete inferieur a 84.960 livres. Depuis cette derniere acquisition du 8 novembre 1791 jusqu'a sa mort, Danton ne fit plus aucune acquisition importante. Il acheta successivement en 1792 et 1793 un nombre assez considerable de parcelles tres peu etendues et dont nous croyons inutile de donner ici le detail qui, par sa longueur et par le peu d'importance de chaque article, deviendrait fastidieux (nous pourrions le fournir s'il en etait besoin). Il fit aussi des echanges. Nous pensons qu'il suffit de dire que, en ajoutant ces parcelles a ce que Danton avait achete en 1791, on trouve que les immeubles qui, au moment de sa mort, dependaient tant de sa succession que de celle de notre mere, et qui nous sont parvenus, se composaient de ce qui suit, savoir: 1 deg. De la ferme de Nuisement (vendue par nous le 23 juillet 1813); 2 deg. De sa modeste et vieille maison d'Arcis, avec sa dependance, le tout contenant non plus 9 arpents, 3 denrees, 14 carreaux (ou bien 4 hectares, 23 ares, 24 centiares) seulement, comme au 13 avril 1791, epoque ou il en fit l'acquisition de mademoiselle Piot, mais par suite des additions qu'il y avait faites, 17 arpents, 3 denrees, 52 carreaux (ou bien 786 ares, 23); 3 deg. De 19 arpents, 7 denrees, 41 carreaux (808 ares, 06) de pre et saussaie; 4 deg. De 8 arpents, 1 denree, 57 carreaux (369 ares, 96) de bois; 5 deg. De 2 denrees, 40 carreaux (14 ares, 07) de terre situee dans l'enceinte d'Arcis. Nous declarons a qui voudra l'entendre et au besoin nous declarons _sous la foi du serment_, que nous n'avons recueilli de la succession de Georges-Jacques Danton, notre pere, et d'Antoinette-Gabrielle Charpentier, notre mere, rien, absolument rien autre chose que les immeubles dont nous venons de donner l'etat, que quelques portraits de famille et le buste en platre de notre mere, lesquels, longtemps apres la mort de notre second tuteur, nous furent remis par son epouse, et que quelques effets mobiliers qui ne meritent pas qu'on en fasse l'enumeration ni la description; mais que nous n'en avons recueilli aucune somme d'argent, aucune creance, en un mot rien de ce qu'on appelle valeurs mobilieres, a l'exception pourtant d'une rente de 100 francs 5 p. 100 dont MM. Defrance et Detape, receveurs de rentes a Paris, rue Chabannais, n deg. 6, ont opere la vente pour nous le 18 juin 1825, rente qui avait ete achetee pour nous par l'un de nos tuteurs. Nous n'avons recueilli que cela de la succession de notre pere et de notre mere; il est donc evident qu'ils ne possedaient rien autre chose, ni dans le departement de l'Aube, ni ailleurs. Si nous possedons aujourd'hui quelques immeubles qui ne fassent pas partie de l'etat qui precede, c'est que nous les avons achetes ou bien que nous les avons eus en partage de la succession de Jeanne-Madeleine Camut, notre grand'mere, decedee a Arcis au mois d'octobre 1813, veuve en premieres noces de Jacques Danton, notre grand-pere, et, en secondes noces de Jean Recordain, qu'elle avait epouse en 1770. Les livres de l'enregistrement et les matrices cadastrales peuvent fournir la preuve de ce que nous venons d'avancer. On pourra nous faire une objection qui merite une reponse; on pourra nous dire: "Vous n'avez recueilli de la succession de votre pere et de votre mere que les immeubles et les meubles dont vous venez de faire la declaration, mais cela ne prouve pas que la fortune de votre pere, au moment de sa mort, ne se composat que de ces seuls objets; car sa condamnation ayant entraine la confiscation de tous ses biens sans exception, la Republique a pu en vendre et en a peut-etre vendu pour des sommes considerables. Vous n'avez peut-etre recueilli que ce qu'elle n'a pas vendu." Voici notre reponse: Les meubles et les immeubles confisques a la mort de notre pere dans le departement de l'Aube et non vendus, furent remis en notre possession par un arrete de l'administration de ce departement, en date du 24 germinal an IV (13 avril 1796), arrete dont nous avons une copie sous les yeux, arrete pris en consequence d'une petition presentee par notre tuteur, arrete base sur la loi du 14 floreal an III (3 mai 1795), qui consacre le principe de la restitution des biens des condamnes par les tribunaux et les commissions revolutionnaires, base sur la loi du 21 prairial an III (9 juin 1796), qui leve le sequestre sur ces biens et en regle le mode de restitution; enfin, arrete base sur la loi du 13 thermidor an III (31 juillet 1795), dont il ne rappelle pas les dispositions. L'administration du departement de l'Aube, dans la meme deliberation, arrete que le produit des meubles et des immeubles qui ont ete vendus et des interets qui ont ete percus depuis le 14 floreal an III (3 mai 1795), montant a la somme de douze mille quatre cent cinq livres quatre sous quatre deniers, sera restitue a notre tuteur, en bons au porteur admissibles en payement de domaines nationaux provenant d'emigres seulement. Nous ne savons pas si notre tuteur recut ces bons au porteur; s'il les recut, quel usage il en fit; nous savons seulement qu'il n'acheta pas de biens d'emigres. Il resulte evidemment de cet arrete de l'administration du departement de l'Aube, que dans ce departement le produit des meubles et immeubles provenant de Danton et vendus au profit de la Republique, ne s'est pas eleve au-dessus de 12,405 livres 4 sous 4 deniers. C'etait le total de l'etat de reclamation presente par notre tuteur dans sa petition, et tout le monde pensera, comme nous, qu'il n'aura pas manque de faire valoir tous nos droits. On peut remarquer que dans cet arrete il est dit que ces 12.405 livres sont le montant du produit des meubles et des immeubles vendus, et des interets qui ont ete percus depuis le 14 floreal an III (3 mai 1795); ces 12.405 livres ne se composaient donc pas en entier du prix des meubles et des immeubles vendus; les _interets_ percus y entraient donc pour quelque chose, sans que nous sachions pour quelle somme. Nous avons entre les mains les expeditions de vingt proces-verbaux qui constatent que le 11 messidor an II (29 juin 1794) il a ete vendu, moyennant cinq mille sept cent vingt-cinq livres, vingt pieces de terre labourable contenant ensemble environ onze arpents, deux denrees (ou bien 506 ares, 70), situees sur les finages d'Arcis, de la Villette, de Saint-Etienne et de Torcy. En a-t-il ete vendu un plus grand nombre? Nous l'ignorons. Mais cela ne fait que 5.725 livres, sur les 12.405 dont la restitution a notre profit a ete ordonnee. De quoi se composaient les 6.680 restants? Etait-ce du prix de meubles et d'immeubles vendus, ou d'interets percus? Nous n'en savons rien, mais peu importe. Les 12.405 livres, si on le veut, provenaient en entier du prix d'immeubles vendus; admettons-le. Dans ce cas, pour avoir le total de ce que notre pere possedait au moment de sa mort, il faudrait ajouter 12.405 livres a ce que nous avons recueilli de sa succession. Mais, si d'un cote on doit ajouter 12.405 livres, d'un autre cote on doit retrancher 16.065 livres qui restaient dues aux personnes qui ont vendu a notre pere les immeubles dont nous avons herite. Nous pourrions, s'il etait necessaire, fournir le detail de ces 16.065 livres avec pieces a l'appui. Elles ont ete payees plus tard par notre tuteur, et, pour les payer, il n'aura pas manque sans doute de faire emploi, autant qu'il aura pu, des 12.405 livres de bons an porteur dont la restitution avait ete ordonnee a notre profit, par l'arrete de l'administration du departement de l'Aube, en date du 24 germinal an IV. Il est donc etabli d'abord que, dans le departement de l'Aube, le prix des meubles et des immeubles qui ont ete vendus n'a pas pu s'elever au-dessus de 12.405 livres; ensuite que notre pere, au moment de sa mort, devait encore 16.065 livres sur le prix d'acquisition des immeubles qu'il y possedait. Voila pour ce qui concerne le departement de l'Aube. Notre tuteur a-t-il eu a faire, pour notre compte, des reclamations dans quelques autres departements? C'est possible, il est meme presumable qu'il en a eu a faire relativement a des objets mobiliers; il etait trop soigneux de nos interets pour que nous puissions croire qu'il ait neglige quelque chose de ce qui s'y rattachait. Mais les sommes dont il a du obtenir la restitution ont ete sans doute peu considerables, car il n'en est rien parvenu jusqu'a nous dans la succession de notre pere. D'un autre cote, s'il eut possede des immeubles dans les departements autres que celui de l'Aube, il fut arrive de deux choses l'une: 1 deg. ou bien ces immeubles n'eussent pas ete vendus; alors nous les possederions encore aujourd'hui, puisque, a l'exception de la ferme de Nuisement, dont nous avons parle, nous n'avons jamais vendu d'immeubles; eh bien, nous n'en possedons aucun hors du departement de l'Aube; 2 deg. ou bien ils eussent ete vendus par la Republique a son profit; dans ce cas, la Republique nous en eut plus tard restitue le prix, comme elle l'a fait pour ceux qui ont ete vendus dans le departement de l'Aube, et nous eussions retrouve ce prix dans la succession de notre pere, soit en valeurs immobilieres achetees par nos tuteurs, pour emploi, soit en valeurs mobilieres. Eh bien, nous l'avons declare precedemment, nous n'avons presque rien recueilli en valeurs mobilieres; et, en immeubles, nous n'en avons recueilli aucun qui n'ait ete achete du vivant de notre pere, et qui ne fasse partie de l'etat que nous avons fourni. Nous croyons avoir repondu completement et victorieusement a l'objection precedemment faite. Notre raisonnement etait donc logique quand nous disions: nous n'avons recueilli que cela de la succession de notre pere et de notre mere, il est donc evident qu'ils ne possedaient rien autre chose, ni dans le departement de l'Aube, ni ailleurs. Toutefois, nous ferons remarquer que, en raisonnant ainsi, nous avons fait abstraction et des 12.405 livres qu'il eut fallu ajouter a leur avoir, et des 16.065 livres qu'il eut fallu retrancher pour etablir un compte rigoureusement exact. Nous avons prouve d'abord que, si Danton n'etait pas riche an commencement de la Revolution, il possedait au moins sa charge d'avocat aux conseils du Roi; ensuite, par l'etat que nous avons etabli de sa fortune au moment de sa mort, nous avons prouve qu'on peut regarder ce qu'il possedait a ce moment comme etant a peu pres l'equivalent de sa charge, dont il avait recu le remboursement. Si nous avons prouve tout cela (comme nous n'en doutons pas); nous avons prouve aussi que c'est a tres grand tort qu'on lui a reproche d'avoir exploite la Revolution pour amasser une fortune enorme et scandaleuse. Certes, on en conviendra, il a bien pu parvenir au degre d'_opulence_ qu'il avait atteint sans se rendre coupable des actes infames, des monstrueux et innombrables forfaits que les atroces calomnies de nos ennemis et l'odieux et inique rapport de Saint-Just lui ont si perfidement et si faussement imputes. Maintenant nous allons citer quelques faits authentiques qui pourront faire apprecier la bonte de son coeur. Nous avons vu precedemment que ce fut en mars et en avril 1791 qu'il acheta la majeure partie, on pourrait meme dire la presque totalite des immeubles qu'il possedait quand il mourut. Voici un des sentiments qui agitaient son coeur en mars et en avril 1791. Il desirait augmenter la modeste aisance de sa mere, de sa bonne mere qu'il adorait. Veut-on savoir ce qu'il s'empressa de faire a son entree en jouissance de ces immeubles qu'il venait d'acheter? Jetons un regard sur l'acte que nous tenons dans les mains. Il a ete passe le 15 avril 1791 (deux jours apres la vente faite a Danton par Mlle Piot) par-devant Me Odin qui en a garde la minute, et Me Etienne son collegue, notaires a Troyes. Danton y fait donation entre vifs, pure, simple et irrevocable, a sa mere, de six cents livres de rentes annuelles et viageres, payables de six mois en six mois, dont les premiers six mois payables au 15 octobre 1791. Sur cette rente de 600 livres, Danton veut qu'en cas de deces de sa mere, 400 livres soient reversibles sur M. Jean Recordain, son mari (M. Recordain etait un homme fort aise lorsqu'il epousa la mere de Danton; il etait extremement bon; sa bonte allait meme jusqu'a la faiblesse, puisque, par sa complaisance pour de pretendus amis dont il avait endosse des billets, il perdit une grande partie de ce qu'il avait apporte en mariage; neanmoins, c'etait un si excellent homme, il avait toujours ete si bon pour les enfants de Jacques Danton, qu'ils le regardaient tous comme leur veritable pere; aussi Danton, son beau-fils, avait-il pour lui beaucoup d'affection). Le vif desir que ressent Danton de donner aux donataires des marques certaines de son amitie pour eux, est la seule cause de cette donation. Cette rente viagere est a prendre sur la maison et sur ses dependances, situees a Arcis, que Danton vient d'acquerir le 13 avril 1791. Tel fut son premier acte de prise de possession. On remarquera que cette propriete, au moment ou mademoiselle Piot la vendit, etait louee par elle a plusieurs locataires qui lui payaient ensemble la somme de 600 livres annuellement. Si Danton eut ete riche et surtout aussi riche que ses ennemis ont voulu le faire croire, son grand coeur ne se fut pas contente de faire a sa mere une pension si modique. Pour faire cette donation, Danton aurait pu attendre qu'il vint a Arcis, mais il etait si presse d'obeir au sentiment d'amour filial qu'il eprouvait que, des le 17 mars 1791, il avait donne a cet effet une procuration speciale a M. Jeannet-Bourcier, qui executa son mandat deux jours apres avoir achete pour Danton la propriete de mademoiselle Piot. Aussitot que la maison etait devenue vacante et disponible, Danton, qui aimait tant a etre entoure de sa famille, avait voulu que sa mere et son beau-pere vinssent l'habiter, ainsi que M. Menuel, sa femme et leurs enfants. (M. Menuel avait epouse la soeur ainee de Danton.) Au 6 aout 1792, Danton etait a Arcis; on etait a la veille d'un grand evenement qu'il prevoyait sans doute. Au Milieu des mille pensees qui doivent alors l'agiter, au milieu de l'inquietude que doivent lui causer les perils auxquels il va s'exposer, quelle idee predomine, quelle crainte vient l'atteindre? Il pense a sa mere, il craint de n'avoir pas suffisamment assure son sort et sa tranquillite; en voici la preuve dans cet acte passe le 4 aout 1792 par-devant Me Pinot, notaire a Arcis. Q'y lit-on? "Danton voulant donner a sa mere des preuves des sentiments de respect et de tendresse qu'il a toujours eus pour elle, il lui assure, sa vie durant, une habitation convenable et commode, lui fait donation entre-vifs, pure, simple et irrevocable, de l'usufruit de telles parts et portions qu'elle voudra choisir dans la maison et dependances situees a Arcis, rue des Ponts, qu'il a acquise de mademoiselle Piot de Courcelles, et dans laquelle maison, sa mere fait alors sa demeure, et de l'usufruit de trois denrees de terrain a prendre dans tel endroit du terrain qu'elle voudra choisir, pour jouir desdits objets a compter du jour de la donation." Si M. Jean Recordain survit a sa femme, donation lui est faite par le meme acte de l'usufruit de la moitie des objets qu'aura choisis et dont aura joui sa femme. Nous n'avons pas connaissance que Danton ait jamais fait d'autres dispositions en faveur de sa mere ni de son beau-pere. Nous le repetons, si Danton eut ete riche, et surtout s'il eut ete aussi riche que ses ennemis ont voulu le faire croire, son grand coeur ne se fut pas contente de faire a sa mere et a son beau-pere des dons si modiques; nous sommes intimement persuades que sa generosite envers eux eut ete en proportion de sa fortune. Voici encore une piece, peu importante en elle-meme a la verite, mais qui honore Danton et qui prouve sa bonte; c'est une petition en date du 30 thermidor an II (17 aout 1794), adressee aux citoyens administrateurs du departement de Paris, par Marguerite Hariot (veuve de Jacques Geoffroy, charpentier a Arcis), qui expose que, par acte passe devant Me Finot, notaire a Arcis, le 11 decembre 1791, Danton, dont elle etait la nourrice, lui avait assure et constitue une rente viagere de cent livres dont elle devait commencer a jouir a partir du jour du deces de Danton, ajoutant que, de son vivant, il ne bornerait pas sa generosite a cette somme. Elle demande, en consequence, que les administrateurs du departement de Paris ordonnent que cette rente viagere lui soit payee a compter du jour du deces et que le principal en soit preleve sur ses biens confisques au profit de la Republique. Nous ne savons pas ce qui fut ordonne. Cette brave femme que notre pere ne manquait jamais d'embrasser avec effusion et a plusieurs reprises chaque fois qu'il venait a Arcis, ne lui survecut que pendant peu d'annees. La recherche que nous avons faite dans les papiers qui nous sont restes de la succession de notre grand'mere Recordain, papiers dont nous ne pouvons pas avoir la totalite, ne nous a fourni que ces trois pieces _authentiques_ qui temoignent en faveur de la bonte de Danton dans sa vie privee. Quant aux traditions orales que nous avons pu recueillir, elle sont en petit nombre et trop peu caracteristiques pour etre rapportees. Nous dirons seulement que Danton aimait beaucoup la vie champetre et les plaisirs qu'elle peut procurer. Il ne venait a Arcis que pour y jouir, au milieu de sa famille et de ses amis, du repos, du calme et des amusements de la campagne. Il disait dans son langage sans recherche, a madame Recordain, en l'embrassant: "Ma bonne mere, quand aurai-je le bonheur de venir demeurer aupres de vous pour ne plus vous quitter, et n'ayant plus a penser qu'a planter mes choux?" Nous ne savons pas s'il avait des ennemis ici, nous ne lui en avons jamais connu aucun. On nous a tres souvent parle de lui avec eloge; mais nous n'avons jamais entendu prononcer un mot qui lui fut injurieux, ni meme defavorable, pas meme quand nous etions au college; la pourtant les enfants, incapables de juger la portee de ce qu'ils disent, n'hesitent pas, dans une querelle occasionnee par le motif le plus frivole, a s'adresser les reproches les plus durs et les plus outrageants. Nos condisciples n'avaient donc jamais entendu attaquer la memoire de notre pere. Il n'avait donc pas d'ennemis dans son pays. Nous croyons ne pas devoir omettre une anecdote qui se rapporte a sa vie politique. Nous la tenons d'un de nos amis qui l'a souvent entendu raconter par son pere, M. Doulet, homme tres recommandable et tres digne de foi, qui, sous l'Empire, fut longtemps maire de la ville d'Arcis. Danton etait a Arcis dans le mois de novembre 1793. Un jour, tandis qu'il se promenait dans son jardin avec M. Doulet, arrive vers eux une troisieme personne marchant a grands pas, tenant un papier a la main (c'etait un journal) et qui, aussitot qu'elle fut a portee de se faire entendre, s'ecrie: Bonne nouvelle! bonne nouvelle! et elle s'approche.--Quelle nouvelle? dit Danton.--Tiens, lis! les Girondins sont condamnes et executes, repond la personne qui venait d'arriver.--Et tu appelles cela une bonne nouvelle, malheureux? s'ecrie Danton a son tour, Danton, dont les yeux s'emplissent aussitot de larmes. La mort des Girondins une bonne nouvelle? Miserable!--Sans doute, repond son interlocuteur, n'etait-ce pas des factieux?--Des factieux, dit Danton. Est-ce que nous ne sommes pas des factieux? Nous meritons tous la mort autant que les Girondins; nous subirons tous, les uns apres les autres, le meme sort qu'eux. Ce fut ainsi que Danton, le Montagnard, accueillit la personne qui vint annoncer la mort des Girondins, auxquels tant d'autres, en sa place, n'eussent pas manque de garder rancune. Avec une ame comme la sienne, il est impossible de ne pas etre un honnete homme, nos coeurs nous le disent, et jamais rien n'ebranlera une de nos plus fermes et de nos plus douces croyances en ce monde, celle de devoir la vie a un pere qui fut non seulement un homme d'esprit, de genie, d'un grand courage, grand orateur, grand citoyen, aimant sincerement et passionnement son pays, mais qui fut avant tout un homme probe. Que n'avons-nous son eloquence pour faire passer dans l'esprit de nos citoyens nos convictions, et pour leur faire partager nos sentiments! Mais la tache; qu'a notre grand regret nous ne remplissons pas, parce qu'elle est au-dessus de nos forces et de nos talents, d'autres plus puissants et plus capables la rempliront. Mieux vaudrait mourir a l'instant que d'en perdre l'esperance. Oui, Danton, un jour toutes les calomnies accumulees sur toi par l'erreur, par l'envie, par la haine, viendront expirer aux pieds de la verite mise a nu par des orateurs, par des ecrivains consciencieux, impartiaux, eclaires, eloquents. Oui, un jour la France reconnaitra que tous tes actes politiques ont pris naissance dans de louables sentiments, dans ton ardent amour pour elle, dans le plus violent desir de son salut et du triomphe de la liberte! Oui, un jour la France appreciera toute l'immensite de ton devouement qui te porta _jusqu'a vouloir lui faire le sacrifice de ta memoire_: sacrifice cent fois, mille fois plus grand que celui de la vie! Devouement sans exemple dans l'histoire! La France aujourd'hui si belle, si florissante, te placera alors au rang qui t'appartient parmi ses enfants genereux, magnanimes, dont les efforts intrepides, inouis, sont parvenus a lui ouvrir, au milieu de difficultes et de dangers innombrables, un chemin a la liberte, a la gloire, au bonheur. Un jour, enfin, Danton, justice complete sera rendue a ta memoire! Puissent tes fils, avant de descendre dans la tombe, voir ce beau jour, ce jour tant desire! *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, DISCOURS CIVIQUES DE DANTON *** This file should be named 7dscs10.txt or 7dscs10.zip Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 7dscs11.txt VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 7dscs10a.txt Project Gutenberg eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not keep eBooks in compliance with any particular paper edition. We are now trying to release all our eBooks one year in advance of the official release dates, leaving time for better editing. Please be encouraged to tell us about any error or corrections, even years after the official publication date. Please note neither this listing nor its contents are final til midnight of the last day of the month of any such announcement. 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If the value per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2 million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+ We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002 If they reach just 1-2% of the world's population then the total will reach over half a trillion eBooks given away by year's end. The Goal of Project Gutenberg is to Give Away 1 Trillion eBooks! This is ten thousand titles each to one hundred million readers, which is only about 4% of the present number of computer users. Here is the briefest record of our progress (* means estimated): eBooks Year Month 1 1971 July 10 1991 January 100 1994 January 1000 1997 August 1500 1998 October 2000 1999 December 2500 2000 December 3000 2001 November 4000 2001 October/November 6000 2002 December* 9000 2003 November* 10000 2004 January* The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been created to secure a future for Project Gutenberg into the next millennium. We need your donations more than ever! 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